(1686) La Comédie défendue aux chrétiens pour diverses raisons [Traité des jeux et des divertissemens] « Chapitre XXV » pp. 299-346
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(1686) La Comédie défendue aux chrétiens pour diverses raisons [Traité des jeux et des divertissemens] « Chapitre XXV » pp. 299-346

Chapitre XXV

La Comédie défenduë à tous les Chrêtiens pour diverses raisons. Elle l’est encore plus particulierement aux Ecclesiastiques. Sentimens des Conciles & des Peres sur l’Opera. Qu’il n’est pas permis aux Ecclesiastiques d’y aller, non plus que d’assister aux farces, aux boufonneries & aux Marionnettes. Origine des Mascarades. Depuis quel temps les Dames portent des masques en France ? Certaines Mascarades défenduës par les Ordonnances Roïaux & par les Arrests des Parlemens. Des Mascara des du Carnaval & de quelques autres temps, Les Conciles & les Peres défendent aux Laïques de se masquer. Les Conciles & les Evêques le défendent surtout aux Ecclesiastiques. La danse n’est point un divertissement indifferent. Les Conciles & les Peres la défendent à tous les Fidéles. Elle est particulierement défenduë aux Ecclesiastiques.

VIII.

CE que saint Charles Borroméea, le Pere Guzman, & le Pere Comitolus, Jésuitesa, Monsieur le Prince de Contib, Monsieur de Voisinc, le Pere Quillebeuf de l’Oratoired, Monsieur Nicolee, & plusieurs autres sçavans hommesf ont écrit contre tout ce qu’on appelle Comédie, est plus que suffisant pour faire voir que ce divertissement est interdit aux Chrêtiens en l’état qu’il est presentement. En voici les raisons en peu de paroles.

La premiere, parce que les Païens mêmes l’ont condamné. Plutarqueg rapporte que Solon condamna les Tragédies dés leur naissance ; Que les Athéniensh estimoient que les Poëmes Dramatiques estoient des choses si indécentes & si insupportables, qu’il y avoit une Loi parmi eux qui défendoit aux Areopagites de faire des Comedies ; & que les Lacedemoniensi ne souffroient point qu’on joüât dans leur Ville de Comédies, ni de Tragédies, de crainte d’écoûter, même en se joüant, ceux qui representoient des choses contraires à leurs Loix. Platonl jetta ses Comédies au feu à la persuasion de Socrate. Et Aristotem ne veut pas que les Legislateurs permettent aux enfans d’aller aux Comédies, ni aux Tragédies.

La seconde, parce l’Editn du Préteur & les Loix Romaines ont noté d’infamiesa les Comédiens, & qu’Emilius Probusb témoigne qu’ils estoient infames parmi les Romains.

La troisiémec, parce que la Discipline des Eglises Reformées de France défend positivement d’aller à la Comédie & à la Tragédie : Nous rapporterons son Réglement cy aprés, en parlant des farcesd, des boufonneries & des marionnettes.

La quatriéme, parce que, comme remarque Tertulliene, l’Ecriture condamne la Comédie & les Spectacles dans les passages qui nous défendent de suivre les desirs deréglez de la convoitise & de satisfaire nos passions ; dans ceux qui nous obligent de tendre toûjours à la perfection, laquelle consiste dans l’assujetissement des passions à la grace, ce qui ne se peut acquerir qu’en éloignant de l’esprit tout ce qui peut servir à les fortifier & à les y entretenir ; Et dans ceux qui nous défendent les moindres impuretez & les moindres paroles deshonnêtes ou frivoles.

La cinquiéme, parce que le Concile d’Elviref en 305. défend aux femmes & aux filles Chrétiennes d’épouser des Comédiens sous peine d’excommunication ; que le premierg & le second Concile d’Arlesh en 314. & en 451, excommunient les Comédiens ; & que le Concile du Dôme de Constantinoplei en 692. défend aux Laiques, sous peine d’excommunication, de se déguiser ni en Comédiens, ni en Satyres, ni en Tragédiens.

La sixiéme, parce que les Peres de l’Eglise condamnent ou les Spectacles en general ou les Comédies en particulier.

Theophile Patriarche d’Alexandriea, parce que les Spectacles sont contraires à la discipline des Chrêtiens ; Minutius Felixb, parce qu’ils sont mauvais ; Tatienc, parce que les Comédies sont pleines de choses frivoles & inutiles ; Tertuliend, par le jugement que les hommes font de ceux qui les representent & qui passent dans leur esprit pour des gens infames ; par le jugement que Dieu même en porte, n’y aïant rien dans les Spectacles qu’il ne condamne ; parce que les Spectacles sont du nombre des pompes du diable, ausquelles nous avons renoncé dans nôtre Baptême ; parce que les Païens mêmes jugeoient qu’un homme estoit devenu Chrêtien à cause qu’il s’en abstenoit, reconnoissant que l’instinct de la pieté Chrêtienne éloignoit du theâtre ceux qui en faisoient profession ; parce qu’il est impossible d’y conserver les sentimens de pieté qu’un Chrêtien doit toûjours avoir dans le cœur ; parce que tous les objets qui s’y presentent à lui, ne sont propres qu’à le détourner de Dieu & à l’attacher à la creature ; parce qu’il est ridicule de pretendre en pouvoir faire un bon usage & les rapporter à Dieu ; parce que supposé qu’il y en eût d’honnêtes, les Chrêtiens ne doivent toûjours les regarder que comme un miel envenimé, dont ils ne peuvent goûter sans danger de se donner la mort ; enfin, parce que l’état d’un Chrêtien en cette vie est de fuïr toutes sortes de plaisirs, & de faire consister toute sa joïe dans les larmes de la penitence, dans le pardon de ses pechez dans la connoissance de la verité & dans le mépris même des plaisirs les plus innocens & les plus legitimes.

Saint Cypriena condamne les Tragédies parce qu’elles donnent de mauvais exemples par les crimes qu’elles representent ; saint Clement d’Alexandrieb condamne les Comédiens tant parce que Jesus-Christ ne nous y conduit pas, qu’à cause que le theâtre où elles se joüent est une chaire de pestilence, & qu’on ne doit jamais préferer ce qui est agreable à ce qui est plus honnête & plus avantageux. Saint Cyrille Patriarche de Jerusalemc, saint Salvien Evêque de Marseilled & saint Isidore Evêque de Sevillee, parce que nous y avons renoncé dans le Baptême ; Lactance Firmienf, parce qu’étant des occasions de vices & ne servant qu’à corrompre les mœurs, elles sont non seulement inutiles pour nous conduire à la vie bienheureuse, mais elles sont même extrémement nuisibles ; saint Ambroiseg, parce qu’elles sont vaines ; saint Jerômeh, parce que nous ne devons pas mettre nostre joïe dans les plaisirs du monde. Saint Jean Chrysostome, parce qu’elles sont des obstacles à la conversion des ames & à leur salut ; saint Augustina, parce que c’est un crime énorme que de donner son bien aux Comédiens qui sont des gens infames, que plus un homme est vertueux & plus il doit s’éloigner du theâtre ; & que l’on n’eût jamais approuvé les Comédies & les crimes qu’elles representent sur le theâtre, si les mœurs des hommes qui estoient soüillez des mesmes vices ne l’eussent soufferte ; saint Isidore de Damiéteb, parce que les Comédies d’elles-mêmes & de leur nature, ne peuvent estre que pernicieuses & nuisibles ; saint Bernardc, parce qu’elles ne sont que vanité ; enfin Jean de Salisberi Evêque de Chartresd, parce qu’elles sont propres à entretenir les vices, & sur tout l’oisiveté, qui est l’ennemie de l’ame & qui la dépoüille de toutes ses inclinations vertueuses, & qu’en y assistant on participe aux crimes des Comédiens, à qui l’Eglise a interdit la sacrée Communion.

Les Ecclesiastiques ne peuvent pas douter que toutes ces raisons ne les regardent, puisqu’elles regardent tous les Chrêtiens, & qu’ils ont l’honneur d’en estre du nombre, & d’en faire la plus illustre partie. Mais ils doivent sçavoir outre cela, que la Comédie leur est tres expressément défenduë par les Loix de l’Eglise. Car voici de quelle maniere s’en expliquent

Les Statuts Synodaux du Diocese de Troïese en 1529. « Il ne faut pas que les Prêtres, ni les autres Ecclesiastiques assistent aux Spectacles des boufons, des farceurs, ou des Comédiens. »

Le premier Concile Provincial de Milana en 1565. « Les Ecclesiastiques n’assisteront point aux Fables, aux Comedies, aux Joütes ; aux Tournois, ni aux autres Spectacles vains & profanes, de peur que leurs oreilles & leurs yeux, qui sont consacrez au culte de Dieu, ne soient soüillez par des actions & par des paroles badines & impures. »

Les Statuts Synodaux du Cardinal de Tournon Archevêque de Lyonb en 1566. « Que les Ecclesiastiques ne joüent jamais de Comédies ; qu’ils n’assistent jamais aux Spectacles ; & qu’ils n’en representent jamais eux-mêmes. »

Les Statuts & Ordonnances Synodales de l’Eglise de Lyonc en 1577. « Les Ecclesiastiques fuiront les danses, masques bâteleries, Spectacles & Comédies des Bâteleurs & Farceurs, là où il y a dissolution, impudicité & plaisanterie vaine. »

Le Concile Provincial de Bourdeauxd en 1583. « Que les Ecclesiastiques n’assistent jamais aux Comédies aux Fables, aux Danses, ni autres divertissemens que les Comédiens donnent, de peur que leurs yeux, qui sont consacrez au service de Dieu, ne soient soüillez par la contagion des Spectacles deshonnêtes ; Qu’ils n’en representent aussi jamais eux-mêmes. »

Le Concile Provincial de Bourgese en 1585. « Que les Ecclesiastiques s’abstiennent des Comédies, boufonneries & des danses, & qu’ils n’en soient jamais les spectateurs. »

Le Concile Provincial d’Aixa en 1585. « Que les Ecclesiastiques ne joüent jamais de Comédies, & qu’ils n’y assistent jamais, non plus qu’aux danses, ni aux autres spectacles profanes. »

Le Concile Provincial d’Avignonb en 1594. « Que les Ecclesiastiques n’assistent jamais aux danses, aux Comédies, ni aux autres spectacles profanes. »

Le Concile Provincial de Narbonnec en 1609. « Nous défendons aux Ecclesiastiques d’assister aux Comédies, aux fables, ni aux autres spectacles que les Comédiens & les Boufons representent, de peur que la pureté du Sacerdoce ne soit soüillée par la vûë des choses vaines & malhonnêtes. »

Les Statuts & Réglemens du Diocese d’Evreux en 1644d. « Les Curez ne se trouveront, non plus que les autres Ecclesiastiques, aux Jeux & Comédies publiques, avec des Laïques. »

« Le Synode d’Aixe en 1658. « Défendons à tous Ecclesiastiques de nostre Diocese & résidans en icelui, de frequenter les Comédies, Bals & autres lieux indécens à la condition Ecclesiastique. »

Le Synode d’Orleansf en 1664. « Nous défendons aux Prêtres & aux autres Ecclesiastiques qui sont dans les Ordres sacrez d’assister aux Comédies, ni aux autres spectacles vains & profanes, de crainte que leurs oreilles & leurs yeux, qui sont destinez au service de Dieu, ne soient distraits & soüillez par quelques actions deshonnêtes, ou par quelques sales discours. »

Les Constitutions & Ordonnances Synodales de saint François de Sales, & de Monsieur d’Arenton d’Alés, Evêques de Genevea : « Nous défendons à tous Prêtres, sous peine de suspension, d’assister à la Comédie, Bals publics & particuliers, & autres spectacles profanes, de peur de soüiller leurs yeux & leurs oreilles, qui ne sont destinez que pour les mysteres sacrez. »

Par les Statuts Synodaux du Diocese d’Agenb depuis 1666, jusqu’en 1673. « Nous interdisons aux Ecclesiastiques tous spectacles publics, danses, bals, comédies, farces, mascarades & toutes sortes de boufonneries. »

Le Synode d’Aixc en 1672. « Défendons à toutes les personnes Ecclesiastiques d’assister aux danses, à la comédie, aux jeux publics & aux representations des Bâteleurs. »

Les Statuts du Diocese d’Aletd depuis 1640. jusqu’en 1654. « Les Ecclesiastiques s’abstiendront de tous spectacles, comédies, farces, danses, mascarades, boufonneries. »

Les Statuts du Diocese de Seeze en 1674. « Tout jeux publics, danses, comédies, & autres spectacles, sont prohibez aux Ecclesiastiques par les saints Canons. »

Et les Statuts Synodaux du Diocese de Bezançonf en 1676. « La Scene & le Theâtre des Farceurs & des Comédiens aïant esté condamnez dés il y a long-temps par les sentimens des Saints Peres, par les Decrets des Conciles, & par les Statuts de nos predecesseurs ; & les Chrêtiens ne pouvant y assister sans exposer leur salut à un tres-grand danger, dans le desir que nous avons de détourner nôtre Clergé d’un si pernicieux scandale, Nous défendons sous de tres-grandes peines à tous les Ecclesiastiques, qui sont obligez ou à cause de leurs Ordres, ou à cause de leurs Benefices, de porter la soutane, d’assister aux Comédies, ni aux autres spectacles. »

IX.

L’Opera seroit un divertissement assez honnête & assez innocent pour les Chrêtiens, s’il n’avoit rien de contraire à leur profession. Mais c’est ce qui ne paroît pas quand on examine les choses de prés. Car enfin le but de l’Opera est d’émouvoir les passions : & le but de la Religion Chrêtienne au contraire est de les calmer, de les abattre & de les détruire autant qu’il est possible en cette vie. C’est pour cela que le saint homme Job nous apprenda, « Que la vie de l’homme sur la terre est un combat continuel », parce qu’il n’a pas plûtôt terrassé un ennemi, que cette défaite en fait naître un autre en lui même, & qu’ainsi sa victoire n’est pas moins à craindre pour lui que ses pertes.

Ainsi on ne peut estre parfait Chrêtien, que le corps du peché ne soit détruit, comme parle l’Apôtreb, que l’homme celeste ne régne, & que le vieil homme ne soit crucifié avec sesc passions & ses desirs déréglez. Voilà quelle doit estre l’application des Chrêtiens ; voilà quelle est leur Religion ; voilà quelle est la doctrine du saint Esprit ; & voilà ce qu’on ne pratique point à l’Opera. On y chante des airs qui ne tendent pour l’ordinaire qu’à allumer un feu qui ne brûle déja que trop, & que la foi nous oblige d’éteindre ; les jeunes gens de l’un & de l’autre sexe s’y assemblent & s’y placent confusément ; les filles & les femmes y vont pour voir & pour estre vûës ; les Chantres n’y sont pas des mieux réglez dans leurs mœurs, ni les Chanteuses des plus modestes dans leurs habits ; on y passe un temps considerable qu’on pourroit emploïer plus utilement ; enfin on n’y cherche que le plaisir pour le plaisir & que le divertissement pour le divertissement. Et c’est ce qui fait qu’il n’arrive gueres qu’on en sorte avec la même pureté d’ame qu’on y est entré. Ainsi les Chrêtiens seroient fort bien de s’en abstenir.

Premierement, parce que l’Opera est une Comédie en musique avec des machines, & que la Comédie & les spectacles sont interdits aux Chrêtiens, comme nous le venons de montrer.

Secondement, parce que le plaisir & le divertissement que l’on y prend ne s’accorde nullement avec ces paroles de Tertulliena : C’est une grande sensualité à des Chrêtiens « de chercher leurs plaisirs en ce monde, ou plûtôt c’est une étrange manie de considerer comme un véritable plaisir les voluptez de ce siecle. Quelques Philosophes ont donné ce nom au repos & à la tranquillité ; ils en ont fait l’objet de leur joïe, de leur application & de leur gloire ; Et vous, Chrêtiens, vous ne soûpirez qu’après les Comédies ? Nous sommes si éloignez de pouvoir vivre sans plaisir, que même nous devons trouver du plaisir dans la mort. Car nôtre plus grand desir doit estre, à l’imitation de l’Apôtre, de sortir de cette vie, & de souhaiter d’estre unis à Dieu. Or nous devons trouver nos delices dans l’accomplissement de nos desirsa Vous voulez passer toute vôtre vie dans les délices ? C’est une grande ingratitude de n’estimer pas autant qu’il le faut, de ne vouloir pas même connoître les abondantes & precieuses delices que Dieu nous a préparées. Qu’y a-t-il de plus aimable & de plus propre à nous donner une extréme joïe, que d’estre reconciliez avec Dieu ; que d’estre éclairez de sa verité ; que de connoître les erreurs qui lui sont opposées ; que d’estre assûrez du pardon de tant de crimes que l’on a commis ? Quelle plus grande volupté peut-on sentir, que celle qui nous dégoûte de toutes les autres voluptez ; qui nous fait mépriser le siécle ; qui nous établit dans une veritable liberté ; qui conserve la pureté de nostre conscience ; qui nous rend satisfaits de nostre condition presente, qui fait que nous n’avons aucune crainte de la mort ; qui nous fait fouler aux pieds les idoles des païens ; qui nous rend victorieux des demons ; qui fait que nous ne vivons que pour Dieu ? Ce sont là les voluptez des Chrêtiens ; ce sont-là leurs spectacles, spectacles saints, éternels, & qui leur sont donnez gratuitement ».

Troisiémement, parce que saint Macaire l’ancienb le condamne par ces mots : « Si par l’oüie toute seule on pouvoit entrer dans le Roïaume du Ciel & dans la vie éternelle sans peine & sans travail, ceux qui se divertissent aux spectacles du theatre, & ceux qui menent une vie impudique, y auroient bonne part. Mais on ne va au Ciel que par des travaux & par des combats, parce que le chemin qui y conduit est étroit, pénible & fâcheux. C’est dans ce chemin rude qu’il faut marcher, & souffrir beaucoup de peines & d’afflictions pour entrer dans la vie éternelle. »

Il y a cependant des Ecclesiastiques qui ne font point de scrupule d’aller à l’Opera, & ceux mêmes d’entre eux qui croïent que la Comedie, les farces, les bousonneries & les autres spectacles vains & profanes leur sont défendus, s’imaginent que celui-ci leur est permis. Mais c’est une illusion toute pure.

1. Par les trois raisons que nous venons d’expliquer & qui regardent tous les Chrêtiens en general.

2. Par ce que dit ainsi le second Concile de Châlon sur Sône en 813. a « Les Prêtres doivent s’éloigner de tous les objets qui ne font que charmer les oreilles & surprendre les yeux par des apparences vaines & pernicieuses, & ils ne doivent pas seulement rejetter & fuir les comédiens, les farceurs, & les jeux deshonnêtes, mais ils doivent encore representer aux Fidéles l’obligation où ils sont de les rejetter & de les fuir. »

3. Parce que le troisiéme Concile de Tours en la même annéeb, veut que les Ecclesiastiques s’abstennent de tout ce qui peut charmer les oreilles & les yeux, & amollir l’esprit, à cause que les oreilles & les yeux sont les portes par lesquelles les pechez trouvent aisément entrée dans l’esprit : Ab omnibus quæcumque ad aurium & ad oculorum pertinent illecebras, unde vigor animi emolliri posse credatur, Dei Sacerdotes abstinere debent, quia per aurium, oculorumque illecebras vitiorum surba ad animum ingredi solet.

4. Parce que l’Opera est veritablement un de ces vains spectacles que les Conciles & les Prelats de l’Eglise défendent aux Ecclesiastiques par tous les passages que nous venons de rapporter, & qu’il n’est pas necessaire de repeter ici.

X.

On ne doit pas trouver étrange que les farces, les boufonneries, les marionnettes, & tous les vains amusemens de cette nature, soient interdits aux veritables Fidéles qui sont profession de la Religion Catholique, puisqu’ils le sont même aux heretiques que nous appellons Pretendus Reformez. Car voici ce que porte en termes exprez un des articles de leur discipline. a « Les Momeries & Bastelleries ne seront point souffertes ? ni faire le Roi boit, ni le mardi-gras ; semblablement les joüeurs de passe-passe, tours de souplesses, marionnettes. Et les Magistrats Chrêtiens exhortez de ne les souffrir, dautant que cela entretient la curiosité, & apporte de la dépense & perte de temps. Ne sera aussi loisible aux Fidéles d’assister aux comedies, tragedies, farces, moralitez, & autres jeux joüez en public ou en particulier, vû que de tout temps cela a été défendu entre les Chrêtiens, comme apportant corruption de bonnes mœurs, mais surtout quand l’Ecriture Sainte y est profanée. »

Ils le sont encore plus particulierement aux Ecclesiastiques.

1. Parce que ce sont des jeux & des divertissemens publics, ausquels nous avons fait voir qu’ils ne doivent pas se trouver.

2. Parce qu’ils sont moins honnêtes que la comédie, à laquelle il ne leur est pas permis d’aller.

3. Par ces paroles

Du quatriéme Concile General de Latran sous Innocent III. en 1215a. des Statuts Synodaux de Michel Loyseau Evêque d’Angers vers l’an 1240. ou 1255. de ceux de Pierre de Colmieu Archevêque de Roüen en 1245b. de deux Conciles de Colognec, l’un vers l’an 1280. & l’autre en 1310. du Synode d’Angers en 1493d. & des Statuts Synodaux de Troïes en 1529. « Il ne faut pas que les Ecclesiastiques se trouvent avec les boufons, les farceurs ou les jongleurs, ni qu’ils assistent à leurs representations. »

Du Synode de Sens en 1524e. « Nous défendons aux Ecclesiastiques les jeux de theatre, & generalement tous les autres jeux qui sont contre la bienseance de leur profession. »

Du Concile Provincial de Narbonne en 1551f. « Que les Ecclesiastiques ne perdent point le temps à écouter, ni à regarder les farceurs, les bâteleurs, ni les boufons, sous peine de prison & autre peine arbitraire. »

Des Statuts & Ordonnances Synodales de l’Eglise de Lion en 1577a. « Les Ecclesiastiques fuïront les basteleries, spectacles & comedies des basteleurs & farceurs, là où il y a dissolution, impudicité & plainsanterie vaine. »

Du Concile Provincial de Bourdeaux en 1583b. « Les Ecclesiastiques n’assisteront jamais aux comedies, ni à aucun des spectacles que les boufons representent. »

Du Concile Provincial de Bourges en 1584c. « Que les Ecclesiastiques ne fassent point les baladins, & qu’ils n’assistent jamais aux boufonneries. »

Du Concile Provincial de Narbonne en 1609d. « Nous défendons aux Ecclesiastiques sous peine de prison & autre peine arbitraire, de se trouver aux representations de theatre, de faire les plaisans, & d’assister aux farces des basteleurs. »

Des Status du Diocese d’Evreux en 1664e. « Conformement aux Saintes Loix des Conciles, Nous défendons à tous Ecclesiastiques les spectacles, farces, boufonneries, comme aussi d’assister à toutes ces choses. »

Des Statuts du Diocese d’Agen depuis 1666. jusqu’en 1673f. « Nous interdisons à tous Ecclesiastiques tous spectacles publics, farces & toute sorte de boufonnerie. »

Du Synode d’Aix en 1672g. « Défendons à toutes les personnes Ecclesiastiques d’assister aux representations des basteleurs. »

Et des Statuts Synodaux du Diocese d’Alet depuis 1640. jusqu’en 1674a. « Les Ecclesiastiques s’abstiendront de toutes farces & boufonneries. »

XI.

La coûtume des Romains étoit pendant la fête de Saturne, que les valets prissent les habits de leurs Maîtres, & pendant celle de la mere des Dieux, que chacun fît le foû & se déguisât. Polydore Virgileb, Rosinusc. Pierre Gregoire de Touloused, & Rodolfe Hospiniene en rapportent des preuves convaincantes. Et voilà justement l’origine des mascarades, qui sont constamment un reste du Paganisme.

Les Dames, ainsi que l’assûre Brantômef, ont commencé en France sur la fin du dernier siecle à porter des masques. Les plus sages neanmoins n’en portoient pas. Car j’apprens de Bouchel, que « la Reine Elizabethg, fem- du Roi Charles IX. n’étoit jamais masquée, ni elle, ni ses Damoiselles ; reprouvant en cela la mauvaise coûtume de France ». Je ne décide point ici s’il y a du peché aux Dames de porter des masques, ou s’il n’y en a pas. Mais ce que je puis dire, c’est qu’elles ne peuvent paroître en cet état dans les Eglises & aux pieds des Autels, sans commettre une grande irreverence, ne le pouvant faire sans incivilité dans la chambre d’une personne à qui elles doivent quelque respect.

Saint Thomas croit que les hommes & les femmes peuvent quelquefois se déguiser sans pechéa, lorsque la necessité les y oblige, ou pour se dérober de leurs ennemis, ou faute d’habits qui leur soient convenables, ou pour quelqu’autre semblable raison.

Les Ordonnances Roïaux, & les Arrests des Parlemens défendent tres expressement les masques, dont certaines gens abuseroient pour commettre plus aisément & plus impunément de méchantes actions.

François I. y est formel dans l’Ordonnance de Chastillon sur Loing en 1539.b le 9. Mai. « Défendons (dit-il) à toutes personnes de quelque état qu’ils soient, d’aller par Villes, Citez, Forêts, Bois, Bourgs & chemins armez de harnois secrets, ou apparens, seuls ni en compagnie, masquez, ne déguisez, sous quelque cause que ce soit, sur peine de confiscation de corps & de biens, sans aucune exception de personnes. »

« Défendons à toutes personnes de recevoir, logerc, ne receler telle maniere de gens, soit par forme de logis & hosteleries, en leurs maisons privées, sur les autres peines : ainsi nous le viennent dire, ou à nos Lieutenans, Gouverneurs, Justiciers & Officiers plus prochains des lieux, où ils auront été trouvez, sur peine d’être dits complices & fauteurs & punis de pareille peine. »

« Voulons que la moitié des confiscations soit donnée aux dénonciateursd sans autre declaration ne don adjugée. »

« Donnons pouvoir à tous ceux qui trouverront tels personnages armez & déguisez, les prendre, arrêter & saisir au corps ; & s’ils se mettent en défense, assembler par tocquesin ou autrement les Peuples & Communautez, & leur courir fus en maniere qu’ils puissent être puns & apprehendez, & mis prisonniers en justice. »

« Et si par leur rebellion, défensea, desobéïssance, aucuns étoient à la caption tuez & occic, voulons que de ce ne soit aucune chose improperée à ceux qui auront ce fait, ne qu’ils encourent aucune peine corporelle ou pecuniaire, d’obtenir grace, remission ou pardon consequemment reprins ni aprehendez en Justice. »

« Défendons (dit Charles IX. dans une Ordonnance du 5. Février 1561.) à toutes personnes de quelque état, qualité, & condition qu’ils soient, de ne plus faire des masques & momeries de jour & de nuit dedans la ville de Lyon ni Fauxbourgs d’icelle, sur peine à chacun des delinquans, ensemble de ceux qui les retireront en leurs maisons de cent écus d’amende pour la premiere fois : & pour la seconde, de punition corporelle & de deux cens écus pour chacun des delinquans, applicables aux pauvres de la grande aumône de Lyon, sinon que pour autre occasion ils eussent de nous permission. »

« Et parce que, dit Henri III. dans les Etats de Blois en 1679.b Nous avons été avertis que plusieurs voleries, meurtres, & assassinats se commettent par les champs par personnes masquées : Nous voulons qu’il leur soit courusus par autorité de Justice & avec les Officiers d’icelle, en toute voïe d’hostilité, & à son de toxin : & qu’étant apprehendez ils soient punis par les Juges des lieux sans dissimulation. »

« Par arrest de Paris (dit Bouchel) du 25. Avril 1514c il a été défendu à tous Marchands de plus vendre ou tenir masques, & même à Paris ou au Palais. »

« Par Arrest de la Cour de Roüen du 28. Mars 1508. il est défendu à toutes personnes de porter, vendre ou acheter aucuns faux visages, masques, nez, ou barbes feintes, & autres choses déguisantes, sous peine de cent livres. Et le 7. Juin 1513. cet Arrest fut derechef publié. »

Ce n’est pas de ces sortes de mascarades dont je veux parler, mais de celles qui se font en bien des lieux au temps du Carnaval & en quelques autres occasions, pour le pur divertissement, ou pour avoir plus de liberté d’aller joüer, ou danser, dans les maisons & dans les assemblées.

Les Chrêtiens peu instruits de la pureté & de la verité de leur sainte Religion, les regardent comme des divertissemens innocens, ou tout au plus, indifferens. Mais l’Ecriture, les Conciles, & les Saints Peres en jugent bien d’une autre maniere.

L’Ecriture maudit les hommes qui se déguisent en femmes, & les femmes qui se déguisent en hommes. a « Que les femmes, dit la Loi de Dieu, ne s’habillent point en hommes, ni les hommes en femmes ; car quiconque le fait, est abominable devant Dieu. » Sur quoi saint Ambroise fait cette belle reflexionb : « Si vous considerez avec attention (dit ce saint Prelat) ce qui est défendu par ce precepte du Deuteronome, vous verrez que ce déguisement est un dereglement étrange, que la nature même ne peut souffrir. Car pourquoi, ô homme, ne voulez-vous pas paroître tel que vous estes par vôtre naissance ? Pourquoi prenez-vous une autre figure ? Pourquoi vous déguisez-vous en femme, & vous femme, pourquoi vous déguisez-vous en homme ? La nature a revêtu chaque sexe d’habillemens qui leur sont propres. »

Ce déguisement a paru aussi tellement étrange à Saint Augustin, qu’il a crû que ceux qui le faisoient étoient infames, & incapables de faire des Testamens & de servir de temoins en justice. a « Je croi (dit-il) que ceux qui s’habillent en femmes publiquement, sont infames selon le droit, & incapables de faire testament & de servir de témoins en Justice ; & je ne sçai si je les dois appeller ou de fausses femmes, ou de faux hommes ; mais il est sans doute que nous les pouvons nommer des farceurs & de vrais infames. »

Le Concile du Dôme de Constantinople en 692b. les a excommuniez en ces termes. « Nous ordonnons (dit-il) qu’à l’avenir nul homme ne s’habillera en femme, & que nulle femme ne shabillera en homme. Sitôt que les Prelats auront connoissance que quelqu’un aura commis ce crime, si c’est un Ecclesiastique, qu’ils le déposent ; si c’est un Laïque, qu’ils l’excommunient.

S. Thomas dit que c’est une chose mauvaise de foi, c « qu’une femme s’habille en homme, ou qu’un homme s’habille en femme » : De se vitiosum est quòd mulier utatur veste virili, aut è converso ; principalement parce que cela peut donner lieu à l’impureté, & que cela est défendu par la Loi en termes exprés, à cause que les Païens se servoient de ce changement d’habits pour la superstition de leur idolatrie ».

Enfin Burchard Evêque de Vvormesa, & Ives Evêque de Chartres, citent un Concile de Brague, qui ordonne « que les hommes qui se déguiseront en femmes, & que les femmes qui se déguiseront en hommes, après avoir promis de ne plus tomber dans ce crime, seront obligez de faire penitence durant trois ans ».

Autrefois les Païens se travestissoient en cerfs, en chevres, ou en genisses. C’étoit-là une des superstitions qu’ils observoient le premier jour de Janvier, & contre lesquelles les Conciles & les Peres se sont declarez ouvertement. Saint Augustin en parle en ces termes : « Nous offrons (dit-il) un Sacrifice tres-agreable aux démonsb, lorsque nous disons ou faisons quelque chose qui blesse & qui bannit l’honnêteté, qui est l’ame de la Justice. Y-a-t-ïl une folie pareille à celle qui porte les hommes à s’habiller en femmes par un honteux déguisement, à défigurer leurs visages par des masques, qui sont capables de faire peur aux démons ; ou enfin à mettre impudemment son plaisir à chanter les loüanges des vices, avec des vers lâcifs, & avec des postures tout-à-fait ridicules & impertinentes ? Y a t-il de plus grande folie que de se déguiser en bêtes, de se rendre semblable à une chevre, ou à un cerf ; afin que l’homme qui a été formé à l’image & à la ressemblance de Dieu, devienne le sacrifice & la victime du demon ! C’est par là que cet ouvrier d’iniquité s’insinuë & s’introduit, afin qu’aïant gagné insensiblement les esprits des hommes sous les apparences des divertissemens, il établisse sa domination sur eux &c. Vous donc qui estes Peres de famille, avertissez vos domestiques de ne point suivre ces coûtumes sacrileges des miserables Païens. »

Saint Pierre Chrysologue s’en explique encore d’une maniere plus forte que Saint Augustin. aVoici comme il parle : « Qui pourroit assez déplorer (dit-il) ceux qui se déguisent en idoles ? N’ont-ils pas effacé en eux-mêmes l’image de Dieu ? N’ont-ils pas perdu la ressemblance de Jesus-Christ ? Ne se sont-ils pas dépoüillez de la grace dont il les avoit revêtus ? Mais quelqu’un me dira ; Ce ne sont point des exercices sacrileges ; ce sont des jeux & des divertissemens ; c’est une nouvelle maniere de se réjoüir, & non pas une erreur de l’antiquité, ni une superstition des Païens. Vous vous trompez qui que vous soïez : ce ne sont point des jeux, ce sont des crimes. Peut-on faire un divertissement d’un sacrilege ? Qui peut dire qu’un crime soit un sujet de réjoüissance ? Celui qui a ce sentiment se trompe fort. C’est estre tyran que d’être habillé en tyran. Celui qui se déguise en idole, ne veut point porter l’image de Dieu. Celui qui se veut divertir avec le diable, ne pourra pas se réjoüir avec Jesus-Christ. Personne ne se joüe sans danger avec un serpent ; personne ne se divertit impunement avec le diable. »

C’est dans cette vûë que le Concile d’Auxerrea en 578. & Saint Eloi Evêque de Noïonb, défendent aux Fidéles de se déguiser en cerfs ou en genisses. Non licet , dit ce Concile, Calendis Januariis vetula aut cervolo facere. Et Saint Eloi ; Nemo in Calendis januariis nefanda aut ridiculosa, vetulas aut cervolos, vel jocticos faciat.

Burchardc témoigne que la penitence de ceux qui avoient commis ce peché, estoit un jeûne de trente jours au pain & à l’eau. « Avez vous fait, dit-il, quelque chose semblable à ce qu’ont fait, & ce que font encore les païens aux premiers jours de Janvier, vous déguisant en cerf ou en genisse ? Si vous l’avez-fait, faites en penitence durant trente jours au pain & à l’eau. »

Mais il ne faut pas que les hommes qui ne se déguisent pas en femmes, les femmes qui ne se déguisent pas en hommes, ni les hommes & les femmes qui ne se déguisent pas en cerfs, en chévres, ou en genisses, mais qui se déguisent de quelqu’autre maniere, pretendent le pouvoir faire sans peché, parce que l’Ecriture, les Conciles & les Peres que nous venons de rapporter ne les condamne pas expressément Car ils doivent sçavoir qu’une des raisons pour lesquelles Tertullien blâme les spectacles, c’est à cause des déguisemens qui s’y faisoient. « Je demande maintenantd (dit ce sçavant homme) si les masques plaisent à Dieu ; puisqu’en defendant de faire aucune figure, il défend à plus forte raison de faire des figures de son image. Lui qui est l’auteur de la verité, il n’aime point la fausseté : il regarde toute sorte de déguisemens, comme une alteration, comme une falcification. C’est pourquoi condamnant toute sorte de feinte, il n’approuvera point qu’on déguise sa voix, son sexe, son âge, ni qu’on represente des amours, qu’on exprime des passions, qu’on feigne des gemissemens. »

C’est aussi ce que Saint Jean Chrysostome condamne par ces motsa : « Que dirai-je du bruit & du tumulte de ces spectacles ? de ces cris & de ces applaudissements diaboliques ? de ces habits qu’il n’y a que le demon qui ait inventez ? On y voit un jeune homme, qui aïant rejetté tous ses cheveux derriere la tête prend une coëffure étrangere, dément ce qu’il est, & s’étudie à paroître une fille dans ses habits, dans son marcher, dans ses regards & dans sa parole. On y voit un vieillard, qui aïant quitté toute la honte avec ses cheveux qu’il a fait couper, se ceint d’une ceinture, s’expose à toutes sortes d’insultes, & est prest à tout dire, à tout faire & à tout souffrir. »

Je ne dois pas omettre ici ce que Jean Loüis Vivez dit des mascaradesb : Voici ses termes. « Il s’est introduit depuis quelque temps parmi nous une étrange coûtume. Les hommes & les femmes se masquent & courent les Villes en cet état, dansant dans les maisons des Grands & des riches, où ils sçavent qu’il y a bonne compagnie. Il se trouvera des gens qui se plaisent si fort à cela, qu’ils ne croïent pas qu’il y ait au monde un plus grand divertissement que de courir ainsi masquez par les maisons. Ils voïent & ils connoissent tout le monde, sans estre vûs ni connus de personne ; semblables en cela aux petits enfans qui se sont une grande joïe de s’imaginer, quand ils se cachent le visage de leurs mains, qu’on ne les voit point, & que cependant on les cherche. Mais il y a bien des crimes cachez sous ces masques. On y remarque d’abord une curiosité surprenante, qui fait que les femmes veulent sçavoir tout ce qui se passe ; qui sont ceux qui sont du régale ; quel rang ils y tiennent ; comment ils sont vêtus ; si leurs habits sont magnifiques Et tout cela cause en elles des jalousies, des caquets, des médisances, des diffamations. Tel croit recevoir chez soi un ami caché sous un masque, qui n’y reçoit qu’un ennemi & un ennemi mortel qui n’y va que pour observer tout ce qui s’y fait, afin d’en tirer avantage ou de nuire. On en exclut les ennemis que l’on connoît, & on y admet ceux que l’on ne connoît pas. Et qu’arrive-t-il de toutes ces mascarades, je vous prie ? L’impudence des femmes n’a plus de bornes. Celles qui auroient honte d’aller en compagnie & d’y danser sans masque, le font sans scrupule à la faveur d’un masque. Elles n’ont nul égard à l’âge, à la qualité, au bien, à la reputation. Non seulement elles écoutent des saletez & des choses indignes d’elles, mais elles ne font point de difficulté de dire ce qu’elles n’oseroient pas même penser si elles estoient connuës. Le masque qui les cache rend tout égal aux yeux de ceux qui les considerent, comme si c’estoit un nuage obscur qui les couvrît de toutes parts. Ainsi elles s’accoûtument peu à peu à l’impudence, & elles s’apperçoivent fort bien quand elles sont démasquées, du préjudice qu’elles ont fait à leur pudeur estant masquées. Voilà les principaux crimes qui accompagnent ordinairement les mascarades en France, en Allemagne & en Angleterre, où les peuples vivent plus simplement, & n’y entendent pas tant de finesses. Mais il est à craindre que ces sortes de divertissemens ne donnent lieu à quantité de crimes énormes, en Espagne, en Italie & dans les autres païs, où les gens sont plus adroits & plus rusez, à cause de la subtilité des esprits. A la verité les desordres qui en sont déjà arrivez ne sont pas en grand nombre, parce que la chose n’est pas encore bien vieille, ni fort en usage. Mais il est plus à propos de les taire que de les dire, de peur qu’il ne semble qu’on en avertit plûtôt, qu’on ne les corrige. »

Ce que cet Auteur suppose, qu’on se masque en Angleterre, ne s’accorde pas à ce que rapporte Polydore-Virgile, qui en a écrit l’histoire. Car il dit positivement qu’en Angleterre il est défendu sous peine de la vie de se masquera, Una omnium Regionum Anglia , dit-il, personatas belluas hactenus non vidit, nes quidem vult videre : quando apud Anglos, in re hac præ aliis certè sapient ores, lex est, ut capitale sit, si quis personas induerit. Mais comme ces deux Ecrivains ont esté du même temps, que Vivez a vêcu en Espagne, & Polydore-Virgile en Angleterre, où il nous assure lui-même qu’il a fait la charge de Questeur ou Collecteur du Papeb, & qu’il a esté Archidiacre de Vvelles ou de Bathe, on en doit bien plûtôt croire ce dernier que non pas Vivez. Quoi qu’il en soit, voici le jugement que Polydore-Virgile fait des mascarades. « Les Chrêtiens, dit-ila, ont pris des anciens Romains la folle coûtume de se masquer non pas un ou deux jours seulement comme eux, mais deux mois entiers avant le Carême, non pour honorer quelque fête, ainsi qu’il se pratiquoit autrefois à Rome, mais par le seule passion de faire les foüs. Il se commet tous les jours une infinité de crimes à la faveur de cette coûtume, & cela impunément ; comme s’il estoit permis à tout le monde d’estre méchant avec un masque, & que les hommes estans déguisez & travestis, fussent incapables de mal faire. Au lieu qu’ils doivent estre persuadez que Dieu les connoît parfaitement en quelque état qu’ils soient, qu’il jugera leurs bonnes & leurs mauvaises actions, qu’il châtiera les méchans, & qu’il recompensera les bons. »

Pierre Gregoire de Toulouseb parle des masques à peu prés dans le même sens. « C’est un desordre, dit il, assez ordinaire parmi les François, d’aller masquez dans les maisons d’autrui, ne voulant pas estre connus, leur conscience leur marquant qu’ils n’ont nul dessein de bien faire en cette posture. Ces mascarades sont la source féconde d’une infinité de crimes, qu’on ne sçait que trop, sans qu’il soit besoin de les expliquer davantage. Car ceux qui sont mal, haïssent la lumiere & ne veulent point estre connus. Ils déguisent souvent leur visage & leur sexe, à la façon des voleurs, des personnes débauchées & des malfaicteurs. Le Parlement de Toulouse a souvent défendu par ses Arrests à toutes sortes de pernes de vendre ni porter des masques. Elle a renouvellé ces défenses à chaque Carnaval, mais inutilement, parce que les Magistrats qui les devroient garder inviolablement sont, les premiers à les enfreindre. qui est un mal qu’on ne sçauroit assez déplorer. »

Il y a encore un autre desordre qui se commet en certains lieux au sujet des mascarades, non pas du Carnaval mais du Mercredi des Cendres & de quelques autres jours du Carême. Les Ordonnances du Diocese d’Aleta depuis 1640. jusqu’en 1659 l’ont ainsi condamné : « Sur les plaintes qui nous ont esté faites par plusieurs Recteurs de nostre Diocese, qu’outre les débauches qui se commettent és jours de Carnaval, qui font honte au Christianisme, plusieurs libertins portent leurs dissolutions jusques dans le saint temps de Carême, qui doit estre passé en larmes & en penitence, & font des mascarades le jour des Cendres, avec tambour & autres instrumens, avec des crieries & hurlemens, & plusieurs insolences qui vont au mépris des Ceremonies de l’Eglise par certaines funerailles & sepultures, qu’ils appellent de Carnaval. Nous défendons sous peine d’excommunication, de plus faire tels & semblables desordres, & surtout dans le saint temps de Carême, & enjoignons à tous les Recteurs & Vicaires d’informer contre les coupables, leur donnant pouvoir de ce faire, & nous envoïer les informations clauses & cachetées. Et afin que nul n’en pretende cause d’ignorance, nous enjoignons pareillement ausdits Recteurs & Vicaires de publier la presente Ordonnance chacun an par trois Dimanches, à commencer par celui de la Septuagesime. »

La même chose avoit esté condamnée longtemps auparavant par le cinquiéme Concile Provincial de Milana en 1579.

Enfin une des plus criminelles mascarades, est celle où l’on prend des habits de Religieux ou de Religieuses. Elle est condamnée expressément par la Loi Mimæ b, & par la Nouvelle 123. de l’Empereur Justinienc. On en peut dire autant des habits des Ecclesiastiques, qui ne sont pas moins dignes de veneration, que ceux des Religieux ou Religieuses, & de ceux des Magistrats & de toutes les autres personnes qui meritent d’estre respectées.

Les Ecclesiastiques au reste peuvent déja comprendre qu’il ne leur est nullement permis de se masquer, puisque cela est interdit à tous les Chrêtiens sans aucune exception. Mais ils le comprendront encore mieux s’ils font attention à ce que les Loix de l’Eglise leur ordonnent sur ce point. Voici ce qu’en disent

Le Synode de Langresd en 1404. « Que les Ecclesiastiques n’assistent & ne joüent point au jeu appellé Charevari, où l’on porte des masques qui ont des figures de demons. Car non seulement nous leur défendons ce jeu, mais nous le défendons aussi à tous les Fidéles de nôtre Diocese sous peine d’excommunication & de dix livres d’amende applicable à nous. »

Le Synode de Sense en 1524. « Nous défendons aux Ecclesiastiques les mascarades & les autres divertissemens de même nature, qui des honorent l’Eglise. »

Le Concile Provincial de Narbonnea en 1551. « Que les Ecclesiastiques ne portent jamais de masques, & qu’ils n’accompagnent jamais ceux qui en portent. »

Le premier Concile Provincial de Milanb en 1565. « Les Ecclesiastiques n’iront jamais en masque. »

Les Statuts Synodaux du Cardinal de Tournon Archevêque de Lyonc en 1566. « Que les Ecclesiastiques n’aillent point en masque. »

Les Statuts & Ordonnances Synodales du même Diocesed en 1577. « Les Ecclesiastiques fuïront toutes danses, masques, bâtelleries &c. »

Le Concile Provincial de Bourdeaux e en 1583. « Nous défendons aux Ecclesiastiques de jamais paroître masquez. »

Le Concile Provincial de Bourgesf en 1584. « Les Ecclesiastiques ne se masqueront jamais. »

« Le Concile Provincial d’Aix g en 1585. « Nous défendons aux Ecclesiastiques de se masquer. »

Le Concile Provincial de Narbonneh en 1609. « Nous ne voulons pas que les Ecclesiastiques se masquent, ni qu’ils suivent les personnes masquées. »

Les Statuts Synodaux du Diocese de saint Maloi en 1618. « Les Loix Ecclesiastiques défendent aux Prêtres d’aller en mascarades, representer aucun personnage aux farces, jeux ou spectacles publics. »

Les Statuts du Diocese de Limogesa en 1619. « Nous défendons tres expressément aux Ecclesiastiques de se masquer de nuit ou de jour, à peine d’estre châtiez selon la severité des saints Canons. »

Les Constitutions & Instructions Synodales de Saint François de Sales & de Monsieur d’Arenton d’Alez, Evêques de Geneveb. « S’il y avoit des Clercs si extravagans que de se masquer, ils encoureront l’excommunication ipso facto, dont nous nous reservons l’absolution. »

Les Ordonnances du Diocese d’Alet, depuis 1640. jusqu’en 1659.c « Nous défendons aux Ecclesiastiques tous divertissemens scandaleux, comme sont les danses, les mascarades, les bals & semblables, qui scandalisent le peuple & avilissent la dignité de leur caractere, & même d’y estre presens, à peine d’estre punis selon la rigueur du Droit. »

Les Statuts Synodaux de Sensd en 1658. « Nous défendons aux Ecclesiastiques tous spectacles, boufonneries, masques &c. »

Les Ordonnances & Instructions Synodales de Monsieur Godeau Evêque de Vencee : « Les Ecclesiastiques qui iront en masque encoureront l’excommunication ipso facto, dont nous reservons l’absolutions à Nous seuls. »

Les Statuts du Diocese d’Evreuxf en 1664. « Conformément aux saintes Loix des Conciles, nous défendons à tous Ecclesiastiques les spectacles, boufonneries, masques, bals &c. »

Les Statuts Synodaux du Diocese d’Agen, depuis 1666. jusqu’en 1673.a « Nous interdisons aux Ecclesiastiques tous spectacles publics, farces, mascarades & toute sorte de boufonnerie. »

Et les Statuts Synodaux du Diocese d’Alet, depuis 1640. jusqu’en 1674.b « Les Ecclesiastiques s’abstiendront de tous spectacles, mascararades, boufonneries &c. »

XII.

Ceux qui usent moderément de la danse & du bal, se croient fort en seurcté du côté de la conscience, à cause de ce que S François de Sales a écrit de ces sortes de récréationsc. Mais s’ils veulent se donner la peine d’examiner de bonne foi & sans aucune prevention les paroles de ce S. Evêque, ils reconnoîtront facilement qu’il est toujours ou presque toujours dangereux aux Chrêtiens de baler & danser. Ce qui doit suffire pour les en détourner, puisque l’Ecriture nous apprendd que celui qui aime le danger perira dans le danger. « Car enfin, dit admirablement saint Jean Chrysostomee , nous ne sommes pas seulement obligez d’éviter les pechez, mais nous devons encore fuir les choses mêmes qui nous paroissent indifferentes, & qui portent neanmoins insensiblement au peché. Car comme celui qui marche sur le bord d’un precipice quoi qu’il n’y tombe pas, ne laisse pas d’estre toûjours dans la crainte ; & il arrive souvent que la crainte le trouble, & le fait tomber dans le precipice : de même celui qui ne s’éloigne pas du peché, mais qui en est proche, doit vivre dans l’apprehension, car il arrive souvent qu’il y tombe. »

Mais si saint François de Sales a donné quelque sorte de protection au bal & aux danses, les Conciles & les Peres ne leur ont pas esté si favorables.

Le Concile de Laodicée sous le Pape Saint Silvestrea, ne veut pas même que l’on danse aux nopces des Fidéles : Quòd non oportet Christianos ad nuptias euntes balare, vel saltare . Et le Concile du Dôme de Constantinopleb en 692. défend les danses publiques & particulieres, non seulement aux Ecclesiastiques, mais mêmes aux laïques.

Aussi les Peres ont-ils regardé les danses comme des divertissemens qui blessent l’honnêteté. Et certes c’est là que l’impureté triomphe souvent d’une maniere plus ingenieuse & plus subtile que par tout ailleurs sous le nom specieux d’honnête liberté, de belle humeur, de galanterie & d’enjoûment. « L’art, qui régle les gestes dit Tertullienc , & les differentes postures du corps est consacré à la mollesse de Venus & de Bacchus, qui sont deux demons également dissolus, l’un en ce qui regarde le sexe, & l’autre en ce qui concerne le luxe & la débauche. »

Saint Basile parlant du theâtre où se faisoient autrefois les spectaclesd, dont la danse faisoit une des principales parties, l’appelle une école publique de toute sorte d’impureté : Communis & publica est discenda omnis incontinentia officina .

Saint Ephrem assûre que ce n’est ni Saint Pierre, ni Saint Jeana, ni aucun autre Apôtre de Jesus-Christ, qui a enseigné aux Chrêtiens à danser ; mais que c’est l’ancien serpent qui est un grand maître de toute sorte d’incontinence.

Saint Ambroiseb dit que la danse est la compagne des plaisirs déréglez & de l’impureté : Deliciarum comes atque luxuria saltatio . C’est pourquoi il veut c que les Vierges Chrêtiennes s’en éloignent entierement : Ab hac Virgines Dei procul esse desidero . Et adressant ensuite sa parole aux meres de famille, il dit que celles qui sont des impudiques & des adulteres, peuvent bien permettre à leur filles de danser ; mais que celles qui sont honnêtes & chastes, leur doivent apprendre à servir Dieu & non pas à danser : Saltet, sed adultera filia. Quæ verò pudica, quæ casta est, filias suas Religionem doceat, non saltationem.

Saint Jean Chrysostomed ne parle pas avec moins de force contre les danses. « Le diable, dit-il, se trouve assûrément par tout où l’on danse d’une maniere peu honnête. Dieu ne nous a pas donné des pieds pour danser, mais pour marcher modestement. Il ne nous en a pas donné pour sauter avec impudence comme des chameaux : car ce ne sont pas seulement les femmes qui sautent d’une maniere honteuse, les chameaux le font aussi ; mais il nous en a donné pour nous tenir ferme dans les Cœurs des Anges. Que si nostre corps devient difforme en sautant ainsi, combien nostre ame le devient-elle davantage. C’est le diable qui danse avec les danseurs. C’est par ce moïen que les ministres de cet esprit de tenebres trompent & séduisent les hommes. »

Voilà ce qui a fait dire à Conradus Clingius, sçavant Theologien & celebre Predicateur de l’Ordre de saint Françoisa, que la danse n’est autre chose qu’un cercle dont le diable est le centre, & les démons la circonference ; & par consequent qu’il arrive rarement, ou plûtôt qu’il n’arrive jamais, qu’on danse sans peché : Chorea mundana est circulus, cujus centrum est diabolus, & circumferentia Angeli ejus circumstantes ; & ideo rarò aut numquam sine peccato fit.

Saint Charles Borromé estoit animé de l’esprit des Peres de l’Eglise, lorsqu’il a ordonné aux Predicateurs de son Dioceseb « de prêcher souvent & fortement contre les danses & le bal, qui excitent les passions les plus dangereuses ». Et c’est ce qui l’obligea de publier un traité exprés qu’il composa lui-même Contre les danses & les Comedies, dans lequel il fait voir le danger, la vanité & l’illusion de ces divertissemens.

Mais afin qu’on ne s’imagine pas que les sentimens des saints Peres soient outrez & trop severes, je veux bien rapporter ici le témoignage de deux grands hommes ; dont l’un a vêcu assez long-temps dans le beau monde, & l’autre a esté marié & a passé plusieurs années à la Cour, & qui par consequent méritent bien qu’on le croïe fut ce sujet.

Le premier est François Petrarque Archidiacre de Parme & Chanoine de Padoüc, qui parle ainsi de la dansea : « La danse, dit-il, est une action indigne d’un honnête homme, & de laquelle on ne peut remporter que de la honte ; c’est un spectacle également infame & inutile ; c’est une assemblée d’intemperance. Ce mouvement des mains & des pieds, cet égarement & cette impudence des yeux, tous ces gestes compassez montrent qu’il y a quelque chose dans l’interieur qui répond au déréglement exterieur. Ceux qui font cas de la modestie, fuïent toutes ces occasions de dissolution. Car enfin quel plaisir peut on se faire d’un divertissement qui fatigue plus qu’il ne soulage, & qui n’est pas moins ridicule qu’il est honteux ? Veritablement si l’extravagance ne s’estoit comme naturalisée avec nos mœurs, nous appellerions folie, ce qu’on appelle gentillesse. On a raison d’inviter des joüeurs à ces assemblées, afin que l’ame estant occupée par les oreilles, les yeux ne s’offensent pas tant des mouvemens irréguliers des danseurs. Cela veut dire, qu’une sotise en couvre une autre. Ce qu’on appelle une école de divertissement, est un apprentissage d’impudicité : Les filles vont au bal & à la danse pour s’y faire connoître & estimer, à ce qu’elles croient ; mais c’est en effet pour y recevoir de l’infamie. C’est en ces occasions que les yeux se trouvent aussi libres que les mains ; qu’on se sert de paroles équivoques & à double entente ; que la foule des assistans excuse quantité de choses que la pudeur ne pourroit souffrir ailleurs. Les attouchemens que l’on croit illicites en d’autres rencontres, semblent devenir permis au bal. La multitude favorise l’effronterie des plus mal-intentionnez. D’ailleurs la nuit qu’on choisit ordinairement pour les danses, estant l’ennemie de la pudeur & la confidente des crimes, anime les plus timides pour executer hardiment leurs plus pernicieux desseins. C’est ainsi qu’on donne une nouvelle carriere au libertinage, & qu’on se fait un divertissement du peché. Les filles sont ravies de joïe, de voir que la legereté de leur corps seconde celle de leur esprit, & elles croïent estre plus parfaites de sçavoir bien danser, que de sçavoir bien vivre. »

Le second est Jean-Loüis Viveza, que nous avons déja tant de fois cité, & qui a esté Précepteur de l’Empereur Charle-quint. Voici ses paroles :

« Les plus graves d’entre les Romains, & les plus honnêtes d’entre les Grecs, ont eu une extrême aversion pour la danse. L’Orateur Demosthéne invectivant contre les gens de la suite de Philippe Roi de Macédoine devant le peuple d’Athenes, ne leur fait point de plus grand reproche que de dire, qu’après avoir bien bû, ils ne firent nul scrupule de danser, & qu’ils chasserent de leur compagnie les personnes de probité qui y estoient, parce qu’elles ne pouvoient souffrir la danse. Jamais on n’a vû danser aucune Dame Romaine qui fût en réputation de chasteté. Saluste rapporte que Sempronia sçavoit mieux chanter & danser, que ne devoit faire une honnête femme. Ciceron plaidant pour Muréna, dit que Caton lui reprocha d’avoir dansé en Asie ; Et ce reproche estoit si sanglant que Ciceron n’osa l’en défendre autrement qu’en niant absolument que cela fût. On n’a gueres vû, dit il, danser d’homme sobre, soit en particulier, soit en un festin réglé & honnête, à moins qu’il ne fut foü » : Nemo ferè saltat sobrius, nisi forté insanit, neque in solitudine, ne que in convivio moderato atque honesto. « Quand on se trouve dans un régale extraordinaire & hors de saison, dans un lieu de divertissement & de plaisir, la derniere chose dont s’avise c’est de danser. Ainsi la danse est comme le comble de tous les desordres.

« Il est donc bien honteux aux Chrêtiens d’avoir des écoles de danse. Mais cela ne se rencontre gueres que dans les Villes où il y a des lieux destinez à l’incontinence publique. Les Païens estoient bien plus réglez que nous dans leurs mœurs. Ils ne sçavoient point cette maniere molle & effeminée de danser qui se pratique parmi nous, qui allume le feu de l’amour impur, & qui est accompagnée d’attouchemens & de baisers deshonnêtes. A quoi bon tous ces fauts que les garçons font faire aux filles en les tenant par dessous les bras afin de les élever plus haut ? Les filles dansent toute une aprés-dinée & jusqu’à minuit sans se lasser, & elles ne pourroient aller autrement qu’à cheval ou en carosse dans une Eglise voisine. J’ai oüi dire autrefois de certains peuples de l’extrémité de l’Asie, qu’estans venus en ces quartiers & aïans vû danser des femmes, ils s’enfuirent tout épouvantez, disans qu’elles estoient saisies d’une fureur nouvelle & extraordinaire. En effet qui ne croit que les femmes sont furieuses lorsqu’elles dansent, si l’on n’en avoit jamais vû danser ? Qui ne croiroit qu’elles sont folles de remuer en cadence, comme elles font, les mains, la tête & tout le corps au son d’un violon ou de quelqu’autre instrument ? Considerez celles qui les regardent danser, comme elles sont assises par ordre, & examinez les gestes, les démarches, la régularité & le faste de celles qui dansent. Leur folie est d’autant plus insigne qu’elles s’étudient à faire sagement une chose ridicule. Tout leur esprit est à leurs pieds, où il leur est plus necessaire qu’à la tête quand elles dansent.

« Où a-t-on jamais lû qu’aucune Sainte ait dansé ? Les filles & les femmes prudes & graves font semblant de ne le pas sçavoir, elles refusent même de le faire lorsqu’on les en prie, & elles croïent que c’est leur faire injure que de les en prier. Si elles estoient persuadées qu’il n’y eût point de folie en cela, elles le feroient fort volontiers. Elles se trouvent rarement au bal, à moins qu’elles n’y soient necessaires ; Et quand elles y restent, il semble qu’on les y retient malgré elles, & elles témoignent assez à leur mine qu’elles n’y sont pas de leur bon gré. A quel danger la chasteté n’est-elle point exposée dans ces sortes d’assemblées ? Il est bien difficile que les femmes & les filles l’y conservent à la vûë de tant d’hommes & de tant de garçons, & l’esprit estant si puissamment attaqué du côté des yeux par les ruses de nôtre ennemi, qui est si subtil. »

Il n’est pas mal aisé de juger par tout ce que nous avons dit jusques ici, que la danse ne peut gueres passer pour un divertissement legitime & innocent. J’avouë qu’elle n’est pas toûjours criminelle, & que toutes les personnes qui s’y exercent, ne pechent pas toûjours contre la pureté. Mais, à dire le vrai, combien peu y en a t-il de ce nombre ? Combien peu y en a t il qui en dansant, ou en voïant danser les autres, ne se portent à quelque pensée deshonnête, ne jettent quelque regard impudique, ne fassent quelque posture indécente, ne disent quelque parole libre, enfin ne forment quelque desir de la chair, comme parle le saint Apôtrea ? On danse en compagnie & devant le monde, je le veux ; mais si cette circonstance empêche les desordres publics & éclatans, elle n’empêche nullement les desordres du cœur, contre lesquels les Chrêtiens ne doivent pas moins se précautionner & se fortifier que contre les pechez exterieurs. Si bien que de la maniere que la danse se pratique aujourd’hui, on risque sa pudeur presqu’autant de fois que l’on danse ou que l’on regarde danser les autres. Et par consequent c’est toûjours bien fait que d’éviter un divertissement si dangereux.

Il y a bien d’autres raisons que celles que je viens d’expliquer, qui condamnent la danse ; mais je serois trop long, si je les voulois toucher toutes. Cependant je ne puis me dispenser d’observer à la honte des Catholiques que la danse est défenduë avec beaucoup de rigueur par la discipline des Eglises pretenduës Reformées de France, ainsi qu’il se voit par ce Réglementb : « Les danses seront reprimées, & ceux qui font état de danser ou assister aux danses, aprés avoir esté admonestez plusieurs fois, seront excommuniez quand il y aura pertinacité & rebellion. Si sont chargez les Consistoires de bien pratiquer cet article, en faire lecture publique au nom de Dieu, en l’autorité des Synodes. Et les Collegues exhortez de bien prendre garde aux Consistoires qui ne feront devoir, de les censurer. »

Ces nouveaux Reformateurs ne nous marquent pas la raison qu’ils ont euë de faire cette défense ; mais il y a toutes les apparences du monde qu’ils ne l’ont faite principalement qu’en vûë des pechez qui se commettent ordinairement dans la danse contre la vertu de la chasteté, puisque dans un de leur Synode, qui est celui de la Rochelle en 1581. & dont ce Règlement est tiré en partie, ils mettent les danses au nombre des dissolutions. Voici les propres termes de ce Synodea : « A cause des danses & dissolutions qui croissent & pullulent par toutes les Eglises, a esté avisé que les Consistoires seront exhortez au nom de Dieu de bien pratiquer l’article du Synode de Figeac, & d’en faire lecture publiquement au nom de Dieu & en l’autorité de cette Compagnie, & les Colloques & Synodes chargez de censurer les Consistoires qui n’y auront fait, & n’y feront leur devoir. »

Le Synode de Figeac, dont il est ici parlé, fut tenu en 1579. Et voici ce qu’il porteb : « Pour le regard des danses, les Ministres & Consisto res seront avertis qu’ils aïent à faire observer, autant étroitement qu’ils pourront, l’article vingt-sept des avertissemens pour les réglemens des particuliers, lequel défend de danser, distinguant prudemment entre ceux qui se montreront rebelles à cette sainte admonition, & ceux qui montreront par leur discontinuation avoir profité des admonitions qu’on leur aura faites de ne point danser. »

Mais en voilà assez pour les Laïques. Faisons voir maintenant aux Ecclesiastiques que la danse leur est encore plus particulierement défenduë, & qu’il ne leur est pas même permis d’y assister. C’est ce que nous pouvons remarquer dans ces paroles

Des Statuts Synodaux d’Eudes de Sully Evêque de Paris, qui mourut en 1208a. « Il est absolument défendu aux Ecclesiastiques de se trouver dans les lieux où l’on danse. »

Du Synode de Vvorcesterb en 1240. « Nous défendons aux Ecclesiastiques d’assister aux jeux deshonnêtes, ni aux danses. »

Des Statuts Synodaux de Pierre de Colmieu Archevêque de Roüenc en 1245. « Comme les Ecclesiastiques, les Curez & les Prêtres doivent servir d’exemple aux Laïques, nous leur défendons sous de grandes peines de lutter, ni de danser. »

Des Statuts Synodaux de Milon Evêque d’Orleansd en 1314. « Nous défendons expressément aux Prêtres d’assister aux spectacles ni aux danses. »

« Du Synode de Langres e en 1404. « Nous défendons aux Ecclesiastiques, à ceux qui sont dans les Ordres sacrez, & principalement aux Prêtres, de sauter ni danser. »

Du Synode de Sensa en 1514. « Nous défendons aux Ecclesiastiques, les danses & tous les autres jeux qui deshonnorent l’Eglise. »

Des Statuts Synodaux de Valentin Evêque d’Heildesheimb en 1539. « Afin que la vie des Ecclesiastiques, & sur tout des Beneficiers, soit exemplaire & édifiante pour tout le monde, nous leur défendons expressément d’assister aux danses, aux joûtes, aux tournois, ni aux autres spectacles publics & défendus. »

Du Concile de Trentec en 1562. du Concile Provincial de Reimsd en 1564. & de celui de Malinese en 1607 qui ont renouvellé les défenses que les Papes & les Conciles ont faites aux Ecclesiastiques de danser.

Du premier Concile Provincial de Milanf en 1565. « Nous défendons aux Ecclesiastiques toutes sortes de danses. »

Des Statuts Synodaux du Cardinal de Tournon Archevêque de Lyong en 1566. « Que les Ecclesiastiques n’assistent point aux danses, ni aux bals. »

Des Statuts & Ordonnances Synodales de l’Eglise de Lyonh en 1577. « Les Ecclesiastiques fuïront toutes danses, masques, bâteleries, spectacles & comédies. »

Du Concile Provincial de Bourdeauxi en 1583. de celui de Bourgesl en 1584. & de celui d’Aixm en 1585. « Que les Ecclesiastiques ne dansent jamais, ni ne voïent jamais danser les autres. »

Du Concile Provincial de Toulousea en 1590. « Nous interdisons & défendons absolument aux Ecclesiastiques les danses & les jeux publics. »

Du Concile Provincial d’Avignonb en 1594. « Il ne faut pas que les Ecclesiastiques assistent aux danses, aux comédies ; ni aux autres spectacles profanes. »

Du Concile Provincial de Narbonnec en 1509. « Nous exhortons les Laïques, & nous enjoignons expressément aux Ecclesiastiques de ne point danser, sous quelque pretexte que ce soit, & même de ne point assister aux danses. »

« Du Synode d’Anversd en 1610. « Que les Ecclesiastiques ne dansent jamais. »

Des Statuts Synodaux du Diocese de S. Maloe en 1618. « Les Loix Ecclesiastiques défendent aux Prêtres de hanter les danses, soulles ou brelans. »

Des Statuts Synodaux du Diocese de Limogesf en 1619. « Nous défendons très-expressément aux Ecclesiastiques les tavernes, les danses, à peine d’estre châtiez selon la severité des saints Canons. »

Des Ordonnances du Diocese d’Alet, depuis 1640 jusqu’en 1659.g « Nous défendons aux Ecclesiastiques tous divertissemens scandaleux, comme sont les danses & semblables, qui scandalisent le peuple & avilissent la dignité de leur caractere, & même d’y estre presens, à peine d’estre punis selon la rigueur du Droit. »

Des Statuts & Réglemens du Diocese d’Evreuxa en 1644. « Les Curez ne se trouveront, son plus que tous les autres Ecclesiastiques aux danses, lesquelles ne se doivent permettre, sur tout aux premieres Messes. »

Des Canons Synodaux du Diocese de Clermontb en 1653. « Les Ecclesiastiques s’abstiendront des recreations indécentes à leur condition, comme bals, danses &c. »

Des Ordonnances du Diocese de Châlon sur Marnec en 1657. « Défendons aux Ecclesiastiques de nôtre Diocese de se trouver aux jeux & danses publiques, ou autres assemblées de débauches. »

Du Synode d’Aixd en 1658. « Défendons à tous Ecclesiastiques de nôtre Diocese & residans en icelui de fréquenter les bals &c. »

Des Statuts Synodaux de Sense en la même année : « Nous défendons aux Ecclesiastiques tous spectacles, farces, danses &c. »

Des Ordonnances & Instructions Synodales de Monsieur Godeau Evêque de Vencef : « Nous défendons aux Ecclesiastiques, sous peine d’amende, applicable à œuvres pies, d’assister aux bals publics & particuliers & d’y danser, sous peine de prison. »

Du Synode d’Orleansg en 1664. « Nous enjoignons aux Prêtres & à tous les autres Ecclesiastiques qui sont dans les Ordres sacrez de s’abstenir de toutes sortes de danses &c. »

Des Statuts Synodaux du Diocese d’Evreux aussi en 1664. « Conformément aux saintes Loix des Conciles, nous défendons à tous Ecclesiastiques les spectacles, bals, comme aussi d’assister à toutes ces choses. »

Des Ordonnances du Diocese d’Autuna en 1669. « Défendons à tous les Ecclesiastiques de se trouver aux jeux & danses publiques, & autres divertissemens illicites. »

Des Statuts Synodaux du Diocese d’Agen, depuis 1666. jusqu’en 1673.b. « Nous interdisons aux Ecclesiastiques tous spectacles publics, danses, bals &c. »

Du Synode d’Aixc en 1672. « Défendons à toutes les personnes Ecclesiastiques d’assister aux danses &c. »

Des Constitutions & Instructions Synodales de S. François de Sales & de M. d’Arenton d’Alez, Evêques de Genéved : « Nous faisons défense à tous Prêtres, sous peine de prison, de danser en quel temps, quel lieu, & quelle conjecture que ce soit. »

Et enfin des Statuts Synodaux du Diocese d’Alet, depuis 1640. jusqu’en 1674.e « Les Ecclesiastiques s’abstiendront de tous spectacles, danses, mascarades &c. »

Je ne fais pas de doute, après tous ces témoignages, que ce que nous lisons dans l’Histoire du Cardinal d’Amboisef, ne mérite plus de blâme que de loüange, que le Roi Loüis XII. estant au bal à Milan, les Cardinaux de Narbonne & de Saint Severin y danserent devant sa Majesté.

Je n’ai point marqué en particulier qu’il fût défendu aux Religieux & aux Religieuses de danser ; & même d’assister aux danses & aux bals ; parce que cela s’infere assez naturellement de ce que je viens de dire des Laïques & des Ecclesiastiques ; & on doit porter le même jugement des autres recreations que j’ai fait voir n’estre pas séantes ou permises ni aux Laïques ni aux Ecclesiastiques.