(1845) Des spectacles ou des représentations scéniques [Moechialogie, I, II, 7] pp. 246-276
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(1845) Des spectacles ou des représentations scéniques [Moechialogie, I, II, 7] pp. 246-276

Article Septième.

Des spectacles ou des représentations scéniques.

Les représentations théâtrales abstractivement considérées ne sont pas mauvaises, ou, si l’on veut, elles ne sont pas mauvaises de leur nature ou par elles-mêmes. Mais, à les prendre comme elles sont dans l’état actuel de nos mœurs et à les envisager au point de vue pratique, avec toutes leurs circonstances concomitantes, elles sont le plus souvent pleines d’écueils et de dangers pour l’innocence et la vertu.

Purgez et épurez le théâtre, dépouillez-le de tout le prestige des passions et des intrigues érotiques, et réduisez-le à l’expression pure du beau, du grand, du sublime, du généreux ; dès-lors les spectacles, aux yeux de la multitude, perdront tout leur intérêt et le théâtre restera désert : preuve donc que les représentations scéniques, prises dans leur ensemble comme elles se font aujourd’hui, sont évidemment blâmables et doivent par conséquent être généralement interdites aux chrétiens, qui n’y rencontrent ordinairement que des occasions de chute et des périls évidents et certains. Et ces périls séduisants et les choses qui en sont inséparables, ne les aime-t-on pas ? Il est écrit, comme on sait, que, si on les aime, on y trouvera tôt ou tard sa perte et sa ruine.

Tous les Pères de l’Église ont fulminé des anathèmes contre la comédie ou les spectacles ; ils les ont toujours regardés comme ennemis des bonnes mœurs, comme une assemblée honteuse, le sanctuaire de Vénus et le consistoire privé de l’impudicité, comme dit Tertullien. Theatrum propriè sacrarium veneris est… privatum consistorium impudicitiæ (de spect., c. 10) ; comme une école d’impudicité et de libertinage, une peste que le démon a fait succéder à l’idolâtrie ; en un mot, ils ont considéré la fréquentation des spectacles comme une espèce d’apostasie, parce que, disent-ils, une telle action est une des pompes du démon auxquelles les chrétiens ont renoncé par leur baptême. In theatro risus, turpitudo, pompa diabolica, effusio, insumptio temporis, concupiscentiæ absurdæ præparatio, adulterii meditatio, scortationis gymnasium. (S. Chrysost. hom. 42, in act.) In spectaculis , dit Salvien, quædam apostasia’fidei est, et à symbolis ipsius et cœlestibus sacramentis lethalis prævaricatio. Quæ est enim in baptismo salutari christianorum prima confessio…. nisi renuntiare se diabolo et pompis ejus, atque spectaculis et operibus protestentur. (De prov., lib. 6.)

Saint Charles Borromée fit ordonner, dans un concile provincial, que les prédicateurs reprendraient avec force le déréglement de ces plaisirs publics, que les hommes, séduits par une coutume dépravée, mettaient au nombre des bagatelles où il n’y a point de mal ; qu’ils décrieraient avec exécration les spectacles, les jeux, les bouffonneries du théâtre, et les autres divertissements semblables qui tirent leur origine des mœurs des Gentils, et qui sont contraires à l’esprit du christianisme ; qu’ils se serviraient de tout ce qui a été dit de plus pressant sur ce point par Tertullien, saint Cyprien, saint Chrysostôme et Salvien1 ; qu’ils développeraient avec soin les suites et les effets funestes des spectacles ; et qu’enfin ils n’oublieraient rien pour déraciner ce mal et faire cesser cette corruption.

« Il faut fuir les spectacles profanes, les comédies…, dit le rédacteur des Conférences d’Angers ; ce sont des écoles de coquetterie et de libertinage, où la vertu la plus épurée n’est pas en sûreté, et d’où l’on sort toujours moins pur qu’on y est entré. Un chrétien devient en quelque manière apostat, lorsqu’il s’arrête à ces divertissements du inonde, auxquels il a renoncé dans le baptême en renonçant à Satan et à ses pompes. » (Sur les commandements de Dieu.)

Saint François de Sales lui-même qui, dans son immense charité, paraît souvent si accommodant, regarde les spectacles comme dangereux. Voici ce qu’il en dit dans son Introduction à la vie dévote : « Les jeux, les bals, les festins, les pompes, les comédies en leur substance, ne sont nullement choses mauvaises, ains indifférentes, pouvant être bien et mal exercées ; toujours néantmoins ces choses-là sont dangereuses : et de s’y affectionner, cela est encore plus dangereux. Je dis doncques, Philothée, qu’encore qu’il soit loisible de jouer, danser, se parer, ouyr des honestes comédies, banqueter : si est ce que d’avoir de l’affection à cela, c’est chose contraire à la dévotion, et extrêmement nuisible et périlleuse. » (1re partie, chap. 23.)

Enfin nous citerons encore le témoignage non d’un docteur, d’un Père de l’Église ou d’un saint évèque, mais celui d’un pair de France, d’un homme peu suspect d’ascétisme, de M. Charles Dupin. Voici ce qu’il a dit sur les spectacles, il y a quelques années, dans un discours public : « Voyez les théâtres tenant école de corruption et de scélératesse… foulant aux pieds les vertus les plus saintes avec l’intention patente de faire aimer, choyer, admirer le duel, le suicide, l’assassinat et le parricide, l’empoisonnement, le viol, l’adultère, l’inceste, préconisant ces forfaits comme la fatalité glorieuse des esprits supérieurs, comme un progrès des grandes âmes qui s’élèvent au-dessus de la vertu des idiots, de la religion des simples et de l’humanité du commun peuple. Cette littérature empoisonnée nous ramène par la corruption à la barbarie ».

Nous l’avons dit dans un autre ouvrage en parlant du suicide, « les spectacles sont plus dangereux encore (que les romans) aux yeux du vrai sage. Les théâtres, où siége une foule frivole et voluptueuse, ne sont dans la réalité que des écoles du mensonge et de la corruption, où l’on donne des vices certains pour ôter des ridicules exagérés, ou dans lesquels on épuise sa sensibilité et sa pitié pour des malheurs imaginaires pour n’en plus trouver dans des afflictions réelles, domestiques et sociales. Je ne parle pas ici d’un autre genre de séduction que l’on devine facilement. Dans les représentations dramatiques, le plus souvent, que d’aventures tragiques, que d’événements terribles, de catastrophes sanglantes, de scènes d’horreur, de désespoir, de sang, de meurtre, de suicide, qui familiarisent les hommes avec les idées de crime et de destruction, et les livrent sans défense au délire fougueux de leurs passions ! On conçoit sans peine après cela que, dans cet état d’exaltation morale, les accidents réels et ordinaires de la vie, le choc des passions sociales, pourront facilement porter à une triste et funeste réalisation. Il faut le dire ici sans détour, le drame français moderne est devenu un enseignement d’immoralité, d’infamie et d’horreurs, c’est-à-dire de meurtre, de suicide et de prostitution ».

On objecte que le théâtre français, tel qu’il est aujourd’hui, n’a rien de contraire aux bonnes mœurs ; qu’il est même si épuré qu’il n’offre rien que l’oreille la plus chaste ne puisse entendre. A cela Bossuet répond, car l’objection n’est pas nouvelle : « Il faudra donc que nous passions pour honnêtes les impiétés et les infamies dont sont pleines les comédies de Molière ». Voilà ce qu’a dit un homme qui avait, je crois, quelque connaissance des hommes et des choses. « Songez, continue le sublime écrivain, si vous oserez soutenir à la face du ciel des pièces où la vertu et la piété sont toujours ridicules, la corruption toujours excusée et toujours plaisante, et la pudeur toujours offensée, ou toujours en crainte d’être violée par les derniers attentats, je veux dire par les expressions les plus impudentes, à qui l’on ne donne que les enveloppes les plus minces. » (Traité sur la comédie.)

Comment pouvoir approuver la corruption réduite en maximes dans une foule d’opéras et d’opéras comiques, avec toutes les trompeuses et perfides invitations à tous les plaisirs ? Comment approuver ces sentiments dont la nature corrompue est si délicieusement et si dangereusement flattée, et qui sont animés d’une musique enchanteresse qui ne respire que la mollesse et la volupté ?2 Il est inutile de répondre qu’on n’est occupé que du chant et du spectacle, sans songer au sens des paroles ni aux sentiments qu’elles expriment et inspirent : car, comme dit encore Bossuet, « c’est là précisément le danger, que pendant qu’on est enchanté par la douceur de la mélodie, ou étourdi par le merveilleux du spectacle, ces sentiments s’insinuent sans qu’on y pense et plaisent sans être aperçus ; mais il n’est pas nécessaire de donner le secours du chant et de la musique à des inclinations déjà trop puissantes par elles-mêmes ; et si vous dites que la seule représentation des passions agréables dans les tragédies d’un Corneille et d’un Racine, n’est pas dangereuse à la pudeur, vous démentez ce dernier, qui, occupé de sujets plus dignes de lui, renonce à sa Bérénice, que je nomme parce qu’elle vient la première à mon esprit ».

D’autres affirment imperturbablement qu’ils ne voient dans les spectacles aucun danger pour eux, qu’ils sortent du théâtre aussi purs qu’ils y sont entrés, et que leur vertu n’en reçoit la moindre atteinte ; étrange illusion ! funeste aveuglement ! Il ne faut voir là que le pur effet d’une dureté ou d’une grande insensibilité de conscience. Mais enfin, quelle est donc cette vertu à l’épreuve de toute atteinte ? n’est-il pas à craindre qu’elle ne soit de celles des sages du monde, qui ne savent s’ils sont chrétiens ou non, et qui s’imaginent, comme dit encore Bossuet, avoir rempli tous les devoirs de la vertu, lorsqu’ils vivent en gens d’honneur, sans tromper personne, pendant qu’ils se trompent eux-mêmes en donnant tout à leurs plaisirs et à leurs passions ? Mais quand ces hommes, si vertueux et invulnérables suivant eux, n’auraient réellement rien à craindre pour eux-mêmes, n’auraient-ils pas toujours à craindre le scandale qu’ils donnent aux autres ? Væ homini illi, per quem scandalum venit. (Matth. 18, 7.)

Si les peintures et les images immodestes ou obscènes présentent naturellement à l’esprit ce qu’elles expriment, combien plus sera-t-on touché des représentations théâtrales, où, comme dit Bossuet, « tout paraît effectif ; où ce ne sont point des traits morts et des couleurs sèches qui agissent, mais des personnages vivants, de vrais yeux, ou ardents, ou tendres et plongés dans la passion, de vraies larmes dans les acteurs, qui en attirent d’aussi véritables dans ceux qui regardent : enfin de vrais mouvements, qui mettent en feu tout le parterre et toutes les loges ; et tout cela, dites-vous, n’émeut qu’indirectement et n’excite que par accident les passions…. Dites, continue le grave Bossuet, que la pudeur d’une jeune fille n’est offensée que par accident, par tous les discours où une personne de son sexe parle de ses combats, où elle avoue sa faute et l’avoue à son vainqueur même, comme elle l’appelle. Ce qu’on ne voit point dans le monde, ce que celles qui succombent à cette faiblesse y cachent avec tant de soin, une jeune fille le viendra apprendre à la comédie. Elle le verra, non plus dans les hommes à qui le monde permet tout, mais dans une fille qu’on montre comme modeste, comme pudique, comme vertueuse, en un mot, dans une héroïne ; et cet aveu dont on rougit dans le secret est jugé digne d’être révélé au public, et d’emporter comme une nouvelle merveille l’applaudissement de tout le théâtre ». (Ibid.)

Nous ne voulons pas parler ici du prestige séduisant et fascinateur des comédiennes ou des actrices, même en admettant la modestie et la décence extérieure de leurs ajustements. On se figure aisément tout l’attirail de la vanité et des dangereux appas de ces femmes, semblables à ces sirènes dont parle le prophète Isaïe, qui font leur demeure dans les temples de la volupté. Sirenes in delubris voluptatis (13, 22).

Ceux qui composent ou qui représentent des pièces de théâtre vraiment obscènes, sans aucun doute pèchent mortellement. C’est le sentiment des théologiens les moins suspects de rigorisme en cette matière, tels que saint Antonin, saint Liguori, Sylvester, Sanchez, Mgr Bouvier, Mgr Gousset, etc.

On pèche encore mortellement en concourant ou en coopérant à une représentation notablement indécente, valdè turpis, soit par souscription ou abonnement, soit par applaudissement, ou même par la simple assistance aux spectacles notablement obscènes, ob turpem delectationem indè consurgentem.

« Comœdias, tragœdiasve, ait DD. Bouvier, non multùm turpes componere, vel in theatro repræsentare, à mortali tamen communiter excusari non potest, propter periculum hujusmodi ludis annexum, et ob scandalum exindè pro aliis exurgens. Undè actores et actrices, in concilio arelatensi, anno 314, can. 5, fuerunt excommunicati, et hùc usque velut excommunicati habiti sunt saltem in Galliâ : idcircò sacramenta Ecclesiæ ipsis etiam in articulo mortis non administrantur, nisi professioni suæ se renuntiaturos promittant.

« Dico, saltem in Galliâ, quia in Italiâ, in Germaniâ, in Poloniâ, in aliisque regionibus, viri et mulieres ab Ecclesiæ sacramentis non excluduntur præcisè ob scenas theatricas quibus inserviunt, sed liberum est confessariis eos admittere vel repellere, secundùm naturam repræsentationum ad quas concurrunt. »

Suivant le même auteur, saint Liguori, Sanchez et l’opinion commune des théologiens au moins étrangers, il n’y a point de péché mortel à assister à des représentations qui ne sont point notablement indécentes, ni exécutées d’une manière indécente, sauf néanmoins tout danger particulier et tout scandale.

Mais voici d’autres opinions qui nous paraissent trop graves ou plutôt trop hasardées pour les laisser passer sans observation. Elles viennent de Sanchez et de saint Liguori, et elles ont été récemment reproduites par Mgr Gousset en ces termes : « Il y aurait péché mortel pour les simples spectateurs qui assisteraient à une représentation notablement obscène, pour le plaisir honteux que cette représentation peut occasionner. Mais il n’en est pas de même de ceux qui n’y assistent que par curiosité ou par récréation ; ils ne pèchent que véniellement, pourvu qu’ils se proposent de résister à tout mouvement charnel qui peut survenir, ou qu’ils n’aient pas lieu de craindre de se laisser aller à quelques fautes graves.

« Cependant, il serait difficile d’excuser de péché mortel un jeune homme qui, sans nécessité, voudrait assister au spectacle dans le cas dont il s’agit3 ; à moins qu’il ne fût d’une conscience très-timorée et qu’il ne pût s’autoriser sur sa propre expérience. Encore faudrait-il, dans ce dernier cas, que son exemple ne fût pas une occasion, pour d’autres jeunes gens, d’assister à des représentations indécentes. » (Théologie morale, t. 1, 6e partie, du sixième précepte du décalogue.)

L’auteur, comme nous venons de le dire, s’appuie sur Sanchez et sur saint Liguori, auxquels il renvoie sans en rapporter le texte, mais que nous citerons tout-à-l’heure.

On ne commet donc, d’après ce qui précède, qu’un péché véniel en assistant, par curiosité ou par récréation, à une représentation notablement obscène. Mais on sait assez qu’on ne va ordinairement au spectacle que par ces sortes de motifs, c’est-à-dire par curiosité, amusement et récréation. On ajoute, il est vrai : pourvu qu’ils se proposent de résister à tout mouvement charnel qui peut survenir. Mais on se propose cela encore ordinairement. Enfin, on y met une autre condition encore : pourvu qu’ils n’aient pas lieu de craindre de se laisser aller à quelques fautes graves. Mais on se persuadera encore ordinairement, pour ne pas dire toujours, qu’on n’a rien à craindre de ce côté-là, et, en attendant, on va s’exposer volontairement, par curiosité ou par récréation, c’est-à-dire sans nécessité, à un danger prochain de péché mortel que l’on ne peut manquer de trouver dans un spectacle notablement obscène.

Voici maintenant le texte de Sanchez : « Quamvis comœdiis interesse non sit mortale, ubi nec res turpes repræsentantur, nec modus repræsentandi est turpis : vel si hæc concurrant, audiuntur ob solam vanam curiositatem, absque periculo probabili lapsùs in aliquod peccatum mortale ». (Lib. 9, dis. 46, n° 40.) Il faut faire remarquer ici que Sanchez ne se sert pas de l’expression valdè turpes, très ou du moins notablement obscène, lorsqu’il avance qu’il n’y a point de péché mortel quand on assiste à un spectacle obscène, turpis ob solam vanam curiositatem, etc. On n’aurait pas dû, d’après cela, appliquer l’expression notablement obscène à ce dernier cas, ou à la représentation où l’on ne fait faire qu’un péché véniel, et l’on aurait dû se contenter de dire tout simplement : représentation indécente, qui certainement dit moins que notablement obscène ; sans qu’il faille en conclure que nous croyons que l’on ne pèche que véniellement quand on assiste sans nécessité à un spectacle indécent. Voici la suite du texte de Sanchez qui sert de base aux premières paroles de la citation de Mgr Gousset : « At quandò turpia repræsentantur, vel modus est turpis, audiunturque ob delectationem ex ipsis rebus turpibus consurgentem, aut cum probabili ruinæ periculo, esse lethale ».

Quant au jeune homme à qui on permet d’assister, sans nécessité, à ces sortes de spectacles, c’est-à-dire notablement obscènes, sans pécher mortellement, pourvu qu’il fût d’une conscience très-timorée, nous demanderons quelle est cette conscience très-timorée d’un jeune homme qui assiste à de pareils spectales ? n’y a-t-il pas là une sorte de contradiction pratique, et un jeune homme qui a véritablement la conscience très-timorée, le voit-on fréquenter des spectacles notablement obscènes ? Et puis encore, dans l’espèce, est-ce que tout le monde n’est pas plus ou moins jeune homme ? Qui se existimat stare, videat ne cadat.

Le texte et l’exemple du jeune homme à conscience timorée sont pris de saint Liguori qui s’exprime ainsi : « Nullo autem modo à mortali excusarem adolescentem, qui absque necessitate, vellet curiositatis causâ hujusmodi comœdiis (notabiliter turpibus ut suprà dictum est) interesse, nisi quis esset valdè timoratus, et insuper pluries esset expertus, se, illas spectando, nunquam lethaliter peccasse ; modò suo exemplo aliis adolescentibus occasionem non præberet hujusmodi turpibus repræsentationibus assistendi ». (Lib. 3, n° 427.)

Sauf le profond respect que nous professons pour d’aussi graves autorités que celles de saint Liguori et de Mgr Gousset, nous ne pouvons partager leur opinion, pour les raisons que le lecteur a dû voir et apprécier plus haut. On doit encore se rappeler que les théologiens étrangers, surtout ceux d’Espagne et d’Italie (Sanchez et saint Liguori), sont généralement moins difficiles sur l’article des spectacles que les théologiens français. Il ne faut donc prendre sur ce point leurs opinions qu’avec mesure et reserve. Mgr Bouvier en avait déjà fait la remarque au moins d’une manière implicite, en disant : « Scenis notabiliter turpibus interesse ob delectationem indè consurgentem, peccatum est mortale, ut patet : si verò ob solam curiositatem aut vanum solatium id fiat, secluso periculo consensûs in rem veneream, quidam4 æstimant peccatum esse duntaxat veniale : verùm laxior est ista decisio, et mortale reputandum est peccatum, tùm propter periculum, tùm propter scandalum, tùm propter cooperationem ad actionem mortaliter malam ».

Si les pièces ne sont pas notablement obscènes et qu’elles ne soient pas représentées d’une manière indécente, il n’y a point de péché mortel à y assister, suivant Sanchez, saint Liguori, Mgr Bouvier, Mgr Gousset, et plusieurs théologiens étrangers, sauf toujours tout danger particulier et tout scandale. Ces théologiens, contre l’opinion d’un grand nombre d’autres, donnent pour raison que, dans l’espèce, cette simple assistance n’est point une grave coopération à l’entretien de la profession des acteurs ; ce qui ne nous parait pas exact : car qu’est-ce qui appelle sur le théâtre les acteurs, les entretient dans leur état, dans leur luxe, etc., si ce ne sont les spectateurs ? Otez les auditeurs , dit saint Chrysostôme, vous ôterez les acteurs. (Hom. in matth.) Collet parle dans le même sens : « Comœdiorum actioni, quæ grave est peccatum, indubiè cooperantur (assistentes) ; tolle enim spectatores, sustuleris et actores ». (De sexto decalogi præcepto.)

Les mêmes auteurs affirment qu’il n’y a nul péché à assister aux spectacles non obscènes, si pour cela il y a quelque raison de nécessité, d’utilité ou de bienséance d’état, decentia statûs, comme ils disent, en supposant toujours qu’il n’existe ni danger particulier ni scandale. On donne pour raison qu’on a alors un motif suffisant qui permet de coopérer d’une manière éloignée aux péchés des autres, ou de s’exposer soi-même à quelque péril. « Quia tunc daretur ratio sufficiens peccatis aliorum sic remotè cooperandi et cuidem periculo se exponendi. » C’est d’après cela, ajoute-t-on, qu’il est permis d’aller aux spectacles non obscènes, aux femmes mariées, pour ne pas déplaire à leurs maris qui exigent d’elles cette complaisance ; aux domestiques, pour servir leurs maîtres ou leurs maîtresses ; aux enfants, sur l’ordre de leurs parents ; aux magistrats et aux gens de police, pour le maintien du bon ordre ; aux rois et aux princes, afin de se concilier l’affection de leurs sujets ; aux hommes de cour, qui sont obligés d’accompagner le prince, etc., pourvu que toutes ces personnes aient une intention pure et ne consentent à aucune délectation charnelle. C’est la doctrine de Mgr Bouvier, que nous ne voulons pas absolument blâmer. Un petit scrupule cependant nous arrête et nous empêche d’y donner notre entière adhésion : c’est, et ce sera toujours la difficulté de la coopération au maintien d’une profession que l’Église regarde comme un obstacle à la réception des sacrements, même à l’article de la mort, suivant Mgr Bouvier lui-même qui, comme nous l’avons vu plus haut, dit que les acteurs et les actrices ont été regardés, jusqu’à présent, comme excommuniés, du moins en France. Et hùc usque velut excommunicati habiti sunt saltem in Galliâ. Voyez la page 275. C’est donc une profession incompatible avec le salut ou la sanctification chrétienne, puisqu’on est obligé d’y faire renoncer les acteurs et les actrices à l’article de la mort, qu’ils soient aujourd’hui excommuniés ou non. Mgr Gousset, bien qu’il ne paraisse pas les regarder comme excommuniés, ne les oblige pas moins à cet acte de renonciation à l’article de la mort.

Voici ce que dit Bossuet sur ce point : « Elle (l’Église) condamne les comédiens, et croit par là défendre assez la comédie ; la décision en est précise dans les Rituels, la pratique en est constante ; on prive des sacrements, et à la vie et à la mort, ceux qui jouent la comédie, s’ils ne renoncent à leur art ; on les passe à la sainte table comme des pécheurs publics ; on les exclut des ordre sacrés, comme des personnes Infâmes ; par une suite infaillible, la sépulture ecclésiastique leur est déniée. Quant à ceux qui fréquentent les comédies, comme il y en a de plus innocents les uns que les autres, et peut-être quelques-uns qu’il faut plutôt instruire que blâmer, ils ne sont pas répréhensibles au même degré, et il ne faut pas fulminer également contre tous. Mais de là il ne s’ensuit pas qu’il faille autoriser les périls publics : si les hommes ne les aperçoivent pas, c’est aux prêtres à les instruire et non pas à les flatter ».

Nous allons maintenant exposer brièvement les conclusions pratiques que les confesseurs ont à tirer de tout ce qui précède, ou plutôt nous présenterons un court exposé des règles de conduite qu’offrent aux confesseurs les théologiens les plus éclairés et les plus sages. Nous les entremêlerons au besoin de quelques courtes réflexions.

Voici d’abord la règle que suit Mgr Bouvier : nous allons citer textuellement.

« Non absolverem, 1° actores et actrices etiam in articulo mortis, nisi professioni suæ renuntiarent ; 2° poetas qui componunt fabulas amoribus illicitis plenas, in theatro repræsentandas ; 3° eos qui ad repræsentationes theatricas proximè concurrunt, ut famulas qui actrices vestiunt, aut qui vestes ad solum hunc usum destinatas ex professo vendunt, locant vel conficiunt ; 4° eos qui scenis theatralibus assistendo, grave præbent scandalum, ut essent personæ virtutibus christianis conspicuæ, nisi gravi necessitate premerentur ; 5° eos qui propter circumstantiam personalem grave subeunt periculum libidinis ; 6° nec eos qui sine causà rationabiliter excusante frequentissimè istiusmodi ludis intersunt, etiamsi nec grave periculum incurrerent, nec scandalum præberent, quia talis consuetudo cum vitâ christianâ conciliari non potest.

« Absolverem, è contrà, pro communione paschali, 1° omnes qui causam sufficienter excusantem habentes, non peccant ; 2° eos qui aliquoties duntaxat, vel ex quibusdam circumstantiis tantùm spectaculis non per se notabiliter inhonestis assistunt, seclusis et periculo et scandalo ; 3° eos qui ad repræsentationes theatrales non proximè, aut solummodò leviter concurrunt, v. g., aulam theatralem verrendo, ædificium instaurando, etc. » On voit, d’après cela, que Mgr Bouvier ne refuse l’absolution qu’aux consuétudinaires, c’est-à-dire à ceux qui vont habituellement au spectacle avec affection et sans légitime excuse, parce qu’une telle conduite ne peut se concilier avec la vie chrétienne. Nous ne parlons ici que des personnes qui assistent au spectacle et non des acteurs, etc.

Suivant Collet, Lamet rapporte que six docteurs de Sorbonne ayant été consultés, en 1694, sur la matière, ont décidé qu’on devait refuser l’absolution : « 1° actoribus qui scenicos ludos exhibent ; 2° auctoribus qui fabulas componunt in theatro recitandas ; 3° artificibus qui ad theatrum proximè spectantia concinnant : nisi hi omnes sufficienter moniti resipiscere velint, et prædictis nuntium remittere perpetuum. Idem et à fortiori de scenecis musicis, gallicè opera dicendum. » (Collet.) Ità ctiam Bailly.

Il est à remarquer que les six docteurs de Sorbonne, ni Collet, ni Bailly, ne font aucune mention des spectateurs ou de ceux qui vont aux spectacles : c’est qu’apparemment la consultation adressée à la Sorbonne n’était point relative à ces derniers. Faut-il en conclure que l’on ne doit point leur refuser l’absolution ? C’est ce que l’on ne peut admettre sans distinction, et certes ce ne peut être le sévère Collet, et avec beaucoup de raison, qui serait d’avis de les absoudre tous en masse, in globo et sans distinction.

« Le spectacle par lui-même n’est point mauvais, dit Mgr Gousset ; on ne peut donc le condamner d’une manière absolue, mais il est plus ou moins dangereux suivant les circonstances et l’objet des pièces qu’on y joue ; on ne peut donc approuver ceux qui ont l’habitude de le fréquenter : on doit même l’interdire à toutes les personnes pour lesquelles il devient une occasion prochaine de péché mortel. »

Suivant les Instructions sur le Rituel de Toulon, fort connues et fort estimées d’ailleurs, « on doit regarder comme occasion prochaine de péché mortel, l’assistance à la comédie, à l’opéra et à tous les spectacles que représentent les comédiens et les bateleurs, et, sans aucune distinction, tous ceux de même espèce qui montent sur le théâtre pour le divertissement public ». (De la comédie, t. i.) On trouvera probablement ces décisions un peu rigides. Continuons. Quelques pages plus haut, l’auteur avait dit : « On doit refuser l’absolution à ceux qui sont dans l’occasion prochaine du péché mortel…. On appelle occasion prochaine du péché mortel tout ce qui expose au danger moral où probable de pécher mortellement. Il y a des occasions prochaines qui portent au péché mortel par elles-mêmes et de leur nature, comme les professions de comédiens, farceurs, etc. »

Revenons encore aux acteurs et aux actrices, c’est un autre passage de Mgr Gousset qui nous y ramène. Ce savant théologien dit : « Le spectacle n’étant point mauvais de sa nature, la profession des acteurs et des actrices, quoique généralement dangereuse pour le salut, ne doit pas être regardée comme une profession absolument mauvaise ». Mgr Gousset, d’après saint Liguori, se fonde sur le passage suivant de saint Thomas : « Ludus, dit le docteur angélique, est necessarius ad conversationem vitæ humanæ. Ad omnia autem quæ sunt utilia conversationi humanæ deputari possunt aliqua officia licita. Et ideò etiam officium histrionum, quod ordinatur ad solatium hominibus exhibendum, non est secundùm se illicitum : nec sunt in statu peccati, dummodò moderatè ludo utantur, id est, non utendo aliquibus illicitis verbis vel factis ad ludum, et non adhibendo ludum negotiis et temporibus indebitis…. Undè illi qui moderatè eis subveniunt, non peccant ; sed justè faciunt mercedem ministerii eorum eis tribuendo. Si qui autem superfluè sua in tales consumant, vel etiam sustentent illos histriones qui illicitis ludis utuntur, peccant, quasi eos in peccato foventes ». (Sum. part. 2, 2. q. 168, art. 3.)

Il n’est nullement certain que ce fameux passage de saint Thomas doive s’appliquer à nos spectacles et en justifier la pratique : il ne prouve donc pas sans réplique que la profession des acteurs et des actrices n’est pas mauvaise. Bossuet ne rejette-t-il pas cette preuve en faveur de la comédie, tirée du texte de saint Thomas, lorsqu’il dit : « Quand il serait vrai, ce qui n’est pas, que saint Thomas, à l’endroit que l’on produit de sa Somme, ait voulu parler de la comédie, etc. » ? Pontas est encore plus explicite sur le passage de saint Thomas si souvent invoqué en faveur des spectacles. Voici ce qu’il en dit : « Comme les fauteurs des comédiens soutiennent que saint Thomas leur est favorable, en ce qu’il semble dire que la profession des comédiens n’est pas mauvaise de sa nature, et que l’on peut même contribuer à leur subsistance pourvu que ce soit d’une manière modérée…, il est nécessaire que l’on sache que ce saint docteur n’entend pas parler des comédies telles que les dépeignent les conciles et les Pères, et telles qu’on les représente encore aujourd’hui, où on ne voit qu’intrigues de mariages, ou d’amourettes et que des paroles équivoques, qui ne tendent qu’à exciter ou à entretenir les passions les plus honteuses. Car peut-on, sans faire une injure atroce à ce saint, lui imputer une doctrine contraire à celle des conciles et des Pères de tous les siècles ? Est-il croyable qu’il ait voulu approuver une profession qui rend infâmes et excommuniés ceux qui l’exercent ? Il est donc vrai de dire qu’il ne parle que des seuls jeux de théâtre, qui, comme il le dit, sont en quelque manière utiles ou nécessaires au soulagement des peines de la vie, entre lesquels il met les représentations de chasse… Cet ange de l’école n’a donc garde d’enseigner qu’on puisse assister aux comédies dont nous parlons, ni qu’on puisse rien donner à ceux qui les représentent, puisque tout au contraire il les condamne lui-même avec saint Augustin, peu après les paroles qu’objectent les fauteurs de la comédie. Si qui autem superflua in tales consumunt, ajoute-t-il, vel etiam sustentant illos histriones, qui illicitis utuntur, peccant, quasi eos in peccato foventes. Undè Augustinus dicit super Joannem, quod donare res suas histrionibus 5 , vitium est immane ». (Comédie.)

On voit, d’après cela, que le passage de saint Thomas prouve assez mal ce que l’on prétend établir, savoir que l’on ne doit pas regarder comme absolument mauvaise la profession des acteurs et des actrices. Abstractivement et spéculativement prise, ou comme sont les acteurs dans les colléges, non, elle n’est pas absolument mauvaise ; prise positivement, pratiquement dans l’état actuel de nos mœurs corrompues, dans l’état actuel des théâtres en Europe et avec toutes les circonstances qui en sont devenues inséparables et sans lesquelles cette profession n’existe pas ; oui, elle est mauvaise, très-mauvaise, immensément mauvaise.

Mgr Gousset ajoute : « Saint Antonin, saint Alphonse de Liguori et saint François de Sales, s’expriment comme saint Thomas. On voit que ces saints docteurs ne croyaient point que les acteurs, les comédiens fussent excommuniés ». Il est vrai, ces saints docteurs parlent sur la comédie, comme saint Thomas, et dans le même sens et aux mêmes conditions que saint Thomas ; mais ils ne parlent que de la comédie et non des comédiens, et par conséquent ils ne disent pas s’ils sont excommuniés ou non ; ou, s’ils parlent des comédiens, c’est pour déclarer, avec tous les théologiens et conséquemment avec Mgr Gousset lui-même, qu’on ne peut absoudre un comédien même à l’article de la mort, s’il ne renonce à sa profession. Voici comment Mgr Gousset s’exprime sur ce point : « Lorsqu’un acteur est en danger de mort, le curé doit lui offrir son ministère. Si le malade ne paraît pas disposé à renoncer à sa profession, il est prudent, à notre avis, de n’exiger que la simple déclaration que, s’il recouvre la santé, il s’en rapportera à la décision de l’évêque. Cette déclaration étant faite, on lui accordera les secours de la religion. Dans le cas où il s’obstinerait à refuser la déclaration qu’on lui , il serait évidemment indigne des sacrements et des bénédictions de l’Église. » (Théologie morale, t. i, du sixième précepte du décalogue.)

Enfin, nous croyons devoir rapporter encore ici la règle de conduite à tenir à l’égard des personnes qui fréquentent les spectacles, que l’on trouve tracée par le pieux évêque feu Mgr Joly de Choin, dans le Rituel de Toulon.

Voici ce que ce savant évêque a écrit il y a près d’un siècle : « Si un pénitent, qui a fréquenté les spectacles, n’avait pas été auparavant instruit de l’iniquité de ces représentations, le confesseur peut, après lui avoir fait comprendre ce qui en est, lui donner l’absolution, si d’ailleurs il n’y a pas d’autre empêchement, s’il promet sincèrement de s’abstenir de ces sortes de divertissements, et si, par la contrition et les dispositions qu’il témoigne, il y a lieu d’espérer qu’effectivement il s’en abstiendra.

« Si, après que le pénitent a été instruit, et qu’il a promis de ne plus aller au spectacle, il est tombé et a manqué à sa parole, le confesseur doit lui refuser l’absolution jusqu’à ce qu’il ait été éprouvé pendant le temps nécessaire, en suivant les principes marqués…… pour l’absolution de ceux qui sont dans l’occasion prochaine du péché mortel.

« Si le pénitent ne veut pas promettre de renoncer pour toujours à ces amusements pernicieux, ou si le confesseur a un juste fondement de juger que, nonobstant la promesse qu’il en fait, il n’est pas véritablement disposé à fuir entièrement les spectacles, il doit lui refuser l’absolution, jusqu’à ce que, par des preuves réelles et non équivoques, il soit moralement assuré de la sincérité de sa conversion et de son changement ; conformément aux anciennes ordonnances synodales de ce diocèse, qui ont été renouvelées et confirmées à cet égard. » (Instructions sur le Rituel de Toulon, t. i, du Sacrement de pénitence, page 741.)

D’après tout ce que nous avons dit jusqu’à présent sur les spectacles, il est aisé de voir que, depuis Bossuet et surtout depuis cent ans, il s’est opéré quelque changement dans l’opinion des théologiens et dans la conduite des confesseurs sur la question du théâtre. D’où vient donc ce dissentiment ou cette divergence de vues ou d’opinions ? Est-ce le résultat d’une amélioration ou d’un progrès moral dans l’état du théâtre, ou d’une heureuse réforme qu’il aurait subie ? Nous ne le pensons pas : d’ailleurs, une réformation morale est ici impossible, et, dans l’état actuel des mœurs et de l’esprit des nations, le théâtre est radicalement irréformable. Vouloir réformer et réduire les spectacles, contre leur nature, aux règles sévères de l’honnêteté et de la vertu, ce serait les anéantir et rendre le théâtre désert. N’en faut-il pas plutôt accuser une plus grande licence des mœurs, une corruption plus profonde et plus générale ? Nous le pensons, nous en avons même la conviction intime. Mais, dira-t-on, la corruption des mœurs a été de tous les temps, la nature humaine est toujours la même ; d’ailleurs l’histoire le prouve sans réplique. Sans doute, la corruption a existé dans tous les siècles passés et existera dans les siècles futurs ; mais elle n’a traversé et ne traversera les siècles qu’avec des oscillations en plus et en moins, suivant le degré de foi religieuse des peuples. Il est une vérité incontestée et incontestable, c’est que quand la foi diminue chez un peuple, ses mœurs se corrompent à proportion : on ne pratique sincèrement que ce que l’on croit fermement, et on ne pratique plus dès qu’on ne croit plus. Le frein religieux brisé, la morale publique et privée est bientôt emportée dans le torrent rapide et bourbeux des honteuses et sales passions. Ce qu’on a semé dans la corruption ne produit que des fruits de mort et de corruption, c’est-à-dire la démoralisation, le règne impérieux des sens avec des passions inassouvissables.

Faudra-t-il conclure, du changement et de la diversité d’opinions des théologiens et même de la différence de conduite des confesseurs, que les principes de morale et la doctrine de l’Église changent aussi ? Nullement. La société peut subir certaines mutations dans sa constitution, et les goûts et les passions des hommes peuvent suivre ces phases sociales et revêtir des formes nouvelles : mais la doctrine ou les saintes maximes de l’Église ne varient pas ; leur application seule peut varier et se modifier suivant les circonstances des mœurs, des temps et des lieux.

Nous terminons tout cet article par l’indication des principaux auteurs qui ont écrit sur et contre les spectacles.

Le prince de Conti, Traité de la comédie et des spectacles, selon la tradition des Pères ; Nicole, Essais de morale, tome 3 et tome 5, pensées sur les spectacles ; Bossuet, Maximes et réflexions sur la comédie, on a vu avec quelle force Bossuet s’élève contre le théâtre ; Desprez-de-Boissy, Lettres sur les spectacles ; Concina, théologien dominicain, de Spectaculis theatralibus ; Gérard, comte de Valmont ; enfin, une foule de théologiens français, comme Fromageau, Pontas, etc. Jean-Jacques Rousseau lui-même a fortement blâmé les spectacles dans une longue et éloquente lettre à d’Alembert. Racine, Bayle, la Mothe, Gresset, Riccoboni, qui avaient connu les dangers des spectacles, gémissaient de s’être dévoués au service du théâtre et formaient des vœux pour sa suppression.