(1759) Lettre d’un ancien officier de la reine à tous les François sur les spectacles. Avec un Postcriptum à toutes les Nations pp. 3-84
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(1759) Lettre d’un ancien officier de la reine à tous les François sur les spectacles. Avec un Postcriptum à toutes les Nations pp. 3-84

Lettre sur les spectacles.
(P. 25.)*

Tantum series juncturaque pollet.
CHERS FRANÇOIS,

IL est du devoir de tout Chrétien, de tout Citoyen, de déférer au tribunal de la Justice toute manœuvre sourde & secrette, dès que venant à sa connoissance elle lui paroît tendre au détriment de la Religion & de l’Etat. C’est ce devoir que des Magistrats plus Chrétiens encore que Citoyens, ont rempli il y a aujourd’hui trois mois, en dénonçant à la Cour nombre d’Ecrits dangereux, entr’autres le Livre de l’Esprit, & le Dictionnaire Encyclopédique, & en dévoilant à ses yeux une partie du venin caché dans ces ouvrages, qu’on nous annonçoit comme devant servir à éclairer le monde, & qui sont démontrés n’être que l’œuvre du Pere du mensonge & de l’esprit de ténèbres.

Le rapport qu’ils en ont fait d’une manière si digne de la plume des Princes de l’Eglise, ne peut qu’être un sujet de triomphe pour tous ceux en qui il reste encore quelque amour pour la Religion dont le flambeau leur a servi de guide : Mais le dirai-je ? le plaisir extrême que je trouve à sa lecture, depuis six semaines qu’il m’est tombé entre les mains, n’est si grand pour moi que parce qu’il m’en promet un autre plus grand cent fois que celui de voir brûler des Livres, c’est celui de voir dans peu renverser tous nos Théâtres : la cognée me semble déjà mise à la racine de l’arbre : quel nouveau sujet de triomphe se prépare pour Nous, François, qui depuis si long-temps… Vous doutez, la chose ne vous paroît-elle pas croyable ? Me ferois-je donc illusion ? & trouverois-je mon plus grand plaisir à ne me repaître que d’un phantôme ? Quoi ! vous voyez qu’on nous arrache d’entre les mains des Livres qui nous donnent sourdement des leçons d’irréligion & d’indépendance, & vous prétendez qu’on nous laissera des spectacles qui nous donnent publiquement des leçons d’irréligion & d’indépendance ? Quirites (P. 26.) hoc, puto, non justum est.

Pour fortifier (P. 17.) ma pensée, entrelaçons la branche au tronc, & donnons au tout cette unité si favorable à l’établissement de la vérité & à la persuasion, opposons les notions, saisons contraster les principes, attaquons, ébranlons, renversons un tas d’opinions ridicules qu’on ose établir ouvertement .

Ennemis de toute partialité, ayons la double satisfaction de confirmer & de réfuter…

Par respect pour un goût national, exposons-le respectueusement & avec tout son cortège de séduction ; mais renversons l’édifice de fange, dissipons un vain amas de poussière, en renvoyant à des sources pures & irréprochables, où des principes solides servent de base aux vérités opposées à ce goût dépravé. Cette manière de détromper les hommes opère très-promptement sur les bons esprits, & elle opère infailliblement & sans aucune (P. 18.) fâcheuse conséquence, secrettement & sans éclat sur tous les esprits… Si ces renvois de confirmation & de réfutation sont prévûs de loin & préparés avec adresse, ils donneront à cette Lettre que j’ai l’honneur de vous adresser, chers Compatriotes, le caractère qu’elle doit avoir pour changer la façon commune de penser… Elle aura des défauts d’exécution, j’y consens ; mais le plan & le fonds en seront excellens ; nous en déduirons, sinon ouvertement, du moins tacitement, la conséquence la plus forte contre nos théâtres, puisque nous serons forcés de conclure qu’après avoir jetté la branche au feu, il y faut encore jetter le tronc : Telle est la force des renvois.

    Tantum series juncturaque pollet,
Tantum de medio sumptis accedit honoris !
Horat. Art. Poet. Vers. 243.

L’esprit de force & de vérité qui étoit hier pour confondre & faire taire (P. 22.) des oracles de l’impiété, qui livrés à leur imagination , sous le manteau d’Hommes de Lettres, induisoient en erreur leurs Concitoyens, & pervertissoient le monde en refusant de subordonner la science des mœurs à celle de la Religion , est encore aujourd’hui pour confondre & faire taire des Oracles de l’impiété, qui livrés à leur imagination, sous le masque d’hommes de théâtres , induisent en erreur leurs Concitoyens, & pervertissent le monde, en refusant de subordonner la science des mœurs à celle de la Religion : donc ils vont se taire ces anciens oracles de l’impiété, depuis si longtems confondus ; donc le renversement des théâtres, cet avenir que je ne vois qu’à la faveur du flambeau qui m’est présenté par Thémis même, ne peut être ni incertain ni éloigné.

Le principe est vrai, il est sacré  : (aux Heb. 13. v. 8.) la conséquence est juste ; deux poids & deux balances , (Prov. 20. v. 10.) sont en abomination aux yeux de la Justice . Mais ne consultons que la raison ; elle nous dit qu’en vain d’un bras cette Justice chasseroit du milieu de nous (p. 2.) une société formée pour soutenir le Matérialisme, pour détruire la Religion, pour inspirer l’indépendance & nourrir la corruption des mœurs… (p. 16. 17.) des Ecrivains dangereux, des hommes sans pudeur, ennemis de l’autorité & du Christianisme, dont ils ont vainement juré la perte , si de l’autre elle ne chasse du milieu de nous une troupe formée pour entretenir le Matérialisme, pour détruire la Religion, pour inspirer l’indépendance & nourrir la corruption des mœurs… des déclamateurs dangereux ; des hommes sans pudeur, ennemis de l’autorité & du Christianisme dont ils n’ont que trop efficacement juré la perte.

En effet qu’importe-t-il au Christianisme que la plume de ceux-là ne puisse plus nous apprendre (p. 13. 14.) que la maniere d’adorer le vrai Dieu ne doit jamais s’écarter de la raison, parce que Dieu est l’auteur de la raison, & qu’il a voulu qu’on s’en servît même dans les jugemens de ce qu’il convient de faire ou ne pas faire à son égard ;… langage du Déiste, ennemi de la révélation  : qu’elle ne puisse plus nous dépeindre (P. 6.) les Ministres de la Religion, comme des Pedans épris d’une fausse idée de perfection, des Moralistes déclamateurs & sans esprit, dangereux dans un Etat, des Prêtres de Moloch… des Fanatiques… qui veulent qu’on tienne les Peuples prosternés devant les préjugés reçus comme devant les Crocodiles sacrés de Memphis, ni enfin nous enseigner qu’il faut d’une main hardie briser le talisman d’imbécillité auquel est attachée la puissance de ces génies malfaisans  : Si la bouche de ceux-ci peut s’ouvrir encore pour traiter par celle d’Hypermnestre (édition 1759) ces mêmes Ministres de fourbes dont la langue au mensonge vendue, veut en prenant sur nous un funeste ascendant, paroître nous servir en nous intimidant , & pour nous dire que quand un Prêtre a parlé d’un avenir, c’est foiblesse de trembler sur sa foi , à moins qu’on ait vû sur lui la vérité descendre ?

Un poison étant d’autant plus malin qu’il est plus caché, quelle est la malignité de celui qu’on nous présente ici sous le voile de la fiction ? L’Auteur a-t-il voulu nous faire naître un doute impie sur la certitude de la révélation ? Je n’en sçais rien ; mais l’Actrice ne réussit que trop à le faire passer dans tous ses Spectateurs : les acclamations & les applaudissemens qui l’interrompent, lui sont garands de son succès : Severe ne réussiroit pas mieux, quand il nous diroit encore.

Peut-être qu’après tous ces croyances publiques
Ne sont qu’inventions, de sages politiques
Pour contenir le Peuple ou bien pour l’émouvoir,
Et dessus sa foiblesse affermir leur pouvoir*.

L’Incrédule triomphe également à l’école d’une femme ou d’un Payen, à l’ombre de la Fable ou d’un peut-être, quand il peut applaudir impunément & en public à son incrédulité. Qu’on ne dise pas que ces applaudissemens se rapportent plus au jeu de notre Melpomène qu’à ses paroles : les hommes d’aujourd’hui rougiroient de passer pour être moins impies qu’automates ; ils auroient honte de paroître se laisser plus transporter par ces cheveux hérissés d’horreur… ces regards égarés, ces sons de voix plus lents , par ce jeu de l’Actrice ; en un mot, que sentir tout le beau de la question, d’où le sçait-il ? Convenons-en plutôt, à la honte éternelle de nos déclamateurs ; ce sont là de ces beautés qui pourroient échapper à la lecture, mais qu’on ne peut s’empêcher de sentir aux théâtres.

Théâtres, écoles publiques d’irréligion, où, si l’on ne regarde pas l’existence de Dieu (P. 14.) comme problématique , on tourne en ridicule (Festin de Pierre) les preuves qu’on en a.

Où, si les moralités de l’Evangile sont annoncées, c’est d’une manière à les rendre méprisables.

Où, si le dogme des peines d’une autre vie , n’est pas combattu, on se fait un jeu des foudres du Ciel & des feux de l’enfer.

Où, si l’on ne se met point en peine de nous prouver la nécessité de travailler aux jours de Dimanche , non plus que celle de supprimer nombre de Fêtes, ni de supputer la perte que fait le commerce par l’inaction des Ouvriers , des Ouvriers d’iniquité, semblent redoubler d’action en ces saints jours pour nous les faire profaner & assurer par cela seul, autant qu’il est en eux, la perte de nos ames.

Où, si l’on n’imprime pas (p. 9.) la note de méchanceté à ceux qui se consacrent aux devoirs & aux conseils de la Religion , on nous met dans une espéce de nécessité de devenir méchant par celle qu’on nous impose de transgresser les préceptes.

Où, si l’on ne nous dit pas en termes formels (p. 5.) qu’il n’y a point de véritable liberté dans l’homme, & qu’on ne peut se former aucune idée de ce mot appliqué à la volonté , Phédre & Oedipe nous apprennent que le Ciel punit l’homme des péchés qu’il lui fait commettre.

Où si l’on n’a pas encore prouvé, (p. 7.) que l’espoir ou la crainte des peines ou des plaisirs temporels, sont propres à former des hommes vertueux , l’ancien Venceslas récompensoit le vice & punissoit la vertu : le Moderne fera-til grace ce vice choquant ?

Où, si de graves Magisters paroissent de temps en temps sur la Scène, (Athalie) pénétrés de la plus grande confiance en celui qui met un frein à la fureur des flots contre les complots des méchans, soumis avec respect à sa volonté sainte, craindre Dieu, & ne craindre que lui  ; en un mot, (p. 20.) respecter quelquefois la vérité, ce n’est que pour mieux pallier l’iniquité de leur systême, & peut-être même pour fournir en leur faveur des prétextes à ceux qui sont assez foibles ou assez téméraires pour oser encore les justifier .

Enfin écoles d’irréligion, ou, si l’on ne soutient pas ex professo le matérialisme, c’est que le croyant bien établi, on pense n’avoir qu’à l’entretenir : & voici comment on y réussit.

L’Oracle de la vérité nous apprend, (Luc 12. v. 4. 5.) à craindre ceux qui peuvent tuer nos ames, & non ceux qui ne peuvent que nous ôter la vie du corps .

Pleins de ces salutaires instructions qui doivent nous être toujours présentes, même dans la recherche de nos plaisirs, nous entrons dans une salle de spectacle, qu’y voyons-nous ? nombre de satellites préposés par une sage police pour nous contenir dans l’ordre, la paix & la tranquillité ; au coup de sifflet la toile se lève, paroissent de nouveaux satellites en plus grand nombre encore, préposés par le diable, pour jetter dans nos cœurs le trouble, la confusion & le désordre, suites inévitables des passions qu’ils font naître ou qu’ils fortifient.

Satellites politiques, on vous craint, & vous êtes moins pour menacer nos vies, que pour nous ménager nos bourses ! Satellites diaboliques, on ne vous craint pas, & vous ne sçavez que nous frayer cette voie large & spacieuse qui mène à la mort éternelle ! Ce n’est pas tout : comme pour nous enhardir à vous voir, à vous entendre sans effroi, un homme à rabat nous épaule au Parterre, dans les Lôges & jusques sur le Théâtre. Est-ce donc là ce fourbe que vous venez de nous dépeindre comme nous annonçant un avenir qu’il ne croit pas ? O, supôt de satan, tout à la fois le scandale des Fidèles & l’opprobre de l’Eglise, combien d’entre nous qui, n’étant entrés à ce spectacle qu’à ton exemple, peut être qu’à tes instances, n’en sortiront que pour prêcher avec toi, (p. 20.) la Religion naturelle, le Matérialisme, le Déisme ou l’Athéisme ! & comment ne pas savoir gré à l’esprit qui à ce coup d’œil imagina (p. 9.) des vertus de préjugé… une corruption religieuse & politique , de ce qu’au lieu de nous avoir parlé de vraies vertus, il ne nous a pas dit que tout meure avec nous.

Religion sainte, si nos Peres vous ont joué sur leurs théâtres, leur simplicité semble les mettre à l’abri de tout reproche : mais comment nos enfans nous justifieront-ils des combats que nous vous livrons sur les nôtres dans un siécle où, sans parler de nos esprits forts , (p. 3.) de nos prétendus Philosophes , (p. 20.) ils ne pourront s’empêcher de reconnoître qu’il y aura eu dans tous les genres (p. 20.) des génies du premier ordre, la gloire de la Nation, les restaurateurs de la vraie science, & les bienfaiteurs de l’humanité .

J’ajoute écoles d’indépendance : nos Ecrivains nous en donnent-ils des leçons plus fortes que nos déclamateurs ? Voyons les uns, écoutons les autres.

Toute liberté est si précieuse à ceux-là , que selon eux, (p. 15.) aucun homme n’a reçu de la Nature le droit de commander aux autres.. Que si la Nature a établi quelqu’autorité, c’est la puissance paternelle. Cela est vrai, malheureusement ils ajoutent que, toute autre autorité a pour origine… ou la force & la violence de celui qui s’en est emparé, ou le consentement de ceux qui s’y sont soumis par un contrat fait ou supposé entr’eux & celui à qui ils ont déféré l’autorité . Et voilà ce qui les rend coupables.

Ceux-ci nous disent dans l’Orphelin de la Chine,

Va, le nom de Sujet n’est pas plus grand pour nous,
Que ces noms si sacrés & de Pere & d’Epoux.

Cela est vrai, aussi n’est ce pas ce qu’ils veulent nous dire, ces peres du mensonge, mais plutôt :

Va, le nom de Sujet n’est pas si grand pour nous
Que ces noms plus sacrés & de Pere & d’Epoux.

Car ils ajoutent aussitôt :

La nature & l’hymen, voilà les loix premieres,
Les devoirs, les liens des Nations entieres,
Ces loix viennent des Dieux : le reste est des humains.

Mêmes conséquences (p. 15.) se présentent ici d’elles-mêmes : partout maximes bien différentes (p. 16.) de celles de l’Apôtre, qui nous apprend qu’il n’y a point de puissance qui ne vienne de Dieu, & que c’est lui qui a établi toutes celles qui sont sur la terre .

Mais tant que celles-ci seront débitées avec de si grands applaudissemens, quel fruit les Princes de l’Eglise pourront-ils attendre de leurs exemples & de leurs instructions ? Ils auront beau regarder les Rois de la Terre comme les dépositaires de l’autorité de Dieu même, comme des Divinités sensibles, ils enseigneront en vain qu’il est donc nécessaire de s’y soumettre non seulement par la crainte du châtiment, mais aussi par un devoir de conscience. doctrine seule véritable & qui affermit le bonheur des Rois & des Peuples .

Est-ce un esprit de fanatisme ou de révolte qui a placé cette maxime, le reste est des humains dans l’Encyclopédie à l’Article Fanatisme ? Je n’en sçais rien. Quelles impressions a-t-elle faites sur ceux qui l’y ont vue ? Je n’en sçais rien encore : à en juger par moi, elle n’a causé qu’un mouvement d’indignation contre celui qui le premier l’a mise au jour ; mais j’ai été témoin avec un étonnement qui dure encore, du frénétique enthousiasme qui s’empare de la multitude au débit qui s’en fait sur le Théâtre. Est-ce donc là une de ces beautés (Lettre de M. Rousseau de Genève à M. de Voltaire, dans le Mercure de Novembre 1755, pag. 66.) que nous devions applaudir dans l’Orphelin, à peine de passer pour grimaud ? Non, non, justice & vérité ; voilà les premiers devoirs de l’homme . (Lettre du même à M. Dalembert sur son Article Genève, dans l’Encyclopédie, Préface, page 3.)

A tant de battemens & des piés & des mains prodigués à l’erreur & au mensonge, on voit assez triompher le sentiment de cette liberté si précieuse & tant vantée ; mais comment y reconnoître cet amour gravé dans tous nos cœurs pour un Souverain, pour un Pere à qui nous avons donné le titre de Bien-aimé ?

Accès de frénésie qui troublez les théâtres, pourquoi me forcez-vous de rappeller ici ces accès de rage qui troublent les Etats, qui ébranlent les trônes, & renouvellent (P. 11.) tant d’anecdotes scandaleuses capables de faire frémir tout Citoyen fidèle & tout sujet soumis  ? Que de graces à rendre au Ciel s’ils ne sont pas plus communs de nos jours, ces monstres, dont les noms serviront à jamais pour désigner les cœurs pervers ! La justice humaine & ses tortures ne pourroient rien contre les puissances de l’enfer qui se liguent pour les faire naître, si le malheureux germe n’en étoit étouffé par le Tout-puissant, dont le bras est toujours levé pour défendre ses oingts, jamais sa protection ne fut plus visiblement marquée ; puisse t-elle n’être pas mise à de nouvelles épreuves ! Peut être ne faut-il pour cela que le renversement des théâtres : la Religion & l’Etat ne sont pas les seuls qui le demandent ; la société le veut encore.

Y auroit-il en effet plus (p. 11.) d’écarts raison, de décence, d’amour de la société à méconnoître les vrais fondemens de l’amitié, & à substituer en leur place (p. 12.) des hypothèses chimériques & indécentes en nous donnant (p. 11.) le besoin pour la mesure du sentiment , & par une suite toute naturelle, des amis de plaisirs, d’argent, d’intrigues d’esprit & de malheurs , qu’à nous inspirer la haine & la vengeance au mépris des loix divines & humaines ? Eh ! quoi ! comme si pour nous animer à répandre le sang, ce n’étoit point assez de nous dire, (le Cid) dans un langage ordinaire : meurs ou tue. J’entends une voix meurtrière nous dire encore au son des instrumens, dans l’Opéra de Pyrame & Thysbé,

 Qui craint de se venger mérite qu’on l’outrage.

Une autre encore nous en a dit à peu-près autant dans l’acte d’Alphée & d’Aréthuse.

Quelle fureur sur nos théâtres à pervertir les meilleures choses ! Par quel affreux revers la Musique, ce présent des Dieux accordé aux hommes pour écarter le triste souvenir de leurs maux, en leur inspirant & la tendresse & la gaîté, est-elle employée de nos jours à leur faire naître à chaque instant des sentimens de fureur & de rage, en rendant ineffaçables en eux le souvenir d’une injure ? Quel besoin est-il donc de leur donner en tant de différentes manières & sous des formes si séduisantes des leçons de la force, desquelles ils ne sont déjà que trop instruits (p. 12.) par l’amour-propre, qui est dans le cœur de tous les hommes  ?

Le bel amusement ! auroit dit le Prince des Orateurs, qui le premier porta le titre plus glorieux encore de Pere de la Patrie, si ce genre de plaisir n’eût pas été réservé pour nous. La belle Philosophie ! disoit-il, (p. 12.) retrancher l’amitié de la vie, c’est ôter la lumière du monde. Oracle du Sénat Romain ! qu’est-ce donc d’y perpétuer l’inimitié, sinon (p. 7.) nous montrer la terre n’offrant de toutes parts que le vaste, le dégoutant & l’horrible charnier du ressentiment  ?

Pour nous épargner la vûe d’un tel spectacle, ne suffiroit-il pas de nous aimer (p. 12.) comme on aime les troupeaux à proportion du profit qu’on en retire  ? Mais de quelle amitié sont capables des hommes dont la langue est un glaive tranchant (Ps. 56. v. 6.) dont le gozier est un sépulcre ouvert  ; (Ps. 13. v. 5.) qui… avec un cœur de bête (Dan. 4. v. 13.) dévorent tout un peuple dont ils se font un pain de chaque jour , (Ps. 13. v. 8.) ne sçachant que s’engraisser de sa substance pour prix de sa grande bonté, qui les tire du sein de la poussière pour les plonger dans l’abondance & les délices . (2. Esdras, 9. v. 5.)

Plus que jamais (p. 4.) ils déchirent le sein de l’Eglise , sans doute pour se venger d’elle de ce qu’elle les a retranchés du nombre de ses enfans, & comme si l’Etat étoit coupable à leurs yeux parce qu’il est Chrétien , ou qu’il les souffre, ils conjurent la perte de l’une & de l’autre, & cherchent à les sapper par le fondement .

Si tant que ce retranchement subsistera, ils n’ont point de pardon à attendre, qu’ils nous laissent espérer le nôtre, (Matt. 6. v. 12.) selon la mesure de celui que nous accorderons à nos frères… S’ils ne veulent pas jouir (p. 5.) avec nous des lumières de la vérité, qu’ils nous laissent en possession de notre créance ; qu’ils voyent parmi les ours à trouver des caractères analogues à leur manière de penser… & à leurs maximes capables de troubler l’ordre de la société . Veulent-ils faire de nous un peuple de gladiateurs, ces hommes qui ne respirent que le sang & le carnage ? Qu’ils s’entretuent plutôt eux-mêmes ! Nous nous passerons de leurs maximes, que nous ne pourrions prendre pour règles de notre conduite, sans manquer à la majesté du trône : notre religieux Monarque avant que d’y monter, a fait un vœu spécial d’employer toute sa puissance pour arrêter la fureur des duels, & par-là nous a intimé ses volontés, ou plutôt celles de Dieu même, qui ne s’est reservé qu’à lui seul le droit de la vengeance, mihi vindicta , (Rom. 12. v. 19.) Quelle est donc la mission de ces hommes de néant ? (p. 21.) Quel est leur caractère, pour s’ériger en réformateurs publics de la Religion & de l’Etat ? pour oser nous apprendre (p. 22.) à nous délivrer du joug de toute autorité  : n’en connoissent-ils aucune ? Meurs ou tue ! Grand Dieu ! & que veux-tu faire de la chair de l’occis ? Bête féroce ! la veux-tu manger ? Tais-toi, voix sépulcrale ; Chrétiens & Citoyens, nous croyons que le sang ne doit couler que pour la Religion & la Patrie.

Mais ce n’est pas assez : (p. 2.) O dementiam hominum omnibus lacrimis, gemitibusque deplorandam ! Peut-on se dissimuler qu’il n’y ait un projet conçu par cette troupe d’hommes corrompus & corrupteurs pour nourrir la corruption des mœurs ? Et quand ils supplieroient très-humblement (p. 30.) de vouloir bien considérer que leurs excès ont pour principe l’égarement de leurs esprits plutôt que celui de leurs cœurs , c’est tout au plus parmi les Turcs ou les Chinois matérialistes qu’ils trouveroient des Juges assez indulgens pour leur donner acte d’une pareille supplication, & y avoir égard.

Qui de nous ne sçait pas qu’il est une école parmi eux où l’art dévance la nature pour leur apprendre & leur faire apprendre aux autres celui (p. 22.) de bannir toutes les vertus, & d’établir le règne des passions  ? Par un excès d’indécence aussi criant que ridicule, ne les voyons-nous pas encore exercer cet art damnable, lors même que la nature ne parle plus en eux, & qu’ils ne sont plus bons que, ce qu’on appelle, pour le conseil ? Ainsi donc leurs cœurs dépravés passent de l’enfance à la vieillesse & descendent avec eux dans le tombeau, ayant toujours voulu ce qu’ils ont voulu d’abord : nourrir la corruption des mœurs .

Projet infame que les théâtres d’Athênes & de Rome payenne, avec toutes leurs obscénités, n’ont jamais mieux rempli que les notres avec ce vernis d’honnêteté dont on prétend qu’ils sont couverts : que la couche en est légére, puisqu’il se fait si peu sentir ! Où est-il, en effet, ce vernis, qui n’est si vanté que par ceux qui seroient bien fâchés qu’il y fût ? A quelle sorte de spectacle nous faut-il aller pour le trouver ? Est-ce à Tragédie, Comédie, Opéra petit ou grand, Bal ou Ballet ? Par-tout (il n’y a que du plus ou du moins) je vois avec l’élégant Solitaire de Bretagne, (Mercure d’Août 1758.) le cinisme de la licence ombrager la tête de la galanterie de son pennage orgueilleux ; la hardiesse, mere du vice regner dans des yeux impudens, comme dans ceux des Bacchantes échevelées, quand un thyrse à la main, elles fouloient aux pieds les sages loix de la pudeur ; des demi-robes parsemées des couleurs de la débauche & semblables à celles des Filles de Sparte, quand presque nuës elles alloient disputer le prix des exercices gymmiques ; le feu des peintures dangereuses vomi par cent bouches impures, comme les flammes de l’Etna pour le malheur de ceux qui l’environnent ; une jeunesse novice portant d’une main la torche ardente de la passion aveugle, & de l’autre le frêle roseau de l’inexpérience, aller en foule porter dans le gouffre de la corruption les tendres fruits de l’éducation, les racines déliées de la vertu & les fleurs délicates de la santé .

Quelle touche ! que le pinceau en est délicat ! quel coloris ! que les couleurs en sont naïves ! Pour ne pas reconnoître l’original de ce portrait dans nos spectacles, quel aveuglement dans l’esprit faut-il avoir ! quelle corruption dans le cœur ! Disons mieux, quelle mauvaise foi ! quel delire  ! (p. 22.) c’est marcher en plein jour comme des aveugles au milieu des ténèbres .

A moins que d’être du nombre de ces aveugles volontaires, qui n’y reconnoîtra sur-tout cet inimitable Prothée qui se transforme à nos yeux tantôt comme un sultan généreux au milieu de son serrail qui malgré nous, nous transporte à Constantinople, & tantôt comme un heros avanturier ; (deux Balets Pantomimes du Théâtre Italien.) qui fait paroître au milieu de nous cette isle enchanteresse de Calypso, qu’aucun Géographe ne sçavoit encore où placer.

De quelle trempe es tu ? Mentor, au milieu du brasier de ton Télémaque, tu es froid comme glace, & notre Paradis même est tout en feu.

C’est sous le double point de vuë que nous présentent cette isle & ce serrail, qu’il ne manque rien au tableau ; je me trompe, il est au-dessous de l’original.

Ce seroit trop peu pour cet infame sauteur de nous montrer le feu des peintures dangereuses, vomi par cent bouches impures , il nous le fait voir étincellant dans deux cens yeux lascifs. Quel embrasement se prépare sur ses pas forcenés ! Les fleurs délicates de la santé pourront-elles echapper aux flammes ? Quel homme puissant en inquité  ! (Ps. 51 v. 13.) un pas, une œillade de chacune de ses infames complices, porte une étincelle seule capable d’allumer deux mille torches ardentes de la passion aveugle pour le malheur de tous ses Spectateurs : Qui pourra donc calculer le nombre de ses forfaits ? Quelle horreur me saisit ! au milieu de ces sultanes & de ces nymphes, de tant de beautés molles, de tant de langueurs passionnées, de ces flambeaux ardens, de ces fléches aiguës, de ces dagues tranchantes, c’est là sans doute un ministre de Satan vomi par l’enfer, pour nous faire arborer le turban, & introduire parmi nous (p. 10.) le culte des temples de Venus & d’Astarté . Terre, vous ne vous entrouvrez pas sous nos pieds ! Ciel, vous ne lancez pas vos foudres sur nos têtes ! Ciel & terre, suspendez les effets d’un juste courroux ; déja le Philosophe qui nous a prêché ce culte (p. 11.) comme un objet digne de notre adoration & capable de nous consoler du malheur d’être , subit la peine de sa témérité ; le pantalon qui l’exerce & le réalise à nos yeux, échapperoit-il au glaive de la Justice ? le Ministre trouveroit-il encore un sujet de triomphe dans ce qui couvre l’Apôtre de confusion & d’opprobre ? Disons plutôt, son sort peut-il être autre que celui de ces Auteurs (p. 23.) qui pour avoir composé des vers contre l’honneur de Dieu, son Eglise & l’honnéteté publique, ont été condamnés aux supplices les plus affreux, comme criminels de lèze Majesté Divine .

O temps ! ô mœurs ! quelle fureur (p. 20.) sur nos théâtres à enflammer nos desirs  ! Qui nous consolera du malheur d’être dans ces jours malheureux, où un délire cynique met tout en œuvre, Tragique, Comique, Dramatique, art déclamatoire & Pantomime, pour porter le fer & le feu dans nos Villes & nos campagnes ? Serons-nous donc forcés, en déplorant notre condition, de desirer d’avoir des pattes ?

Sans avoir (p. 27.) dans le Livre de l’Esprit , Unde animi constet natura , ne peut-on pas dire de la faculté d’aimer, (de cet amour bien entendu dont il est ici question) ce qu’il n’est pas permis de dire de la faculté de penser  ? (p. 5.) N’est-ce pas-là cette puissance passive, cette sensibilité physique qui nous est commune avec les animaux  ? Pour établir qu’elle a dans nous quelque infériorité, aura-t-on recours à la difference du physique  ? Dira-t-on : ceux-ci ont des pattes, & l’homme a des mains  ? Qu’il seroit ridicule… Le principe de cette infériorité  !

Puis donc que la Nature, par des raisons aussi proportionnées à la sagesse du Créateur qu’au bonheur de la créature, a mis dans l’individu de chaque espèce d’animaux, soit à mains soit à pattes, un égal penchant à s’unir au sexe pour lequel il est fait, à quoi bon vouloir tant nous l’apprendre, & employer pour cela tant d’art inconnu chez les bêtes ? sinon pour nous mettre au dessous d’elles en nourrissant parmi nous (p. 9.) une corruption religieuse, toute espèce de libertinage qu’elles ne connoissent pas, & principalement celui des hommes avec les femmes .

Tel est le genre de services (p. 10.) plus importants que ceux des plus sévères Anachorettes… rendus à la Patrie par nos héros & héroïnes de théâtre, tous tachés de cette espèce de corruption de mœurs qu’ils sçavent allier toujours à la magnanimité, à la grandeur d’ame, à la sagesse, aux talens, enfin à toutes les qualités qui forment les grands hommes parmi eux. Avoueroient-ils bien (p. 9.) que cette espèce de corruption…… est sans doute criminelle, puisqu’elle offense Dieu,… qu’elle est sans doute criminelle en France puisqu’elle blesse les loix du pays  ; Ils aimeroient bien mieux pouvoir nous démontrer qu’elle n’est point incompatible avec le bonheur d’une Nation , eux qui ne se contentent pas de nous fournir un moyen absurde pour nous faire un jeu de ce crime , mais qui en Apologistes infatigables se font sous toutes sortes de formes un honneur, une étude, un capital de nous en fournir tous les jours de nouveaux moyens.

Moyens aujourd’hui si multipliés qu’il est surprenant, suivant la pensée d’un Auteur Comédien, (Louis Riccoboni, dans son Livre de la Réformation du Théâtre, pag. 34. qui écrivoit en 1740, & dont le témoignage ne peut manquer d’être ici d’une grande autorité sur tous les esprits). Qu’il n’arrive pas au Théâtre moderne ce qui arriva au Théâtre d’Athênes, où les Spectateurs ennuyés d’entendre depuis longtemps des chansons Dyonisiannes, crierent tous unanimement : plus de Bacchus, plus de Bacchus  ; & que notre parterre ne se mette pas à crier : plus d’amour, plus d’amour. En effet n’est-il pas ridicule qu’en allant au Théâtre on soit forcé d’entendre toujours des Amans épancher leur cœur en fades expressions de tendresse, ou se lamenter & se désespérer de ne pouvoir surmonter les obstacles qui les arrêtent ? Y a-t-il rien de plus ennuyeux que de voir toujours des rivaux de commande pour les traverser dans leurs passions ? des valets & des suivantes pour les aider dans leurs extravagances ? toujours même chose ! Eh, que l’on crie donc à la fin : plus d’amour, plus d’amour !

Pourquoi donc la voix d’un tel homme n’a-t-elle encore pû se faire entendre parmi nous ? Seroit-ce parce qu’il semble avoir adressé la parole aux Russes en dédiant son Livre à leur Impératrice ? Ah ! chers François, plût à Dieu que pour me faire entendre à vous il ne me fallût qu’adresser cette Epître à notre auguste Reine ! De quelle joie son cœur seroit-il transporté à la vûe du nouveau triomphe qu’elle vous verroit préparer à une Religion qu’elle aime tant, & à la quelle elle est si chere !

De quelle joie serois-je transporté moi même dans une circonstance aussi propre à lui faire agréer un hommage public de mon respect, moi qui ai l’honneur d’être attaché à son service ! Mais n’est-ce pas plutôt, comme le dit encore le même Auteur, (p. 106.) parce que sentant toute la grandeur de la maladie, nous craignons qu’en y appliquant les remèdes proportionnés qu’il nous propose, le malade ne périsse dans l’opération ?

Enfans ingrats & rebelles, (pag. 22.) méconnoîtrons-nous toujours l’Auteur de tous les dons, & semblables à ces insensés dont parle un Ecrivain sacré , dirons-nous toujours : retirez-vous de nous, nous n’avons pas besoin de vos lumières ? O insensés ! s’écrie l’Apôtre, (Gal. 3. v. 1.) qui vous a fasciné le cœur au point de ne pas vous rendre à la vérité ? Son flambeau en est-il moins lumineux pour être porté par un homme qui dans sa Préface dit n’être ni sçavant ni homme de Lettres ? ou son tonnerre n’a-t-il de force qu’autant qu’il part du troisième Ciel ? Ecoutez donc, (Eph. 5. v. 4. 6.) Qu’on n’entende point parmi vous de paroles deshonnêtes ni de folles, ni de bouffonnes, ce qui ne convient pas à votre vocation… Que personne ne vous séduise par de vains discours, car c’est pour ces choses que la colere de Dieu tombe sur les hommes rebelles à la vérité. Quels coups de foudre capables d’écraser nos Théâtres sur lesquels (p. 3.) selon les principes d’une science mondaine, qui n’ont pour fondemens que la sagesse humaine & les impressions des sens , le moindre des crimes est de nous entretenir des choses mêmes qui nous sont ici défendues !

Qu’ils soient donc déracinés ces arbres maudits qui ne nous présentent qu’un fruit justement défendu, puisque le meilleur n’en vaut rien : oui, quand nous n’aurons plus à verser des larmes sur un faux Joas, nous n’en serons que plus disposés à nous laisser efficacement attendrir sur une infinité de véritables Lazares en faveur desquels de vils animaux semblent nous reprocher une insensibilité qu’ils n’ont pas : quand, à l’ombre de ces arbres de la science du mal, une Précieuse, un Petit-Maître n’apprendront plus à se corriger d’un ridicule, eux & deux mille avec eux, n’y apprendront plus à commettre tous les vices.

Qu’elle tombe pour ne jamais se relever (Apocal. 18. v. 2. 3. 4.) cette grande Babylone, la demeure des démons, la retraite de tout esprit impur qui fait boire aux Grands de la terre, qui nous fait boire à tous le vin de sa prostitution ! Entendrons-nous toujours une voix du Ciel nous dire : Sortez du milieu d’elle, Mon Peuple, de peur qu’ayant pris part à ses iniquités, vous ne partagiez ses châtimens ? Et où irons-nous ? Grand Dieu ! Faut-il nous expatrier ? Cette hydre à cent têtes occupe cent de nos villes, & son haleine empestée pullulant à chaque souffle, fait que la France notre mere n’est qu’une playe depuis la tête jusqu’aux pieds . (Job. 2. v. 7.) O France ma patrie, aussi loin de l’ourse que de la canicule, à quoi tient-il que tu ne fois pour nous un Paradis terrestre ? Que dis-je, hélas ! Quand nous n’aurions pas à combattre tous ces ennemis étrangers, n’aurions-nous pas encore cet Ange de Satan (Cor. 12. v. 7.) qui jamais n’entra dans ce lieu de délices & qui poursuit les Jéromes jusques dans les déserts ? N’aurions-nous pas encore ce lion rugissant (1. Pier. 5. v. 8.) qui toujours rodant autour de nous pour nous dévorer , fera toujours de cette terre une vallée de larmes où nous ne pouvons (Phil. 2. v. 12.) opérer notre salut qu’avec crainte & tremblement  ? Est-ce donc pour multiplier nos allarmes & les trophées du diable, que nous voyons tous les jours se multiplier parmi nous ces Géans fameux, (Gen. 6. v. 4.) ces hommes puissans, qui (p. 6.) jaloux d’étendre la domination de cet ennemi du genre humain, veulent abrutir les Peuples pour les tyranniser , sous l’empire de leurs passions ?

Sans eux, Paris, en serois-tu moins Paris, le séjour des Muses, le temple des Arts, la Mere des Sciences ? En aurois-tu moins dans l’enceinte de tes remparts des lycées des Aréopages ? Centre des plaisirs purs & innocens, tu ne serois plus Babylone, & peut-être serois-tu bientôt Jérusalem. Alors, alors (p. 5.) quelle douceur dans les mœurs, quelle cordialité dans le commerce de la société, quelle règle, quelle honnêteté, quelle justice dans toutes nos actions !… Seigneur, (Luc. 10. v. 18.) ne verriez-vous pas encore tomber Satan comme un éclair  ?

Périsse donc enfin ce malade qu’il faudroit étouffer par pitié pour lui-même, son mal étant comme incurable ! Mais dès-là qu’il est épidémique, combien plus par intérêt pour nous-mêmes nous le faut-il exterminer ! Fût-ce là cet œil (Matth. 5. v. 18.) qu’il fallût nous arracher, ce bras qu’il fallût nous couper ? Arrachez, coupez, devons-nous nous écrier, puisqu’il y va de l’intérêt de la Religion, de l’Etat, de la Société, de l’humanité ! Et quoi ! aurions-nous ici un plus grand sacrifice à faire que celui que nous avons déja fait ? Plus esclaves de nos plaisirs que jaloux de nos connoissances, regretterions-nous plus des Histrions faits seulement pour nous divertir, que des Sçavans qui pour nous instruire ont rassemblé (p. 13.) une infinité de notions utiles & curieuses sur les Arts & sur les Sciences ? Non, non, & puisque les uns & les autres ont été assez téméraires pour exposer à nos yeux (p. 13.) dans le jour le plus frappant toutes les absurdités, toutes les impiétés répandues dans tous les auteurs  ; Chrétiens, Sujets, Citoyens, hommes, nous les réprouvons également : la Religion (p. 5.) toujours tendre pour ses enfans, les verra sans doute avec douleur s’éloigner d’elle de plus en plus ; mais la patrie se réjouira de leur retraite, & croira faire un gain en ne les comptant plus parmi ses membres . Qu’ils sortent du milieu de nous , ces Hommes de Lettres & ces Hommes de Théatres également coupables ! Que dis-je ? également coupables : les poisons de la nature de ceux dont il est ici question, ne pouvant être mauvais qu’à proportion qu’ils sont apperçus, jugeons des hommes par le cortege de séduction de leur coupe empoisonnée ; un poison qui distillé goute à goute, est transmis par des canaux comme imperceptibles avec un art qui les dérobe aux trois quarts & demi des esprits de ceux qui l’avalent, peut-il faire autant de ravage que celui qui coulant à grands flots capables de renverser des cédres, a le secret enchanteur de se faire gouter, savourer, & d’ennyvrer par le charme des yeux & des oreilles généralement tous les cœurs de tout âge, de tout sexe, de toute condition ? Des hommes qui nous présentent des poisons si différens par leur vivacité, quoique les mêmes par leur nature, doivent-ils nous paroître également coupables ? (p. 28.) Quirites, hoc, puto, non justum est  : Et si l’on mettoit (p. 7.) dans les deux bassins d’une balance ou d’un trebuchet, pour plus d’exactitude, le mal que les uns & les autres ont fait , disons hardiment sans crainte de nous tromper, que le mal de ceux-ci l’emporteroit de vingt-trois carats.

Qui pourroit donc encore les retenir par préférence ? L’intolérance à leur égard peut-elle être chrétiennement & politiquement un mal ?

Oui, dit-on, il est également du bien de la Religion & de l’Etat de souffrir de moindres maux pour en empêcher de plus grands.

Que veut-on dire ? qu’il faut souffrir les vols pour empêcher les meurtres ? Combien d’hommes, il faut l’avouer vivroient encore, si ceux qui les ont tués, plus avides de leur argent que de leur sang, avoient sçu pouvoir les voler impunément, sans craindre leur dénonciation !

Mais (p. 10.) quel affreux principe ! Que les conséquences en seroient funestes ! Qu’ils paroissent à ma vue, ces oracles menteurs qui osent les mettre en crédit, & je les confondrai avec les paroles mêmes d’Hypermnestre. Quel droit ont ils de nous en imposer & de prendre sur nous un si funeste ascendant,…. ces fourbes dont la langue est vendue au mensonge  ? Avons-nous vu sur eux la vérité descendre  ? S’il n’y avoit pas de Spectacles, disent-ils, il se commettroit de plus grands maux. D’où le sçavent-ils ? puis-je demander sans craindre de sapper la révélation ? L’avenir est-il à eux ? Ces prophetes de malheurs créeront-ils l’évenement pour la prédiction  ? Dans ce cas ils ne seront pas, j’en suis sûr, le plus grand nombre  ; & dès-lors quand (p. 8) nous n’aurions encore que la morale de l’enfance du monde , si on avoit à la perfectionner , on n’auroit point à consulter leur intérêt . D’ailleurs, quels sont donc ces plus grands maux qu’empêchent nos Spectacles ? J’entends une voix qui me dit (Eph. 5. v. 3.) qu’ il n’est pas permis de le nommer parmi les Chrétiens  : Grand Dieu ! Vous nous défendez de les nommer, & l’on nous apprend à les commettre. Qui de nous alors est sûr de son cœur  ? Hypermnestre nous dit bien que vous ne forcez pas notre ame à devenir  coupable….. que la vertu n’est pas un don mal assuré….. Mais la notre est-elle la vertu de Lyncée ? inébranlable . Hélas ! Combien de nous qui tout en venant d’entendre tant de leçons de débauche, de voir tant d’objets de luxure, pour ne pas vivre en frémissant dans l’attente du crime , courent au devant, ne sachant plus éteindre leur flamme qu’en avalant (Job 15. v. 16.) l’iniquité comme l’eau  ! Convenons, convenons qu’il y auroit moins de victimes immolées à l’impudicité publique & particuliere, si les Spectacles n’allumoient pas dans nous le feu qui les dévore : aussi est-ce pour en suspendre au moins l’activité, qu’ils ont été interrompus pendant la derniere quinzaine : ou dira-t-on que les plus grands crimes sont réservés pour les plus saints jours ? Quelle imposture ! Quelle horreur !

Mais qu’entends-je dans ces jours de relâche au Théatre ? Ce Concert est-il fait pour réjouir les Anges & les Démons tous ensemble ? Des voix profanes, & des paroles sacrées ! Sont-ce des prieres ou des blasphêmes ? C’est à vous que je m’adresse ici, Prédicateur Apostolique, qui vous appuyant sur la Sainte Ecriture, nous disiez il y a douze jours que la priere d’un pécheur qui dans le secret de son cœur conserve quelque attache pour son péché, est une priere exécrable : Comment donc faut-il appeller ces invitations, venite justi, exultemus , qui nous sont faites de la part de ces pécheurs publics qui s’affichent tout le reste de l’année pour nous inviter à leurs assemblées criminelles ? Que direz-vous de ces protestations, Diligam te, Domine , faites par ces cœurs vendus au démon de l’impureté, avec qui ils ont fait une espece de pacte d’en ravir à Dieu le plus qu’ils peuvent ? Je ne vous avance rien ici qui ne soit au sçu du Public, & qui ne fasse la matiere des entretiens du Parterre & des Loges en attendant le coup de sifflet. Que direz-vous de ces aspirations, Quam dilecta tabernacula tua , faites par ces ames qui, séparées par état de ces sacrés tabernacles, ou en tiennent éloignés tous leurs partisans multipliés presqu’à l’infini en une infinité de manieres, ou en font autant de sacrileges profanateurs ? Que direz-vous….. Hola ! me dites-vous, cela ne peut s’appeller que l’abomination de la désolation…. Quelle morale ! Révérend Pere ; ces misérables créatures ne feront-elles un pas que pour tomber dans un abîme ? & chaque instant de leur vie sera-t-il marqué par un forfait ? Nos esprits forts (p. 28.) sçauront bien dire : Hic piscis non est omnium. Pour moi, je dis :

    Que l’Eternel entende nos concerts*.
……………………………………………………………
Tout l’Univers peint le Seigneur.
Qu’il soit l’objet de nos hommages.
Jusques dans ses moindres ouvrages
Ce Dieu fait briller sa grandeur.
Quels sons !
Par ses bienfaits il nous attire.
L’ordre des Cieux, l’éclat du jour,
L’air du Printemps que l’on respire,
Tout nous annonce son amour.
C’est lui qui commande à l’Aurore
De former l’émail de nos fleurs.
Nos yeux impriment dans nos cœurs
Les traits du Dieu que l’on adore.

Par quel art nos oreilles en font-elles autant, cher David, (M. Godard.) aux accens de ta voix, comme aux coups de ton archer, divin Orphée de la Romance, (Air de violon joué par M. Gavinier.) quand l’un & l’autre vous tenez en suspens tous nos esprits ? Qu’avons-nous donc besoin de Spectacles ? Seigneur, ne t’es-tu réservé que cette quinzaine de jours ? ou parce que

 Ton tonnerre prêt à partir
Est arrêté par ta clémence,

t’outragerons – nous tout le reste de l’année ? Et sans égard pour Fêtes ni Dimanches, prévaudront-ils toujours contre toi, ces hommes qui (Ps. 73. v. 9.) ont dit tous ensemble au fond de leurs cœurs : faisons cesser de dessus la terre tous les jours de fêtes consacrés à Dieu… (v. 23.) Exurge, Deus ; judica causam tuam. Déploye, s’il le faut, toute la force de ton bras, & qu’elle retombe dans les enfers l’affreuse tyrannie de nos fêtes profanes ! sans ses fureurs nous éprouverions avec Saül le calme de la vie , & nous aurions dans nos concerts les chœurs des Anges.

L’excès des ravissemens qu’ils nous causent à tous, ne peut que rendre plus insoutenable le principe maudit que l’on veut faire servir de base à nos Théatres ; j’y reviens donc, & je demande encore, que veut-il dire ? que pendant les quatre à cinq heures que l’on passe dans une Loge ou au Parterre, on ne fait pas tant de mal que si on étoit ailleurs à faire pis ? Eh bien, soit.

Avec quelle facilité (p. 8.) ne pourroit-on pas composer sur ce principe ainsi entendu, un cathéchisme de probité, dont les maximes simples, vraies, & à la portée de tous les esprits, apprendroient aux peuples que la vertu invariable dans l’objet qu’elle se propose, ne l’est pas dans les moyens propres à remplir cet objet ? Mais de quel droit, demanderois-je alors, le Législateur supprimeroit-il les mauvais livres ? Ils auront beau être mauvais, on m’accordera sans peine que dans le tems que je les lis renfermé dans mon cabinet ou couché sur la fougere, je ne fais pas tant de mal que si j’étois ailleurs à faire pis.

O profondeurs de Satan ! Nature corrompue ! que ne sçais-tu pas dire pour autoriser tes penchans ! J’entendois, il y a cinq jours, un de nos préposés à la Police nous dire en s’applaudissant d’après ce même principe, qu’il lui falloit fermer les yeux pour ne pas voir ces bustes à tête mouvante, ces statues à coude mobile qui s’affichent le jour aux fenêtres & le soir au coin des rues ; que pour empêcher de plus grands maux, il doit les laisser en paisible possession d’arrêter les passans, & que tant qu’on ne crie point au guet, son ministere ne l’oblige à rien.

A rien ! A quoi donc bon tant d’Ordonnances, Arrêts & Réglemens à ce contraires, dont la manutention lui est confiée ? Est-ce que (p. 8.) dès que l’infraction des Loix est générale, dès-lors elles sont nulles & cessent d’être Loix ? Ou bien, n’est-ce pas plutôt que l’infraction d’un traité , d’un serment qu’il est avantageux de violer, est une clause tacite de tous les traités , de tous les sermens ? Quel homme versé dans la connoissance de l’intérêt public , pour savoir ainsi fixer l’instant où chaque action cesse d’être vertueuse & devient vicieuse  !

Fermer les yeux ! que ne te les arraches tu plutôt, infame mercenaire, qui ne sçais les ouvrir que pour compter l’argent que te valent des ames rachetées par le sang d’un Dieu, & que tu vends à la brutalité des hommes ? Tu n’aurois pas à compter au grand jour des vengeances, de toutes les infamies qui se commettent dans ton quartier : que peux tu donc imaginer de pis ? Tais-toi… Mon Dieu ! qu’il y auroit peu de Jezabels, s’il n’y avoit point de Balaam !

Tout affreux qu’est ce principe si accrédité, on ne peut s’empêcher d’y reconnoître du bon, c’est l’aveu implicite que l’on y fait, que les Spectacles sont des maux. Partons de là pour le battre en ruine par lui-même. Le Paganisme nous apprend par Platon le Juif : (De Special. Leg.) Nec est alienus à crimine, cujus consensu, licet non à se admissum crimen tamen publicè legitur. Le Christianisme nous dit par l’Apôtre des Gentils (aux Rom. 1. v. 32.) Digni sunt morte non solum qui faciunt ea, sed etiam qui consentiunt facientibus. Il nous enseigne encore au ch. 3. v. 8. que nous ne devons pas faire des maux , quelque petits qu’ils soient, pour qu’il en arrive des biens , quelque grands qu’ils puissent être.

A quelle école ont donc étudié nos oracles ? Dans quelle source ont-ils puisé un principe si diamétralement opposé à ces maximes, & comment ne voyent-ils pas qu’en le citant avec tant de confiance, ils rendent comptables de ces moindres maux & l’Etat & la Religion ? Il est clair que l’esprit qui les inspire ne parle qu’en leur propre & privé nom, & qu’ils ne sont les interprêtes ni d’un Etat ni d’une Religion, qui se réunissent (voyez ci-après page..) pour ne nous permettre pas même une parole à double entente. Eh ! quels moindres maux que ceux qui sont les sources de tous les maux ! Qu’on peut bien dire ici que l’iniquité se trahit elle-même ! mentita est iniquitas sibi.

Qu’elle se taise donc cette raison humaine, (p. 4.) qui livrée à elle-même & méprisant la révélation qui doit être son guide, devient la source des erreurs qui affligent l’Eglise, & des opinions extravagantes qui deshonorent l’esprit humain  ! De quel front ose-t elle nous dire cette raison aliénée, que le Théatre de nos jours sert à corriger les mœurs : Ridendo castigat mores  ?

Voyez , Chers François, ces Sçavans d’Athènes assemblés sous les porches fameux des Stoïciens, ou dans l’académie de Platon, ou dans le lycée d’Aristote. Après avoir disputé longtems chacun pour fonder son sistême & renverser celui d’un autre, à peine trouve-t-on qu’ils aient exactement établi quelque vérité morale… loin d’avoir pu (p. 21.) remédier à la corruption de l’homme, ni former le lien d’une Société fondée sur la justice . Combien moins le pourront cette portion malheureuse d’incrédules (p. 22.) cette secte de faux sages qui ne font que renouveller sous différentes formes tous les systêmes (p. 10.) de prostitution adoptés par les peuples du Paganisme livrés à la corruption de leurs cœurs .

Arlequin Sauvage (piece du Théatre Italien,) quoique sans loix & tout au milieu de ses singeries, pourroit, il est vrai, si nous le prenions pour maître, supprimer parmi nous bien des abus qui sont autant d’écarts de raison, de décence & d’amour de la Société ; mais de bonne foi, de quoi peuvent nous corriger tous ces vrais fous qui, loin de vouloir établir une seule vérité morale, ont formé une sorte de ligue pour déprimer, (p. 10.) pour détruire toutes les vertus morales…. & pour faire disparoître du milieu de nous jusqu’à l’ombre même de la pudeur .

Beau Sexe, à qui nous avons assigné cette pudeur pour appanage, que venez-vous faire dans ces lieux où des fronts d’airain foulent aux pieds cette vertu ? Sexe charmant, à qui la nature a donné sur nous un si grand empire, venez-vous gémir de le voir s’étendre encore à la faveur de cette manœuvre diabolique ? En voyant ce luxe qui surpasse le vôtre, ces rivieres de diamans qui effacent tout l’éclat de vos parures, apprendrez-vous bien à les mépriser ? A la vue de ces cercles de Laïs toutes idolatres d’elles-mêmes, apprendrez-vous bien à vous hair ? Tous les systêmes de coquetterie, tous les rôles amoureux de nos Thalies & de nos Melpomènes feront-ils pour vous autant de leçons de vertu ? Venez-vous prendre de l’éloignement pour les bals & la danse à l’école de nos Terpsychores, de nos Sultanes & de nos Nymphes ? L’esprit chez vous est donc bien persuadé (p. 10.) que l’on approche d’autant plus de la perfection & que l’on mérite d’autant plus le nom de vertueux, qu’il faut pour nous déterminer à une action malhonnête ou criminelle un motif & des objets plus capables d’enflammer nos désirs. Si cela est, Mesdames, à qui tient-il que le cœur chez vous n’arrive au comble de la perfection, & que vous ne soyez des prodiges de sainteté ? A vous, François, vous entends-je nous dire : Eh mais ! que voulez-vous donc que nous soyons ? Turcs, (p. 7.) Chinois matérialistes, Sadducéens, qui nient l’immortalité de l’ame, Gynnophistes toujours accusés d’Athéisme  ? Quels exemples inimitables nous citez-vous là ! L’espoir des plaisirs temporels sert à les rendre vertueux , apparemment parce qu’ils sont tout esprit. Pour nous, pauvres François, tout enveloppés que nous sommes dans la matière, la jouissance de nos plaisirs théatraux, jointe à votre ascendant naturel, Dames Françoises, ne servira jamais qu’à faire de nous des heureux à bonne fortune, que vous croirez vous-mêmes avoir un droit acquis sur la plus belle portion de votre appanage.

Heu ! male tum mites defendit pampinus uvas.

Aussi combien de vous, pour avoir assisté à nos Bals, à nos Spectacles, pourroient chanter avec l’aimable Cendrillon :

Je ne l’ai pas donné, mais je l’ai laissé prendre !

J’en atteste sa marreine qui, pour la consoler de la perte d’une de ses mules qu’elle a faite au Bal, lui dit :

Que de beautés sortant du bal
Ont souvent perdu davantage.

Quelles sont donc les notions communes de nos hommes de Théâtres ? Parce qu’ils nous font la grace de ne plus médire, ils prennent pour devise : sublato jure nocendi , comme si la réputation étoit le seul bien que nous eussions à ménager ; & comme si la pudeur n’étoit rien, ils ne cessent de s’acharner contr’elle. C’est trop long-temps nous abuser : Horace de qui ils ont emprunté leur devise, disoit en parlant de leurs semblables pour la défense de cette vertu :

Sylvis deducti caveant, me judice, fauni !
……………………………………………………………………………………………………
Offenduntur enim quibus est equus & pater & res.
Art. Poet. Vers. 244. 248.

Comment n’en dirons-nous pas autant d’eux ? Nous lisons (p. 10.) dans les ouvrages des Payens, attentifs à consulter les lumieres de la seule raison, qu’ils ont toujours respecté cette vertu, qu’ils punissoient avec sévérité ce qui l’offensoit  ; & nous verrions encore impunis parmi nous des hommes qui osent donner publiquement des leçons de débauche, qui prononcent hardiment en mille manieres que la morale n’est qu’une science frivole…. que la pudeur est une invention de l’amour & de la volupté rafinée, qui proposent d’en débarrasser le sexe , & qui l’en débarrassent ? Non, non, le contraste (p. 11.) seroit d’autant plus frappant qu’il nous mettroit en opposition avec les sages Philosophes de Rome payenne .

O préjugé barbare (Encyclopédie, au mot : Geneve.) contre la profession des Comédiens , que tu es légitime ! mais que tu serois vertueux , (p. 9.) & pourrois seul contribuer au bonheur public , si nous étions moins inconséquens ! On ne nous verroit pas courir en foule à leurs farces & nous battre à qui les verra ; on ne les verroit pas (au mot : Geneve.) d’un côté pensionnés par le Gouvernement, & de l’autre un objet d’anathême. Prodige dont je demanderois l’explication à tous les Sçavans, si je n’étois forcé de croire que bientôt nous ne le verrons plus.

Déja nous avons vu (Discours en tête du 3 vol. de la Collection Academ.) des Philosophes trop hardis, qui ayant à peine jetté un coup d’œil rapide sur les choses, ont pris tout à coup leur essor dans la région des idées, pour y bâtir sur des nuages legers des hypothèses chancelantes  ; nous les avons vus, dis-je, arrêtés, confondus au milieu de leur course, l’histoire toute récente de leur défaite se lit encore à nos portes ; à côté de cet arc de triomphe élevé à la Religion, nous ne verrons plus quatre affiches se renouveller tous les jours pour lui disputer ses lauriers ; & ne voyant plus autel contre autel, le libertin & l’impie n’auront plus à nous insulter en nous disant : (Ps. 54. v. 9.) Vidi iniquitatem & contradictionem in civitate.

Non, le contraste ne peut subsister, le bras de nos Magistrats Chrétiens n’est pas raccourci : Combien de fois, sans égard pour des têtes respectables d’ailleurs qui sembloient demander grace, ne s’est-il pas appésanti déja sur ces hommes audacieux qui (Arrêt de 1541.) mêlent ordinairement à leurs jeux des farces & comédies dérisoires, qui sont choses défendues par les Saints Canons, dont les assemblées donnent lieu à des parties ou assignations d’adultère & de fornication, & qui font dépenser de l’argent mal-à-propos aux Bourgeois & aux Artisans de la Ville .

Dans tous les tems (p. 2.) Défenseurs des Loix & Protecteurs de la Religion, ils ont pris le glaive en main, & frappé sans distinction ces sacrileges & ces séditieux que la Religion condamne & que le bien de la patrie désavoue.

Quand vers le milieu du dernier siécle, à la sollicitation d’un Ministre que la Pourpre Romaine n’empêchoit pas d’aimer le Théatre, fut levé le voile d’infamie qui l’avoit couvert jusqu’alors, ce fut sous la condition expresse qu’il ne s’y passeroit rien qui pût blesser l’honnêté publique, & qu’on n’y diroit pas même une parole à double entente . Ce sont les termes de la Déclaration du 16 Avril 1641, enregistrée le 24. Termes dictés par l’Apôtre au Roi, qui par sa docilité à la voix de la Religion, a mérité le surnom de Juste : C’est sous la même condition qu’au commencement du quatorzieme siecle un autre Cardinal acheta l’Hôtel de Bourgogne pour les Comédiens. Etant de notoriété publique que la condition si recommandée n’a jamais été remplie, on peut croire raisonnablement que jamais elle ne le sera : nos grands hommes en seront-ils quittes pour rester toujours infames comme ils l’ont toujours été ? Vraiment ils y consentiront volontiers, leur grandeur d’ame va jusques-là ; mais heureusement pour eux & pour nous la Déclaration va plus loin, puisqu’elle enjoint aux Juges, chacun dans son district, de tenir la main à ce que la volonté du Prince soit religieusement exécutée, & d’interdire le Théatre aux contrevenans, pour procéder contr’eux par telles voyes que de droit .

Si depuis plus d’un siecle le glaive n’a paru que suspendu, la modération (p. 23.) dont ils ont cru devoir user dans cette occasion, a dû annoncer à ceux qui ont eu la témérité de se rendre coupables des mêmes excès, déja proscrits en 1541, qu’ils éprouveroient toute la rigueur des loix .

Ils vont donc frapper enfin dans toute la sévérité de la puissance que le Prince leur confie, ainsi que le bien de la Religion l’exige de l’attachement de tous les Magistrats à ses dogmes & à sa morale . Un dernier coup ne peut être qu’un coup de grace & de faveur, dont les heureux effets seront bientôt sensibles.

Ici pourtant, je l’avoue, je me trouve en suspens ; je vois bien le bras levé, mais je ne vois pas si le dernier coup qu’il va porter ira jusqu’à la racine, ou s’il ne fera qu’élaguer le tronc. J’ai d’abord condamné le tout au feu, il en est digne ; cela est prouvé il y a beau jour : donc il faut l’y jetter ; c’est-là cette conséquence la plus forte, que (d’après le plan & le fond de cette Lettre, bien ou mal exécutée, n’importe.) ne peuvent s’empêcher de déduire ouvertement ou tacitement tous esprits bons ou mauvais. Mais qui suis-je ? Qui sommes nous tous, François, pour prononcer ici ? Après tout, qu’importe-t-il à la Religion, à l’Etat, que nous allions au Théatre, pourvu qu’on ne nous y donne pas des leçons d’irréligion, d’indépendance, de barbarie, de mauvaises mœurs ? Il est donc réservé à la Justice de juger s’il n’est pas plus expédient de châtier simplement cet enfant qui nous est si cher, que de l’écraser tout-à-fait. Son jugement ne peut que nous être le plus avantageux : quant à l’exécution, l’un ou l’autre lui est également facile ; point d’obstacle qui ne soit un ombre, un phantôme ; pour le dissiper, il ne sera pas nécessaire d’employer le fer, & l’on ne dira pas : (p. 28.) Ferro diverberat umbras.

Que j’aime à voir l’Auteur Comédien que j’ai déja cité, mais que je ne citerai jamais assez, désavouer de lui-même (p. 23.) sans équivoque ni restriction tout ce que le Théatre a de repréhensible  ! Il déclare dans la préface de son livre (p. 15, 17.) de la manière la plus précise & la plus autentique….. que pendant quarante ans qu’il a exercé la profession de Comédien…. il a toujours senti dans toute son étendue le grand bien que produiroit la suppression entiere du Théatre…. & qu’il n’a jamais cessé de désirer l’occasion de pouvoir le quitter. Son ame (p. 4.) naturellement Chrétienne, a donc déposé toujours malgré lui en faveur de la vérité. Combien d’autres de sa profession en déposeroient encore autant ! Que dis-je ? Tous ont des ames naturellement chrétiennes, & par conséquent ne peuvent s’empêcher au moins de penser de même.

Je te le demande, ame encore chere à ton Dieu, quand tu lui disois hier : Usquequo, Domine*, oblivisceris me in finem ? Usquequo avertes faciem tuam à me ?.. Usquequo exaltabitur inimicus meus super me ? Respice & exaudi me Domine Deus meus, exultabit cor meum, in salutari tuo : cantabo Domino qui bona tribuit mihi & psallam nomini Domini altissimi. Ton cœur n’étoit-il pas d’accord avec ta bouche ? Oui, & c’est cet accord parfait que nous y trouvions tous qui, autant que ta voix angélique, enlevoit nos applaudissemens. Jusqu’à quand donc, Seigneur, détournerez-vous votre visage de dessus cette ame infortunée ? L’oublierez-vous jusqu’à la fin ? Le démon de l’Opéra, ce vrai ennemi de son salut & du nôtre, s’applaudira-t-il toujours de la compter parmi ses suppôts ? plutôt, Seigneur mon Dieu, que sa priere perce les cieux , comme elle a percé nos cœurs ! puisse-t-elle n’avoir plus qu’à se réjouir dans son Sauveur & à chanter ses bienfaits , comme elle nous a paru le désirer ! Que ne puis-je me dissimuler qu’Arethuse (dans l’Opéra de Proserpine) vendredi prochain, elle nous chantera encore ses amours avec Alphée, & que pour conclusion de l’enlevement de Proserpine, nous chantant le triomphe de l’amour profane, cette Calliope toujours victorieuse nous enlevera, comme hier, nos applaudissemens !

Toi de Saül la fille la plus tendre & qui nous est si chere , quand hier, aussi implorant le ciel pour ton pere, tu disois : Seigneur exauce ma priere, avois tu pour nous plus ou moins de charmes que jorsqu’un moment auparavant tu nous chantois : Bonum est confiteri Domino * & psallere nomini tuo, altissime, ad annuntiandum mane misericordiam tuam… in decachordo psalterio cum cantico in citharâ ?

Non, toujours les mêmes, les accens de ta voix plus qu’humaine, nous ravissoient toujours : mais le charme de nos oreilles ne nous empêchoit pas d’appercevoir en toi les traits d’une ame naturellement Chrétienne, qui voudroit n’avoir plus qu’à publier les miséricordes du Très-haut .

Par quel prestige se fait-il donc qu’hier Michol, tu seras demain Collette ? (dans l’Opéra du Devin du Village.) Et par quel enchantement se fait-il, charmante Erato, que nous t’applaudirons encore ? Ne diroit-on pas que tous tant que nous sommes, nous voyons du même œil & le Ciel & l’Enfer ? Hier Michol, de concert avec David, nous approchoit autant des Cieux, que demain Collette, d’intelligence avec Colin, nous approchera des Enfers : mais & David & Michol, & Collette & Colin sont également sûrs de nos suffrages ; tous nous sont bons, tous nous enchantent, & nous applaudissons jusqu’à Bastienne notre Thalie, quand elle chante : Fac me vere tecum flere *. O abîme incompréhensible du cœur humain, pour qui est une même chose & le profane & le sacré !

Nous l’avouons pourtant, Seigneur, vous voulez que ce cœur se retrouve toujours au milieu de ce chaos immense : la lumiere de votre visage (p. 4.) est gravée sur nous, & portant nous mêmes les caractères ineffaçables de votre divinité . Acteurs & Spectateurs, à la fin du spectacle le plus bruyant, nous rentrons dans un vuide affreux ; & toutes nos ames naturellement Chrétiennes, sont forcées de dire avec S. Augustin que les larmes des pénitens doivent avoir pour eux plus de douceurs que les joyes des Théatres n’en ont pour les mondains . Il n’est pas même jusqu’aux Auteurs qui, travaillant pour le Théatre, ne désavouent leur propre ouvrage, j’en atteste le grand Racine qui interrompoit le sien pour s’écrier :

« Hélas ! en guerre avec moi-même
Où pourrai-je trouver la paix ?
Je veux & n’accomplis jamais ;
Je veux, mais ô misere extrême !
Je ne fais pas le bien que j’aime
Et je fais le mal que je hais. »

J’en appelle encore à témoin ce héros citoyen, qui semble ne vivre parmi nous que pour s’élever en témoignage contre nous. Quelle forte Egide fabriqua l’an passé ta Minerve, docte Enfant de Genève, pour parer les coups que l’on vouloit porter sur ta Mere ! Mais en même tems quel désaveu solemnel & de ta fille Collette & de ta petite fille Bastienne ! Pourquoi donc, pere tendre, quand tu leur donnas la naissance, ne mis tu pas en elles ce germe de justice & de vérité , que tu sçais si bien être (Lettre de M. Rousseau de Genève à M. d’Alembert) les premiers devoirs de l’homme  ? J’ai beau ne le pas vouloir, je n’y vois presque que des affections secondaires & déréglées de l’humanité de ma patrie : & pour un pere qu’elles perdent en toi, je vois mes concitoyens par milliers comme autant d’adorateurs, leur encens….. mais en t’appellant en témoignage, me sied-t-il de te citer à mon tribunal ? Qui suis-je pour te reprocher les péchés de ta jeunesse ? Pardon, Génie heureux & bienfaisant, si la crainte (pag. 264.) d’un malheur imaginaire qui menaçoit ta patrie…… a pu causer tes allarmes , (p. x.) ensemble t’avoir fait naître ce reproche ; combien plus la vue des maux réels qui dévastent la mienne, a-t-elle pu me le dicter ! Aveugles que nous sommes au milieu de tant de lumieres que tu répands sur nous (p. 40.) du fond de ta cabane obscure ! victimes de nos applaudissemens insensés ! m’écrirai-je bien volontiers avec toi, n’apprendrons-nous jamais combien mérite de mépris & de haine tout homme qui abuse pour le malheur du genre humain, du génie & des talens que lui donna la nature ?

Ami de toute Religion paisible (pag. 4, 5.) où l’on sert l’Etre éternel selon la raison qu’il nous a donnée , que faut-il (p. 6.) pour que nous brisions contre l’Egide que tu nous présentes à l’aide de cette seule raison, le talisman d’imbécillité auquel est attachée la puissance de ces génies malfaisans , nous ennemis déclarés de toute autre Religion que de la nôtre, laquelle est précisément celle qui ordonne de réduire en poudre ce talisman ? Que faut-il enfin pour qu’Auteurs, Acteurs & Spectateurs nous cessions d’être les victimes infortunées d’un gout si universellement désavoué par nous tous ? Une Ordonnance, un Jugement suffit, soit pour la suppression, soit pour la réformation du Théatre, sans qu’il y ait à craindre la moindre opposition : C’est la remarque de notre Auteur Comédien, qui l’appuye (pag. 79.) sur des exemples dont il n’avoit pas besoin pour se faire croire. La vérité qu’il n’a pu retenir captive dans l’injustice , (Rom. 1. V. 18.) a parlé par sa bouche en cette occasion, comme quand il a dit (p. 96.) que le Théatre, pour mériter la protection du Souverain & des Magistrats, doit être tel que les honnêtes gens & les Chrétiens puissent y assister sans avoir rien à se reprocher .

Ici a murmuré un certain préjugé de Cour ; mais que ne peut-il être exterminé du milieu de nous, ce plus grand ennemi des Rois & de tout le genre humain ! Pourquoi donc la pure vérité se tairoit-elle sous le regne d’un Prince autant l’Ami de la vérité que le Pere de son peuple, & sous des Magistrats également défenseurs de l’une & de l’autre ? Que tout est bon dans vos mains, Grand Dieu, qui avez choisi l’organe d’un homme de Théatre pour nous donner la décision d’un Docteur de Sorbonne !

D’un côté l’étude de nos obligations lui a appris que le Chrétien, soit homme, soit Philosophe, doit terminer ses plaisirs comme ses spéculations (p. 22.) par des accroissemens de sainteté & d’amour envers l’Etre Suprême  ; & de l’autre la connoissance du cœur humain, jointe à la pratique du Théatre, l’a convaincu qu’on y porte & qu’on y rapporte le remord, qu’on n’en sort & qu’on n’en peut sortir qu’ avec un accroissement de présomption (p. 23.) & d’ignorance….. que plus vain, plus superbe & plus aveugle qu’on ne l’étoit en y entrant.

C’est pour nous mettre d’accord avec nous-mêmes que ce véritable ami des hommes a dressé son plan de réformation du Théatre : si jusqu’ici l’exécution n’en a pas été tentée, c’est que peut-être ce plan ne remplit son objet que trop peu. Mais comme c’est au Conseil dont il demande l’établissement, qu’il appartient d’en décider & de remplir ce même objet dans toute son étendue : pourquoi, Chers François, ne croirons nous pas que ce Conseil plus important mille fois que toutes nos Académies, va enfin être établi ? Puisse l’illustre Genevois n’avoir plus à nous dire : (Lettre de M. Rousseau à M. d’Alembert, p. 40.) telles sont les mœurs d’un siecle instruit : le sçavoir, l’esprit, le courage ont seuls notre admiration ; & toi, douce & modeste vertu, tu restes toujours sans honneur !

A la voix de ces deux Aristarques, c’est la patrie (Journal de Trévoux, premier vol. Avril 1759.) qui venge les bonnes mœurs sacrifiées aux licences de la Scène ; c’est la Philosophie austère de Sparte qui emprunte la Littérature d’Athènes pour foudroyer Sophocle, Euripide Aristophane, & tous leurs descendans : ce coup est formidable, il ressemble à l’attaque brusque & impétueuse de ces guerriers d’Homère, qui terrassoient quiconque osoit paroître sur le champ de bataille .

Qu’opposes-tu, siecle fécond en ressources, bonnes ou mauvaises, réelles & prétendues  ; qu’opposes-tu à ces vrais armés des traits de l’eloquence  ? Beaucoup d’art, de subtilité, d’attention, de finesse dans le raisonnement, d’industrie dans la manière d’éluder des coups redoutables, de sagacité à saisir des défauts apparens…   En armant ainsi l’erreur & la passion de mille ingénieux sophismes, prétends-tu nous empêcher de reconnoître ce qu’il faut croire, tenir, décider, pratiquer ? Penses-tu bonnement que la vérité ne perce pas à travers ces foibles nuages ? Il faudroit que son Soleil n’eût jamais lui pour toi ; quoiqu’il en soit, vaine ressource (p. 20.) toujours impuissante au jugement de la raison, & qui ne peut en imposer aux yeux perçans de la justice , mais seulement lui apprendre que la cause de nos Spectacles ne peut pas être rendue bonne, puisque vainement en sa faveur tout l’art est épuisé…… Que dis-je ? lui apprendre ; a-t-elle jamais pu en ignorer ? Ecoutons-la (p. 3.)

Un esprit véritablement fort, est un esprit éclairé par la lumière supérieure, & qui connoît la vérité par des principes certains. Soutenu au dehors par des témoignages qu’on ne peut recuser, jamais le déréglement des passions ne l’affecte, ni n’influe sur ses connoissances & sur ses jugemens. Le fidèle seul posséde cette force d’esprit ; l’erreur & l’aveuglement sont le partage de l’incrédule, guidé par son sens particulier & par sa foible raison.

Hélas ! tout méchant que je suis, quelle seroit l’étendue de mes lumières s’il ne me falloit que voir la profondeur des playes qui excitent encore aujourd’hui (p. 1. 2.) les plaintes de la société, de l’Etat & de la Religion… leurs droits sont violés ; leurs loix sont méconnues ; l’impiété qui marche le front levé, paroît en les offensant promettre l’impunité à la licence qui s’accrédite de jour en jour .

L’humanité frémit, le Citoyen est allarmé ; on entend de tous côtés les Ministres de l’Eglise gémir à la vûe de tant d’excès qu’on ne peut affecter de multiplier que pour ébranler s’il étoit possible les fondemens de notre Religion. En vain ces Pasteurs charitables nous crient sans cesse : Gardez vous de ces faux Prophêtes (Matt. 7. v. 15.) qui viennent à vous couverts de la peau de brebis, & qui au dedans sont des loups ravissans. En vain cette tendre mere, pour sauver le reste du troupeau, les a-t-elle chassés du bercail : en vain toutes les Loix ecclésiastiques & civiles les déclarent infames ; tout odieux qu’ils sont sous l’anathême & l’infamie, nous avons le courage d’aimer ces hommes (p. 21.) ; disons mieux, c’est foiblesse, puisqu’encore enfans dans la morale, nous n’avons pas la prudence de les fuïr .

O (p. 10.) que de tous les dons que le Ciel peut verser sur une nation, le don de tous, le plus céleste seroit bien la prudence, si le Ciel la rendoit commune à tous les Citoyens  ! Que ne sommes-nous tous autant d’Ulysses ! Les théâtres de nos jours ne seroient plus pour nous ces rochers harmonieux habités par des monstres charmans, contre lesquels, voyageurs flottans sur une mer orageuse, au gré de nos passions, nous allons échouer sans regret & expirer dans l’enchantement au milieu des plaisirs : Dulce malum pelago siren.

Que d’écueils ! que de naufrages ! on n’y voit que des morts ou des mourans ; & Rama (Jer. 31. v. 15.) au milieu des gémissemens & des cris, demeure inconsolable de la perte de ses enfans… Sans que personne (Thren. 1. v. 9.) se mette en peine de la consoler….

Il me semble entendre un de ces morts s’écrier du fond de son tombeau : quelle est la mission de ce Jérémie, de ce Job ? Quel est son caractère pour s’ériger en réformateur public de nos amusemens qu’une tradition plus que centenaire nous a transmis, pour attaquer… détruire un sentiment que la Nature a gravé dans nos cœurs, & que le théâtre d’aujourd’hui ne fait que développer & perfectionner ? Que n’ajoute-t-il & sanctifier ?

Ce pauvre défunt n’eût pas été desiré (p. 19.) pour Auteur Encyclopediste . Il peut bien n’être d’aucun Pays, d’aucune secte, d’aucun état  : il peut encore être ferme, instruit, honnête à sa manière ; mais sûrement il lui manque une des qualités requises, celle d’être véridique : me tromperois-je ? & ne désavoue-t-il pas intérieurement les plaisirs du théâtre d’aujourd’hui ? Quel est donc ce prodige à forme humaine, qui n’est ni homme ni démon, puisqu’il n’a le ver rongeur ni de l’un ni de l’autre ? En bonne conscience on ne dira jamais de lui ce qu’Horace disoit à Virgile sur la mort de Quintilien leur ami commun :

        Cui pudor & justitiæ soror,
Incorrupta fides nudaque veritas
        Quando ullum inveniet parem ?

Et que veux-tu faire, Monstre, avec le développement de ta nature ? Ma mission ! Apprends qu’ il suffiroit d’être homme & Citoyen pour être sensible à tous les maux (p. 2.) que nous cause ton théâtre d’aujourd’hui, & par conséquent pour desirer d’en voir la fin : que seroit-ce si on les envisageoit des yeux de la foi ? A lueur de son flambeau, Guerre, Peste & la Famine réunies ensemble, le charnier de vos corps morts n’auroit rien de si horrible.

A la seule idée d’un si touchant spectacle, qui n’est que trop réel, nous permettrez-vous de nous plaindre, Ecrivains prophanes, dont les plumes trempées dans le filtre préparé par Sagane & par Veïa, servent d’étais à nos théâtres contre les coups de nos béliers ? Permis ou non, chiens du quartier de Subure ameutés par la magicienne Canidie, tous vos hurlemens n’étoufferont pas nos clameurs, & les pierres crieront avec nous (Luc 19. v. 40.) si ce n’est pas assez pour vous d’hurler, déchirez-nous à pleines dents, victimes pour la Patrie, nous trouverons un gain dans la mort même, heureux de ne pas emporter le regret d’avoir été pour vous des chiens muets, canes muti non valentes latrare . (Isaïe 56. v. 10.)

Quel nouveau spectacle s’offre à ma vue ? Consolez-vous, Rama, il est encore sept mille de vos enfans qui ne fléchissent pas le genou devant Baal.

N’est-ce pas pour vous dérober à ce déluge de maux, habitans des Cloîtres, que vous vous tenez cachés dans le secret du Tabernacle ?

O (p. 9.) caracteres propres à vous priver de nos plaisirsque nous ne vous voyons pas partager avec nous, & à saisir sans nous les pratiques austères de la dévotion , que vous êtes heureux ! & que vous êtes bons, si l’homme n’est méchant qu’à proportion qu’il est malheureux  !

Placés sur le haut de la montagne sainte, de quel œil voyez-vous les assauts téméraires que le théâtre, ce fort armé, livre journellement à la Religion ? Hélas ! comptant ses victoires par ses attaques, vous voudriez avoir des larmes de sang à opposer au torrent d’iniquités qu’il fait couler de toutes parts, & je vois vos mains toujours élevées vers le Ciel pour arrêter la foudre toujours prête à partir. Comment donc a-t-on pu nommer vos vertus des vertus de préjugé dont l’observation exacte ne contribue en rien au bonheur public  ?

Pour faire taire ce langage de l’homme sans foi trop commun parmi nous, puissiez vous, portion chérie du troupeau de Jesus Christ, par un renouvellement de serveur, de concert avec (p. 10.) nos plus austères anachorettes & toutes nos chastes colombes, faire une sainte violence au Ciel, & nous mériter de voir tarir jusques dans sa source ce débordement de vices ! Quels plus importans services auroient jamais été rendus à la Patrie , à l’Eglise !

Les playes de l’une & de l’autre sont également profondes, & les remèdes propres à les guérir ne peuvent se prendre que dans les Loix de la Religion(p. 21.) l’ouvrage de l’Etre suprême, qui seul a droit d’en imposer à l’homme, parce que lui seul l’a formé, & peut lui proposer pour le terme de son bonheur un objet digne de lui .

Sera-ce donc en vain (p. 21.) que tant de sources sacrées couleront autour de nous, que tant de vives lumières brilleront à nos yeux ? Oui portion privilégiée de l’Univers Chrétien, Enfans chéris du Fils aîné de l’Eglise, envain pour nous tant de millions de Martyrs de tout âge, de tout sexe, de toutes conditions auront scellé de leur sang les vérités que nous croyonssi nous ne pratiquons celles que nous enseignent tant d’Orateurs fameux, tant d’Ecrivains célèbres, tant de génies du premier ordre respectables par leurs talens & par leurs mœurs , quand ils nous disent : rendez droites les voies du Seigneur… (Jean 1. v. 23.).. Otez la pierre. (1. v. 39.) Que dis-je ? en vain : nos Villes trop semblables à Bethsaïde & à Corrozaïn, mériteront leurs anathêmes, & ce sera pour notre plus grande condamnation que la vérité (p. 21.) nous aura ouvert son sanctuaire , si la pratique ne nous y fait entrer. Mais comment y entrerons-nous, si (Isaïe 57. v. 14.) ces pierres d’achoppement & de scandale nous en ferment l’entrée… Et si (Luc 17. v. 2.) pour rendre leur sort moins à plaindre, elles ne sont jettées à la mer  ? Plutôt, Seigneur mon Dieu, puissent-elles devenir des pierres vivantes, & puissions-nous tous entrer avec elles dans l’édifice de la céleste Sion !

Vérité, guide de la Justice, Justice, appui de la vérité, votre concours nous fut-il jamais & peut-il jamais nous être plus nécessaire ? Non sans doute : aussi déjà, Vérité sainte, vous me semblez avoir dit qu’il ne faut que polir ces pierres brutes, & déjà je crois voir le cizeau sacré de la Religion dans la main de la Justice.

Justice, qu’allez-vous faire ? Nous donner la paix ? Dans quels transports dirons-nous donc : la Justice & la paix se sont embrassées . (Ps. 84. v. 11.)

« Que l’Eternel entende nos concerts.*
Il a devant nos pas fait voler la victoire.
L’Amalécite ennemi de sa gloire
Est effacé de l’Univers. »

Doutez vous encore, François, pardon, Peuple Chrétien, c’est vous demander si vous doutez que l’esprit de force & de vérité qui étoit hier, soi encore aujourd’hui. Vous voilà donc enfin aussi persuadés que moi de la défaite du théâtre de nos jours, ce vrai Amalécite ennemi de la gloire de notre Dieu… Pardon, Génie François, avez-vous pû ne le pas être ainsi que moi dès l’instant que vous avez vu confondus nos Bayles, nos Spinosas, nos Epicures ? Cette époque toute glorieuse qu’elle est, ne peut être pour nous tous que l’aurore d’un jour prochain où nous verrons foudroyés nos Aristophanes, nos Euripides, nos Sophocles. En voyant donc un si beau jour dans un avenir si marqué, nous devons bien plus songer à nous réjouir par avance du renouvellement universel qu’il opérera parmi nous, que prétendre à la qualité de Prophétes.

Pour moi j’y renonce : tant au sujet de ce que j’ai dit, que de ce qui me reste à dire, je le déclare avec Pierre de Blois : Nihil de spiritu meo propheto, sed colligo micas quæ ceciderunt de mensâ dominorum meorum.

Quelle seroit ma surprise si pour avoir ramassé ces miettes tombées de la table de mes maîtres, j’avois le malheur de paroître coupable à leurs yeux ! Quelle seroit ma sincérité en les priant de reconnoître que la faute, s’il y en a, est (p. 23.) plutôt une erreur de mon esprit que de mon cœur  ! Et que n’aurois je pas à attendre de leur indulgence en leur disant avec Saint Augustin : Reconnoissez ce qui est de vous, & pardonnez à ce qui est de moi !

Mais nous défendre (p. 29.) d’écrire, sous quelque dénomination que ce soit, contre la Religion, l’Etat & les bonnes mœurs , ce n’est pas nous ôter la liberté de penser (p. 15.) que la justice travaille à nous donner un moyen d’accorder nos plaisirs publics avec le respect que nous devons à notre croyance & à notre culte  : moyen qui est si fort à souhaiter, puisqu’il est unique pour la découverte & le triomphe de la vérité& pour la tranquillité publique, sans laquelle il n’y a point de bonheur ni pour le Philosophe, ni pour le Peuple  : moyen qui est tellement du ressort de cette justice, que nous ne pouvons le tenir que de sa main, (quelque soit le Tribunal à qui il appartient d’en connoître ; ceci soit dit, Chers François, pour vous fournir de quoi fermer la bouche à tout iroquois qui se donnera la liberté de dire en votre présence que je fais ici quelqu’attribution de Juridiction.) Pourrois-je donc paroître repréhensible pour n’avoir fait que mettre par écrit en langue vulgaire une pensée que les circonstances présentes nous font naître si naturellement, moi qui aurois pû écrire en langue sçavante, bien sûr que mes Traducteurs n’auroient jamais été poursuivis. Il est écrit au Ps. 121 : parce qu’il y a ici des trônes de la justice pour le bien de la Maison de David, demandez la paix de Jérusalem  : c’est pourquoi, terre des François, à cause que tes habitans sont mes freres & mes amis, j’ai parlé pour ton bonheur ; & parce que la Maison du Seigneur notre Dieu est dans ton enceinte, j’ai demandé ton bien ; quæsivi bona tibi .

Loin de moi donc des réflexions aussi accablantes pour mon cœur, qu’injurieuses à mes Dieux ! Rempli pour eux du plus profond respect (p. 24.) & de la soumission la plus grande pour toutes les vérités (p. 23.) qui appartenant à la politique, à la morale & à la Religion Catholique, ont toujours été, sont & seront toujours l’objet de ma persuasion & de ma croyance , que n’ai-je pu écrire de mon sang les paroles que j’ai empruntées d’eux, & qui comme autant de traits de feu, me pénètrent (p. 24.) plus que jamais de ces mêmes vérités qui ont excité leur zèle  !

Placés que je les vois les uns sur les degrés du Temple de la Justice, les autres au fond du Sanctuaire, tous pour entendre les cris des malheureux & essuyer leurs larmes, avec quel empressement n’irois-je pas de tribunaux en tribunaux l’Evangile d’une main, leur présenter de l’autre ce tableau de nos malheurs, s’ils pouvoient leur être inconnus, & si la manœuvre qui en est la source, étoit sourde & secrette ! mon zèle alors n’écouteroit que mon devoir : Mais montrez-moi, Chrétiens, dans quelque endroit de la Loi, l’obligation de dénoncer ce qui a tous les caractères de la publicité.

Qu’ai-je dit qui ne soit prêché sur les toits ? Justice & vérité. Quel est mon cri qui ne soit le cri général des consciences ? O temps ! ô mœurs ! Quels sont mes vœux enfin pour Paris & le Royaume Chrétien dont il est la Capitale, qui ne soient ceux de nos Sçavans mêmes pour Geneve & sa République Socinienne ? Des Spectacles & des mœurs. (Encyclopédie, au mot Geneve.)

Sans donc autre dénonciation que celle de la voix publique, (en peut-il être une plus forte ?) avec quelle confiance ne devons-nous pas nous attendre à voir encore dans peu (Ps. 84. v. 11.) la miséricorde & la vérité se rencontrer par le ministère de la Justice, comme nous l’avons vû il y a trois mois pour une cause qui duroit à peine depuis six ans ? Celle qui se présente aujourd’hui dure depuis cent dix-huit ans & sept jours ; aussi jamais procès ne fut mieux instruit & plus en état d’être jugé.

Innombrable nombre de personnes (p. 24.) dont les lumières, l’exactitude, l’attachement & la fidélité aux principes de la Religion, aux maximes de sa morale & au bien de l’Etat, sont à l’abri de tout soupçon & d’une autorité irréfragable, en ont fait un examen aussi attentif que solide… leur avis a été communiqué en mille manières, de vive voix & par écrit : il n’y a donc plus qu’à prendre telles conclusions…. (Au mot Geneve) des loix séveres & bien exécutées sur la conduite des Comédiens comme sur leur morale, sur leurs actions comme sur leurs paroles, aux termes de la Déclaration du 16 Avril 1641.

Par ce moyen , Religion sainte, ces enfans infortunés qui sont nos freres, & dont la cause nous est commune à tant d’égards, cesseront d’être un objet d’anathéme à vos yeux, & vous les remettrez dans votre sein avec autant de joie que vous les en avez arrachés avec douleur.

Prêtres, qui les excommuniez   (Encyclopédie, au mot Geneve) de bouche & qui les dévorez des yeux, nous vous verrons sans scandale venir former votre goût à leurs représentations , y prendre une finesse de tact, une délicatesse de sentiment très-difficiles d’acquérir sans leur secours , bien entendu cette finesse, cette délicatesse qui consistent à bien tourner & retourner les feuillets d’un Livre : que je serois émerveillé si vous m’assuriez de bonnefoi que c’est là tout ce que vous avez appris jusqu’à présent dans nos écôles. De quelle trempe êtes-vous donc ? vous demanderois-je, comme à Mentor ?

Nos Magisters n’ayant plus, selon toute apparence, tant de dépense à faire, sage Gouvernement, vous diminuerez leurs pensions.

Et vous, Bourgeois, vous perdrez l’habitude de regarder avec mépris des hommes doublement respectables… Contenus d’abord par des Réglemens sages, protégés ensuite & même considérés dès qu’ils en seront dignes, enfin absolument placés sur la même ligne que les autres Citoyens , nos Villes auront bientôt l’avantage de posséder ce qu’on croit si rare, & qu’il ne l’est que par notre faute : une troupe de Comédiens estimables… Que sçai-je si ne craignant plus de vous deshonorer parmi nous, en vous livrant au théâtre , il ne vous prendra pas à tous envie d’y monter, d’y endosser un habit à la Romaine, (Encyclopédie, au mot Genève,) & d’y cultiver non seulement sans honte, mais même avec estime, le talent si agréable & si peu commun de nous divertir ? Au moins est-il certain que nos Cités qui gémissent sous la tyrannie de nos fêtes prophanes, deviendront alors le séjour des plaisirs honnêtes… & que les étrangers ne seront plus surpris de voir que dans un Royaume où l’on fait profession de la morale évangelique, & où l’on se pique de finesse de tact & de délicatesse de sentimens, on permette des spectacles indécens & irréguliers, des farces grossières & sans esprit, aussi contraires au bon goût qu’aux bonnes mœurs. Ce n’est pas tout : l’exemple des Comédiens François, la régularité de leur conduite, & la considération dont nous les ferons jouir, serviront de modèle aux Comédiens des autres nations .

Quelle gloire pour toi , ô France ma Patrie d’avoir reformé l’Europe sur un point plus important peut-être qu’on ne pense  ! Comment peut-être ! En peut-il être un plus important ?

Ces enfans ainsi châtiés, comme ils le méritent, ne seront plus les Peres de cette race corrompue, de cette engeance vermineuse qui de leurs foyers se répand dans nos maisons, & fourmille jusques dans les Palais des Grands : ils ne seront plus ces oracles de l’impiété, qui jusqu’ici en ont engendré tant d’autres, (p. 3.) tous ces faux Sçavans du siècle… tous ces prétendus Philosophes, qui pour dégrader l’humanité, imaginent le projet insensé de détruire les premières vérités gravées dans nos cœurs par la main du Créateur, d’abolir son culte & ses Ministres, d’établir enfin le Déisme & le Matérialisme .

O temps heureux, où ne faisant plus de nous ni les uns ni les autres, un peuple de prévaricateurs, nous dirons : qu’ils restent au milieu de nous ces hommes de Lettres & ces hommes de Théâtres, les uns si propres (p. 13.) à faire honneur au génie de la nation par l’étendue de leurs connoissances, & si capables de servir la Patrie par la multiplicité de leurs découvertes, comme par une infinité de notions utiles sur les arts & sur les sciences  : les autres (au mot Geneve :) si nécessaires au progrès & au soutien des arts par le soulagement dont ils seront pour les esprits occupés, & plus nécessaires encore par l’occupation décente qu’ils procureront aux desœuvrés.

Alors, alors, chers Concitoyens, sans cesser d’être Auteurs ou Lecteurs, Acteurs ou Spectateurs, puissions-nous (p. 7.) donner à la vertu des fondemens sur lesquels , tous Chrétiens, nous bâtissions également en l’édifiant sur la base de l’intérêt personnel pour le temps & pour l’Éternité. Amen.

 

Cum Approbatione Doctorum & indoctorum utriusque sexûs, cum voto proborum & improborum conditionis omnimodæ explicito vel implicito omnium denique pace. Nono Calendas Maii M. DCC. LIX.

Postscriptum.

J’Ai trop cité l’Article Geneve de l’Encyclopédie pour pouvoir me dissimuler de l’avoir lû dans son entier : encore moins puis-je m’empêcher de désavouer un trait d’autant plus deshonorant pour la Nation, qu’il part d’une main qui d’ailleurs l’honore davantage : le voici. » Le Traitant qui insulte à l’indigence publique & qui s’en nourrit, le Courtisan qui rampe & qui ne paye point ses dettes ; voilà l’espéce d’hommes que nous honorons le plus.

O préjugé barbare pour la profession de Comédien  ! En voulant nous reprocher une injustice prétendue, falloit-il nous faire le plus sanglant outrage à la face de toutes les nations ? Quoi donc ! faisons-nous profession de croire (p. 8.) que les conquêtes injustes deshonorent plus une nation, que les vols n’avilissent un particulier  ? Non, non, toute injustice nous est également odieuse. Ecoutez, Nations entières, puissiez-vous m’entendre & m’en croire ! Je parle encore ici au nom de tous mes Concitoyens, je n’en excepte que ceux qui composant cette espèce d’hommes, ne méritent pas d’être comptés parmi nous ; mais je leur déclare en même-temps que (p. 6.) le sentiment de l’amour d’eux-mêmes, leur intérét personnel& le desir de jetter dans eux tous, les fondemens d’une morale utileservent de base aux vœux sincères qu’il me reste à faire pour aucuns d’eux.

« Se peut-il volerie aussi haute ?
De l’or & des honneurs je ne demande pas,
Juste Ciel, seulement fais qu’avant mon trépas
Je puisse de mes yeux voir trois de ces Corsaires
Ornant superbement trois bois patibulaires,
Pour prix de leurs larcins en Public élevés,
Danser la sarabande à deux pieds des pavés.
Regnard.

Je n’ai plus qu’un mot à vous dire, Nations entieres : Quand vous lisez en tête du cinquiéme volume de l’Encyclopédie dans l’éloge de M. de Montesquieu qu’il renonça à une premiere Place de Magistrature, parce qu’il sentoit qu’il y avoit des objets plus dignes d’occuper ses talens , ne croyez pas que le Panégyriste ait voulu parler ici à la louange de son héros : il n’est personne d’entre nous qui ne regarde cette pensée du Démocrite François comme une tache pour sa mémoire ; sans doute il a voulu qu’elle demeurât toujours cachée ; peut-être même ne l’a-t-il jamais communiquée ; mais il n’en a pas moins fallu la mettre au grand jour, & pour la mettre à la portée du plus grand nombre, qui n’est pas celui des Souscripteurs de l’Encyclopédie, notre Mercure de Nov. 1755 lui a donné place parmi ses galanteries. Tel est sur nous l’empire des vérités ; tout affligeantes qu’elles sont pour nous, toutes flétrissantes qu’elles sont pour nos héros, nous ne pouvons les taire.

Tantum series juncturaque pollet ?
Tantum de medio sumptis accedit honoris.

FIN.