(1781) Lettre à M. *** sur les Spectacles des Boulevards. Par M. Rousseau pp. 1-83
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(1781) Lettre à M. *** sur les Spectacles des Boulevards. Par M. Rousseau pp. 1-83

Lettre sur les Spectacles Des Boulevards & des Foires.

MONSIEUR,
V ous me pressez de vous faire part de mes observations sur les Spectacles établis aux Boulevards & aux Foires Saint-Germain & Saint-Laurent : votre priere est un ordre absolu pour moi ; sans vous rien taire, je vais le remplir le plus succintement qu’il me sera possible. Je suis fort éloigné d’adopter le sentiment de ces Rigoristes, qui, sans les avoir approfondis & examinés sous tous leurs points de vue, qui, peut-être même sans les connaître, condamnent les Spectacles en général, ou de ces Réformateurs éternels qui, non contens des dangers qu’ils croyent appercevoir dans les Jeux les plus innocens, se créent exprès des monstres pour avoir le plaisir de les combattre. « La raison, dit M. d’Alemberts, emprunte le secours du Théatre1, pour imprimer plus profondément dans notre ame les vérités que nous avons besoin d’apprendre. Si ces vérités glissent sur les scélérats décidés, elles trouvent dans le cœur des autres une entrée plus facile, elles s’y fortifient quand elles y étaient déjà gravées ; incapables, peut-être, de ramener les hommes perdus, elles sont au moins propres à empêcher les autres de se perdre ». En vous faisant l’éloge, Monsieur, des avantages du Théatre, comme je suis vrai je ne puis vous dissimuler qu’il a aussi ses abus & son côté faible2. Mais, enfin, quelle institution humaine n’est pas marquée à ce coin de faiblesse, qui force le plus orgueilleux à reconnoître des limites à son génie ! c’est dans le sanctuaire même de Thémis, que la Fourbe & l’Injustice rendent quelque-fois leurs arrêts flétrissans ; faut il pour cela renverser tous les Temples de la Justice ? L’homme serait égal à la Divinité, s’il pouvait imprimer à ses propres Ouvrages le sceau de la perfection. Nous pouvons, dit un savant Anglais, nous plaindre de l’imperfection de l’humanité qui est telle, que dans le cas le plus important pour l’ordre, pour le bon Gouvernement, & par conséquent pour notre bonheur, nous sommes réduits par la constitution de notre nature à n’avoir aucun parti à prendre, que notre raison puisse absolument approuver ; mais quoique nous nous plaignions, nous devons nous y soumettre. Nous devons nous dire que des plans parfaits ne sont pas du ressort de notre Etat imparfait. La morale Stoïcienne & la République de Platon, ne sont que des amusemens pour ceux qui ont peu d’expérience dans les affaires du monde. En effet, tout ce que la prudence humaine peut faire, est de fournir des expédiens & de s’accorder, autant qu’il est possible, avec le vice & la folie, employant la raison à agir, même contre ses propres principes, & nous enseignant, pour ainsi dire, à déraisonner avec sagesse & bon sens, ce qui, en beaucoup d’occasions, n’est pas aussi paradoxe qu’on se l’est imaginé. Telle est la marche de la bonne Comédie ; elle corrige les mœurs, elle nous instruit en nous faisant rire. Semblable en cela à ces bons peres de famille, qui au milieu de leurs enfans, se mêlent à tous leurs jeux, les excitent & les instruisent avec autant d’adresse que de succès, en paraissant eux-mêmes redevenir enfans Je conviens avec vous Monsieur, que les Théatres de la Nation sont susceptibles d’une administration plus utile au Public, plus honorable aux Gens de Lettres, plus ferme pour les Comédiens ; ces Théatres, en un mot, exigent, & promptement, une très grande réforme : le bien général qui doit en résulter ne peut qu’accélerer une époque depuis si long-tems desuée3.
Il est une vérité hors de doute, c’est que la prospérité & la durée des Empires dépendent entierement des bonnes mœurs4. Si la chûte des Etats, dit un célebre Ecrivain, suit de près la dépravation des mœurs, quel intérêt n’ont pas ceux qui gouvernent, à veiller sur elles & à les conserver, autant qu’il est possible, dans toute leur pureté ? Mais, Monsieur, quelle autre école plus familiere au Peuple, avons-nous des mœurs, que le Théatre ? n’est-ce pas à cette école séduisante, que la jeunesse des deux sexes & les personnes d’un âge mûr, doivent aller également puiser les leçons du goût, du bon esprit, de la faire morale & des sentimens ? Leçons tout-à-la-fois utiles & agréables, qui forment la base sur laquelle posent les bonnes mœurs5 Tel est, ou doit être le but des Théatres avoués par la Nation6. Ce n’est pas ici le lieu de m’élever contre ces Auteurs obscurs, qui faisant un abus criminel de leurs talens, prostituent leur plume à l’éloge des passions les plus funestes & du libertinage, & qui, prêtant à Melpomene ou à Thalie, un langage qui leur est tout à-fait étranger, débitent sur la scene des principes dangereux, qui rendent à la perte de la vertu, dont ils devraient embrasser la défense. Aucun examen, sans doute, ne serait plus digne d’un Gouvernement aussi sage, aussi éclairé, aussi bienfaisant que le nôtre, que l’examen des pieces restées aux deux Théatres : rien n’assurerait mieux ses droits à notre reconnaissance, que la défense sévere qu’il serait de représenter toutes celles dans lesquelles on apperçoit le plus faible germe de corruption.

Je me propose, Monsieur, de vous entretenir de ces objets, plus intéressans qu’on ne se l’imagine peut-être, dans un autre moment. Mon intention n’est de vous parler ici que des désordres sans nombre, & des maux presque irremédiables qu’enfantent ces Trétaux 7, connus d’abord sous le nom de Spectacles Forains, ou au moins décorés de ce nom. Leur établissement quoique moderne a déjà produit les abus les plus invétérés, & j’ose ajouter les plus pernicieux. On ne saurait le nier, l’oisiveté, de concert avec l’avarice, leur à donné naissance ; le libertinage seul a pu les soutenir jusqu’à ce jour. Ces Spectacles, vous n’en doutez pas. Monsieur, sont la cause premiere de la décadence du goût ; & comme le goût de la saine Littérature influe nécessairement sur l’ordre moral, il s’en fuit que la dépravation des mœurs s’opere en proportion de la chûte des lettres. Ces vérités ont été débattues & prouvées trop de fois, vous les sentez trop bien, pour employer de longs raisonnemens à vous les démontrer. Mais puisqu’elles sont si évidentes, que leurs ennemis mêmes ne peuvent les révoquer en doute, que penser de ces lieux, où les mots d’honneur & de vertu 8, sont devenus si étrangers, ou plutôt si ridicules, qu’ils excitent la risée & les huées de la populace, toutes les fois qu’on les prononce sur la Scene ? Que penser des ces Trétaux, où les farces les plus dégoûtantes, les places obscénités, les grossieres équivoques, les pointes triviales, les situations les plus lubriques, les gestes les plus lascifs, sont reçus, accueillis, applaudis avec un enthousiasme dont on n’a pas d’idée ? & par qui ? par des femmes perdues, par des femmes soudoyées9 tout exprès, pour assister à ces Jeux Libertins, & y donner le ton, à cette foule de jeunes gens qu’elles y attirent !

Je suis du sentiment de M. Garnier, & je crois que l’on n’écrit que pour avoir des Lecteurs ; on ne compose des Pieces que pour mériter les applaudissemens des Spectateurs. Pour parvenir à ce but, un Auteur doit également s’attacher à plaire à l’esprit & au cœur. Le choix du sujet doit intéresser l’un, la maniere agréable de rendre ses idées doit captiver l’autre. Des images douces, naïves, attendrissantes, voilà ce qui remue l’ame & l’intéresse. Un style pur, facile & soutenu, voilà ce qui séduit l’esprit & le flate. Si un homme est dépourvu de ce double talent, où s’il ne lui est pas permis d’en faire usage, quelle autre ressource lui restera-t-il pour plaire à ses Lecteurs, ou se concilier les suffrages des Spectateurs ? quelle autre ressource, sinon celle de séduire & de corrompre les cœurs, ne pouvant amuser les esprits ? Ressource abominable, sans doute, & dont aucun des Auteurs Forains, ne manque cependant point de faire usage. Vous n’ignorez pas, Monsieur, que les deux Troupes. Nationales ont le droit d’inspection sur toutes les Pieces qui se jouent aux Boulevards. Leur intérêt est de n’en laisser représenter aucune qui puisse entrer en comparaison avec celles dont elles sont en possession. Aussi, lors qu’on présente un bon. Ouvrage pour les Planches des sieurs tel ou tel, n’importe qui, les Comédiens Français ou les Italiens, ont grand soin de faire arrêter la Piece qui leur porte ombrage, & défendre à l’Auteur d’avoir de l’esprit & du goût par tout ailleurs que chez eux. Si on livre sa production à leur censure, ils la coupent, taillent, rognent, mutilent & disséquent au point qu’en vérité il ne reste pas même au pauvre enfant l’ombre de sa premiere forme. Après ce beau coup, ils le rendent à son pere. Réduit à cet état de langueur, ou plutôt d’anéantissement, ce squélette informe ne peut que révolter ; il fait une si lourde chûte, en paraissant, que jamais il n’en releve ; il se montre, il tombe, il meurt, on l’enterre & tout est fini pour lui.

Les premiers Auteurs qui subirent cette rude épreuve & cette humiliante catastrophe, servirent d’exemples aux suivans. Lors donc que ces derniers, mieux instruits, ont vu qu’une autorité supérieure leur défendait de travailler avec goût, & de mettre de l’esprit dans leurs Pieces, ils ont, sans autre répugnance, fait divorce avec eux. Aux agrémens, aux traits naïfs & piquans, au ton de décence & de vérité, qui n’agueres caractérisaient leurs Ouvrages & en faisaient la fortune, ils ont substitué les misérables calembours, la plate bouffonnerie, l’obscénité révoltante, amorce perfide dont on avait jusqu’alors ignoré l’usage, & si qui, contre leur attente, peut-être, eut la réussite la plus complette. Le profane vulgaire, animal sans yeux, sans réflexion, sans jugement, prit ce genre honteux sous sa protection, & par son affluence journaliere aux Trétaux, parut le consacrer. Or, comme en toutes choses, c’est toujours le premier pas qui décide, les nombreux Auteurs qui succéderent aux premiers qui leur avaient si lâchement ouvert cette nouvelle carriere, voulurent à l’envi les uns des autres, renchérir sur les platitudes, & reculer les bornes de la Licence ; ils n’y réussirent que trop. Cette révolution, si flétrissante pour nous, s’est faire depuis environ une vingtaine d’années. Dès l’instant que les Trétaux commencerent à faire les délices de la Capitale, les Théatres de la Nation tomberent dans un discrédit absolu. On cessa de venir s’instruire & s’amuser à ces Spectacles, où quelques Citoyens préservés de la contagion générale & fermes partisans du Goût, ne cesserent d’aller applaudir aux chef-d’œuvres immortels des Corneille, des Racine, des Crébillon & des Voltaire.

Le pere inimitable de la Comédie Française, cet Auteur divin, dont toutes les Pieces portent l’empreinte du génie créateur, ce Peintre si exact & si fidele du cœur humain, Moliere, enfin, n’offrit plus de Scenes intéressantes & de tableaux pathétiques. On ne fut plus touché du Comique de Regnard, ni de celui de le Sage. Le goût se blasa à tel point de jour en jour, qu’on devint totalement insensible au sel que les Graces ont répandu à pleines mains sur leurs charmans Ecrits. L’aveuglement qui a toujours été en augmentant depuis cette malheureuse époque, est aujourd’hui à son comble, de sorte que les Ouvrages des Peres du Théatre, excitent à peine un léger sourire. Ces caracteres si vrais, & si bien développés, ces traits si bien prononcés, si finement exprimés, ces bons mots, ces plaisanteries si délicates, si heureusement placées, ces plans vastes & sublimes, ces intrigues filées avec tant d’art, conduites avec tant d’adresse jusqu’au dénouement, toutes ces merveilles de l’Art sont presqu’oubliées pour l’Avocat Savetier, Madame Tintamare, Jacquot parvenu, & sur tout, les Battus payent l’amende 10. Le Glorieux, le Philosophe Marié de Destouche, Son Ingrat, son Dissipateur, sa Fausse Agnès, la Métromanie de Piron, la Coquette Corrigée de la Noue, la Gouvernante, le Préjugé à la Mode de la Chaussée, le Méchant de Gresset, l’homme du Jour de Boissy, la Pupille de Fagan, Turcaret de le Sage, & tant d’autres productions immortelles, qui autrefois faisaient nos délices, sont aujourd’hui livrées à un abandon, qui j’ose le dire, ne fait point honneur à notre goût dominant. Les Molé, les Doligny, les Préville, les Auger, les Dazincourt, ont beau déployer toute la magie de leurs talens, c’est tems perdu, leur talisman n’a plus d’effet ; nous ne voyons, nous n’admirons que des Suzon & des Jeannot. Oui, Monsieur, & les Piéces de nos grands Maîtres, & le jeu de nos meilleurs Acteurs n’excitent à présent, pour me servir des expressions du célebre Citoyen de Genêve11, que des mouvemens stériles & passagers sur nos esprits & dans nos cœurs. A qui imputer cette dégradation, ce dépérissement de nos facultés morales, sinon aux Trétaux du Rempart ?

Mais quel attrait si puissant, si irrésistible, ont donc ces Boulevards, pour fixer l’attention & attirer ce concours prodigieux, cette foule incroyable de monde que l’on y voit ? Quant à moi, qui ai le bonheur de les détester, qui ne m’y trouve jamais que pour juger par mes propres yeux, de tout ce que j’en entends dire, je n’y apperçois que de ces femmes de bien, qui, suivant le diction populaire, se comportent fort mal ; je n’y vois que des Laïs, qui, dans des chars magnifiques, osent insolemment défier la Princesse, par leur faste odieux, fruit de leur libertinage & de leur impudence12 ; je n’y reconnais que des faquins à paillettes ; je n’y suis coudoyé, pressé, poussé, avancé, reculé, culbuté, que par une valetaille impertinente ; je n’y remarque que des voitures d’emprunt, un luxe de crédit, & des sots attroupés ; je n’y avale qu’une poussiere affreuse, je n’y respire que des odeurs infectes, je n’y entends que des propos de canaille, ou les juremens de quelques Créanciers, qui apperçoivent dans de brillans équipages, le Marquis parvenu, qui se pare de leurs dépouilles, ou la Nymphe des chœurs, qui dans sa chasse roulante, ressemble à une Pagode que l’on promene aux yeux d’un Peuple hébêté, pour attirer ses vœux & ses offrandes. Mais quel tribut reçoit-elle ? des vérités dures, des imprécations, des malédictions, enfin, digne salaire de son insolence & de sa turpitude. Si j’entre dans ces Spectacles, où ces fourmillieres d’imbécilles & d’effarés, courent & se précipitent, pour chercher un remede à l’ennui qui les ronge, qu’y vois je ? ces mêmes Demoiselles de bien, ces Déesses fort humaines, qui descendent avec fracas de leurs chars, pour venir scandaleusement courir les petites aventures ; des Chevaliers d’Industrie, des Marquis du Lansquenet, des Crispins effrontés, rivaux de leurs Maîtres, dont ils portent les habits13 ! Qu’y entend-je ? des niaiseries, des pauvretés, des mots fort impertinens, des propos, enfin, qu’on rougirait de tenir dans les Corps-de-Garde, & auxquels on applaudit cependant avec un délire qui prouve également & la crasse ignorance, & la bassesse d’ame de la plupart des assistans. Convenez, Monsieur, d’après cette légere esquisse des différentes Scenes de nos Remparts, qu’elles renferment un intérêt bien vif, bien pressant, bien digne d’émouvoir l’ame d’un galant homme : de mon côté, je vous vanterai, avec ma franchise ordinaire, les services importans que l’on retire des Trétaux. On ne saurait trouver des endroits plus commodes pour arranger les parties fines, régler les petits soupers, déterminer les orgies, les Bacchanales 14, qui doivent se célébrer chez Bancelin ; enfin, c’est dans ces receptacles, que des pourvoyeurs industrieux trouvent abondamment de quoi réparer, par de nouvelles recrues, les pertes que les Amans & les Maîtresses sont journellement dans une Capitale aussi immense & sujette à autant de révolutions, que la bonne Ville de Paris. Dieux ! & c’est chez le Peuple qui se vante d’être le plus éclairé, le mieux policé de l’Europe, de tout l’Univers, qu’il existe de pareils Tripots ! Quelle foule de travers, d’impertinences, de vices, de crimes & d’horreurs, sortent continuellement de ces autres impurs ! C’est de ces lieux sinistres qu’il s’exhale sans cesse un air pestilentiel :

Dont la seule vapeur fait perdre la raison.
C’est-là que le scandale du jour prépare les Spectateurs bénévoles, à celui de la nuit ; mais l’un n’est qu’un jeu en comparaison de l’autre. Aurai-je jamais assez de courage, Monsieur, pour vous faire le tableau de tout ce qui s’y passe, & de tout ce qui en résulte ? Je serai obligé, comme dit Voltaire , de lutter contre l’ennui, pour tracer tous ces détails de désordres obscurs, & de bassesses resserrées dans ces lieux où plus d’une femme entre en Pénélope, & sort en Hélene15, où quantité de jeunes gens vont tous les jours faire les chûtes les plus humiliantes. Mais comme il importe que le mal soit connu, pour y remédier, & que j’entre dans vos vues, toutes dirigées vers le bien public, en vous présentant la vérité, je ne me plaindrai point des peines qu’il pourra m’en coûter pour la saisir & vous la faire connaître16.
Il est constant, d’abord, que les Salles du Boulevard & des Foires, sont la retraite ordinaire des filles mal-famées, & des jeunes gens qui y contractent, en peu de tems, le goût de la paresse, celui de la dissipation & des plaisirs. L’espoir seul d’y rencontrer les complices de leur libertinage, les sont courir en foule chez tel, tel ou tel ; & c’est précisément dans ces malheureux endroits, qu’ils ont pris le germe de ce libertinage qui les ruine & qui les absorbe. La certitude de trouver de ces vils objets, esclaves mercénaires & complaisans, qui volent au-devant des desirs qu’ils satisfont, sans les éprouver, leur fait préférer les Trétaux aux Théatres où regnent l’ordre, la décence & l’honnêteté, où les femmes qui y viennent, sont d’un état respectable & d’une sagesse reconnue, & où les Courtisannes qui s’y rencontrent, (& malheureusement cette vermine la plus funeste de toutes, jouit du droit de s’introduire par tout), sont d’un si haut ton, qu’à l’exception des Seigneurs de la premiere volée, ou de quelques favoris de Plutus, il fut se contenter d’admirer en secret leurs appas séducteurs, sans espérance de satisfaite jamais la passion qu’elles inspirent17. Mais que produira, à la fin, cette conduite si déréglée de la jeunesse de Paris ? sont-ce les sauts périlleux 18, les gambades ridicules & scandaleuses, les tours de force du petit ou du grand Diable 19, qui apprendront à nos enfans à devenir honnêtes gens, & à nos filles, à devenir épouses fidelles & bonnes meres ? Je n’envisage, ici, que les enfans de nos Bourgeois, qui sont les plus assidus à ces Spectacles Forains, & cette jeunesse forme la classe la plus nombreuse, & en même-tems la plus nécessaire à l’Etat. Et de quelles bassesses, ces enfans ne se rendent-ils pas souvent coupables pour trouver le moyen de fournir à leurs plaisirs, de payer le tribut que les Entrepreneurs, de ces Jeux on droit de prélever, & enfin, pour donner aux malheureuses qu’ils y conduisent, ou qu’ils y rencontrent : Parmi ces enfans ; les uns ont des pères faciles, qui leur applanissent la voye du désordre & des crimes, & qui, par un excès de bonté cruelle & de lâche complaisance, ne leur laissent rien desirer de tout ce qui peut servir à en faire des monstres. Ces enfans sont, sans contredit, les piliers & les protecteurs nés des Trétaux : ils peuvent, ces Garnemens fortunés, ils peuvent, sans nul souci, se vautrer sur la litiere de tous les Tripots, de tous les mauvais lieux de la Capitale, &, à coup sûr, les Spectacles du Boulevard ne sont pas les moins mauvais. D’autres enfans ont des peres & meres économes, qui connaissant le prix de l’argent & qui, ne perdant jamais de vue les peines qu’il leur en coûte à le gagner, savent l’épargner. Ces peres, comme dit le Valet de la Comédie, ne sont pas donnans. Leurs enfans les traitent d’avares impitoyables, & parce qu’ils leur refusent, avec raison, non ce qui est nécessaire à leur honnête entretien, mais ce qui pourrait leur faciliter l’entrée de la carrière du libertinage, & les y pousser, ces fils ingrats & dénaturés n’envisagent plus dans les auteurs de leurs jours, que leurs plus cruels bourreaux. Plus les causes de l’oisiveté, plus les objets de dissipation & de plaisirs sont multipliés, plus la jeunesse indocile & précoce trouve de raisons pour haïr les parens qui veulent la contenir & la moriginer. Il faut aller aux Grands Danseurs, aux Commédiens de Bois, aux Variétés Amusantes 20 ; la partie est liée avec une Grisette, une Ouvriere en Modes, en Couture, en tout ce qu’il vous plaira, toutes ces demoiselles se ressemblent : suffisance à l’excès, prétention à l’infini, amour effréné de la parure & du plaisir, voilà leur bon côté. Le jeune homme qui doit les conduire n’a point d’argent, il en demande, on lui en refuse, & toujours avec justice, puisqu’il n’a pas de besoin réel. Comment faire ? recourir aux expédiens, & c’est toujours ce qui arrive. L’un dérobe son pere, il force d’une main hardie son sécrétaire ou son coffre ; il vole, sans rougir peut-être, cet argent, fruit des travaux & des épargnes d’un respectable vieillard, & va, par un crime affreux, faire le profit de je ne sais quels Baladins, auxquels il sacrifie pour je ne sais quels sauts, son honneur, sa probité, & tous ses sentimens. Qui le croirait ? tous ces sauts qui lui sont tourner la tête, ne sont bons tout au plus qu’à divertir un moment les sots de Village. Un autre enfant court aux Académies, qui lui ouvrent leurs portes ; il commence par être dupe, il finit par devenir fripon. De-là vient qu’on rencontre à Paris une foule de jeunes libertins, qui à vingt ans sont des escrocs déjà consommés. Cet autre encore met tout ce qu’il possède chez les Usuriers, leur vend à beaux deniers comptans la future succession de ses pere & mere, & souvent pour derniere ressource court….. Mais jettons un voile impénétrable, s’il se peut, sur ces écarts humilians, qui sont également frémir l’honneur & la nature. Les partisans des Trétaux, ne manqueraient pas de dire, si cet Ecrit leur tombaient dans les mains, que mes observations, dont vous sentez, Monsieur, toute la vérité, ne sont qu’une diatribe outrée : non, non, & tout homme instruit de ce qui se passe, tout homme judicieux qui me lira, m’aura bientôt justifié de ce reproche. Que de criminels, en allant subir le supplice dû à leurs forfaits, sont convenus que leur fatal engoûment pour les Spectacles Forains, était seul la cause de leur perte & de leur infamie ! Et qui peut douter que ces Tripots n’ayent la plus grande influence sur la dépravation d’une foule d’imprudens & d’étourdis, qui périssent d’une manière tragique, ou ce qui est plus déplorable encore, finissent par être mis au rang des victimes, que le glaive de la Justice immole à la sûreté publique. Les gens les moins scrupuleux conviennent, que les Trétaux sont des endroits de scandale & de libertinage, que l’amour seul des Filles de Joye, y conduit la plupart de ceux qui y vont de jour, & tous ceux qui y vont de nuit ; or, quel bien, quel avantage réel peut-il résulter de pareils établissemens ? quelle vertu habite dans ces asyles ? Est ce aux Spectacles des Boulevards, & des Foires, que l’on va apprendre à se corriger des ses ridicules, de ses défauts & des ses vices ? Il serait risible de le dire, & absurde de le penser ; mais détaillons ici tous les abus, les accidens les plus ordinaires, & les vices qu’engendre cette malheureuse passion pour les femmes libertines ou galantes, qui sont courir les jeunes gens aux Trétaux.

Ces accidens & ces vices se réduisent à huit principaux.

  1. La perte du tems.
  2. Celle des talens, & l’aveuglement de l’esprit.
  3. L’avarice, & l’insensibilité.
  4. La ruine de la fortune.
  5. Celle de la santé.
  6. Les rixes & les duels.
  7. Le mépris pour le sexe.
  8. La fatuité qui nous attire la haine & le mépris de tout le monde.

De ces huit branches qui partent du même tronc, il sort une infinité de rameaux, qui ne rapportent que des fruits amers, lesquels ne sont que trop connaître le terroir empoisonné qui les produit.

I.

La perte du tems.

Quelle perte, & comment la réparer ? La jeunesse va dans ces lieux de débauche, le sacrifier à la poursuite de jouissances momentanées, de plaisirs dangereux. Souvent l’objet de son prétendu bonheur lui échappe à l’instant où elle est prête à le saisir. Cet échec, loin de la rendre plus sage, ne sert qu’à enflammer son imagination, à tourmenter toutes ses facultés : c’est le propre de certaines passions, de s’accroître en proportion des obstacles qu’elles rencontrent. L’homme, dit M. Bossuet, est né opiniâtre, rien ne lui coûte dès qu’il est résolu de se satisfaire. C’est alors que l’avare devient prodigue, que l’ambitieux impose silence au desir qu’il a de dominer, & que tous, sans y faire attention, perdent leur tems, la chose la plus précieuse qu’ils ayent. Or, cette avidité pour les plaisirs, sans cesse renaissance dans les jeunes-gens, & plus souvent trompée que satisfaite, les rend tout à-la-fois bourreaux de leurs tems & de leurs sens. Ont-ils conquis ? ils volent rapidement à une nouvelle victoire ; ont-ils échoué ? ils s’efforcent, ils s’obstinent, ils s’irritent, ils s’abusent, & de toutes les manieres ils ne sont ni plus économes, ni plus sages dispensateurs de ce tems qui leur échappe. Sont-ils heureux ? Il suffit pour se convaincre du contraire, de les considérer lorsque l’absence du tumulte & de la dissipation les rend à eux-mêmes. Les uns, assaillis par les réflexions les plus ameres, cherchent à se débarrasser de leur importunité en se précipitant dans un sommeil pesant & laborieux, qui les accable. Les autres, pour éviter de s’interroger, de descendre dans leur cœur, & pour n’avoir pas à rougir de ses reproches, (le paresseux, l’oisif de profession, est l’homme qui se craint le plus lui-même), cherchent de tous les côtés des objets de distraction ; mais les uns & les autres ont beau vouloir s’étourdir ; aucun d’eux n’échappe à son mécontentement personnel, aucun ne peut fermer l’oreille à cette voix intérieure, qui lui crie : Malheureux ! le poids de la nullité t’est insuportable, la paresse te mine & te dessèche, les jours se succedent sans interruption, ces jours te sont donnés pour les consacrer au travail, & tu ne rougis pas de les perdre dans la plus honteuse inaction 21  ! Ces reproches salutaires les seront-ils rentrer en eux-mêmes ? Non : le jour suivant leur fournit de nouveaux sujets de dissipation, ils y courent ; mais l’ennui sombre, vengeur du tems mal employé, les poursuit jusques sur ces Trétaux, où ils cherchent vainement un asyle contre lui. Toutes les parties de plaisir, toutes les illusions, disons mieux, tous les excès auxquels ils se livrent ne peuvent les débarrasser du cruel bourreau qui s’acharne à les tourmenter, & qui se rendant maître de leur sommeil même, empoisonne sa douceur par les rêves les plus sinistres & les plus effrayans. De cette perte du tems, de cette paresse crapuleuse, naissent en foule tous ces désordres qui sont frémit, & que la rigueur des Loix ne peut arrêter. O ! que de jeunes gens maudissent les funestes Salles du Boulevard, dans ces courts instans où la raison reprend son empire sur leur cœur ! Combien sont alors le serment de ne pas y remettre le pied : mais un malheureux ascendant les y entraîne de nouveau, & ils s’y perdent22.

II.

Perte des talens, aveuglement de l’esprit.

Cette dissipation continuelle dans laquelle vivent les partisans des Trétaux, ne leur permettant pas de se livrer à aucun genre d’étude, il arrive de toute nécessité que leur esprit dépérit, & que les dispositions qu’ils annonçaient pour tel ou tel talent, meurent faute de culture. De même qu’une lampe s’éteint lorsqu’on cesse d’y mettre de l’huile ; de même l’esprit & le talent se rouillent & se perdent lorsqu’on manque de les exercer. Ce n’est que par une pratique assidue, par une étude journaliere des bons modeles & des grands Maîtres, qu’on forme les talens & qu’on enrichit son esprit. Mais quel amour peuvent conserver pour le vrai beau, & pour le bon, des jeunes gens, qui, devenus esclaves de quelques viles courtisannes, ne voyent plus que par leurs yeux, ne pensent plus que d’après elles, n’agissent plus, enfin, que suivant l’impulsion qu’elles leur donnent ? Or, comme ces filles sont toutes dévouées à Taconnet, à Jeannot, à Paillasse, & à je ne sais quels autres ridicules personnages des Trétaux ; il s’en suit que les adorateurs de ces prostituées, n’ont de goût, ainsi qu’elles, que pour les facilités, les turpitudes & les ordures. Ils témoignent une aversion invincible pour tout ce qui pourrait les rappeller à la raison & à l’étude des beautés mâles qui caractérisent les grands talens & le génie ; ils ne prisent que les sales parades, & ne s’adonnent qu’à ce qui sert à les plonger plus avant dans le désordre et dans la crapule ; oui, dans la crapule ; ce mot est révoltant, je le sais, Monsieur, mais c’est, en vérité, le seul qui convienne à la chose. Supposons néanmoins, que la jeunesse ne puisse dans ces cercles, d’obscures Phrynés, que des idées de femmelettes, (qui, sans doute, paraissent les moins dangereuses) ; ces mêmes idées sont ordinairement si plates, si sèches, si ridicules, si impertinentes, qu’elles suffisent pour dégrader le talent, appauvrit l’esprit, & l’aveugler entierement. Cette vérité est prouvée par tout ce que je viens de dire ci-dessus. Or, quel caractere de grandeur & d’énergie, des idées bornées ou extravagantes, peuvent-elles imprimer à l’esprit, au génie, au sentiment ? Si un homme ne s’accoutume qu’à penser de petites choses, il s’accoutumera pareillement à n’en faire que de petites, & le mal le moins dangereux qui pourra résulter de toute cela, sera que nous aurons toujours de fort plats Citoyens, & des Citoyennes fort insipides. Je le répete, on ne saurait douter de l’influence des Spectacles Forains, sur la décadence du goût, des talens & des Lettres Les croquis en tout genre se multiplient à l’infini, les Journaux pullulent, l’amour des bleuettes & de la frivolité, est le seul dont nous puissions nous glorifier. Je cherche le pinceau des Rubens & ces Vendyck, le ciseau des Girardon, le burin des Nanteuil, le génie des Mansard ; je cherche cette foule, même de simples Artisans, qui, dans le siècle dernier, ont mérité, par des chef d’œuvres, d’être mis au rang des Artistes ; je ne vois plus que de petits tableaux, de petits bâtimens23, de petites images, de petits bustes, de petits talens, en un mot, de petits hommes, qui se mordent & se déchirent les uns & les autres, se disputent & s’arrachent les sotises dont ils ont la bassesse de faire le plus honteux de tous les commerces. Chaque siecle a eu ses épidémies, celle du nôtre est de tout voir en petit, & de ne faire que du très-petit, effet déplorable de la corruption du Goût24, de la perte des talens, & de l’aveuglement de l’esprit, occasionnés par les idées maigres & retrécies, que nos enfans vont puiser aux Spectacles des Remparts. Le fruit se ressent toujours du terroir qui le produit ; l’esprit, aussi, est toujours marqué au coin des idées qu’on lui communique & qu’il se fait : or, des idées places & ridicules ne formeront jamais que des esprits gauches, ineptes, incapables de s’élancer vers les grandes choses : ceux qui ont de pareils esprits ne peuvent que végéter, & dire avec le Parasite d’Horace :

Mos numerus sumus, frages consumere nati,

III.

La dureté du caractère, & l’insensibilité.

Je dis, en troisieme lieu, que la fréquentation des Trétaux, produit la dureté de caractere & l’insensibilité : &, en effet, ces hordes de libertins qui y accourent sur les pas des Grisettes & des Margots de la Plante 25 ; ces libertins, dis-je, ne me persuaderont pas qu’ils brûlent d’un beau feu pour toutes ces chevres lascives qui les attirent. Qui trompe les femmes, dit un Ecrivain judicieux de nos jours, les adore sans les aimer ; qui les estime, les aime sans les adorer. Ces jeunes insensés, qui hantent les Salles du Rempart, ne cherchent que des jouissances aisées, que des plaisirs qui ne leur coûtent point de peines & de soupirs ; la femme la plus facile est toujours la plus jolie & la plus aimable à leurs yeux ; leur but n’est pas d’inspirer un sentiment, mais d’accumuler leurs indignes & misérables triomphes ; car les amateurs du petit Gibier, qui propage & fourmille sur les Boulevards, sont des listes comme nos grands Seigneurs : telle est la façon de penser des partisans des Trétaux ; qu’elle est extravagante ! Tel est leur plaisir ; qu’il est abominable ! Les douceurs d’une inclination, les agrémens d’un commerce sûr, les délices que procure la société d’une femme rendre, honnête, délicate & ingénue ; intérêt qu’elle inspire, le charme qu’elle répand sur tout ce qui l’environne, la décence de son extérieur, le goût & la propreté de sa mise, l’enjouement de sa conversation, la solidité de sa façon de penser, le feu pour de ses caresses, l’innocente & douce volupté qui la conduit & la fixe dans nos bras ; toutes ces délices, que l’honnête homme seul peut goûter avec une épouse chérie, paraissent tristes & maussades aux coureurs des Boulevards ; quand la source des plaisirs est dans le cœur, elle ne tarit point. L’amour fondé sur l’estime, est inaltérable ; il est le charme de la vie & le prix de la vertu ; mais est-ce à des libertins de profession qu’il faut tenir un pareil langage ? Les lâches, les ingrats, sont blasés sur tout ce qui s’appelle plaisir délicat ; il ne leur faut, que de la joie brutale, du fracas, des convulsions, des orgies, des….. Quelle bassesse ! quelle prouve bien l’engourdissement de leur ame, sa stupidité, son insensibilité. Cette soif dévorante de sales voluptés, engendre encore la dureté du caractere : elle paraît en mille occasions ; en effet, on ne saurait filer des intrigues avec les onze mille filles de la Capitale, sans éprouver des revers, des infidélités, des pertes ; de-là, ces dépits, ces humeurs sombres, ces bizarreries, ces boutades qui nous rendent d’un commerce dur, insupportables aux autres, & souvent à nous-mêmes. Un libertin peut quelquefois être un homme fort agréable en société ; mais il est rare qu’un débauché (& en conscience on ne peut pas donner un nom plus décent aux piliers des Trétaux) soit amusant & sociable, parce que le ver rongeur qui ne le quitte pas, imprime à ses discours, ainsi qu’à sa démarche & à ses gesses, je ne sais quel air froid, taciturne, & même farouche, qui glace & qui révolte.

IV.

La ruine de la fortune.

Ou les coureurs des Boulevards jouissent de la fortune que leurs peres leur ont transmise, ou, jeunes encore, ils ont des moyens d’en faire une par eux-mêmes : dans l’un & l’autre cas, la perte est également certaine : si elle est toute faire, elle se dissipe aisément par des gens qui ne vivent que pour le plaisir, qui ne s’adonnent qu’au libertinage. Semblable à ces reptiles obscurs, qui ne lâchent prise que lorsqu’ils regorgent de sans, les filles de Vénus n’abandonnent leurs adorateurs, que lorsqu’elles les ont mis dans l’impuissance absolue de charger leurs autels d’offrandes. Tant qu’il peut donner, un Amant est, à leurs yeux, le plus aimable de tous les mortels ; est-il ruiné sans ressource, s’est le plus incommode, le plus hideux de tous les animaux. S’il est assez sage pour prendre son congé lui-même, on l’oublie dans l’instant : ose-t-il se présenter, on l’humilie ; revient-il à la charge, on le chasse. Tant que la fortune lui est propice, on le comble de caresses. Les parties fines26 se succédent sans interruption : ce sont de petits cadeaux que l’on exige, des bijoux de mode, qu’il serait indécent de ne pas avoir ; ce sont des prêts adroitement demandés, que l’on rembourse, on fait en quelle monnoie ; rien ne coûte à celle qui demande, & elle a grand soin de faire adopter pour principe à ses galans, que rien ne doit coûter à celui qui oblige une honnête femme ; car la derniere des malheureuses prend effrontément cette qualité. A voir les largesses de ces galans de profession, on dirait que Plutus leur a confié les clefs de ses coffres, & leur a donné la permission d’y puiser à pleines mains. Ce propos est bon pour la plaisanterie27 ; chaque repas, chaque présent, chaque partie est un échec plus ou moins considérable pour la fortune, & l’on fait, à-peu-près, qu’elle est la fortune des enfans de ces Bourgeois : (souvenez-vous, Monsieur, que je n’ai en vue dans cette Lettre, que les intérêts des enfans de cette classe) de jour en jour, leur Pactole s’épuise, il tarit entiérement, on les éconduit, il ne leur reste plus que la honte d’avoir été dupés, & les chagrins humilians que leur réservent souvent d’impitoyables créanciers.

Si cette fortune est à faire, quelles peines se donneront pour réussir, des jeunes gens qui, depuis long-tems, ont contracté l’habitude de la paresse, le goût de la dissipation & des plaisirs ! Pour s’avancer dans ce monde, pour amasser du bien, il faut joindre à un esprit actif & entreprenant, un caractere ferme & laborieux, un cœur insensible à toute espece de séduction, incapable de se laisser amollir par la volupté.

Debout, dit l’Avarice, il est tems de marcher :
Hé ! laissez-moi. Debout. Un moment. Tu répliques ?
A peine le soleil fait ouvrir les boutiques.
N’importe, leve-toi, Pourquoi faire, après tout ?
Pour courir l’Océan de l’un à l’autre bout,
Chercher jusqu’au Japon la porcelaine & l’ambre ;
Rapporter de Goa le poivre & le Gingembre.
Boil. Satyre VIII.

A la place de l’Avarice, supposez que c’est le Génie du commerce qui parle, & vous aurez une juste idée de l’activité qu’il exige de tous ceux qui suivent son parti. Mais est-ce à ces traits que vous reconnaîtrez les enfans de nos Bourgeois qui hantent les Trétaux ?

V.

La ruine de la Santé.

A quels dangers, presque toujours certains, ne s’exposent pas les insensés dont je vous parle. Il est un fait hors de doute, & que pourraient, au besoin, constater les Empyriques, qui font aujourd’hui fortune à traiter le mal Amériquain ; c’est qu’on ne pouvait travailler plus utilement pour leur art, fort suspect, qu’en établissant ces Salles du Boulevard, qui sont pour me servir des expressions d’un Agréable, qui avait appris à les connaître à ses propres dépens, les galeries de la sœur aînée d’une cadette déjà assez meurtriere. Oui, Monsieur, cette impitoyable sœur aînée a vu le nombre de ses victimes prodigieusement s’augmenter, depuis l’établissement des Trétaux. Pour moi, je regrette encore la perte de deux jeunes gens morts de la grande maladie, qu’ils n’auraient jamais connue, si les Salles du Rempart n’eussent pas existées. Un pur hazard les conduisit dans ces lieux empestés ; ils y lierent connaissance avec deux créatures infâmes qui avaient un extérieur honnête, & trouverent leur tombeau dans les bras de ces deux malheureuses, qui, à peine âgées de dix-sept à dix-huit ans, semblaient ne devoir leur laisser moissonner que la fleur du plaisir.

Non, Monsieur, je ne crois pas exagérer mon calcul, en soutenant que le mal vénérien prêté & rendu par les sujets des deux sexes qui abondent aux Spectacles Forains, fait mourir ou estropie plus de citoyens & de citoyennes, en un an, que la guerre ne détruit de soldats en trois batailles rangées28 Que de gens, fortunés possesseurs d’une aisance acquise par leurs travaux, & d’une santé conservée par leur sagesse eussent coulé, dans une vieillesse exempte d’infirmités, des jours paisibles & sereins, qui sont à la fleur de leur âge, plus ou moins lentement descendus dans la tombe, au milieu des humiliations, des douleurs & des souffrances, pour avoir, à l’exemple des deux jeunes gens que je viens de citer, assisté une seule fois aux jeux scéniques des Remparts ! Cette idée, aussi vraie que terrible, ne devrait-elle pas suffire pour faire murer, dès aujourd’hui, des repaires si dangereux ! Mais s’il en est qui, par un bonheur dont il est plus aisé de se flatter que de jouir, échappent à la lèpre Américaine, doivent-ils se promettre pour cela, de conserver leur vigueur, leur bonne constitution, leur santé, enfin, jusqu’à la vieillesse ? Regardez la plupart des jeunes gens qui entrent dans ces lieux : haves, secs & décharnés, ils ressemblent à des Spectres ambulans. Tous portent sur leur front l’infâme cachet de la débauche. A leurs joues plates, à leurs yeux cavés, à leur rein livide, qui peut méconnaître les piliers des Trétaux ? Cet appétit insatiable, & cette soif inextinguible de la volupté, doivent causer à la fin, comme l’observe, M. Tissot, l’entiere destruction du physique & du moral. On ne voit que de jeunes vieillards, dont les jambes en fuseau, peuvent à peine supporter des corps qui tombent en ruine Quand une fois on a vécu pour l’amour, dit une personne de beaucoup d’esprit, on ne peut plus vivre que pour lui : je crois, Monsieur, qu’on peut hardiment dire la même chose du libertinage, & vous voyez quelles en sont les funestes suites : voilà pourtant tout ce que nous a valu l’établissement de ces dépôts de la…29. Vous m’entendez ; personne jusqu’à ce moment, n’a fait ces observations, & voilà, sans doute, la raison pour laquelle les Trétaux jouissent du droit de tolérance ; mais leurs abus une fois exposés au grand jour, nous devons croire que le Gouvernement prendra, pour les réprimer, toutes les mesures que lui suggereront ses lumieres, sa prudence & sa sagesse.

VI.

Les rixes & les duels.

Outre les accidens trop ordinaires dont je viens de vous parler, Monsieur, lesquels sont communs à plusieurs autres endroits, il en est qui sont particulierement attachés à la fréquentation des Salles du Boulevard : ces accidens sont les rixes, les combats ou duels. Du caractere dont je vous ai peint les jeunes gens, qui en sont leurs maisons de plaisance, vous sentez, Monsieur, qu’il est moralement impossible qu’il ne s’éleve pas entr’eux différentes disputes. Ces filles grossieres, qui sont soudoyées pour y attirer la jeunesse, marquent rarement de causer du scandale & des fixes ; elles en sont naître mille occasions pour une. Que de Sujets utiles au Roi & à l’Etat, se sont coupé la gorge depuis l’établissement de ces maudits Jeux ! Je conviens qu’il y a, aujourd’hui, quelque police extérieure, cela n’empêche pas qu’il n’y ait par semaine quelques coups d’épée reçus ou donnés, mortels ou non, par suite de querelles survenues entre les jeunes gens qui assistent à ces Spectacles. Les choses peuvent-elles se passer autrement, entre personnes sans mœurs, sans principes, sans éducation, qui n’affichent pas moins, par leurs manieres, la férocité de leur caractere, que leur brutalité, par le choix de leurs plaisirs. Ajoutez à cela, que la plus grande partie des jeunes gens, qui fréquentent ces Salles, sont des Spadassins, des Coupes-jarrets, des Recruteurs, & d’autres individus de cette espace, qui passent leur vie dans les Tricots de la Capitale, On n’ignore pas que ces êtres obscurs, qui ressemblent à ces anciens Capitans, si burlesquement peints par Corneille, puisqu’ils en ont toute la morgue & l’arrogance, sont les soutiens des Trétaux ; qu’eux seuls & les filles de joye y donnent le ton, sur-tout, aux représentations nocturnes. Mais, Monsieur, je vous prie de me dire, quelle décence, quelle honnêteté, quelle modération peuvent conserver des individus qui n’ont rien d’humain, que la langue & la main, & qui se servent aussi méchamment, ou tout au moins aussi bêtement de l’une que de l’autre. Voilà, Monsieur, ce dont j’ai été malheureusement plus d’une fois témoin aux Spectacles du Boulevard & des Foires : il ne serait pas difficile de se convaincre de cette vérité, sur-tout si l’on voulait compulser ces archives de police, dans lesquelles se trouvent consignés tous les désordres, tous les écarts honteux des étourdis & des libertins, qui rodent la nuit sur les Remparts ; on verrait que les plaintes rendues à ce sujet, sont à l’infini. En voilà plus qu’il n’en faut sur cet article, pour faire ouvrir les yeux sur les dangers multipliés de ces endroits. On serait mal fondé à m’objecter que de pareils accidens peuvent avoir lieu aux Théatres de la Nation ; l’expérience, qui, en pareil cas, doit seule nous servir de guide, nous prouve le contraire. Il n’arrive point une dispute par an, aux Théatres, même au Parterre, & peut-être, pourrais-je dire hardiment qu’il ne se passe point de jour ou de nuit sans que le Boulevard ne nous offre quelque catastrophe sanglante ; ainsi, l’objection contre les Théatres de la Nation, est sans fondement, & quand bien même elle serait juste, la Cause des Trétaux n’en serait certainement pas meilleure.

VII.

Mépris pour le sexe en général.

Quelle estime peuvent concevoir, pour des femmes honnêtes, des gens habitués à ne faire société qu’avec les complices de leurs déréglemens ? C’est d’après ces modeles vicieux, qu’ils jugent ordinairement de toutes les femmes. S’ils en rencontrent une, qui leur résiste, c’est disent-ils, une prude ou une hypocrite. Ce serait ici le lieu de développer le manege, de vous détailler tous les genres de séductions employées pour faire succomber l’innocence d’une jeune fille, pour corrompre la vertu d’une femme ; mais je laisse, Monsieur, à votre sagacité, le soin de tirer toutes les conséquences des premiers idées que j’ai l’honneur de vous présenter. Il me suffit de vous dire, que les atteintes cruelles portées à la pudeur, dans tous ces Spectacles subalternes ; que les leçons que l’on y donne, chaque jour, répétées par leurs sauteurs & adhérens, ont multiplié de moitié, depuis douze à quinze ans, le nombre des femmes galantes, & des libertines qui se traînent aujourd’hui sur le pavé de la Capitale : exemple funeste, exemple destructeur, qui exerce ses ravages jusques dans les Provinces les plus éloignées ; car vous n’ignorez pas, Monsieur, que l’exemple de la bonne ville de Paris, a une influence immédiate sur les mœurs, comme sur le costume de tout le Royaume. Je ne veux d’autres preuve des suites pernicieuses & déplorables de la multiplicité des Trétaux, que la triste révolution qui s’est opérée depuis quatre à cinq ans dans tous les Villages qui environnent la Capitale, vers le couchant30. Avant leur établissement au Bois de Boulogne, les Habitans de ces Villages, malgré leur proximité de Paris, avaient conservé une partie de cette précieuse innocence, qui rendait leur séjour vraiment délicieux à tous les honnêtes-gens. La franchise de ces bons Villageois, la pureté de leurs mœurs, & sur-tout, l’extérieur simple & honnête des Villageoises, prouvaient que la corruption avait encore respecté ces asyles. La pudeur, la propreté, la modestie, faisaient, au tems dont je parle, tous les frais de la toilette des épouses, des meres, & des jeunes filles ; le luxe y était presque inconnu. Tout le long de la semaine les hommes & les femmes s’occupaient, soit des travaux des champs, soit de leurs métiers : les Dimanches & les Fêtes la jeunesse de ces cantons se rassemblait & allait dans le Bois se divertir par des danses & des jeux auxquels présidaient l’ordre, la décence & la tranquillité. Que les choses ont changé de face depuis l’établissement de la Salle des Comédiens Mirmidons ! Il est inutile de m’arrêter à peindre tout le ridicule, toute la gaucherie de cette nouvelle Troupaille ; je me contente d’observer que son voisinage perfide a presqu’entierement perdu les mœurs des Paysans & des Paysannes de huit à dix Villages. Qu’on interroge sur ce point les Pasteurs de ces divers endroits, eux seuls sont en état de rendre un témoignage respectable à cette vérité. Cet exemple terrible est tout récent, & je ne crains pas d’affirmer qu’il faut être pervers, & l’ennemi de son Prince & de sa Patrie, pour oser nier les funestes conséquences de ce Spectacle, & prétendre qu’il produit quelque bien. Quoi ! pour amuser l’indolence, l’oisiveté honteuse de quelques Sybarites, on risque la corruption & la perte, pour l’Etat, d’une foule de Citoyens ! Et qu’importe à l’homme vertueux, dira-t-on, que telles & telles personnes prodiguent les trésors dont elles regorgent, à entretenir un Serrail pour leurs menus-plaisirs ? Qu’importe ? Mais qui répondra à cet homme vertueux, à ce pere respectable, que ce n’est pas son fils, sa propre fille qu’on parviendra à débaucher & à faire entre dans un Spectacle où ils végéteront toute leur vie sous le poids de l’ignorance & de l’opprobre !

VIII.

La fatuité, le plus insupportable de tous les défauts.

Je dis en dernier lieu, que la fréquentation des Spectacles Forains & autres de cette espece, dont une passion criminelle pour les filles de joie, nous fait contracter le goût, engendre la fatuité. Et, en effet, comment ne pas s’écrier avec le Marquis du Joueur  : c’est un pesant fardeau que d’avoir du mérite , lorsqu’on voit chaque jour pleuvoir sur soi les bonnes fortunes, lorsqu’on est comme accablé des faveurs très-équivoques de ces petites Laïs du Rempart ? Comment se garantir de l’illusion, & n’être pas tous les jours dupe de sa vanité, quand tout ce qui concourt à la faire naître, à la nourrir, à la fortifier, se réunir pour nous abuser ? Comment, enfin, ne pas devenir un maître fat, quand dix, douze ou quinze maîtresses se disputent le plat honneur de nous appartenir ? C’est alors qu’il est permis de s’aveugler, de s’enfler, de se pavaner ; c’est alors qu’en admirant avec complaisance sa petite personne, on se place d’abord au-dessus de tout, parce qu’on se croit réellement supérieur à tout, en génie, en lumieres, en avantages, tant du côté du corps, que du côté de l’esprit. Quels êtres plus ridicules, plus ineptes, que les fats & les petits-maîtres ? Voltaire n’a-t-il pas raison de les appeller l’espece la plus sotte, qui rampe avec orgueil sur la surface de la terre ? Cette fatuité, qui dans son principe ne paraît qu’un travers, digne, tout au plus, de pitié, dégénere toujours en un délire d’esprit, dans un aveuglement de cœur, qui cause la perte de ceux qui en sont frappés. Ecoutons ce qu’en dit le judicieux Auteur de l’article du Dictionnaire Encyclopédique, au mot Femme. Ces hommes confians & dangereux, sont sans vertus & sans talens ; ils séduisent les femmes par des travers, mettent leur gloire à les déshonorer, se sont un plaisir de leur désespoir, par les indiscrétions, les infidélités, les ruptures ; ils semblent augmenter chaque jour le nombre de leurs bonnes fortunes : ce sont des especes d’Oiseleurs, qui font crier les oiseaux qu’ils ont pris, pour en appeller d’autres. Un fat décidé ne tient à rien, parce qu’il s’aime à l’exclusion de tout le monde ; c’est l’Egoïste le plus parfait qui puisse se trouver. Comme il ne voit rien de comparable à lui, il n’estime, il ne chérit que son individu ; ses semblables lui paraissent autant de machines créées tout exprès pour son avantage particulier, son amusement & ses plaisirs. Il les ridiculise, les méprise, & souvent même les hait au point de leur nuire, pour peu que dans le dommage qu’il est prêt à leur causer, il trouve seulement l’apparence de son intérêt personnel. Il nous traite tous d’idiots, de stupides, comme jadis les Grecs traitaient de Barbares, tous ceux qui n’étaient point de leur pays. Ce n’est pas tout encore ; la morale du fat consiste à n’en avoir aucune ; ses mœurs sont toujours dissolues, ses principes pernicieux ; les vertus & les vérités les plus respectables, sont pour lui de vieilles chimeres, de sots préjugés, qui ne conviennent qu’à des imbécilles & à des têtes de bonnes femmes. Sans scrupule & sans remords, il renverse d’un seul coup, pour parvenir à ses fins, la base sur laquelle pose l’édifice de la société humaine. L’indiscrétion, la fourbe, le parjure, la séduction, tout lui paraît légitime & permis. Un crime, un attentat, une horreur, rien ne l’effraye, excepté les coups de poignard, que sa main n’a pas le courage de porter ; il est capable de tout lorsqu’il s’agit de satisfaire ses passions détestables. Vous concevez, Monsieur, jusqu’où peuvent s’étendre les désordres & les excès d’un pareil monstre. Tel, & plus hideux encore, est le portrait du fat, qui se forme aux écoles du Rempart, écoles funestes, qui sont autant d’écueils où viennent échouer, se perdre & s’engloutir la raison, l’honneur & les sentimens. Oui, Monsieur, c’est dans ces cercles profanes où le venin de leur morale se communique de proche en proche, que l’on apprend qu’il est permis d’entretenir un commerce adultere, de séduire de jeunes personnes dont la vertu fait le bonheur de toute une famille ; c’est-là que l’on apprend que mon épouse, que ma fille, peuvent briser, tout-à-coup, les liens sacrés qui les attachent à moi, qu’elles peuvent se livrer au premier séducteur qui se présente, & qui leur prouve que loin de me rien devoir, c’est moi qui leur ai obligation de ce qu’elles veulent bien accepter la substance que je leur procure à la sueur de mon front, & l’hommage des sentimens que l’amour & la nature ont gravé pour elles au fond de mon cœur. C’est dans ces Salles, enfin, qu’on dévoue au ridicule le plus amer, ces vérités sans l’existence desquelles l’homme serait le plus à plaindre des êtres ; c’est-là qu’on se permet de renverser les bornes que Dieu posa de toute éternité entre le bien & le mal, & de détruire ainsi l’ordre & la justice ; vertus essentielles qui entretiennent l’ordre des corps politiques, & impriment à notre espece le seul caractere énergique, qui la distingue de celles de tous les autres animaux.
Ne sont-ce pas les Trétaux, que M. de Querlon, Critique toujours judicieux, modeste, & intéressant, avait en vue, lorsqu’il disait31 : « Les Spectacles ont répandu un esprit de frivolité dans tous les Etats, dont aucun âge n’est exempt. Ils remplissent l’imagination d’idées fausses & superficielles, qui ne sont que des Turlupins : il ont, de plus, introduit des ridicules & des licences dans les mœurs. » Lorsque ce célebre Journaliste parlait ainsi, il ignorait jusqu’où ces Spectacles Forains porteraient un jour leur ton cynique & libertin. Quoi ! c’est chez un Peuple éclairé qu’il existe des repaires où toute la jeunesse le rassemble, où elle court en foule applaudir à des farces dégoûtantes, à une morale aussi absurde qu’infâme ! Et ces écoles sont publiques ; ceux qui les dirigent jouissent de la qualité de Citoyens ; je le répete, je ne doute point qu’ils ne soient de fort honnêtes-gens ; mais ces honnêtes gens sont donc bien aveugles, s’ils ne s’apperçoivent point de tous les désordres ; suites inévitables de leurs Spectacles. Et quel mal pourraient nous faire nos ennemis jurés, quel mal plus grand, que celui de corrompre nos femmes & nos enfans ? Je ne puis le taire, le crime ne doit pas être mesuré par le mal actuel : ils péchent contre la postérité, aussi bien que contre leur siecle, & quand les conséquences de leur crime cesseront, celles des mauvais exemples qu’ils auront donnés subsisteront encore32. Vertueux Athéniens, de quel supplice auriez-vous punis les Auteurs des ordures débitées sur nos Trétaux, vous qui ne pûtes entendre sans indignation, Euripide, faire dire à un personnage d’une de ses Pieces : les richesses sont le souverain bonheur du genre humain, & c’est avec raison qu’elles excitent l’admiration des Dieux & des hommes  ? Encore un coup, qu’auriez-vous fait aux Auteurs des Pièces du Rempart, vous qui auriez chassé de l’enceinte de votre Ville, cet Euripide si célèbre, s’il ne vous eût représenté, qu’à la fin de la Piece on verrait périe misérablement le Panégyriste des richesses ? Qu’auriez-vous fait à ces Auteurs ténébreux, qui enfantent dans une Orgie, ou à la suite d’une partie de débauche, les monstres impudiques qu’ils exposent sur les Trétaux, avec autant d’orgueil que d’insolence ? Qu’auriez-vous fait, enfin, à ces Turlupins, à ces bas Histrions, qui, par les gestes les plus indécens, les postures les plus lascives, s’efforcent de rendre tous les Spectateurs complices de leur infamie, de… ? Ici je m’arrête ; il est, Monsieur, de certaines turpitudes, que la plume de tout Ecrivain délicat doit se refuser à tracer.

Je ne vous ai entretenu, jusqu’à ce moment, Monsieur, que des vices, des accidens & des désordres auxquels les Spectacles du Boulevard donnent lieu ; je ne saurais m’empêcher de parler du nombre assez considérable des individus perdus, pour l’Etat, qui composent ces troupes toujours mal montées. Il est une vérité certaine en politique, c’est que tout Citoyen doit être utile à son pays, soit par ses talens & ses lumieres, soit par son industries & ses travaux ; s’il est des hommes assez Egoïstes pour nier ce principe fondamental de la Société, ce sont des enfans ingrats & dénaturés quelle doit méconnaître & rejetter de son sein. Or, par tout ce que je viens de vous dire, vous voyez, Monsieur, de quelle utilité funeste sont les Trétaux ; dans quelle classe donc placerons-nous le savoir faire de ceux sans lesquels ils ne subsisteraient pas ? On accorde des talens à des Baladins, à des Voltigeurs, à des Voltigeuses, à des Bouffons de la plus plate espece. O dépravation du goût ! O esprit frivole de mes Compatriotes ! Et quoi, est-ce du sein de ces écoles maudites, que sont sortis un Armand, un Poisson, un Préville, un le Kain, un Molé, un Grandval, un Monvel, un Bellecourt, une Dumesnil, une Gaussin, une Sainval, une Doligny ? Mais je veux qu’il sorte tous les ans deux fois plus de grands Acteurs & d’Actrices supérieures, que je n’en cite ici ; doit-on pour cela souffrir les Jeux du Rempart ? non, sans doute, puisqu’il est avoué & reconnu qu’ils sont également contraires aux intérêts du Souverain, & à ceux de ses Peuples. La preuve que ces sortes de Spectacles sont reconnus pour vicieux, c’est qu’on ne fait que les tolérer, & quelle raison peut faire tolérer des établissement vicieux, qui, sans produire aucun bien réel, sont la source de très-grands maux. Je le dis hardiment, il ne se forme aucun sujet sur ces Trétaux. Ceux qui y entrent avec quelques dispositions pour le Théatre, les perdent ; les jeunes personnes du sexe, qui y montent, ne servent qu’à recruter… Nul goût, nulle sensibilité, nulle finesse, nul tact, nulle intelligence, en un mot, nul talent : voilà en général les défauts les plus pardonnables que l’on est à portée de remarquer dans le grand nombre des sujets qui composent ces Troupes Foraines ; & en vérité, Monsieur, ce serait se livrer à un travail inutile, & perdre son tems, que de chercher à se distinguer aux Trétaux, par des talens supérieurs ; en faut-il donc tant pour jetter des ordures au nez d’un Public qui les saisit, & les dévore avec avidité ? Mais ces mêmes Sujets, qui gagnent leur salaire si aisément, & aux dépens de la corruption des Spectateurs, ne seraient-ils pas plus utiles à leur Patrie, dans les différens métiers, qu’ils seraient forcés d’exercer, pour se procurer leur subsistance, si ces écoles de libertinage ne leur offraient une ressource plus commode ? Que de jeunes-gens perdus pour leurs familles, par cette malheureuse facilité ! Un enfant né de parens honnêtes, a-t-il absorbé son patrimoine, ou fait quelques sottises qui le force à fuir loin de son lieu natal, il court aux Trétaux, se fait Mime des Remparts, & trouve, sans difficulté, dans la plus abjecte de toutes les professions, les moyens de continuer un train de vie, qui est devenu pour lui une seconde nature. Que de filles, sur-tout, abandonnées & flétries pour jamais ! J’ai questionné à ce sujet plus de deux cents jeunes personnes du sexe, Ouvrieres, Marchandes de Modes, & autres filles de Bourgeois, qui toutes m’ont assuré qu’elles ne cherchaient qu’un protecteur assez en crédit pour les placer aux Spectacles du Rempart. Si cette épidémie continue, avant une vingtaine d’années nos filles & nos femmes ne connaîtront plus qu’une seule profession, celle d’Actrices Foraines, toutes voudront l’embrasser comme la plus agréable, la plus lucrative, & surtout, la plus conforme à leur penchant déterminé pour le luxe & les plaisirs.

Quant aux Auteurs qui composent pour ces Spectacles, vous pouvez croire, Monsieur, que je n’en ai gueres meilleure opinion, en général, que des Paillasses, des Tabarins & des Gauthier-Garguille 33, qui représentent leurs pitoyables farces. Rien de plus constant, ils corrompent, ils perdent entiérement les mœurs. Or, comme le remarque judicieusement M. d’Arnaud , dès que le goût du Public est corrompu, rien n’est plus rare que de trouver un Littérateur qui ait le courage d’aimer la Littérature pour elle-même, & de s’exposer à déplaire à la multitude. Un tel homme ne confond pas le bruit avec la réputation ; il fait supporter jusqu’à l’obscurité & à l’indigence, & il n’oublie jamais ces belles paroles de Montaigne : la vertu est plus joyeuse des loyers d’honneur, que des récompenses où il y a du gain & du profit . Que ces Auteurs profanes & licentieux se rappellent, à leur confusion, ces vers du célebre Boileau :
Je ne puis estimer ces dangereux Auteurs,
Qui de l’honneur, en vers, infames déserteurs ;
Trahissant la vertu sur un papier coupable,
Aux yeux de leurs Lecteurs rendent le vice aimable.
Qu’on ne compte point, dit l’éloquent Panégyriste de Moliere , les portraits de ce grand homme, pour avoir droit de n’en plus faire. Qu’on ne s’imagine pas que la nature soit épuisée, qu’on est venu trop tard. Sous ce frivole prétexte, plus d’une main habile laisse échapper ses pinceaux34. Que d’admirateurs oisifs, que d’Ecrivains qui rétrécissent, & même avilissent la sphere de leur génie & de leurs talens, rappelleraient encore Thalie s’ils en avaient le courage ! Entrez, pourrait-on leur dire, entrez dans la carriere, quoique semée des lauriers d’une homme inimitable ; paraissez sur la scene, mais avec des traits redoutables au vice. Abandonnez les tristes Romans dramatiques, les sentences & les déclamations fastidieuses ; ouvrez les yeux autour de vous, il est encore des ridicules, il est des méchans & des sots, montrez-les, & ils se cacheront ; peignez-les, & vous aurez imité Moliere ! Fuyez, sur-tout, fuyez les traces de ces obscurs Fabricateurs de Parades, qui n’ont d’autre ressource pour plaire, que l’ordure & les obscénités.
Aucun Auteur, & sur-tout, du Théatre, ne veut point, dit M. Garnier , travailler sans succès. Or, comme ces Auteurs du Rempart & des Foires n’ignorent pas, comme je l’ai remarqué au commencement de ma Lettre, que la réussite de leurs chétives productions, dépend absolument du suffrage des femmes de mauvaise vie, & de la foule de leurs sots adorateurs, qu’elles y entraînent ; ces faiseurs de Parades sont comme forcés à ne parler que l’infâme langage de la Débauche, à n’offrir aux yeux que les images les plus nues, les situations les plus sales, pour capter la bienveillance du plus grand nombre des assistans ; disons, encore, que ces Auteurs savent, à n’en pouvoir douter, que les obscénités les plus révoltantes, peuvent seules faire quelqu’impression sur des esprits obtus, & sur des cœurs tout-à-fait blasés & corrompus. Aussi, je ne crains pas de trop le répéter, ne voit-on représenter ordinairement aux Trétaux, que de ces ouvrages abominables, dignes fruits du loisir d’un tas d’Ecrivains affamés, qui, ne pouvant, dit M. D*** de B**, s’illustrer par l’éclat des talens, tentent de se faire une réputation, au moins éphémere, par la licence de leurs Ecrits. Mais ces perfides Auteurs, la lime & le rabot à la main, n’eussent-ils pas rendu des services plus essentiels à la Société, en exerçant un Art méchanique, qu’en travaillant nuit & jour à la dépravation du goût & des mœurs ? Encore une fois, tout établissement doit avoir pour but, l’utilité publique ; mais quel bien réel resulte-t-il des Trétaux, & de la morale qu’on y débite ? Il n’en résulte aucun ; j’ai suffisamment prouvé qu’ils étaient la cause des plus grands désordres. Quelle main invincible & ennemie peut donc les soutenir ?

Je vais, maintenant, répondre aux objections les plus spécieuses que l’on a faites à ma Lettre ; elles sont au nombre de cinq, les voici :

1.° Le mal n’est pas aussi grand que je le fais.

2.° Les Théatres de la Nation produisent les mêmes maux, les mêmes abus.

3.° Il faut des Spectacles pour le Peuple.

4.° Ces Spectacles sont utiles aux vues de la Police, pour la recherche des mauvais sujets, des vagabonds, &c.

5.° Les intérêts des Pauvres souffriraient de la suppression de ces mêmes Jeux.

On dit, en premier lieu, que j’outre les choses. J’en appelle sur ce point, aux témoignage de tout homme sensé, de tout ami de l’honnêteté & des mœurs, de tout homme, en un mot, qui, né avec un esprit observateur & une saine judiciaire, réfléchit sur les conséquences de chaque chose. Un Juge impartial tel que j’en demande un, ici, trouvera que dans plus d’un endroit, j’ai affaibli ma touche ; je n’ai fait qu’effleurer l’objet, pour ne pas révolter les personnes délicates. Il est si vrai que la licence est portée à son comble dans ces lieux de prostitution, sur-tout aux Jeux nocturnes, que l’on y rencontre rarement un galant homme, encore moins une honnête femme. Si par hazard il se trouve huit à dix citoyens vraiment respectables, sur sept à huit cents spectateurs, il n’en faut pas douter, c’est un pur mouvement de curiosité qui les y a conduits ; ils ont voulu voir de leurs propres yeux, entendre de leurs propres oreilles, & juger, par eux-mêmes, de tout ce qu’on leur a rapporté de ces Spectacles scandaleux ; tous s’écrient, en sortant, que le mal est au-dessus de ce qu’on leur en a dit. Souvent l’ennui & l’indignation surprennent ces braves & honnêtes gens au milieu de la Piece ; ils s’évadent & s’enfuient de ces repaires, qu’ils déclarent hautement être les plus mauvais lieux où un galant homme puisse jamais mettre le pied. C’est ce qui m’est arrivé plus d’une fois, & à quelques-uns de mes amis, qui, attirés par la curiosité, n’étaient pas moins jaloux que moi de savoir jusqu’où le scandale pouvait pousser l’effronterie, & qui n’ont pu soutenir les excès. Ne voit-on pas qu’une mauvaise impression fait naître un, & quelquefois plusieurs vices, que les vices sont eux-mêmes le foyer des crimes ? Or, comme tout ce qui frappe les yeux & les oreilles dans ces assemblées, n’occasionne que les impressions obscenes, il s’en fuit, Monsieur, que je n’exagere point dans le compte que je vous rends, de tous les effets pernicieux des Trétaux. Encore une fois, interrogez les personnes de bien, qu’une louable envie de s’instruire, par elles-mêmes, y a conduites ; s’il s’en trouve une seule qui m’accuse d’avoir, à plaisir, rembruni mes couleurs, & d’avoir fait un tableau trop chargé, je consens à ne passer que pour un déclamateur.
On avance, en second lieu, que tous les accidens, tous les abus & les vices dont j’accuse les Trétaux d’être la cause, sont également les suites nécessaires des Spectacles de la Nation. Il faut avoir une connaissance bien superficielle de nos Théatres, pour raisonner ainsi. Comment ose-t-on, d’abord, comparer les chef-d’œuvres de Moliere, de Corneille, de Racine, de Voltaire, & toutes les Pieces charmantes des génies qui ont illustré la scene Française, aux farces, aux pantomimes plus ou moins indécentes de tel ou tel mauvais Jeu des Boulevards ? Comment-ose-t-on comparer, encore, le cercle, peut-être peu nombreux, mais presque toujours choisi de Citoyens honnêtes & éclairés, que le desir naturel de s’instruire & de s’amuser conduit à nos Théatres ? comment, dis-je, se permet-on de comparer cette Assemblée respectable, aux Conciliabules, aux Tripots de ces libertins, de ces femmes bassement prostituées, ou de ces Courtisannes qui sont sans préjugés, parce qu’elles sont sans principes, qui s’arrogent le titre d’honnête homme, parce qu’elles ont renoncé à celui d’honnête femme ? de toutes ces Phrynés, en un mot, qui, au sortir d’une orgie, vont chercher aux Boulevards l’amusement grossier qui leur convient, & qui n’en sortent que pour réaliser les tableaux dont elles viennent de voir les esquisses, & se replonger ainsi continuellement dans la fange. Ce n’est ni aux Français ni aux Italiens, que vous trouverez les jeunes personnes des deux sexes, réunies par pelotons, former des groupes scandaleux. Un jeune homme peut aller tête à tête au Théatre, avec une femme quelconque, mais la décence qui regne dans l’Assemblée où il se trouve, le force à se comporter en homme honnête, au moins pendant le Spectacle, au cas qu’il ne le soit point par principes, & que la personne qu’il y conduit soit de mœurs suspectes. Je ne disconviens pas que l’on rencontre aux Théatres, des Courtisanes, mais l’observation que j’ai fait à ce sujet, au commencement de cette Lettre, suffit pour prouver qu’elles n’y peuvent donner un mauvais exemples, & y causer du scandale : d’ailleurs, ces Courtisanes, qui ne veulent pas être confondues avec celles de la lie du Peuple, ont un intérêt à faire preuve en Public, si non de vertu, du moins de décence, de maintien imposant, bienséance dont on est entiérement dispensé aux Boulevard. C’est le rapprochement des hommes & des femmes sans mœurs, qui cause le plus grand mal des Spectacles Forains, ce rapprochement n’ayant & ne pouvant avoir lieu aux Théatres de la Nation, le peu d’êtres corrompus qui s’y rencontrent étant dispersés & ne pouvant avoir des communication, le désordre & le scandale des Trétaux y sont inconnus. Enfin, le lieu de la Scene, le choix des Pieces, l’honnêteté des Spectateurs font, au moins extérieurement, de nos Salles, des écoles de probité, de goût & de bonnes mœurs, tandis que le lieu, les Pieces, & la société font, des Salles du Rempart, des écoles de mauvais goût, de libertinage & d’infamie.
On m’objecte, en troisieme lieu, qu’il faut des Spectacles pour le Peuple, & pour les gens oisifs, qui fourmillent sur le pavé de la Capitale. Quelle objection, bondieu ! & qu’elle est pitoyable ! D’abord est-il bien vrai qu’il faille des Spectacles pour le bas Peuple, (car c’est de lui qu’on entend parler), Et pour les gens oisifs ? Cette question intéressante ferait l’objet d’une discussion trop longue ici. Je pourrais peut-être observer qu’on ne doit pas souffrir tant de gens oisifs dans le Peuple, & qu’on n’en rencontre un aussi grand nombre, que parce que les ressources de l’oisiveté sont trop multipliées. Quant aux oisifs de qualité, nous ne prétendons point en parler. Nous croyons qu’ils auraient trop à rougir d’être partisans des Trétaux, & nous devons cet hommage à la vérité, c’est qu’on rencontre peu & rarement de gens titrés & décorés aux Jeux Scéniques des Remparts & des Foires : ils y sont si clair-semés parmi les enfans des Bourgeois, & la populace, que je n’en tire aucune conséquence contre leur rang & leur état, & moins encore une en faveur de ce genre de Spectacles. Ceux qui avancent qu’il faut de tels amusemens pour le Peuple, entendent par ce mot Peuple, la Populace ou la lie du Peuple. C’est pour cette Populace donc, qu’il faut des Trétaux ? car cet assemblage d’hommes, que j’appelle le Peuple, (nom jadis si respectable), est formé du corps entier de la Bourgeoisie, & ce n’est pas cette portion d’êtres éduqués, qui a besoin des Spectacles Forains ; ceux qui la composent peuvent & doivent aller aux Théatres : mais cette Populace, composée de gens, qui n’ont d’autres moyens pour subsister, que le rapport de leurs bras ; de ces gens encore, qui n’es pour la plupart sans esprit, sans jugement, sans raison même, (ainsi parlent nos antagonistes), cette Populace, dis-je, a besoin d’amusemens bas & grossiers, qui soient à sa portée. Cette déclaration recueillie de la bouche des Protecteurs des Boulevards, est un moyen péremptoire qui tranche toute difficulté, en décidant contre les Trétaux, dont tous les honnêtes-gens demandent la suppression, conformément aux intérêts du Roi & de la Nation. Je dis que la déclaration de nos adversaires est un moyen péremptoire en notre faveur :

1.° Parce qu’il est de toute fausseté qu’il faille des Spectacles pour la classe des Citoyens les plus indigens.

2° Parce que quand bien même il leur faudrait des Spectacles, il est aussi de toute fausseté de soutenir, qu’étant nés sans esprit & sans aucune sagacité, il leur faut des amusemens grossiers ou extravagans.

3.° Enfin, des Spectacles Bouffons, ou du plus bas Comique, ne doivent pas être des Spectacles obscenes, des Spectacles corrupteurs, & absolument indignes d’un Peuple qui veut avoir des mœurs.

Premierement, le petit Peuple qui n’a pour toute ressource que le salaire borné qu’il retire de son travail, n’a point de superflu à donner aux Histrions du Rempart, tel médiocre que soit le prix des places, il est toujours trop au-dessus de ses facultés pécuniaires. D’ailleurs ces Ouvriers, ces Artisans ne sauraient aller dans ces endroits vagabonds, sans contracter avec le goût de la paresse, mille défauts qui les rendent incapables, non seulement d’exceller dans leur profession, mais même de l’exercer avec honneur & utilité, tant pour eux, que pour le Public : en se rendant à quatre heures au Spectacle, & n’en sortant qu’à huit ou neuf, voilà plus d’un tiers de leurs journée de perdu : s’ils n’y vont que la nuit, le mal est bien plus grand encore, car outre la matinée qu’ils perdent le lendemain, pour ne pas frustrer le sommeil du tems qu’ils lui donnent, ils dérangent l’ordre de leur maison, & offrent un mauvais exemple à leurs enfans. Or, comme l’intérêt le plus sacré de l’Etat, n’est pas d’entretenir dans son sein une foule de gens paresseux, inutiles, adonnés à l’ivrognerie, à la luxure, à tous les vices que fait naître & nourrit la paresse ; nous sommes bien fondés à conclure qu’il est de l’intérêt public de ne pas tolérer des Spectacles pernicieux pour ce petit Peuple, qui y perd & son tems & ses mœurs.

Secondement, quand bien même on parviendrait à démontrer la nécessité des Jeux Forains, pour ce même Peuple, il est faux de dire, qu’étant né sans esprit & sans raison, il lui faut des amusemens grossiers & stupides.

1.° L’expérience dément cette allégation de nos adversaires. Toutes les fois qu’on donne le Spectacle gratis, la populace qui compose la chambrée, prouve, par les applaudissemens qu’elle prodigue aux plus beaux endroits des Pieces, aux talens des bons Acteurs qu’elle distingue ; cette populace, dis-je, prouve qu’elle n’est point aussi bornée, aussi imbécille qu’on veut nous le faire accroire ; elle prouve, enfin, que la nature, notre commune mere, a gravé dans tous les cœurs un sentiment profond du Beau & du Bon, dont l’impression a pareillement lieu, quoique d’une maniere plus ou moins vive, sur l’ame du Villageois & sur celle du Monarque, sur l’esprit de l’ignorant & sur celui de l’homme le plus éclairé, le plus instruit. Enfin, ou les Pieces des Boulevards sont bonnes, c’est-à-dire, qu’elles sont écrites avec goût, avec décence & délicatesse, ou elles sont mauvaises, c’est-à-dire, d’un genre plat, libertin, ordurier ; si elles sont du premier genre, pourquoi les sacrifier à ce bas Peuple qu’on représente si stupide, & qui par conséquent ne doit pas s’y connaître ; n’est-ce pas semer des perles devant des pourceaux ? Si au contraire elles sont du second genre, il est absurde, encore un coup, de soutenir que ces seules Pieces ou extravagantes, ou ordurieres, conviennent au bas Peuple. Qui donc sera assez barbare pour avancer qu’il faut fournir à cette populace, des aliments dangereux, parce qu’il faut qu’elle se nourrisse ? mais s’il n’est pas même permis d’exposer sa santé par des alimens équivoques, doit-il être plus permis d’exposer ses mœurs ? que dis-je ? d’empoisonner son esprit & son cœur.

2.° En supposant que cette populace n’eut pas la pénétration d’esprit nécessaire, pour apprécier les beautés & connaître les défauts des Ouvrages de nos grands Maîtres, croit-on qu’elle n’en aura pas toujours assez pour deviner l’indécence que renferme telle allusion, telle pensée, tel jeu de mots orduriers ? Nous devons tenir pour certain, que l’esprit peut quelquefois être assez borné, pour ne pas saisir le véritable sens de telle ou telle idée ; il est facile alors de se rendre inintelligible, mais le cœur toujours trop-tôt infermit par les passions qui le dominent, ne prend jamais le change, & c’est à lui qu’il est impossible d’en imposer :

Ce que l’esprit ne comprend pas,
Le cœur aisement le devine.

Vérité ne fut jamais plus certaine que celle-là.

Troisiemement, je conviens avec mes antagonistes, qu’il faut des Spectacles pour les gens oisifs, je leur accorde encore qu’il en faut pour le menu Peuples, mais je suis bien éloigné de convenir que ces Spectacles, d’un genre borné, comme ils les demandent, que ces Pieces écrites en style trivial, doivent contenir des obscénités, qui réveillent les appétits blasés des uns & excitent la grosse gayeté des autres. La pratique de la morale, dans la vie privée, ne parviendra jamais à la perfection idéale ; nous ne devons pas pour cela nous permettre tout ce qui est contre les bonnes mœurs ; ceux qui sont chargés de notre instruction, (les Spectacles & ceux qui composent pour les Théatres, ne doivent pas se proposer d’autre but), ne sauraient en conscience travailler à nous rendre les plus infâmes des hommes, sous prétexte qu’ils ne peuvent pas nous rendre plus parfaits ; autant vaudrait-il dire que le poison doit être insinué dans une playe, parce qu’on ne peut pas la guérir. Or, d’après tout ce que j’ai dit ci-dessus des Pieces qu’on représente sur les Trétaux, & des circonstances qui accompagnent ces représentations, il est constant qu’elles corrompent tout-à-la-fois le goût, les esprits & les cœurs, donc elles ne doivent pas être permises. Qui tolere le mal, dit M. de Voltaire , en est l’auteur ; en favorisant les passions de ces Oisifs, de ces libertins, de cette populace, enfin, pourquoi nous priver de tant du cœurs qui auraient aimé la Patrie, & de tant de bras qui l’auraient servie ou défendue, qui lui auraient été utiles de mille autres manieres ? mais, ajoute-t-on, c’est pour prévenir un plus grand mal, qu’on permet un petit mal. Un petit mal ! &, quel plus grand mal, que là dépravation des mœurs ? Quel homme sensé peut, sur ce point, être d’un sentiment opposé à celui de Dom Ramire, qui dit positivement qu’on ne doit permettre ni favoriser aucun Spectacle indécent, qu’aucune raison, de bien, même plus grand, ne peut l’autoriser, & qu’on est obligé de s’y opposer de tout son pouvoir ? Les Pieces jouées sur les Trétaux, sont au cœur, ce que l’arsenic est au corps ; nos Loix toujours sages & prévoyantes ont sévérement défendu le débit du poison ; ne doivent-elles pas également défendre le débit du venin que le Vice expose hardiment en vente dans ses magasins du Boulevard ? Ces sentimens dignes d’un Religieux & d’un Chrétien, n’ont rien, Monsieur, qui puisse me surprendre. Les Politiques, les fameux Législateurs de la Grece & de Rome, dont les Codes sont passes jusqu’à nous, & forment encore la base de nos Législations modernes, ont-ils jamais pensé que, pour amuser le petit Peuple & les oisifs de profession, il fallut leur fournir les moyens dangereux de tuer le tems qui leur pese, & leur ouvrir des écoles de libertinage & de paresse, pour les empêcher de mal faire ? Certes, on ne représenta jamais à Lacédémone, à Athenes, à Rome, les infamies auxquelles le Peuple peut, chez nous, courir en foule. Qu’on ne me dise pas que ce Peuple n’en serait pas moins ce qu’il est, quand même les Trétaux ne subsisteraient point. J’assure qu’il serait beaucoup moins dépravé : quand ces Jeux ciniques ne corrompraient que vingt Sujets par an, ne ferait-ce pas une cause suffisante pour les faire supprimer ? Ils en corrompent des milliers, & on ne dit rien, personne n’éleve la voix pour plaider la cause des mœurs au Tribunal de la Raison ! Qui peut donc ignorer jusqu’où l’exemple étend son funeste empire ? L’exemple seul, dit M. d’Alembert , suffit pour faire de l’homme une être méchant « Les devoirs de la vie sociale sont si compliqués, si universels, si importans, que les passions abandonnées à leur fougue naturelle, les heurteraient à tout instant, & ne pourraient les heurter sans causer le plus grand désordre. Pour prévenir cet accident, il faut qu’une éducation sage nous accoutume de bonne heure à nous modifier selon les loix des sociétés particulieres, dont chaque homme est membre35, sans cela il en résulterait une désunion dans le corps politique, qui l’affaiblirait par degrés, & amenerait promptement sa dissolution totale. L’union sociale consiste sur-tout dans cette conformité de principes, d’inclinations & d’habitudes dans tous les membres, laquelle ne peut se former qu’en gênant l’appétit naturel, qui rapporte tout à soi. Cette gêne n’est point un attentat contre la nature ; c’est une heureuse transformation de la liberté naturelle en liberté sociale, la seule qui puisse convenir à l’homme dans l’état présent des choses celui-là seule est vraiment libre, qui l’est selon les Loix. Toute liberté qui passe ces bornes est licence, & la licence est la plus proche voisine de l’esclavage. » Que de grandes vérités renfermées dans ce passage ! Comment peut-il se faire, par exemple, qu’un jeune homme ne prenne pas pour autant de principes sûrs & nécessaires, des propos obscenes & scandaleux, des portraits ébauchés sur la Scene, par fois réalisés dans la Salle, & toujours applaudis dans l’un ou l’autre cas36 ? Comment se défendra-t-il de partager lui-même ces excès, lorsqu’il se voit excité, encouragé par la plupart des assistans ? Mais que deviendra ce jeune homme imprudent & malheureux ? que deviendront tous ceux qui l’imiteront ? « La raison qu’on vante tant en nous, dit l’Auteur que je viens de citer, est si faible, si vaine, si imbécille, qu’elle prend indistinctement toutes les formes que la Coutume, le climat, le Gouvernement, le tempérament, le caprice, l’exemple & les passions lui donnent…… Sur ce principe, un enfant accoutumé à être son propre maître, c’est-à-dire, l’esclave de son tempérament, abandonné à tous ses penchans, parvenu à l’âge de raison, les fera servir à ses passions : voilà où mene cette belle méthode de livrer l’enfance à elle-même, sans lui donner de bonne heure des habitudes vertueuses. Si la raison particuliere était toujours nécessairement & invariablement conforme à la raison universelle, à la nature des choses, aux loix de la société, si la droiture naturelle était inaltérable, & les passions incorruptibles, alors, & seulement alors, il faudrait se fier entierement à la nature, laisser mûrir la raison, & en attendre ces vertueuses habitudes qu’on a tant de peine à former… Mais, où trouver des enfans si heureusement nés, d’une organisation si pure, d’un esprit si parfait, que les habitudes les plus nobles & les plus généreuses croissent & se fortifient d’elles-mêmes en eux, sans le secours de l’instruction, & malgré la contagion du mauvais exemple ?… » Mais, quelle instruction, que celle que l’on puise aux Boulevards ? Qu’on supprime aujourd’hui les ordures qui s’y débitent, qu’on en interdise l’entrée à toutes les filles de joie, qui s’y rendent en procession des quatre coins de Paris, & je répons que ces Salles seront désertes demain. Ce n’est donc que le pur amour du libertinage, qui chaque jour y attire cette affluence de monde des deux sexes, qui se communiquent mutuellement la lepre de tous les vices dont ils sont infectés, & je crois avoir dit avec assez de raison dans ma Satyre….
Mais à ces vils Trétaux, où l’affreuse débauche
Réalise toujours les portraits qu’elle ébauche,
L’exemple a tant de poids sur tous les Spectateurs,
Que la sagesse même y risquerait ses mœurs.

Je vous demande, Monsieur, si c’est dans un Gouvernement aussi sage, aussi éclairé, aussi bienfaisant que l’est actuellement le nôtre, que de pareilles Ecoles doivent se flatter de fleurir plus long-tems à l’ombre de la protection de ce même Gouvernement ?

En traçant le tableau des abus & des désordres qu’engendrent les Trétaux, il m’a semblé me trouver à l’époque où se trouvait l’illustre T. Morus, Chancelier d’Angleterre, lorsqu’il s’écriait : « Le comble du malheur est de voir le luxe effréné, triompher insolemment aujourd’hui parmi nous. Dans quel siecle le faste a-t-il osé paraître avec autant d’audace & d’impudence qu’il se produit dans le nôtre ? De quels excès n’est-il pas capable, lorsqu’il peut tout se permettre impunément ? Il a confondu tous les Etats, il a renversé les barrieres qui séparaient tous les Ordres, & les distinguaient ; c’est lui qui revêt de ses livrées chamarrées d’or & d’argent, la Valetaille, vos Marchands & vos Ouvriers. C’est lui qui, piquant la stupide vanité de vos Artisans & même de vos Villageois, les fait rougir de leur heureuse médiocrité, & les contraint de substituer les galons, à la simplicité de leurs anciens vêtemens. » Eh, qui produit le luxe effroyable, si ce n’est, comme le remarque très-bien M. de Querlon, la fureur immodérée des mauvais Spectacles ? M. le Franc de Pompignan 37, va plus loin encore. Pourquoi, dit-il, les crimes atroces deviennent-ils plus communs ? Qu’on parcoure les Registres de nos Parlemens, sur-tout les Arrêts imprimés, de la Tournelle de Paris, on y verra que des forfaits inconnus aux premiers Législateurs, que des meurtres horribles qui auraient soulevé des Nations entieres, sont aujourd’hui fréquens dans le cœur du Royaume le mieux policé de la terre. A quoi les attribuer ? Serait-ce à l’impunité ? Jamais la Justice ne fut si sévere ni si prompte à Paris. Serait-ce à la férocité des mœurs ? Les Français n’en sont pas accusés. On ne parle, au contraire, dans les conversations & dans les écrits, que de passions douces, de cœurs honnêtes, d’esprits honnêtes, d’ames honnêtes, de créatures honnêtes. Mais si cette douceur, cette honnêteté tant rebattues, ne sont que des mors vagues, des expressions parasites, qui ne signifient rien à force d’être répétées sans cesse ; si par malheur les mœurs publiques sont corrompues, si les mœurs particulieres sont détestables, les notions du bien & du mal, changées, la Religion tournée en ridicule, la nature traitée de chimere, on n’a plus à chercher la cause de tant de forfaits multipliés, on la reconnaît dans ses effets. Oui, Monsieur, nous n’en saurions malheureusement douter ; toutes ces troupes de Chanteuses, d’Histrions, de Baladins, de grandes & de petites Voltigeuses, qui se traînent sur la poussiere des Trétaux & des Remparts, ne contribuent pas peu à faire naître, à fortifier cette passion désordonnée pour le faste & la mollesse, qui, eux-mêmes, sont les causes secondes de tout le mal dont nous nous plaignons. Ce n’est que depuis la multiplicité de ces Jeux Forains, que nous voyons pulluler, à Paris, l’engeance impure des Artisans du luxe, des Marchandes de modes & autres Ouvrieres, qui souvent sont plus à craindre encore que ces femmes & ces filles qu’elles perdent par leur art infernal. Combien de ces Grisettes ne font souvent qu’un saut de ces Magasins de modes, à ceux de l’Opéra, des Trétaux, & à d’autres encore dont le nom se devine plutôt qu’il ne se dit. Cette circulation de mauvais sujets des deux sexes, qui se forment dans ces Salles du Boulevard, fomente une sorte de peste dans le sein de la Capitale, & cette peste y produit journellement les plus affreux ravages. Dans quel siecle, Monsieur, a-t-on vu les Temples de l’Incontinence & de la débauche, plus fréquentés que dans le nôtre ? C’est encore Morus qui parle. Les cruels Jeux de hazard, les Farces ridicules & impertinentes, les Pantomimes obscénes se sont multipliés à un point effrayant. Mais ces Jeux ne fournissent-ils pas des expédiens aussi prompts que faciles, pour épuiser la bourse d’une infinité de Sujets, qui ensuite entrainés, poussés par le désespoir, se portent aux dernieres extrémités, & vont apprendre, sur le grand chemin, à corriger la malignité de leur fort ? Chassez, chassez de l’enceinte de vos villes, ces pestes cruelles ; murez ces asyles abominables où l’on sacrifie avec une égale fureur, à l’intempérance & au libertinage. C’est là que se trouvent ces dépôts de garnemens, de vagabonds qui ne font d’autre métier que celui de former des complices de leurs désordres, & de corrompre tous ceux qui les approchent. Ne souffrez pas qu’il y ait parmi vous un seul homme oisif ; rendez à la terre les bras qu’elle vous redemande… Si vous ne remédiez promptement à ces excès dont vous frémissez, c’est en vain que vous vanterez la sévérité de vos Loix, & votre Police admirable ; le mal ne fera qu’empirer de jour en jour : en effet, en tolérant la mauvaise éducation que l’on donne à la jeunesse dans les Tripots du Boulevard, en souffrant que ses mœurs se corrompent sous nos yeux, & en punissant les crimes qu’elle commet dans un âge plus avancé, crimes que nous aurions dû prévoir & prévenir par la suppression de tous les objets dangereux ; dites-moi si ce n’est pas élever, au milieu de nous, des scélérats, pour avoir le plaisir de les condamner, un jour, au supplice ? Ainsi parle le célebre Morus ; mais il s’en faut bien que les choses fussent portées, de son tems, au point de corruption où elles sont parvenues de nos jours. De quelle indignation aurait été pénétré ce grand Homme, s’il eût été témoin oculaire des scenes scandaleuses dont je viens, Monsieur, de vous présenter le détail : certes, il n’aurait pas vu avec une indifférence Stoïque, le triomphe du mauvais Goût & de la Débauche ; ce grand Magistrat, dont toute la vie, digne d’une meilleure fin, fut consacrée à la gloire & au bonheur de sa Nation, n’aurait pas manqué d’employer tout son crédit, toute son autorité, pour faire cesser des abus si révoltans, si contraires au bien de l’Etat & de l’humanité en général.

Nous vivons dans un siecle bien supérieur au sien, par les lumieres que nous avons acquises depuis ; nous vivons, de plus, sous un Roi devant qui la Vérité peut, sans crainte, paraître dans tout son éclat ; il l’aime, cette Vérité sainte, il l’accueille, il est digne de l’entendre. Ce jeune & vertueux Monarque, qui signale chaque jour de son auguste Empire, par de nouveaux bienfaits, est pour nous un bon pere ; il regarde & chérit indistinctement tous ses Sujets, comme ses propres enfans. Quel espoir pour nous ! Ah ! Monsieur, nous n’en doutons point, sa main protectrice & bienfaisante comblera, avec le tems, tous ces précipices affreux qu’une politique mal entendue a creusés sur ses pas. Nous vivons encore sous des Ministres & des Magistrats, dont toutes les vues sont dirigées vers le bien public, dont l’intérêt le plus cher est également de faire revivre les bonnes mœurs. Il est, dit M. de Voltaire, des ames sages, honnêtes, éclairées, ce sont ces hommes-là qui font les Loix ; plus on est homme de bien, plus on doit s’y soumettre ; on donne l’exemple aux vicieux, qui respectent une retenue que la Vertu s’est donnée elle-même. Le meilleur moyen de mettre un frein à la licence & à la corruption, est de supprimer les Trétaux. Comme la Capitale, ainsi que je l’ai dit, donne le ton aux Provinces, ce serait risquer la perte des mœurs de la Nation entiere, que de laisser subsister plus long-tems ces Jeux si contraires aux sages mesures que le Roi prend pour assurer le bonheur de ses Peuples. Non, l’infame Avarice ne doit plus se flatter de tromper la vigilance paternelle des Maurepas 38, des Amelot, des Miromesnil & des d’Aligre : ces illustres Ministres, dépositaires de l’autorité du plus aimé des Rois, ces grands Magistrats, dont nous chérissons & admirons les vertus patriotiques, vont, sans doute, s’empresser de porter les premiers & les derniers coups à ces Spectacles corrupteurs, dignes, à la fois, de la stupide ignorance & de la grossiereté barbare de ces siecles reculés, dans lesquels, cependant, on chassa du sein de l’Etat, les Farceurs & les Histrions, comme des pestes publiques. Nous voyons que le Parlement de Paris, instruit des Farces indécentes39 que représentait la Troupe des Enfans sans souci, fit fermer leur Théatre, par Arrêt du 6 Octobre 1584. Nous lisons pareillement dans la Gazette du 17 Mai 1697, que Louis XIV, de glorieuse mémoire, proscrivit le Théatre Italien40, parce que l’on y jouait des Pieces licentieuses, & que l’on ne s’y était pas corrigé des obscénités & des gestes indécens. Louis le Grand avait raison de penser que la vertu d’un Manœuvre n’est pas moins précieuse à un Souverain, vertueux lui-même, & à l’Etat, que la vie de cet obscur individu, & qu’il ne doit pas être plus permis, nous le répetons, de lui donner des exemples pernicieux, que des alimens empoisonnés.

Mais on insiste sur la nécessité des Spectacles pour le Peuple ; je conviens qu’il en faut d’honnêtes pour les honnêtes-gens de toutes les classes & de tous les états ; aussi formai-je le vœu le plus ardent pour la destruction des Trétaux, & l’établissement d’une seconde troupe de Comédiens Français. Dans ma Lettre suivante, Monsieur, j’espere que j’aurai l’honneur de vous convaincre de la nécessité de ce second Théatre, & de la possibilité d’y procurer, au plus bas prix, des entrées au petit Peuple, qui est le seul pour lequel réclament mes Adversaires. Ces Spectacles ayant pour but, & l’amusement & l’instruction de tous les Spectateurs, les mœurs se trouveront au moins à l’abri. La morale du Théatre, dit M. d’Alembert, consiste moins à opérer un changement subit dans les cœurs corrompus, qu’à prémunir contre le vice, les ames faibles, par l’exercice des sentimens honnêtes, & affermir dans ces mêmes sentimens les ames vertueuses. J’ai avancé ci-devant, d’après le sentiment du Panégyriste de Moliere, une vérité certaine pour les Philosophes & les Politiques, c’est que les Spectacles ont la plus grande influence sur les mœurs ; les mœurs, sur la police des Etats ; la police des Etats, sur leur prospérité ; leur prospérité, sur leur durée : ainsi vous voyez, Monsieur, que de conséquence en conséquence ; un mal qui paraît, à peine, fait pour attirer l’attention dans son origine, produit des catastrophes, des bouleversemens effrayans. On ne saurait donc trop surveiller les Spectacles, qui, en corrompant le Peuple, ou en le guidant vers l’honneur & la vertu, deviennent la cause premiere de la perte ou du salut des Empires41.

On s’accoutume aisément, dit Quintilien , à faire ce qu’on voit & ce qu’on entend, & si le plaisir de voir mal faire se change en habitude, que cette habitude devienne une seconde nature, alors tout est perdu. Cet éloquent Rhéteur dit, dans un autre endroit, plût au Ciel que nous ne fussions pas les premiers corrupteurs des mœurs de nos Enfans ! c’est nous qui les enseignons, c’est nous qu’ils prennent pour maîtres & pour modeles. Ils ne voyent & n’entendent que des choses honteuses à dire & à faire, & ils en contractent l’habitude avant même de savoir que ces mots & ces actions sont un mal. La plupart de ces peres & meres qui vont aux Trétaux, ne rougissent point de répéter devant leurs enfans les obscénités qu’ils ont recueillies aux Boulevards, & d’enchérir encore par-dessus. Montesquieu se plaint, de son coté, que les sages leçons données aux enfans, dans la maison des peres & meres qui savent les élever, sont détruites par les impressions du dehors ; & peut-il en être de plus funestes que celles que l’on reçoit aux Remparts ? Pourquoi souffrir qu’on parle aux hommes, je ne dis pas seulement un jargon plat, futil & trivial, (ce qui serait déjà un très-grand mal, puisque la corruption du Goût influe toujours sur celles des mœurs), mais un jargon dont chaque terme, dans la plus grande partie des parades du Rempart, est presque toujours ou un outrage fait au bon sens, ou une injure proférée contre la sagesse & l’innocence. Si l’illustre Citoyen de Genêve a raison d’avancer, que rien n’est plus contraire à la saine morale, que de réveiller par des situations séduisantes, un sentiment aussi dangereux que l’amour, que dire des ces Trétaux, où l’on ne rougit de rien, soit dans le discours, soit dans la pantomime, excepté de la décence & de l’honnêteté ? Je reviens souvent sur ce point, parce qu’on ne saurait trop y insister ; encore une fois, la cause des mœurs est celle du salut de la Patrie. Non, Monsieur, non ; je ne pense pas que le Théatre puisse être nuisible aux bonnes mœurs, toutes les fois qu’on l’en ramenera à son véritable but, qui est d’être utile en corrigeant nos vices & nos ridicules par une plaisanterie fine & délicate, ou par les traits perçans de l’éloquence & de la vérité ; mais je suis intimement persuadé aussi, que des Spectacles, tels que ceux qu’on ouvre le jour & la nuit aux Boulevards, sont autant de chemins frayés vers le libertinage, & qu’en fournissant ainsi à la jeunesse des deux sexes, les moyens de s’élancer dans ses gouffres, nous perdons la plus belle & la plus riche espérance de l’Etat42. N’oublions jamais cette grande vérité : La Patrie a des droits sur le cœur de tous les hommes  : Tel individu, qui paraît jetté comme au hasard sur la terre, pour y végéter dans la classe la plus obscure du Peuple, peut, si on ne lui donne que des idées saines, mâles, dignes, en un mot, de l’excellence de son être, faire un jour un grand homme, un homme vraiment utile à son Pays ; ce qui, certes, n’arrivera jamais, si nous continuons de penser qu’il faut amuser les oisifs & les bas Peuple, par des farces & des pantomimes ordurieres. Il est étonnant, dit un Ecrivain de beaucoup d’esprit, combien les objets obscenes, qui frappent nos yeux, font de ravages dans notre ame ! combien ils ajoutent à nos réflexions & à nos sentimens ! Je frémis quand je pense qu’il ne faut qu’une misérable équivoque pour perdre une jeune personne de l’un ou de l’autre sexe. On veut deviner, on étudie, on s’applique, on trouve le véritable sens ; la polissonnerie qui chatouille l’oreille, éveille l’esprit, gagne le cœur ; on veut toujours mettre en pratique ce qui plaît & séduit ; la volupté fascine les yeux, obscurcit le jugement, absorbe toutes les facultés, dévore l’individu dont elle s’empare ; que devient-il ? La cause premiere des forfaits du plus grand scélérat, est peut-être de moindre conséquence encore qu’une équivoque !

La quatrieme objection n’est pas la moins spécieuse. Ces Salles, dit-on, servent aux vues bien intentionnées de la Police. 1.° C’est dans ces réceptacles qu’elle trouve le dépôt de ces garnemens, de ces gens sans aveu, de ces bandits même, dont elle a tant d’intérêt de connaître les actions & les démarches. On arrête tous les jours, au sortir des Trétaux, de fort mauvais sujets, dont on ne pourrait jamais s’emparer, si ces mêmes Spectacles cessaient d’avoir lieu. C’est assez nous faire entendre que ces Trétaux sont des endroits plus que suspects, puisqu’ils servent de réfuge aux coquins. 2.° Ces Spectacles contiennent, pendant plusieurs heures du jour, les oisifs, qui sans ces objets de distraction, commettraient de grands désordres. Il faut répondre aux deux chefs de cette objection.

Je ne puis m’empêcher d’observer, 1.° que l’on doit trouver fort étrange la Police d’un Peuple qui tolere des écoles meurtrieres, sous le prétexte de fixer un moyen infaillible de s’assurer de quelques bandits. Cette objection est-elle sérieuse, & ceux qui la font, ne se rendent-ils pas réellement coupables d’une insulte grieve envers le Magistrat si respectable, qui veille aujourd’hui au dépôt sacré des mœurs & du bon ordre de cette Capitale ? Les lumieres, la prudence & la vigilance de ce sage Magistrat, ne nous sont-elles pas de sûrs garans qu’il lui sera facile de trouver des ressources bien moins pernicieuses pour les bonnes mœurs qu’il honore & qu’il protege ? Pour quelques garnemens que l’on peut arrêter au sortir de ces lieux, ce qui, sans doute, est un bien, à quels dangers n’expose-t-on pas la jeunesse qui les fréquente ? Mais est-il vrai que les Trétaux servent à faire découvrir les mauvais sujets ? J’ai de la peine à croire qu’un Individu qui s’est rendu coupable d’un délit assez grave pour avoir à redouter l’animadversion des Loix, veuille s’exposer à être reconnu dans une assemblée quelconque. Le criminel, dit un savant Jurisconsulte, craint la lumiere, & ne marche que dans l’ombre. Si l’on découvre quelques escrocs, quelques filoux aux Jeux Scéniques du Boulevard, c’est payer trop cher cette découverte, que de l’acheter aux dépens des mœurs. D’ailleurs en diminuant les asyles de la paresse & de l’oisiveté, le nombre des gens à bassesses diminuera nécessairement, & toutes les fois que les Officiers de Police voudront seconder les travaux & les soins du Magistrat, qui est à leur tête, il leur sera fort aisé d’en imposer à l’astuce, à la mauvaise foi, & de déconcerter, de faire trembler les frippons au point qu’ils n’oseront se montrer. Ce que je dis ici peut également s’appliquer au second chef de l’objection. Je conviens que si l’on supprimait tout-à-coup les Trétaux, la Jeunesse oisive, qui trouve une distraction conforme à son goût dans ces lieux impurs, se répandrait sur le pavé de Paris, & y commettrait mille désordres. Mais que l’on substitue aux Spectacles du Rempart, des Spectacles plus dignes de la Nation, des Spectacles capables de ramener le goût & les mœurs, des Spectacles, enfin, qui dirigent les inclinations de nos enfans vers le bien, alors les appréhensions que l’on a, tomberont d’elles-mêmes : & s’il se trouve encore des mauvais sujets, la sévérité de la Police, qui éclairera toutes leurs démarches, les contiendra dans le devoir, & les forcera, sous les peines les plus rigoureuses, à ne pas troubler le bon ordre & la tranquillité publique ; mais nous le répétons, il faut que le zèle & la prudence du sage Magistrat, qui y préside, soient secondés.

On me demande en dernier lieu, comment on pourrait dédommager les Pauvres, du quart qu’ils ont dans la recette journaliere des Trétaux, si on les supprimait ? Premierement, le quart qu’ils auraient à prélever dans le nouveau Théatre Français, qui remplacerait les Salles du Rempart. Secondement, les aumônes que des personnes aussi opulentes que bien intentionnées, sont prêtes à verser dans le sein de ces Pauvres, pour les dédommager de la suppression des Trétaux.

Je crois, Monsieur, avoir suffisamment répondu aux objections les plus apparentes que l’on m’a faites ; j’ose me flatter qu’il ne me serait pas plus difficile de répondre à toutes celles qu’on pourrait me faire : je vais me résumer.

Il résulte de cette Lettre. 1.° que les Spectacles du Boulevard & des Foires, ne produisent aucun bien réel : 2.° qu’ils produisent tout le mal possible : 3.° que le but de la Comédie étant de rendre les hommes meilleurs, en leur procurant en même-tems un amusement convenable, il ne faut ouvrir à toutes les classes du Peuple, que des Théatres où préside la décence, & où les mœurs ne courent aucun danger : 4.° qu’il n’est point d’Etres assez abjects, assez méprisables, pour être livrés, sans conséquence, à la corruption, & qu’il n’en est point d’assez stupides, pour ne pas tirer quelque profit d’un bon Spectacles. D’après ces quatre vérités démontrées, je pense, Monsieur, que je suis bien fondé à conclure que le plus grand bien que l’on puisse faire à la Capitale, c’est de supprimer les Trétaux : voici mon dernier argument contr’eux. Ces Spectacles sont établis ou pour les honnêtes gens, ou pour les gens dépravés : on m’accorde qu’ils ne sont pas faits pour les premiers, qu’ils ne peuvent que hâter la dépravation de ceux qui les fréquentent d’habitude ; ils sont donc uniquement faits pour les gens de mauvaise vie des deux sexes. Mais, Monsieur, dites-moi, je vous prie, quel peut être le but moral de pareils amusemens, & quelle nécessité y a-t-il que les gens infames, les débauchés & les frippons, trouvent dans le sein de la Capitale des lieux où l’on débite impunément leur affreuse morale, où leurs odieux principes circulent de bouche en bouche, sont reçus & applaudis, où les complices du libertinage public, traînent sur leurs pas des errans & des vagabonds, qui souvent vivent crapuleusement à leurs dépens, & des sots qu’elles trompent de toutes les manieres, des lieux, enfin, où l’on arrange le jour les parties de la nuit, parties conclues, dirigées, exécutées par la crapule, parties dont il résulte tant de chagrins pour les familles les plus honnêtes, tant d’accidens qui troublent le bon ordre, tant de pertes pour l’Etat, & sur-tout ce scandale, qui, porté à son comble, semble braver les Loix qu’il irrite & qui s’élevent en vain depuis si long-tems contre-lui ?

Tous les Français ont reçu avec attendrissement, ont baisé cent fois les deux derniers Edits de Sa Majesté43 ; ces gages généreux du cœur paternel de notre jeune Monarque, apprendront à la postérité, que le regne de Louis XVI, fut celui de la Bienfaisance & de la Justice, qu’il fit asseoir à ses côtés sur le Trône. Avec quelle reconnaissance ces mêmes Français ne recevraient-ils pas celui de la suppression des Spectacles des Boulevards & des Foires ? Qu’il paraisse, cet Edit si desiré par tout ce qu’il y a de Gens de bien dans le Royaume ! quels transports, quels cris de joye s’éleveront jusqu’aux Cieux ! O, que de peres, que d’époux combleront de leurs bénedictions, & l’Auguste Souverain, qui aura promulgué cet Edit, & le Ministre, vraiment patriote, qui l’aura conseillé, & celui dont la plume éloquente l’aura rédigé ! Les Trétaux supprimés, nous verrons le luxe, la vanité, la paresse & la débauche, qui, après avoir perdu en eux leurs asylez & leurs soutiens, seront forcés de fuir loin des murs de cette Capitale. Leurs partisans ne manqueront pas de se plaindre ; s’ils avaient connaissance de mes idées, ils ne manqueraient pas aussi de les ridiculiser & de les décrier : qu’importe ? On doit s’attendre, toutes les fois que l’on dit la verité, à se faire autant d’ennemis qu’il y a de gens intéressés à la combattre.

Quand les abus se sont multipliés, & que des hommes bien intentionnés veulent les réformer44, on attaque leurs principes, on cherche à les rendre suspects ; les Etres obscurs, les avares égoïstes, qui trouvent leur bien-être dans le malheur public, se déchaînent contr’eux : mais les vrais Citoyens, qui n’ont en vue que le bien, de la Patrie, s’élèvent au-dessus de toutes les considérations, & n’en cherchent pas avec moins de zèle & d’empressement, dans ce bien général, qu’ils opérent, leur propre bonheur, qu’ils fondent toujours sur celui de leurs semblables. La Vérité tardive paraît, enfin, & force les envieux & les mécontens à admirer, à respecter dans le silence les grands Ministres & les grands Magistrats, dont elle-même place les noms immortels au rang de ceux des bienfaiteurs, & des amis de l’humanité.

En substituant aux Trétaux un Spectacle National, dirigé sous les auspices de l’honnêteté & de la décence, un Théatre où le Peuple de tous les états, puisera un plaisir sans danger, une instruction sans dégoût45, nous verrons insensiblement se reproduire une nouvelle génération d’Etre dignes du grand Roi qui nous gouverne, des Ministres & des Magistrats laborieux, qui secondent si bien ses vues. Nous verrons, avec l’application au travail, l’activité & l’industrie, renaître l’amour des grandes choses, les beaux-Arts, les vrais talens, les vertus sublimes, les actions héroïques. Les Arts compteront encore des Vernet, des Vien, des Brenet, des Greutze, des Bouchardons, des Pigal, des Soufflot, des Gondouin, des Longueil, des Cochin, & des Beauvarlet. Les Sciences auront des d’Alembert, des Buffon, des Cassini, & des Mayran. Les Lettres encouragées & protégées, seront cultivées par les Disciples des Voltaire, des Rousseau, des Bernis, des Piron, des Gresset, des Marmontel : tous, par une étude approfondie des grands modeles, s’efforceront d’atteindre à la perfection dont ils leur ont tracé la route. Cette généreuse révolution, n’en doutons pas, Monsieur, fera du regne de notre Auguste, un regne plus brillant encore, plus admiré, & sur-tout plus chéri que celui de l’Auguste Romain : tous les Français, qui n’auront pour leur Souverain qu’un cœur & qu’une ame, réuniront leur voix & leurs talens, pour chanter & célébrer les merveilles de son siecle, supérieur aux trois, déjà connus dans les Fastes de l’Univers46. Voilà, Monsieur, ce que j’ose attendre de la suppression des Spectacles Forains. Ce n’est pas, ici, un beau rêve, comme la République de Platon, & l’Utopie de T. Morus ; c’est un changement heureux, qui sera la suite nécessaire & infaillible d’une police plus parfaite, sans doute, puisqu’elle fera le bien du plus grand nombre.

Si vous approuvez mon zèle, Monsieur, si mes raisons vous paraissent convaincantes, & mes vues utiles, j’aurai l’honneur de vous envoyer, le plutôt que je pourrai, ma seconde Lettre sur l’établissement d’un second Théatre Français, & je vous prouverai dans ce second Ecrit, la possibilité de procurer au petit Peuple, l’entrée à ce nouveau Spectacle, au même prix qu’il en jouit aux Trétaux. Je vous prie de me continuer votre estime & votre amitié, & d’être bien persuadé des sentimens inviolables & respectueux avec lesquels Je serai toute ma vie,

Monsieur,
Votre très-humble & très-obéissant Serviteur,
Rousseau.

Errata.

Page 26, ligne 14 de la note, au lieu de qui, lis. que ;

P. 32, à la note, lis. Sævius.

P 42, lig. 1, pauvent, lis. peuvent.

Même p., lig. 1 de la note, lis. hommes.

P. 45, lig 17, lis. des établissemens.

P. 46, lig. 13, lis. forcent.

Même p., lig. 21, lis. faiseuses de modes.