(1751) Avertissement (Les Leçons de Thalie) pp. -
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(1751) Avertissement (Les Leçons de Thalie) pp. -

[frontispice]

Les Leçons
de Thalie
ou
les Tableaux
des divers ridicules

Que la Comédie présente :
Portraits, Caractéres, Critique des mœurs,
Maximes de conduite propres à la Société

[...]
tome premier

a paris quai des augustins
Chez Nyons Fils, à l'Occasion
Guillyn, du côté du Pont
Saint Michel, au Lys d'Or
M.DCC.LI.
Avec Approbation et Privilege du Roi

Avertissement.

L es plus beaux traits d’une sérieuse morale sont souvent moins puissants pour instruire et corriger les hommes que des portraits ridicules de leurs défauts. Attaquer les vices par ce côté, est les prendre par leur endroit faible : on souffre aisément une réprimande, mais une raillerie fine et délicate est trop sensible à l’amour propre1, on veut bien être méchant, mais on craint d’être ridicule.

« Ridiculum acri,
Fortius ac melius magnas plerumque secat res. »

C’est ainsi que pensait Molière, le Père de la Comédie en France, le Maître et le vrai modèle de tous ceux qui se sont adonnés à ce genre d’écrire. Quelle autorité sur cette matière plus grave que celle de ce grand homme ? Qui connut jamais mieux le cœur humain et qui porta plus loin l’art de tourner en ridicule les vices les plus accredités de son siècle ? Si nous cherchons parmi les Modernes de quoi appuyer encore ce sentiment, Rousseau nous dira :

« Des fictions la vive liberté,
Peint souvent mieux l’austère vérité,
Que ne ferait la froideur monacale,
D’une lugubre et pesante morale. »

Ce n’est pas qu’on prétende ici justifier la Comédie dans toutes ses parties : il est un juste milieu entre deux excès également opposés ; les uns sans aucun examen condamnent absolument ce genre d’écrire comme contraire aux bonnes mœurs. Les autres prennent hautement sa défense dans toutes ses parties : enfin des gens plus raisonnables prétendent qu’il faut regarder la Comédie sous deux points de vue tout à fait différents.

Dans le premier, c’est une représentation où l’intrigue, le jeu de théâtre, les situations sont les parties qui forment l’ensemble d’une pièce, parties nécessaires à la vérité, mais qui n’en sont que l’accessoire, destinées à intéresser le Spectateur, mais qui renversent quelquefois le but principal de la Comédie, savoir, la réformation des mœurs. Que de rôles étrangers à ceux de la piece, se jouent entre les spectateurs !

Dans le second point de vue, la Comédie est un tableau où l’on voit des caractères, des portraits, une critique fine des mœurs, des exemples de vertu et des sentiments d’honneur, le vice démasqué, le sot orgueil confondu. C’est précisément par ce côté que nous nous sommes proposés de la faire envisager, ce sont là les matériaux que l’on a tâché de mettre en œuvre pour en former un Tout de morale amusante, dépouillée de ce sérieux et de cette sécheresse qui ennuie fort souvent et qui corrige rarement.

L’attention que l’on a apportée au choix des matières, puisées dans les meilleurs sources ; les maximes appliquées aux différents morceaux choisis pour former ce Recueil, n’en seront pas le moindre ornement, et nous donnent lieu d’espérer qu’il sera reçu favorablement du Public et lu sans scrupule par les personnes des états les plus sérieux.