(1743) De la réformation du théâtre « De la réformation du théâtre — SIXIEME PARTIE. — Comédies à rejeter. » pp. 313-318
/ 217
(1743) De la réformation du théâtre « De la réformation du théâtre — SIXIEME PARTIE. — Comédies à rejeter. » pp. 313-318

Comédies à rejeter.

L’ECOLE DES MARIS,

Autant cette Pièce est admirable par le génie de Molière son Auteur, autant je la trouve de mauvais exemple et pernicieuse pour les mœurs. En effet, elle renferme mille leçons des ruses dont une fille peut faire usage pour faire connaître à son Amant ses intentions afin de tromper son Tuteur qui veut l’épouser. Cette Pièce est tirée d’une nouvelle de Boccace15 que tout autre que Molière n’aurait jamais tenté de mettre sur le Théâtre, et la copie a conservé les traits et les motifs empoisonnés de l’original.

Je n’en dirai pas d’avantage, parce que si je voulais expliquer les raisons qui me forcent à rejeter l’Ecole des Maris, je serais obligé de rappeller les endroits les plus dangereux de cette Pièce ; et je ne crois pas qu’il me convienne de faire revivre des idées que je condamne. Quand la critique ne roule que sur l’art ou sur l’esprit d’un Auteur, il est juste de la modifier ; mais quand elle regarde les mœurs, je crois qu’on ne saurait trop tôt se taire ; j’ai loué Molière autrefois en parlant de cette Pièce16, et je conviens qu’il mérite toute sorte de louange par rapport au génie et à l’art qu’il y a mis ; mais pour ce qui regarde les mœurs, loin de l’approuver je suis au contraire persuadé que ses plus grands partisans (parmi lesquels j’ose me compter, d’autant plus que je l’ai étudié à fond) je suis persuadé, dis-je, que ses plus grands partisans pensent comme moi de l’Ecole des Maris, et la banniraient, comme je fais, du Théâtre de la réforme.

L’ECOLE DES FEMMES,

Cette Comédie est le contrepied de la précédente : dans l’Ecole des Maris c’est l’esprit qui sert la passion, et dans l’Ecole des Femmes c’est la passion qui donne de l’esprit : l’une et l’autre de ces Pièces semblent être imaginées tout exprès pour gâter le cœur et pervertir l’innocence de la jeunesse la mieux élevée ; les filles d’esprit et les innocentes y trouvent également des leçons très dangereuses sur un point qui ne devrait jamais être traité devant les jeunes gens, et moins encore sur le Théâtre que partout ailleurs. Enfin ce sont deux Pièces qui ne devraient jamais trouver d’Auditeurs ni de Spectateurs, parce que la morale en est détestable, et doit blesser toutes sortes de personnes.

Les gens de talent et de goût diront sans doute que c’est un grand malheur de ne pas trouver des expédients pour corriger ces deux Pièces, qui du côté de l’art et du génie, sont des modèles si parfaits et si propres à servir d’Ecole aux Poètes : peut-être même me reprochera-t-on de ne l’avoir pas tenté ; mais je réponds qu’après les avoir examinées avec soin je les ai trouvées telles que je les avais d’abord envisagées, c’est-à-dire non susceptibles d’aucune correction ; quant aux Poètes qui les regretteront, je les exhorterai à les étudier dans leurs cabinets, à condition néanmoins qu’ils proposeront ces deux Comédies, autant comme des modèles à fuir par rapport aux mœurs, qu’à imiter par rapport au talent.

GEORGE DANDIN.

La simple lecture de cette Pièce fait sentir qu’elle ne peut être admise sur un Théâtre où les mœurs sont respectés, d’autant plus que la représentation donne encore plus de force aux mauvais exemples qui n’y sont que trop répétés. Ce n’est pas cependant que Molière n’y ait mis d’excellentes choses pour corriger la vanité d’un Bourgeois qui veut s’élever au dessus de sa condition par une alliance disproportionnée : mais les bonnes mœurs ont sans comparaison beaucoup plus à perdre qu’à gagner dans la Comédie de George Dandin, dont Molière a puisé le sujet dans une Nouvelle de Boccace. Je crois l’avoir déja remarqué, toutes les fois que Molière a été inventeur ses Pièces ont été correctes, mais quand il a voulu copier, il s’est trop assujetti à ses modèles : Qu’il me soit permis d’ajouter que si Boccace en ce cas mérite d’être blâmé, Molière n’en est pas plus excusable d’avoir tiré de cet Auteur Italien le sujet d’une Comédie si scandaleuse.