(1744) Dissertation épistolaire sur la Comedie « Dissertation Epistolaire sur la Comedie. — Reponse à la Lettre précedente. » pp. 16-18
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(1744) Dissertation épistolaire sur la Comedie « Dissertation Epistolaire sur la Comedie. — Reponse à la Lettre précedente. » pp. 16-18

Reponse à la Lettre précedente.

MONSIEUR,

J’Ai reçû la Lettre, dont vous m’avez honorée : vous m’y invitez à benir le Seigneur : je m’addresserai à lui, pour le remercier, qu’il vous a inspiré à prendre ce soin pour mon salut : & puisque vous m’avez souvent marqué, que vous vous comptiez bien recompensé de vos travaux spirituels, quand ils étoient utiles au prochain ; j’ai le plaisir de vous annoncer, que vôtre Lettre à eu bon effét : j’ai pris la liberté, de la faire voir à mes amies Mesdames *** elles se croient toutes obligées avec moi, de regarder au moins la Comedie comme un divertissement dangereux ; puisque les saints Peres ont parlé de cette sorte de spectacles comme d’une chose capable de corrompre les mœurs les plus innocentes.

Cependant quelques-unes furent étonnées, que vous n’avez pas allegué un seul passage de la sainte Ecriture, qui defendit expressement la Comedie.

Vous connoissez Madame *** elle a de l’esprit, & elle s’en pique, quand, disoit-elle, quelque chose de la nature porte au peché, on ne peut pas en user librement sans peché ; cela parle de soi sans autre preuve à un esprit, qui a seulement un petit raion d’intelligence : est-ce que la Comedie, qu’on represente ici, donne de soi-même quelque penchant au peché ? Nous avons la consolation, de voir dans la Ville, qu’il y a des Dames d’une vertu solide, qui nous édifient très-souvent, & qui sont si assidues aux devoirs de la Religion, qu’on les voit frequemment qu’elles s’approchent de la sainte Table : peutêtre il y a de ce nombre quelques-unes, qui pourroient dire ; tout ce que nous voions, tout ce que nous entendons, quand nous allons à la Comedie, nous divertit, & rien de plus ; du reste nous n’en ressentons aucune impression, & n’en sommes nullement touchées. L’Auteur de la lettre nous auroit obligées, s’il eut pris la peine de nous dire, si les personnes, tels qu’ils soient, qui ont cet heureux charactére, pecheroient, quand ils useroient moderément ce divertissement.

Je me trouvai l’autre jour chez vôtre ami Monsieur *** Nous parlâmes sur le fatal present de la Comedie qu’on a fait à la ville : cependant, me dît-il, les fauteurs de la Comedie soûtiennent, que saint Thomas leur est favorable, en ce qu’il semble dire, que la profession des Comediens n’est pas mauvaise de sa nature, & que l’on peut même contribuer à leur subsistance, pourvû que ce soit d’une maniere moderée : j’aurois souhaité, que nôtre cher ami nous eût donné la solution à cette objection ; car quoique je sois convaincu, que cet Ange de l’Ecole n’a jamais approuvé les Comedies, telles qu’on les représente aujourd’hui ; cependant il faut le montrer à ces gens, qui se saisissent de toute couleur pour couvrir leur passion.

Au même temps il entra une jeune Demoiselle de 24. ans, fille de condition : je lui donnai vôtre lettre. Après qu’elle en avoit fait la lecture ; hé mon Dieu, s’écria-t-elle, en soûriant d’un ris malin & dedaigneux, cet Auteur nous veut faire peur d’une ombre ! est-il quelque part directeur des devotes, qu’il leur prêche sa morale outrée : elles se sont retirées du monde, qu’elles s’abstiennent de ce divertissement : pour moi je ne me sens pas appellée à la vie retirée : & puisque je suis dans le monde, il faut bien que j’use innocemment ce que font tant d’autres de mes égales. En tout cas les Souverains la permettent : & ici, mon Pere m’y amene, ou ma Parente Madame de *** que l’Auteur lui-même, s’il la connoissoit, n’oseroit condamner d’une vie peu Chrêtienne : aussi n’y peut-il pas être grand mal ; car je ne vois nulle part dans la lettre, que la Comedie soit qualifiée de pêché mortel. Elle n’eut pas le temps d’attendre nôtre réponse sur ce qu’elle avança, on la vint chercher : mais elle nous prêta : l’occasion de vous prier un mot de réponse sur toutes ces difficultés : vous ferez une œuvre de charité, & vous obligerez, Monsieur, vôtre très-humble & trés-obéïssante Servante.