(1698) Mandement de Monseigneur l’Illustrissime et Révérendissime Evêque d’Arras au sujet des Tragédies qui se représentent dans les Collèges de son Diocèse [25 septembre 1698] « Mandement  » pp. 37-43
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(1698) Mandement de Monseigneur l’Illustrissime et Révérendissime Evêque d’Arras au sujet des Tragédies qui se représentent dans les Collèges de son Diocèse [25 septembre 1698] « Mandement  » pp. 37-43

Mandement

De Monseigneur l’Illustrissime et Révérendissime
Evêque d’Arras au sujet des Tragédies qui
se représentent dans les Collèges de son Diocèse.

G Uy de Sève de Rochechouart par la Grâce de Dieu et du S. Siège Apostolique Evêque d’Arras. Il est de certains désordres, sur lesquels une longue habitude et une coutume invétérée ne permettent pas quelquefois à des personnes d’une vie d’ailleurs exemplaire et irreprochable, de réfléchir. Les représentations qui se font dans les Collèges à la fin des Classes, qui d’elles-mêmes et réduites à de certaines bornes seraient innocentes, mais auxquelles on joint assez souvent des choses que l’on verrait bien qui ne le sont pas si on y faisait attention, sont de cette espèce. Il arrive cependant sur ce sujet, comme il est arrivé sur tant d’autres, des moments de lumière où la vérité se découvre, et où les excès deviennent si grands et si visibles, que l’on est obligé de parler et de donner des règles pour en arrêter la licence. Nous n’avons que trop de sujet de craindre dans notre Diocèse ces sortes d’excès, et nous nous trouvons par là dans l’obligation d’y donner des bornes. Nous nous ferons beaucoup de plaisir de profiter dans cette occasion des Règlements si sages et si chrétiens qui ont été faits depuis quelques années sur ce même sujet dans une des Universités du monde la plus fameuse et la plus célèbre, et d’en tirer une partie de ceux que nous croyons devoir faire pour notre Diocèse, et que nous ordonnons que l’on y observe.

Règlements.

I. Nous croyons pouvoir tolérer l’ancien usage de faire à la fin des Classes des Tragédies, pour apprendre aux Enfants à déclamer et leur inspirer une hardiesse honnête. Nous sommes persuadés néanmoins que l’on pourrait prendre pour y parvenir des voies non seulement plus utiles aux Enfants à qui on fait perdre un temps infini, et aux Maîtres qui n’en perdent pas moins, occupés pendant plusieurs mois de la composition, du récit et du succès de leur ouvrage ; mais aussi plus conformes à la Religion, qui a toujours marqué beaucoup d’horreur pour les spectacles sans y mettre de distinction. La raison d’apprendre aux Enfants à déclamer, et de leur inspirer cette hardiesse honnête, nous paraît très faible, et il est fâcheux de dire et difficile de persuader, que l’on ne puisse apprendre l’un, ni se donner l’autre, que sur un Théâtre sur lequel on ne paraît qu’une ou deux fois au plus en sa vie, et sur lequel il serait très honteux de monter dans un âge plus avancé. Et peut-être trouverait-on, si on en voulait faire l’examen, que plusieurs de nos plus grands Prédicateurs et de nos plus célèbres Avocats n’y ont pas paru.

II. Nous défendons de joindre à la représentation de ces Tragédies, des Comédies et des Opéra avec des danses qui ne peuvent être qu’une semence de corruption pour une jeunesse capable dans cet âge tendre de toute sorte d’impressions. On s’y servira beaucoup moins de certaines représentations bouffonnes très indignes du Christianisme, et que l’on ne voit et que l’on ne souffre qu’avec peine dans les Places publiques, telles que de Arlequins et semblables travestissements. Nous suivons avec plaisir sur le sujet de ces Tragédies l’esprit et les sentiments d’une savante Compagniea, dont un des principaux emplois est l’instruction de la jeunesse. « Qu’elles ne soient faites qu’en latin ; que l’usage en soit très rare ; qu’elles aient un sujet saint et pieux ; que les intermèdes des Actes soient tout latins et n’aient rien qui s’éloigne de la bienséance ; et que l’on n’y introduise aucun personnage de Femme, ni jamais l’habit de ce sexe. » Nous croyons devoir exhorter les Régents qui seront chargés de ces sortes d’ouvrages, de ne pas y donner si fort leur temps, qu’ils oublient le soin qu’ils doivent prendre de leurs Ecoliers ; et de se souvenir qu’ils doivent s’appliquer beaucoup plus à les rendre de bons Chrétiens, qu’à en faire de bons Acteurs.

III. Nous défendons absolument et très étroitement de se servir de lieux saints ou consacrés par la célébration de nos saints mystères, pour la représentation de ces Tragédies à quelque point que l’on les réduise, mais beaucoup plus étroitement encore si on y joignait quelqu’une des choses que nous venons de défendre dans le précédent Règlement : et si ce scandale arrivait, comme cela nous paraîtrait une profanation publique de ces lieux, et une espèce d’abomination dans le lieu saint, Nous défendons très expressément à tous Prêtres du Clergé ou Réguliers d’y célébrer la S. Messe.

IV. Nous exhortons tous les Recteurs et Supérieurs des Collèges de notre Diocèse qui y feront représenter des Tragédies, d’y mettre toute la différence qu’ils pourront d’avec celles qui se représentent par des Comédiens sur les Théâtres, et pour lesquelles l’Eglise a toujours témoigné tant d’horreur. Que l’on connaisse que c’est une instruction pour les enfants, et non un divertissement qu’ils veulent donner au public. Que rien ne s’y passe dont ils ne soient instruits par avance, et dont dans la suite ils ne puissent nous être garants. Qu’ils y évitent avec soin toute immodestie, et tout excès dans la dépense qu’il y faudra faire. Qu’ils n’aient enfin en tout cela que le bien seul de la jeunesse qu’ils ont à conduire, et la plus grande gloire de Dieu en vue.

V. Nous ne pretendons point par là condamner la dépense qui se fait pour donner aux enfants des prix qui leur donnent de l’émulation, et qui sont une récompense juste et glorieuse de leur travail. Comme elle n’est pas excessive, et qu’elle va d’ailleurs au bien de l’éducation de la Jeunesse qui est un bien solide, nous ne pouvons ne pas l’approuver.

Nous n’empêchons pas non plus que l’on ne puisse mettre dans les entr’actes de ces Tragédies une Symphonie honnête et modeste : mais nous ne voulons pas que l’on y emploie des personnes consacrées à Dieu ou par l’Etat Ecclésiastique qu’ils ont embrassé, ou par les fonctions Ecclésiastiques qu’ils exercent dans des Eglises particulières où on les voit revêtus de Surplis. En effet n’est-ce pas un désordre manifeste et un scandale, que la même personne qui aura paru pendant les Offices Divins occupée à y chanter sous un habit Ecclésiastique les louanges de Dieu et à servir à l’Autel au plus redoutable de nos mystères, paraisse ensuite et quelquefois le même jour sur un Théâtre, ou fasse partie du spectacle ? N’est-ce pas là vouloir accorder contre la défense de l’Apôtre, la lumière avec les ténèbres, et Jésus-Christ avec Bélial ?

VII. Nous défendons aussi de mêler des paroles profanes et qui sentent le libertinage du siècle, dans la Symphonie si on en emploie, et dans les Programmes qui restant dans les mains du public peuvent faire un mauvais effet s’ils ne sont exacts. Dans des lieux destinés pour apprendre aux enfants leur religion et la vertu plus que la science, que l’on se garde bien de leur inspirer des sentiments qui y soient contraires. Il n’est point de temps ni de spectacles qui puissent autoriser un langage séculier, voluptueux et mondain. C’est l’approuver que de s’en servir.

VIII. Et que l’on ne nous allègue point la coutume pour autoriser ces désordres. Ce sont ces lâches condescendances sous le vain prétexte de s’accommoder à de mauvais usages et de conserver une fausse paix, qui sont la source féconde et malheureuse du relâchement que nous avons vu de la Morale Chrétienne dans notre temps, et de la réforme de tant de Compagnies qui ne se sont perdues que par là. Ce n’est point ce qui se fait ici ou là, comme parlait autrefois un grand Saint, ni ce qu’une mauvaise coutume, ou pour parler le langage d’un Saint Pape, une malheureuse corruption a insensiblement établi, qui doit être la règle de notre conduite. Ce sont les règles de l’Evangile et les Saints Canons que l’Eglise nous a donnés, qu’il faut écouter et qu’il faut suivre. Malheur à qui s’en écarte sous de vains prétextes, et qui se laisse conduire par des guides des aveugles qui le mènent dans le précipice. Il n’y a point de prescription contre la vérité. Et il n’y a nul désordre qui ne pût passer, si la coutume qui est ordinairement pour le mal, suffisait pour l’autoriser.

IX. Nous avons sujet de craindre que les règles que nous donnons ici à notre Diocèse, et que nous ordonnons d’y suivre, ne déplaisent peut-être à des particuliers plus esclaves de la coutume qu’instruits de leur Religion. Mais qu’importe qu’elles leur déplaisent, pourvu qu’elles vous plaisent ô mon Dieu. Trop heureux d’essuyer leur censure à ce prix. Et c’est en cette occasion que l’on peut dire ce qu’un de vos Apôtresb disait autrefois, quoique prêt à se faire tout à tous pour les gagner tous, « Si hominibus placerem, Christi servus non essem. »

Et sera notre présente Ordonnance signifiée à la diligence de notre Promoteur à tous Recteurs et Supérieurs de Collèges établis dans notre Diocèse, à ce que nul d’entre eux n’en ignore.

Signé GUY Evêque d’Arras.

Par Monseigneur.

Caron.