(1684) Sixiéme discours. Des Comedies [Discours sur les sujets les plus ordinaires du monde. Premiere partie] « Sixiéme Discours. Des Comedies. » pp. 279-325
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(1684) Sixiéme discours. Des Comedies [Discours sur les sujets les plus ordinaires du monde. Premiere partie] « Sixiéme Discours. Des Comedies. » pp. 279-325

Sixiéme Discours.

Des Comedies.

Exorde . Des plaisirs communs au corps & à l’esprit ; & premierement de la Comedie.

I’ ay traité jusqu’icy des plaisirs qui appartiennent aux sens plus qu’à l’esprit ; parlons des plaisirs qui sont communs au corps, & à l’ame, & en premier lieu de la Comedie, qui est un des plus agreables divertissemens de ces deux parties dont nous sommes composez. Les yeux s’y plaisent à voir la bonne grace & les gestes des Acteurs, les décorations du theatre, & les grandes assemblées. L’oreille y est charmée par la mesure, par la douceur, & par la prononciation des vers ; le nombre & l’accord des instrumens & des voix semblent s’y disputer la gloire de la ravir. L’esprit est satisfait par le genie de la Piece, par la conduite, par l’élegance, & par la pureté de la composition. Il a le contentement d’y considerer les tableaux de ses inclinations, les images des desirs, de l’amour, de la joye, de la haine, & des autres passions : les applications de tous ces mouvemens à des sujets differens, un mélange si bien disposé, qu’il laisse de la passion pour le retour des mouvemens que les Acteurs suspendent pour un temps, afin de recréer par la nouveauté de ceux qu’ils font paroistre. Les foiblesses que chacun reconnoist en soy semblent plus excusables dans la multitude des complices ; elles semblent legeres en comparaison de celles qui éclatent sur les theatres ; & on apprend mesme à les contenter par les adresses qu’on y remarque, & que leurs partisans veritables ou supposez mettent en usage pour arriver aux fins qu’ils se proposent. Ceux qui sont engagez dans le vice, & ceux qui pratiquent la vertu, trouvent de la satisfaction dans les differentes Pieces que l’on y jouë ; de sorte que les Comedies & leurs accompagnemens sont comme des corps & des troupes de plaisirs, & que Tertullien auroit pû nommer les theatres des camps de delices, comme il les appelle des camps de crimes. Il ne faut pas s’étonner si les hommes trouvent tant de satisfaction en des lieux où la douleur mesme donne de la joye ; où la compassion, où la misere la plus extrême, cause du contentement, & où les malheurs & les larmes sont agreables. Nous ne devons pas estre surpris de ce que ce gros enleve tant de personnes, de ce que les particuliers se laissent emporter par ce grand nombre de plaisirs ; il faut certainement un courage plusque mediocre, pour se défendre d’un gros qui nous attaque par autant d’endroits qu’ils nous trouvent de foibles. Cette matiere estant des plus délicates, des plus embarrassées, & des plus agitées, je la traitera y avec tout ce qui me sera possible d’éclaircissement & d’application. Et pour commencer :

Partage. Distinction des Comedies.

Il faut convenir que les Pieces de theatre sont ou innocentes, ou criminelles, ou en partie innocentes, & en partie criminelles. Si la poësie est bien nommée une peinture parlante, c’est sur le theatre que ce nom se verifie dans toute son étenduë. Les peintures representent quelquefois des sujets conformes aux loix divines, quelquefois des sujets contraires, quelquefois des sujets en partie conformes, & en partie contraires à ces loix. Nous pouvons remarquer la mesme difference dans les Pieces de theatre, dans ces peintures qui parlent par la bouche des Acteurs. Quelques-unes de ces Pieces sont des copies animées de l’innocence & de la sainteté ; quelques-unes sont des tableaux vivants des passions les plus noires & les plus criminelles ; quelques-unes tiennent le milieu de ces extremitez, & sont des images éloquentes des vertus, & des vices.

Dans les premiers siecles de l’Eglise on ne representoit rien que de criminel sur les theatres du paganisme ; on n’y representoit rien qui ne fust capable de corrompre la plus pure integrité, rien qui ne peust inspirer le mépris des peres & des meres, former les enfans & les domestiques au larcin & à l’impudicité ; allumer, ou nourrir la haine, la vengeance, la cruauté, entretenir l’idolâtrie, l’impieté, les autres crimes, par le récit des débauches, des violences, & des autres vices des Dieux. Le saint Esprit arma le zele, la plume, & la langue des plus anciens Peres de l’Eglise contre ce gros de crimes, contre ces conspirations déterminées à la ruine generale des vertus ; les foudres mesmes, qu’il a confié à l’Eglise ont esté employez par les inspirations de ce divin Esprit, pour défendre l’innocence contre les insultes & les efforts de ces divinitez imaginaires. Les theatres se sont relevez de leurs ruines, ils renaissent, ils subsistent, ils triomphent aprés les coups & malgré les coups de foudre, & sur tout depuis que nous ne pouvons plus reprocher aux Fideles, qu’ils trahissent leur foy, & qu’ils renoncent à leur religion, en allant avec les Payens ; & en demeurant avec eux, afin de prendre des divertissemens établis aussi bien pour honorer leurs Dieux, que pour recréer les hommes.

Il est certain que l’Eglise n’a jamais condamné indifferemment les Pieces de theatre, elle n’a jamais eu dessein de lancer le foudre sur la Tragedie intitulée, Jesus-Christ souffrant, & composée par saint Gregoire de Nazianze. Elle a trop de discretion & de pieté pour frapper de ses foudres l’image de Jesus-Christ. Plusieurs autres Pieces nous representent des Histoires saintes de l’ancien & du nouveau Testament ; ces images parlantes de la sainteté ne sont pas plus dignes des foudres de l’Eglise, que les images muëtes, qui n’entretiennent que les yeux : & ce seroit un caprice bien injuste de respecter les dernieres, & de condamner les premieres ; l’Eglise n’est pas capable de cette conduite bizarre, & opposée au respect qu’elle nous ordonne de rendre aux images de Jesus-Christ, & des Saints. Quand nous remarquerions quelques passions criminelles dans les plus religieuses Comedies, elles n’y paroissent que dans un état qui en fait concevoir de l’horreur : & elles ne sont non plus contraires au respect que nous devons à ces images parlantes, que les bourreaux qui dans un tableau font mourir Jesus-Christ, ou les Saints, ne sont pas opposez à la veneration que nous devons à cette representation de la Passion de Jesus-Christ, & du martyre des Saints. Ces bourreaux bien loin de diminuer le respect que nous devons à ces tableaux, en sont en partie, les causes, & nous honorons ces representations en partie, parceque nous y voyons crucifier Jesus-Christ, ou martyriser les Saints.

Les Histoires profanes fournissent aussi plusieurs riches sujets aux theatres, les mœurs des siecles luy donnent d’amples matieres, & si le tout est traité avec la bienseance qui est convenable à la Religion, & à l’honesteté publique ; leur innocence est à couvert des foudres. Ces ingenieuses productions servent à former l’éloquence, à corriger les mœurs, à soulager l’esprit, & n’estant pas criminelles d’elles-mesmes, & estant si utiles au public, elles ne meritent pas le anathémes de l’Eglise.

Les Pieces ambiguës ont besoin de reforme, il n’est pas permis de les joüer, de les entendre, ny mesme de les souffrir. Je parleray de la composition dans le Discours de la lecture ; je repete qu’il n’est pas permis de les souffrir qu’aprés qu’elles auront esté corrigées par des personnes de sçavoir, & de pieté. Et comme cette matiere estant publique ne regarde pas moins les peres & les meres, les Puissances ecclesiastiques & seculieres, que les particuliers : Comme les Pieces de theatre sont ou entierement criminelles, ou en partie innocentes, en partie criminelles, & qu’il n’y a point d’Auteur qui n’en puisse composer de criminelles, voyons le zele avec lequel il faut fuïr & interdire les criminelles, reformer celles qui sont en partie innocentes, en partie criminelles ; empescher de paroistre celles qui peuvent estre criminelles ; ce sont les moyens d’arrester le mal qu’elles sont ou par elles-mesmes, ou par quelqu’une de leurs parties ; ce sont les moyens de prévenir le mal que les Pieces nouvelles pourroient faire.

Premier point.

Fuir & interdire les Pieces criminelles.

I l n’est jamais permis d’aller à la Comedie quand on sçait que les Pieces qu’on y jouëra sont contraires à la chasteté, à la pieté, au respect qu’on doit à Dieu, à l’Eglise, aux Magistrats, aux peres & aux meres, ou qu’on est asseuré qu’elles peuvent corrompre l’innocence de ceux qui y assistent, & celle du public. C’est un peché plus grand que plusieurs ne le croyent, de contribuer à l’entretien des Acteurs de ces méchantes Pieces, & d’autoriser par sa presence, par sa bienveillance, & par son appuy, des personnes dévoüées à corrompre les mœurs ; c’est trahir sa conscience, & le salut public, que d’entretenir les plus dangereux ennemis de Dieu, que de nourrir & de soûtenir les causes des plus grands maux que les hommes ayent à craindre. Ceux qui appuyeroient les auteurs des incendies & des empoisonnemens pecheroient moins contre la charité publique, que ceux qui fomentent ces causes de la corruption generale des vertus, & de la perte eternelle d’un si grand nombre de personnes.

Les peres & les meres sont obligez de défendre à leurs enfans d’aller à des Comedies si pernicieuses ; le crime s’insinuë dans l’esprit des jeunes gens avec le plaisir, & il s’attache aisément à une matiere molle, & plus disposée au vice qu’à la vertu. Ces premieres impressions ne s’effacent que difficilement ; il n’est pas aisé de rompre ces premieres liaisons, ces anciennes amours sont d’ordinaire les plus fortes ; & si les peres & les meres ne doivent pas permettre à leurs enfans de commettre des actions contraires à ce que Dieu leur ordonne, ils sont obligez, à plus forte raison, d’empescher qu’ils n’aillent en des lieux, d’où ils reviendront avec de méchantes inclinations, qui seront des sources perpetuelles de mauvaises actions.

Les Magistrats qui tiennent lieu de peres au public, les Superieurs ecclesiastiques & seculiers sont obligez d’arrester ces scandales ; & ils ne doivent pas douter qu’ils ne répondent à Dieu, & de ses propres outrages, & de la perte des ames, s’ils n’usent de toute leur autorité pour reprimer des insolences qui ne respectent ny le Ciel, ny la terre, & qui ne sont pas moins injurieuses à Dieu, que funestes aux peuples.

I. Raison. Obligation de défendre les méchans livres.

Comme cette proposition est la principale de cette Partie, je la prouve en premier lieu par l’obligation de défendre les méchans livres. La défense des livres contraires à la pieté & aux bonnes mœurs est un des devoirs des Puissances ecclesiastiques & seculieres. Ceux qui sont chargez de ces dignitez sont obligez d’empescher l’impression, d’arrester le debit, d’interdire la lecture de ces livres : on ne peut permettre leur édition, leur cours, & leur usage, sans se rendre coupables de tous les méchants effets que ces livres pernicieux produisent ; & nous pouvons dire de ceux qui souffrent ces corruptions publiques ce que Tertullien disoit de la patience des Payens qui enduroient les desordres de leurs maisons : Ils deshonorent le nom d’une vertu en le faisant servir à des actions criminelles, & cette patience inspirée par le Demon sera chastiée des mesmes peines que celuy dont elle favorise les interests par sa mollesse, & par sa negligence. Cette patience est toute à luy, puisqu’elle endure tout pour luy ; elle doit s’attendre à estre punie eternellement avec luy, puisqu’elle est cause des crimes comme luy, & qu’en n’agissant pas pour les empescher, elle ne contribuë pas moins à les produire, qu’il y contribuë par les soins qu’il prend pour les faire commettre. Cette patience est à luy, parce qu’elle est à son service ; elle est à luy, parce qu’elle luy demeurera pendant toute l’éternité, pour estre comme luy la malheureuse victime des flâmes eternelles.

La patience des Magistrats qui souffrent les Comedies pernicieuses n’est pas plus innocente, que la patience de ceux qui permettent d’imprimer, de vendre, & de lire les méchans livres ; les premiers sont d’autant plus coupables, que ces Comedies peuvent corrompre les mœurs par leur lecture, & que leur representation est beaucoup plus dangereuse, & attaque l’innocence avec une violence plus redoutable que leur lecture. Dans la lecture, l’impudicité, & l’impieté ne nous sollicitent qu’avec des forces languissantes, & sans action ; sur les theatres elles se servent de tous leurs artifices, de toute leur action, de toutes les machines qu’elles peuvent inventer pour nous attaquer ; les yeux, les démarches, les habits, les paroles, les gestes des Acteurs, leur silence mesme, aident ces ennemies à vaincre la vertu, elles en triomphent dans le moment mesme qu’elles les attaquent : les illuminations, la pompe, la joye, & les acclamations des spectateurs ne sont-elles pas en effet des especes de triomphes ?

Nostre esprit est si peu disposé à resister à un plaisir qu’il vient chercher, & où les sens ne sont pas moins interessez que luy, qu’il ne peut se resoudre de se défendre contre des sujets qu’il ne considere pas comme ses ennemis, parce qu’ils sont tout leur possible pour luy plaire. Que le Ciel parle pour retirer un homme d’un poste si dangereux, l’esprit est si partagé entre les yeux, les oreilles, & soy-mesme, qu’il n’a point d’attention pour tout ce que la grace peut luy representer ; le plaisir tient les sens & l’esprit tellement attaché, qu’il ne luy laisse ny la pensée, ny presque la liberté de se retirer, de se rendre à soy-mesme, & de rentrer dans le devoir. Ce seroit une merveille bien surprenante, si la plus pure innocence sortoit, sans blessure, d’une meslée si effroyable ; les Peres n’ont pû le croire. Les Peres les plus éclairez dans la connoissance des ressorts qui gouvernent nos ames, ne croyent pas que la vertu qui se trouveroit par rencontre dans ces combats, pust s’exempter d’y recevoir des playes mortelles, elle ne pouroit par consequent se resoudre d’y aller sans perir, puisque la seule volonté de prendre des plaisirs criminels est la perte actuelle de l’innocence, & des vertus. Tertulien nous le declare dans le lieu où il nomme les theatres des camps établis pour faire la guerre à Dieu, & aux vertus.
David considere une Dame, David prend tant de feu par les yeux, dit saint Jean Chrysostome, que toute sa vertu cede à la violence de cette flâme impudique. Vos cœurs, ajoûte ce prodige d’éloquence, sont assiegez, ils sont attaquez, ils sont pressez de tous côtez par la representation de ces Pieces scandaleuses. Votre esprit est battu de toutes parts, vos yeux, & vos oreilles sont ou verts à tous les traits que l’impudicité & l’impieté lancent dans le plus intime de vos ames ; vous estes environné d’abysmes ; tous les Acteurs, toute l’assemblée s’efforcent de vous y précipiter, & je pourois croire que vous n’estes point blessé, & que vous ne tombez point ? Estes-vous de pierre, ou de fer ? Estes-vous plus invulnerable, plus courageux, plus ferme, qu’un si grand nombre d’autres qui succombent, & qui perissent dans ces funestes occasions ? Je croirois que ces bestes surieuses ne vous auroient donné aucune atteinte ? Mettez un flambeau allumé dans la paille, si elle ne brûle point, j’avoueray qu’un cœur plus disposé à brûler que la paille peut estre penetré du feu, & en prendre de tous côtez sans aucune brûlure.
Les Peres ne nomment pas seulement les theatres où l’on jouë ces Pieces criminelles des écoles publiques où l’on enseigne le vice, des trônes où on l’ordonne avec une autorité absoluë, des camps assemblez pour l’aider à défaire les vertus. Ils ne nomment pas seulement les Comedies les alimens & les forces du peché, des pestes qui menacent toute la terre.
Ces Oracles de l’Eglise nomment ces Comedies la ruine actuelle des bonnes œuvres ; ils les nomment des crimes communs à ceux qui joüent, & à ceux qui les voyent, des homicides effectifs, la corruption & la perte des ames.

Ces écoles n’enseignent pas seulement le peché, on ne commande pas seulement le peché sur ces trônes ; ces camps ne se contentent pas de nous presser de le commettre ; ces munitions, ces forces ne l’aident pas seulement à nous presser, ces pestes n’en demeurent pas à de simples menaces.

Ces instructions, ces commandemens, ces attaques, ces secours nous font commettre en effet le peché, ces pestes nous corrompent en effet, elles tuent nos ames en effet, elles les font mourir en effet à la grace, & à l’esperance du salut.

L’impieté, l’impudicité, les autres crimes, dit Salvien, passent de la bouche des Acteurs dans les cœurs & dans les actions de ceux qui les entendent, & qui les voyent. Le crime, representé par le recit & par le geste des Acteurs, s’imprime dans le cœur & dans les desirs de l’assemblée ; ils concourent tous au mesme crime par sa representation, par sa veuë, par sa persuasion, & par son execution.
Saint Augustin en avoit parlé en termes aussi absolus, & aussi veritables ; il les avoit nommez non seulement la peste des ames, mais la ruine generale de l’honnesteté, & des vertus.
Lactance les avoit déja qualifiez du nom infame de meurtriers des ames ; il s’étonne du peu de sentiment de ceux qui s’en faisoient un jeu.
Saint Cyprien avoit dit la mesme chose en d’autres termes, il ne s’étonne pas moins que ceux qui regardent ces crimes, ne croyent pas les commettre par les yeux.
Tertullien qu’il nommoit son maistre luy avoit appris que ces méchantes pieces commettent en effet dans le cœur, & par les actions de ceux qui les voyent joüer, les crimes qu’elles representent sur les Theatres. Ces Pieces, dit ce Pere, sont des Actrices aussi cruelles que lascives & prodigues, & elles font tous les crimes qu’elles imitent, parce qu’elles en font commettre autant qu’elles en representent.
Quand les choses n’en viendroient pas jusqu’à l’execution, la seule veuë, le seul recit de ces Pieces criminelles, est un peché considerable. Il n’est pas permis de voir, selon le sentiment de ce grand Personnage, ce que Dieu défend de faire ; on ne peut pas regarder avec innocence ce qu’on ne pourroit accomplir sans peché, & ces ordures ne pouvant sortir de la bouche, qu’elles ne soüillent & la langue, & l’ame, de quelle maniere entreront-elles par les yeux & par les oreilles sans infecter l’esprit, le cœur, & les sens mesmes qui leur accordent le passage ?

L’autorité publique ne peut se justifier par aucune raison, si elle permet ces outrages évidens contre la Majesté divine, ces conspirations visibles contre les bonnes mœurs, cette ruine manifeste des vertus, cette corruption & cette perte des hommes.

Que les Magistrats ne s’estiment pas innocens, parce qu’ils n’autorisent pas ces crimes par leur presence, leur seule dissimulation, leur seule foiblesse suffit pour les rendre coupables ; & c’est consentir à ces conspirations, à ces desordres, à ces malheurs publics, que de ne les pas empecher quand on en est assuré, quand on le peut, & qu’on le doit comme eux.

II. Raison. Dignité de l’ame.

Si les theatres n’attentoient qu’à la vie, s’ils ne menaçoient que la fortune ; si ces pestes, si ces homicides n’attaquoient que les corps ; si ces incendiaires ne s’attachoient qu’aux édifices, les Magistrats ne le pourroient pas souffrir en bonne conscience, c’est la suite de la premiere preuve, & c’est la seconde de mes raisons.

Les theatres portent le feu dans le cœur des hommes, les theatres empoisonnent & tuent les ames. Les Magistrats ne peuvent estre innocens, s’ils sont assez insensibles, s’ils sont assez foibles, pour voir ces corruptions publiques sans émotion, s’ils n’usent de toute leur authorité, & de toute leur vigueur pour y apporter tout ce qu’il leur sera possible de remede, & pour arrester le cours de ces debordemens, quand ils les connoissent.

Les particuliers sont coupables, s’ils ne s’opposent aux crimes particuliers qu’on commet en leur presence, & s’ils ne s’efforcent de les empescher par des corrections animées par le zele, & ménagées avec prudence. Dieu le commande à chaque particulier. Reprenez vostre amy, avertissez-le, de peur qu’il n’ait manqué par ignorance, & qu’il ne se persuade qu’il n’a pas peché.

Les Magistrats sont obligez d’empescher les desordres publics ; les particuliers n’ont ny l’autorité ny la force d’en arrester le cours ; Dieu, qui en a donné le pouvoir aux Magistrats, les oblige sans doute de s’en servir pour remedier à des maux qui luy déplaisent d’autant plus, qu’ils sont plus pernicieux que les pechez particuliers, à des maux qu’il veut étouffer, & qui sans miracle ne le peuvent estre que par la puissance qu’il a donnée aux Magistrats principalement pour ce sujet : & s’il n’aura point de pitié des Magistrats qui pardonnent à un homicide, à un voleur qui n’a quelquefois commis qu’une méchante action, quelle misericorde en peuvent esperer ceux qui souffrent les sources d’un nombre presque infiny de crimes ?

Les Puissances ecclesiastiques y ont apporté le remede, autant qu’il leur a esté possible. Salvien nous asseure qu’on ne recevoit personne au Baptesme dans les Gaules s’il ne renonçoit à ces divertissemens, comme aux pompes du Diable. Le sixiéme Concile de Constantinople depose les Clercs, excommunie les laïques qui donnent ces divertissemens criminels au public. Deux Conciles d’Arles défendent de recevoir les Acteurs à la penitence, s’ils ne renoncent à une profession qui ne s’applique qu’à inspirer des crimes, & qui est coupable de tous ceux qu’elle fait, & qu’elle peut faire commettre. Ces justes rigueurs sont observées dans plusieurs Dioceses.

Mais parce que les coups de ces foudres sont invisibles, parce qu’ils ne touchent ny le corps, ny la bourse, que plusieurs ne s’épouvantent pas pour un retranchement qu’ils devroient d’autant plus apprehender qu’ils ne le ressentent pas, & que cette insensibilité ne peut venir que d’une corruption entiere & certaine, les Puissances du monde ne sont pas excusables, si elles ne prêtent leur bras, & leur forces à l’Eglise, pour reprimer ces ennemis declarez de Dieu, & des vertus, pour étouffer ces conspirations publiques contre la majesté souveraine de Dieu, contre la sainteté des peuples, & pour empescher qu’on ne represente sur les theatres quelque chose qui puisse offenser Dieu, & corrompre les hommes.

III. Raison. Obligation de defendre des choses indifferentes d’elles-mesmes.

Les Magistrats sont obligez de défendre des actions indifferentes, & quelquefois utiles d’elles-mesmes, quand elles peuvent porter quelque préjudice à l’Estat, & quand ils ont quelque raison d’en apprehender les suites ; ils n’ont pas le soin & la vigilance qu’ils sont obligez d’avoir pour les peuples, s’ils souffrent ce qui peut troubler leur repos, nuire à leur santé, leur causer de la disette, ou quelqu’autre misere.

Plusieurs particuliers peuvent faire des dépenses considerables sans s’incommoder ; & les Magistrats ne sont pas moins obligez de reformer les dépenses, quand le public en peut souffrir du prejudice. Le transport des bleds, des vins, des autres marchandises, n’est pas un peché ; les Magistrats ne sont pas moins obligez de le défendre, quand le public y est interessé, quand il est en danger de manquer luy-mesme des choses necessaires à la vie, & d’en estre privé pour la commodité des étrangers. Le port des armes, l’usage des marchandises étrangeres, les divertissemens populaires, ne sont pas du rang des crimes ; les Magistrats ne feroient pas leur devoir, s’ils permettoient toutes ces choses, lorsqu’elles sont contraires à la seureté, à l’épargne, & à la bienseance publique ; quand les campagnes sont pleines de voleurs, quand l’Estat est épuisé d’argent, ou affligé de quelque calamité publique. La charité doit obliger les Magistrats de regarder les choses permises comme si elles ne l’estoient pas, quand elles peuvent porter du préjudice au public ; & Dieu veut qu’ils défendent ce qui est contraire à la premiere & à la souveraine des loix, qui est le bien du peuple.

Conclusion de ce Point.

Un Magistrat souffriroit sans peché qu’on jouë des Comedies contraires aux bonnes mœurs, & à la Religion ? Il souffriroit que la chasteté, que la pudeur, que la pieté, que la charité, que les autres vertus fussent baffoüées sur un theatre, qu’elles fussent étouffées dans les cœurs de tous ceux que la curiosité, le plaisir, ou l’oisiveté attirent dans ces lieux contagieux ? Pourquoy recevoir l’épée de la justice, si l’on ne s’en sert point contre ces ennemis declarez du Ciel, & de l’Estat ? L’on debitera les maximes des impies, l’on inspirera le mépris de Dieu, & de toutes ses loix, l’on enseignera à l’impudicité, à la vengeance des moyens pour se satisfaire sans bruit, des adresses pour tromper un mary, pour débaucher une femme, pour se défaire d’un ennemy ; & un Magistrat s’estimera aussi innocent, qu’il est en effet insensible, & il negligera de remedier à des déreglemens qui ne peuvent estre arrestez que par une autorité qu’il a receuë de Dieu en partie pour y mettre ordre ? Ce Magistrat manque à une des principales parties de son devoir : c’est beaucoup, mais c’est peu en comparaison de ce que je ne puis dire qu’avec frayeur, qu’avec horreur. Ce Magistrat est coupable de tous les crimes que ces Pieces font, & peuvent faire commettre. Les Acteurs en sont coupables, parce qu’ils agissent ; les Magistrats en sont coupables, parce qu’ils les souffrent ; les Acteurs les commettent par leurs paroles, les Magistrats les commettent par leur silence ; les Acteurs seront punis, parce qu’ils ont parlé ; les Magistrats seront punis, parce qu’ils se sont tus : les premiers seront châtiez, parce qu’ils ont soulevé les peuples contre Dieu ; il se vangera des seconds, parce qu’ils ne se sont pas opposez à cette persidie ; il leur fera souffrir des peines eternelles, parce qu’ils ont endure des offenses publiques, & que par cette patience criminelle, ils sont cause de la perte de tous ceux qui les ont commises.

Quand cette negligence seroit passée en une espece de coûtume, il n’y a point de prescription qui puisse justifier les Magistrats aux yeux de Dieu, & les exempter des justes châtimens qu’ils meritent, puisqu’ils sont complices de tous les vices qui naissent, qui s’entretiennent, qui se multiplient par leur negligence, & par leur peu de zele, comme les méchantes herbes dans les allées & dans les parterres, quand le Jardinier n’a pas soin de les nettoyer.

Le Prophete Isaye dit, que le Seigneur a fait les Magistrats ainsi que le neant. Ce Prophete n’a pas dessein de rendre les Magistrats méprisables, ny de les exposer à la derision & à la mocquerie du peuple. Nous leur devons une partie du respect que nous rendons à celuy qui les éleve à la participation de son autorité, & qui les honore mesme de son nom, comme les Cesars donnoient leur nom à ceux qu’ils associoient, & quelquefois à ceux qu’ils destinoient à l’empire. C’est moy qui vous ay fait part d’un titre si glorieux, je pretends que les peuples le respectent en vous, je veux qu’ils vous venerent par une espece de religion, que la religion, qui me doit des honneurs souverains, en rende une partie à mon autorité & à mon nom dans vos personnes.

Le sens de ce passage du Prophete Isaye est que les Magistrats n’ont pas plus coûté à faire à Dieu, qu’ils ne sont pas plus capables de resister à sa puissance infinie, qu’il n’aura pas plus de consideration pour eux que pour les personnes de neant, & qu’il punira les uns & les autres sans distinction, s’ils manquent également à leur devoir.

Les Superieurs ecclesiastiques & seculiers qui n’ont pas plus de sentiment, plus d’action, plus de parole, pour les interests de Dieu & pour l’innocence des peuples, qu’un pur neant : les Magistrats qui n’ont pas plus de consideration pour la gloire de Dieu & pour le salut des peuples, que si des choses de cette importance estoient de purs neants, ne sont pas plus estimez de Dieu que s’ils estoient de purs neants ; il aura aussi peu de sentiment, aussi peu d’égard pour eux, que pour de purs neants ; il leur rendra avec justice les mépris qu’ils ont eu si injustement & pour luy, & pour le salut des peuples. Les personnes de neant ne pechent d’ordinaire que pour elles-mesmes, & que par elles-mesmes ; leurs pechez n’ont pas souvent de grandes suites : les Grands pechent & pour eux, & par eux ; les Grands pechent pour les autres, & par les autres. Dieu punira sans doute les Grands à proportion de l’étenduë & du nombre des crimes qu’ils commettent, ou par leur propre action, ou par leur negligence, qui est une de ces causes, sans lesquelles les choses ne se feroient pas, & que la Philosophie considere en effet comme des causes.

Mais n’est-ce pas assez que les Magistrats seculiers veillent & agissent pour le bien de l’Estat, pourquoy y ajoûter la surchage du spirituel, dont Dieu a donné le soin aux Ecclesiastiques ?

Je sçay bien que tout ce qui concerne la conduite particuliere des ames appartient à l’Eglise avec une proprieté si entiere & si absoluë, qu’elle n’en peut pas mesme commettre l’autorité aux Puissances seculieres. Mais les Magistrats ne peuvent pas se dispenser sans peché de luy prêter leur bras, & de luy donner du secours quand elle en a besoin pour la défense de la Foy, & de la sainteté. La faveur du Ciel est si necessaire pour la conservation, & pour le bonheur mesme temporel des Estats, que les Magistrats pechent contre l’Estat, s’ils refusent leur protection à la Religion, & aux autres vertus qui entretiennent l’union du Ciel & des Estats, s’ils ne suppriment par des Edits constants & vigoureux, s’ils n’empeschent de representer sur les theatres ces Pieces criminelles qui corrompent les mœurs, & qui deviennent enfin les calamitez generales des Estats, comme elles sont l’horreur du Ciel.

Jerusalem est prise, saccagée, ruinée ; les pechez de cette Ville ingrate sont les premiers autheurs de ses malheurs, le Prophete Isaye ne nous permet pas d’en douter. Jerusalem est tombée, le Royaume de Juda est détruit ; malheur à leurs ames, parce que Dieu leur a rendu une partie des maux qu’ils ont merité par leurs pechez, que par les mains d’un tyran il s’est vangé en partie de la revolte & des outrages de ce peuple infidelle, & qu’il reserve aux ames de ces perfides des châtimens plus cruels que ces desolations publiques, dont elles sont les principales causes par leurs pechez.

L’Asie & l’Afrique, plusieurs des plus belles parties de l’Europe sont devenuës la proye des Infidelles. Ces vastes Provinces acquises à Jesus-Christ, & sanctifiées par le sang des millions de Martyrs, éclairées par un si grand nombre de sçavans & de saints Personnages ; par des lumieres aussi éclatantes, aussi pures, & aussi incorruptibles que celles du Ciel, gouvernées par un si grand nombre de Pasteurs qui sont encore honorez aujourd’huy comme les oracles, comme les maistres, & comme les modelles de l’Eglise, peuplées par un si grand nombre de Saints & de sçavans Religieux, sujetes à des Empereurs dont plusieurs ont esté si vaillans, si justes, si Chrêtiens : ces vastes Pays, dis-je, soûpirent dans l’esclavage, gemissent sous la tyrannie & sous l’infidelité des barbares, sont perdus par l’heresie. Si vous recherchez dans les écrits des Peres, & dans les fidelles Historiens la source de ces effroyables disgraces, ils vous apprendront que la temperance des barbares a vaincu les delices criminelles de l’Asie ; que la chasteté des barbares a triomphé de l’impudicité des Africains ; que les vertus humaines & imparfaites des barbares l’ont emporté sur les vices énormes de ceux qui avoient le front de se nommer Chretiens, & que ces grandes parties du monde ne sont tombées sous un joug si pesant, que parce qu’elles ont secoüé le joug du Ciel, ce joug qui ne les chargeoit que pour les élever à la joüissance d’un bon-heur eternel, comme les pompes ne pressent l’eau que pour la faire monter.

Une partie de l’Europe, la Grece, la Macedoine, plusieurs des plus belles Parties du Septentrion ne sont tombées dans le mesme malheur, que pour avoir suivy la mesme route. Et qui peut douter que Dieu ne nous abandonnast aux mesmes extremitez, si nous le quittions avec la mesme perfidie ?

Dieu condamne Jerusalem à souffrir tous ces malheurs, parce que Jerusalem a commis tous ces crimes. Peuple criminel, vous n’avez pas observé mes Commandemens, je vous abandonneray aux Infidelles comme une terre ingrate ; vous serez un sujet d’execration & de frayeur à tout l’Univers, quand j’exerceray sur vous les justes arrests de ma fureur.

Ces arrests n’ont-ils pas esté prononcez contre l’Asie, contre l’Afrique, contre l’Europe, contre toute la terre, comme contre Jerusalem, n’ont-ils pas esté executez sur plusieurs de ces grandes Provinces, comme sur Jerusalem ; & si nos crimes nous rendoient dignes d’estre condamnez avec ces miserables Provinces, pourquoy cette Sentence ne seroit-elle pas prononcée contre nous comme contre ces Provinces, executée sur nous comme sur ces malheureuses Provinces ?

Nous avons de puissantes armées, & de grands Chefs, plusieurs de ces Provinces ont esté défenduës par les plus vaillantes armées, par les plus grands Capitaines de l’Empire Romain ; nous avons des Pasteurs & des Religieux qui veillent, & qui prient pour nous ; ils ne sont pas en plus grand nombre, ils ne sont pas plus Saints, ils ne seroient pas plus exaucez que ceux qui ont veillé, que ceux qui ont prié pour ces infortunées Provinces ; & quels crimes sont plus capables de fermer les mains, le cœur, les oreilles de Dieu, que ceux qui corrompent l’innocence des peuples ; & qui font une profession publique & constante de deshonorer & de mépriser Dieu ? Quels crimes sont plus capables d’attirer les foudres, & les plus redoutables fleaux de Dieu, que ceux que saint Chrysostome considere comme des supplices commencez, comme les premiers effets des justes ressentimens de Dieu ? Ne commettons point de crimes. Puissances de l’Eglise & du monde, ne souffrez point qu’on en commette ; ne commettez point vous-mesme par le defaut de vigilance, de courage, & de soin, des crimes qui affoiblissent les plus braves soldats, qui font perdre la conduite & le cœur aux plus grands Capitaines, qui rendent inutiles la science, le zele & les soins des Pasteurs, & qui font que les prieres les plus saintes sont incapables d’appaiser la colere de Dieu. Si vous entendez parler de ces Pieces condamnées avec tant de justice par les Peres, ayez autant de courage pour les empescher de paroistre, que vous en avez pour défendre les choses les plus indifferentes quand l’estat peut en recevoir du prejudice ; étouffez ces semences de la corruption & de la ruine des Estats, c’est un des meilleurs offices que vous soyez obligez de leur rendre ; faites reformer aussi celles qui doivent estre suspectes, c’est une partie considerable de cette obligation.

Second point.

Reformer les dangereuses & les suspectes.

L’Impudence du crime ne luy est pas toujours favorable, & les Autheurs des Pieces de théatre, qui ne sont pas apprentifs dans l’art de déguiser, sçachans bien que le crime est odieux de luy-mesme, ne le font d’ordinaire paroistre que sous le masque ; ils ne font parler l’impudicité, l’impieté, les autres crimes, qu’en termes conformes à leur déguisement ; ils cherchent, ils étudient des façons de parler qui ne blessent en apparence ny l’honesteté, ny la foy, ny aucune autre vertu. Ils ne manquent pas d’aposter des domestiques, des confidens, des Conseillers, qui semblent détourner les principaux personnages des crimes qu’ils sont disposez de commettre ; la passion est si forte qu’elle surmonte tous les obstacles, elle trouve des conseils & des secours pour se satisfaire, ou par adresse, ou par force ; ces passions violentes font sans doute quelque impression dans l’esprit des spectateurs ; elles leur apprennent à refuter les remontrances des amis & des parens, à s’opiniâtrer dans de méchans desseins, à trouver les moyens de les accomplir, & de se contenter.

Les Auteurs des Pieces de theatre suivent en cecy les vestiges de cet ancien ennemy de la Grace, dont saint Augustin a triomphé avec tant de gloire pour luy, avec tant d’avantage pour l’Eglise, avec tant de satisfaction, de reconnoissance, & d’honneur pour l’auteur d’un bien-fait si necessaire aux hommes. Pelage voyant qu’il ne pouvoit plus disputer contre la necessité de la Grace, sans estre condamné d’heresie, se servit de plusieurs subtilitez pour faire accroire à toute la terre qu’il n’enseignoit point ce que ses ennemis luy imputoient, qu’il reconnoissoit la necessité des Puissances naturelles, & des lumieres de l’Evangile pour s’abstenir du mal, & pour pratiquer le bien, que la raison & la liberté ne pouvoient estre effacées du nombre des graces, qu’il faudroit n’estre pas moins infidelle & superbe qu’ingrat pour ne pas reconnoistre les instructions, les exemples, & la Passion de Nostre Seigneur pour des graces necessaires, qu’il estoit bien éloigné mesme de nier que les bons mouvemens que ses ennemis mettoient au nombre des graces necessaires, le fussent en effet pour agir avec plus de facilité & avec plus de perfection, que tous les mouvemens qui venoient des lumieres & des exemples de Jesus-Christ, ne pouvoient estre que tres-bons. C’est ainsi que ce Serpent d’Angleterre, c’est S. Prosper qui luy donne ce nom, sauva quelque temps sa teste des foudres de l’Eglise, & du mépris de ses disciples. Quand il craignoit les foudres, il parloit comme un des plus zelez défenseurs de la Grace ; quand il craignoit que ses paroles ne détrompassent ses disciples, il leur expliquoit ses sentimens. Il gagnoit les Catholiques par ces artifices, en leur faisant croire que sa doctrine estoit conforme à celle de l’Eglise ; il entretenoit ses disciples par ces artifices, en leur découvrant qu’il ne dissimuloit ses sentimens que pour les persuader avec plus de succés. Il faisoit plus de tort à la verité par ces artifices, que s’il l’eust attaquée à découvert ; & ce ne fut qu’après des progrés bien funestes, qu’il fut retranché du corps des Fidelles par l’Eglise, comme un membre qui n’y estoit plus attaché que par une apparence plus dangereuse, que ce retranchement public.

Je me suis peut-estre trop éloigné de mon sujet, mais il me semble que je ne pouvois rien expliquer qui fist mieux connoistre le danger, & les mauvais effets des crimes déguisez par les Auteurs des Pieces de theatre. Ces habiles hommes sçavent bien que les crimes sont odieux d’eux-mesmes, & que les personnes les plus corrompuës ne peuvent pas s’empescher d’en témoigner de l’horreur, à moins que de renoncer à l’honneur, & à la bien-séance, & de ne se mettre plus en peine d’estre en execration à tout ce qu’il y a de raisonnable dans le monde. Ils composent leurs pieces avec tant d’artifice, que les plus méchans y trouvent suffisamment dequoy se contenter, & que les bons, à moins d’estre bien éclairez, ont de la peine à y découvrir ce qui merite la censure, & sont presque contraints de suspendre leur jugement, & de dire comme ces anciens Senateurs, la chose n’est pas constante : Non liquet, nous ne pouvons pas justifier ces Pieces comme innocentes, parce qu’elles prennent le party du vice en apparence ; on ne peut pas les condamner comme mauvaises, parce qu’elles semblent soûtenir & relever la vertu : elles se mettent à couvert de la censure des bons par cette apparence d’innocence, elles évitent le mépris des méchans par cette apparence de malice : l’apparence du mal couvre l’apparence de l’innocence, celle de l’innocence couvre celle du mal, ce mélange continuel ne laisse pas le temps de reconnoistre lequel l’emporte ou du bien ou du mal ; & ce venin, comme celuy de Pelage, ne s’apperçoit qu’aprés qu’il a eu le temps d’agir avec toute sa force, & qu’il a tout perdu.

Des particuliers.

C’est ce qui oblige les particuliers de ne point aller à ces especes de Comedies, les peres de défendre à leurs enfans d’y aller, les Magistrats d’empescher qu’on ne joüe des Pieces si dangereuses.

Dieu nous ordonne de fuïr le peché comme l’abord d’un serpent monstrueux, qui a des dents de lion, & qui ne fait que des playes incurables : c’est la description & la défense qu’il en fait au 21. chapitre de l’Ecclesiastique. On n’obeït pas à ce commandement, si l’on ne fuit aussi bien les Comedies suspectes, que celles dont on ne peut pas ignorer le venin.

L’horreur que la nature nous a imprimée des serpens & des bestes feroces nous détourne des lieux où nous craignons de les trouver. Un homme desarmé ne se retire pas seulement à l’abord d’un lion, ou d’un tygre, il évite mesme la caverne qui sert de retraite & de gîte à ces bestes sanguinaires ; & quoy qu’il ne soit pas asseuré de les trouver dans ce repaire, & qu’il y ait mesme quelque apparence qu’elles sont en queste, il ne hazarde pas d’entrer dans un lieu si suspect, il s’en éloigne au contraire avec le plus de silence & de vitesse qu’il luy est possible.

Un homme, qui ne craint point de voir joüer une Piece dangereuse, ne fuit pas le peché avec la mesme horreur. La Piece est peut-estre innocente, elle est peut-estre criminelle ; le peché est peut-estre en embuscade sous ces beaux vers, il n’y est peut-estre pas ; on entre sans frayeur dans un lieu si redoutable. On ne craint pas sans doute le peché autant que Dieu le commande, on n’en a pas toute l’horreur qu’il merite, & qu’on auroit d’un serpent, d’un tygre, ou d’un lion, puisqu’on n’apprehendre pas d’entrer dans un lieu où l’on a raison de craindre qu’on ne le trouve.

Ces Pieces produisent d’ordinaire dans les esprits des dispositions semblables à ce qu’elles sont : ces Pieces sont des composez de bien & de mal, un mélange de ce qui peut maintenir la vertu, & de ce qui est capable de la corrompre ; & il est quelque-fois tres-difficile de juger de la qualité qui l’emporte dans ce mélange. Ces Pieces produisent dans les esprits des dispositions aussi ambiguës qu’elles-mesmes. Un homme qui voit representer ces Pieces ressent en luy-mesme des mouvemens pour la vertu, & pour le vice selon les roles differens : il flote entre la vertu & le vice, quand les Acteurs recitent quelque chose d’indifferent. La suite de la Piece le porte à la vertu & au vice par des vers & par des gestes semblables aux precedens : ces mouvemens ne l’attachent ny à la vertu, ny au vice ; & il n’auroit pas moins de peine à se reconnoistre luy-mesme, s’il avoit le loisir de s’examiner, qu’à bien juger de la qualité de la Piece. La verité est qu’il n’est ny entierement porté à la vertu, ny entierement porté au vice, la verité est que ces deux mouvemens sont imparfaits, la verité est qu’ils sont tous deux desagreables à Dieu qui veut que nous soyons totalement attachez à la vertu, & que nous ayons un entier éloignement du vice. Il est certain que nous n’allons pas droit, puisque nous boitons des deux costez ; nous n’allons pas à la vertu avec la fermeté que Dieu desire, & nous ne pouvons aller au vice avec tant de foiblesse, que nous ne desobeïssions aux ordres qu’il nous donne de le fuïr comme un monstre.

Faisons la justice à Tertullien de croire que c’est ce qu’il pretend remontrer aux Fidelles, quand il leur represente la delicatesse du saint Esprit, si j’ose avec luy me servir de ce terme, & qu’il ne leur est pas permis d’aller à la Comedie, parce que les agitations differentes que les ames y ressentent, pourroient blesser ce divin Esprit, l’obliger de se retirer d’un lieu où son repos seroit troublé, où il ne seroit pas luy-mesme en assurance, de les abandonner par une retraite dont ils seroient la cause, pour n’avoir pas eu la consideration & le respect qu’ils luy devoient, dit ce grand Personnage. Il ne faut pas faire le tort à un homme si éclairé de croire qu’il condamnast toutes les passions, & qu’il jugeast que ce fussent autant de crimes. Il sçavoit bien que plusieurs de ces mouvemens n’attendent pas les ordres de nostre liberté, & que par consequent ils ne sont pas des pechez, quand ils panchent du côté du crime, comme ils ne sont pas des vertus, quand ils panchent du côté de l’innocence, si la volonté ne se laisse aller où ils l’attirent, ou si elles n’y vont à sa suite, & qu’elle ne les y entraîne.

Tertullien veut seulement enseigner aux Fidelles qu’il est tres-difficile que dans la multitude des mouvemens que les Comedies ont coûtume de causer, il n’y en ait de criminels ; que le saint Esprit, blessé par des agitations si differentes, n’abandonne ceux qui n’ont pas assez de soin de le garder, qu’après avoir esté nous-mesmes agitez par des mouvemens dont la qualité est si difficile à reconnoistre, nous ne tombions où nostre méchante inclination nous pousse, comme les pailles & les autres matieres legeres, qui ayans esté quelque temps balancées par les vents, tombent enfin, parce qu’elles ont assez de pesanteur pour ne pouvoir pas se soûtenir elles-mesmes : pourveu que ce ne soit pas déja une lourde chutte de s’estre exposé à tomber en venant en des lieux où l’on sçavoit bien que l’innocence seroit en grand danger, & en faisant moins d’estat du salut que de la vie & de la fortune, qu’on ne voudroit pas exposer pour ces especes de plaisirs.

Des peres, & meres, & des Magistrats : Ils sont obligez de les défendre.

Les peres & les meres n’ont pas assez de charité pour leurs enfans, s’ils souffrent qu’ils s’engagent en ces dangers où ils ne pourroient en conscience leur permettre de s’exposer, s’il ne s’agissoit que de la fortune & de la vie.

Et quand les Magistrats sçavent qu’on jouë de ces fortes de Pieces, ils ne peuvent pas en conscience permettre que l’on continuë, jusqu’à ce qu’ils les ayent fait examiner, & corriger ; ils ne doivent pas avoir moins soin des peuples, en tout ce qui regarde le bien public, que les peres & les meres doivent en avoir de leurs enfans : Dieu établit en effet les Magistrats pour estre les curateurs & les tuteurs des peuples, & pour leur servir de peres.

I. Raison. Leurs autres obligations.

Si les Magistrats doutoient de la pureté des monnoyes, ce doute suffiroit pour les obliger d’en ordonner l’épreuve ; & si elles estoient falsifiées, d’en arrester le cours. S’ils doutoient de la santé d’un voyageur dans un temps de contagion, ils seroient obligez de le faire retenir jusqu’à une entiere assurance qu’on peut le laisser entrer dans le Royaume ou dans une Ville sans danger ; ils sont obligez de faire jurer, ou signer les personnes mesmes les moins suspectes pour soûlager les particuliers de l’apprehension & du danger d’estre trompez. Ils ne peuvent pas en conscience permettre qu’on jouë des Pieces si dangereuses, supposé qu’ils en soient avertis, sans les faire examiner, & reformer, à moins qu’ils ne croyent que la vertu merite moins leur soin que la santé, que le bien, que le repos, à moins qu’ils ne croyent que l’Estat est moins interessé dans la conservation de l’innocence, que dans la sureté de la fortune, & de la vie. Ce ne peut pas estre le sentiment d’un Magistrat Chrestien, il a plus de déference pour un Dieu, qui nous ordonne de preferer le salut à la fortune, à la vie, à toutes les autres choses, & qui a preferé en effet nostre salut à sa propre vie.

II. Raison. Ces Pieces sont souvent plus funestes que les méchantes.

Ces especes de Comedies entretiennent & augmentent les desordres des personnes corrompuës ; elles corrompent celles qui ont quelque disposition au vice, & il n’y a que trop de venin dans ces Pieces pour ruiner une santé foible & chancelante. Mais ce qui est le comble du malheur, c’est que les bons sont souvent perdus pour avoir osé les voir jouër.

Les personnes de vertu ne voudroient pas aller aux Comedies que tout le monde connoist pour impudiques & pour impies, elles fuyent le theatre où on les represente comme un échaffaut où les vertus sont sacrifiées par des paroles plus funestes pour l’innocence que les épées ; puisque les épées bien loin de la faire perir, assurent au contraire ses triomphes, & que ces paroles la dépoüillent de tous ses droits, & la détruisent elle-mesme. Ces personnes n’ont pas toûjours la mesme apprehension pour des Pieces déguisées, & où le mal ne paroist pas assez pour les diffamer. Les méchans se fortifient dans leurs attaches pour les Pieces criminelles, par la créance qu’ils ont que les bons cherchent les mesmes satisfactions qu’eux dans les Pieces ambiguës, & ils se défendent par ces exemples contre ceux qui les détournent d’aller aux Comedies criminelles.

Les bons prennent quelquefois le goût du mal en voyant representer ces Pieces ambiguës, le mal s’insinuë jusques dans leur cœur, à la faveur de ces belles apparences, sans qu’ils s’en soient presque apperçus : Des ennemis déguisez sont quelquefois dans le cœur de la ville, sans que personne les ait vû entrer ; & comme on ne reconnoist que ce sont les ennemis, que quand ils commencent à tuer, à brûler, à piller, ces personnes ne remarquent les méchantes qualitez de ces Pieces, que quand leur cœur est pris, & qu’il est passé de la vertu à l’indifference, de l’indifference au peché, du peché quelquefois à la coûtume, à l’insensibilité, à l’impudence. Ester se plaint qu’Aman l’avoit engagée dans le danger, & livrée à la mort. Elle fut, à la verité, en danger de mourir, mais Dieu la preserva, & le perfide Aman fut la seule victime du feu qu’il avoit allumé dans l’esprit d’Assuerus. Ces Pieces ambiguës sont des perils, ces Pieces ambiguës sont tres-souvent des morts pour les personnes vertueuses qui se trouvent les victimes du monstre, parce qu’elles n’ont pas apprehendé d’entrer dans la caverne où elles ne le voyoient pas, & d’où la crainte de scandaliser les hommes, d’offenser Dieu, & de se perdre, les auroit obligées de se retirer, si elles en avoient eu la défiance que Dieu leur ordonnoit d’en avoir.

Conclusion de ce point.

Les Magistrats ne doivent pas moins craindre les foudres de la Justice divine s’ils ne donnent des ordres pour reformer ces Pieces, que s’il n’ont pas soin d’empescher qu’on n’en jouë de criminelles ; & puisque ces Pieces ambiguës entretiennent les méchans dans le mal, & y attirent tres-souvent les plus vertueux mesmes, que les Magistrats n’esperent point de demeurer impunis, s’ils ne sont reformer des Pieces qui rendent le mal ou incurable, ou plus difficile à guerir, & qui ruinent le bien qui se seroit défendu des Pieces criminelles par la retraite, & par l’apprehension que les bons auroient eu de se diffamer, de corrompre le prochain, de déplaire à Dieu, & d’en estre punis.

Dieu declare luy-mesme aux Puissances de l’Eglise, & du monde, qu’il ne leur pardonnera point une complaisance si contraire à leur devoir, au bien public, & à sa propre gloire. Il s’est trouvé dans mon peuple des impies qui tendoient des pieges aux ames comme des oiseleurs, les Prestres frappoient des mains pour applaudir, les Magistrats n’ont pas remedié à ces dangers publics, comme je l’avois commandé, que feray-je à la fin des temps ? A qui pourray-je pardonner ? Au peuple corrompu ? Aux Acteurs impies ? Aux Pasteurs complices ? aux Magistrats rebelles ? C’est Dieu mesme qui parle. Et remarquez qu’il ne dit point à qui pardonneray-je ? Mais à qui pourray-je pardonner ; Peut-estre qu’il n’est pas maistre de luy-mesme ? qu’il ne dispose pas des recompenses & des châtimens avec un pouvoir absolu ; qu’il ne peut pas accorder des graces aux plus scelerats des criminels ? Ce seroit le méconnoistre, que de concevoir quelque défiance de son autorité. Il ne peut pardonner, parce qu’il ne peut changer la resolution qu’il a prise de les punir ; il ne peut pardonner, parce qu’il n’a promis de pardonner qu’aux penitens, & qu’il est presque impossible que ces coupables fassent penitence d’un peché qu’ils ne remarquent pas ; il ne peut pardonner, parce que les maux qui procedent de ces déguisemens, les maux multipliez par cette mollesse, & par cette complaisance, ne sont presque jamais reparez, jamais ils ne sont égalez par ce qu’on prend pour une veritable penitence ?

Escoûtez la conclusion, ne me vangeray-je pas & du peuple, & des Acteurs, & des Pasteurs, & des Magistrats, & de tous ceux qui approuvent, qui fomentent, ou qui souffrent ces débauches publiques ?

Puissances du monde, les personnes vertueuses ne sont pas seulement la gloire & l’exemple de l’Estat, elles en sont encore l’appuy ; leurs jeûnes, leurs veilles, leurs aumônes, leurs prieres, leurs Communions arrestent les fleaux que Dieu déchargeroit, & retiennent les foudres qu’il lanceroit sur les Estats ; il n’en est presque pas le maître ; ils tiennent son bras avec une violence qui luy est si agreable, qu’il ne peut se resoudre de luy rien refuser, ny de déplaïre à une contrainte dont il reçoit tant de satisfaction. Puissances du monde, vous n’avez pas assez de zele pour l’Estat, si vous souffrez des entreprises qui ruinent, ou qui menacent ceux qui en sont l’appuy : vostre salut n’y est pas moins interessé que l’Estat ? Dieu vous assure que non seulement il ne vous pardonnera pas, mais qu’il ne pourra pas vous pardonner, si vous negligez d’y apporter le remede qu’il vous ordonne. Vostre negligence seroit cause que l’Estat perdroit ceux qui ne laissoient pas à Dieu la liberté de le punir ; vostre negligence osteroit à Dieu la liberté de vous pardonner, & le ressentiment de n’estre plus contraint de faire misericorde au peuple le contraindroit de n’avoir aucune pitié de vous. C’est Dieu luy-mesme qui se sert de ces termes ; vous ne doutez point de sa sincerité. Prevenez ces dangers, & ces malheurs, avec les précautions que j’explique dans cette derniere Partie de ce Discours.

Troisiéme point.

Prévenir le mal qui peut arriver des Comedies.

L es Comedies innocentes sont si rares, que les Peres ont condamné les Comedies sans distinction, non pas qu’ils ne sçeussent qu’on pouvoit en trouver quelques-unes d’innocentes, mais parce qu’ils sçavoient que la plus grande partie estoit contraire à la Religion, & aux bonnes mœurs, & que le petit nombre de celles qui estoient innocentes ne pouvoit pas empescher qu’on ne peust dire que les Comedies ne valoient rien, & le dire avec autant de verité, que le Prophete Roy dit de son temps qu’il n’y avoit personne qui observast la Loy de Dieu, parce que les personnes vertueuses estoient si rares, que le S. Esprit pouvoit se plaindre qu’il n’y avoit point d’homme qui ne fust corrompu. C’est en ce sens qu’il faut expliquer les défenses generales de nos Peres.

Nos Peres ne permettoient point d’aller à la Comedie ; & pourquoy.

Quelques-uns des Fideles ayant de la peine à se priver de ces divertissements demandoient aux Peres, en quel lieu de l’Escriture Dieu défend d’aller aux Comedies. Tertullien avouë qu’il n’y a point de lieu dans l’Escriture où la Comedie soit défenduë sous ce nom. Mais qu’elle est assez interdite par cet verset du premier Pseaume : Heureux celuy qui n’a pas cherché le conseil des impies, qui ne s’est point opiniâtré dans le chemin des pecheurs ; qui ne s’est point assis dans la chaire de pestilence. Ce sont les épiteres que le saint Esprit attribuë aux theatres, selon le sentiment de Tertullien, de saint Clement d’Alexandrie, & de plusieurs autres Peres. Il n’est par consequent pas plus permis d’aller à la Comedie, que de demander de méchans conseils, que de suivre le mauvais exemple, que de le donner soy-mesme, que le donner des leçons du crime, que de le commander, estant sur un siege, qui est & une chaire de Docteur, & comme une espece de trône, parce qu’on n’y enseigne pas seulement à offenser Dieu, mais qu’il semble qu’on l’ordonne. Saint Jean Chrysostome ne pouvoit l’exprimer avec plus de force qu’en nommant ces assemblées des Conciles du Diable.
Les Conciles de Dieu sont composez des Pasteurs qu’il a establis pour nous conduire au Ciel. Les Conciles du Diable sont des assemblées qui conspirent, & qui agissent pour nous en détourner, & pour nous perdre. Les Conciles de Dieu soustiennent la verité, reforment les mœurs, condamnent & punissent les erreurs & les vices. Les Conciles du Diable debitent le mensonge, corrompent l’innocence, entretiennent les extravagances & les crimes.

Les Conciles, qui défendent aux laïques d’aller aux Comedies, alleguent pour raison que ces divertissemens n’ont jamais esté permis aux Chrêtiens ; & les Constitutions du Diocese de Milans ordonnent d’exhorter les Magistrats à faire démolir ces sorteresses du Demon, & à bannir ceux qui l’aident à corrompre les mœurs dans ces Colleges, & dans ces forts d’iniquité.

Salvien nomme ces assemblées & leurs suites l’ouvrage du Diable, parce que ce n’est qu’erreur, que peché, que corruption, & que malheur.

Les partisans de ces fortes de divertissemens répondoient à nos Peres. Hé quoy ! la Foy nous oblige donc à un divorce perpetuel avec les plaisirs de ce siecle ? Les Peres ne se connoissoient point à flatter cette passion, ils tranchoient nettement que la foy nous y oblige : que la profession de Chrestien engage à une imitation continuelle de Jesus-Christ crucifié, à une participation constante de ses souffrances, & de sa mort ; qu’il n’a promis que de la tristesse & des travaux en cette vie à ceux que par cette communication de ses douleurs il prepare à la joüissance du bonheur eternel dont il s’est acquis une partie en les souffrant.
Tertullien explique ce passage par ces belles paroles : Que les conviez du monde s’engraissent de ses douceurs, le temps de nos festins, & de nos nopces n’est pas venu, nous ne pouvons nous mettre à table avec eux, non plus qu’eux avec nous ; pleurons lors qu’ils se réjoüissent, afin que nous nous réjoüissions quand ils commenceront à pleurer ; de peur que si nous nous réjoüissions à present avec eux, nous ne pleurions alors avec eux, & qu’une société passagere de plaisir ne soit suivie d’une communauté eternelle de malheur.
C’est du saint Esprit, que Tertullien & tous les Peres tiennent cette réponse. La fin du plaisir est le commencement de la douleur, la glose ajoûte, eternelle. Le déplaisir eternel succede aux derniers momens des joyes du monde.
Mais le moyen, dira quelqu’un, de vivre sans plaisir ? Vous dites, c’est la replique de Tertullien, que vous ne pouvez pas vivre sans plaisir, vous qui devez mourir avec satisfaction. Mais quelles delices plus agreables que le mépris mesme des delices, que la pureté de la conscience, que l’affranchissement des frayeurs de la mort ? ce sont les satisfactions du Chretien, ce sont des spectacles saints, perpetuels & gratuits.

Les plaisirs du monde sont des perfides. S’ils estoient de vrais plaisirs, nous causeroient-ils tant de chagrins secrets ; nous causeroient-ils ces peines que nous avons à nous souffrir nous-mesmes, ces méchantes humeurs qui nous rendent insupportables aux autres, cette necessité indispensable d’estre purifiez par les rigueurs de la penitence, ou d’estre condamnez à des peines eternelles ?

Les plaisirs du Chrestien sont des plaisirs sinceres, des plaisirs agreables & seconds, des plaisirs presens, mais qui en produisent d’eternels, plus charmans sans comparaison que tout ce qui peut estre, que tout ce que nous pouvons nous imaginer de plus agreable sur la terre.
Mais pourquoy serons-nous assez ingrats pour ne nous pas contenter de cette multitude surprenante, & presque iufinie de plaisirs que Dieu prodigue & à nos sens & à nostre esprit, & pour ne pas rendre aumoins à ce bien-faicteur la reconnoissance dont nous sommes capables ?

Quelque raison que nous alleguions, on nous demande des Comedies, on ne peut se resoudre de signer la condamnation des divertissemens que des personnes de sçavoir & de pieté font donner quelquefois au public dans les maisons les plus fameuses, où on éleve la jeunesse aux lettres & aux vertus. Si tous les theatres estoient dressez avec les intentions, conduits par les soins, & avec les precautions de ces hommes également scavans & vertueux, il n’y auroit point de censure à craindre ; mais la difference de ces Comedies, & de la pluspart de celles qu’on represente dans le monde, est si evidente, qu’on ne peut les traiter de la mesme maniere, que par la plus injuste & la plus dangereuse des confusions. Quelle mesure donc dans un débordement si agreable, si commun, & si authorisé ? Les Payens mesmes nous l’ont appris, & nous ne pouvons pas nous excuser, si nous ne suivons leur exemple dans un sujet dont nous ne pouvons pas ignorer l’importance.

I. Raison. Zele des Payens, & de quelques heretiques.

Un Caton, un Scipion, plusieurs autres Magistrats Romains, ne vouloient pas souffrir qu’on bâtist des theatres, parce qu’ils les consideroient comme des machines dressées contre l’honesteté publique, comme des orages qui s’élevoient contre la pureté des mœurs, comme des sources impures qui s’ouvroient pour corrompre les yeux, les oreilles, les esprits, & les cœurs du premier peuple de l’univers. Quelques-uns firent démolir ce que leurs predecesseurs avoient fait bâtir, pour donner ce plaisir à un peuple qui aimoit son divertissement preferablement à la vertu.
La corruption du peuple l’ayant emporté sur la resistance des plus sages Magistrats, Pompée se trouvant engagé par une complaisance ambitieuse à bâtir un theatre, fit edifier un temple à Venus au dessus de ce lieu nommé par Tertullien un Consistoire d’impudicité, où l’on n’approuve rien que ce qu’on blâme ailleurs. Pompée craignoit que son nom ne fust noté d’une marque eternelle d’infamie, & il fit construire ce temple afin de consacrer la honte & le crime d’un ouvrage digne de la condamnation de tous les siecles, afin de se mocquer de la discipline par ce titre, & par cette apparence de religion. Il se croyoit à l’abry des censures du ciel & de la terre sous ce voile de pieté ; il s’estimoit à couvert de l’indignation du Ciel sous le sanctuaire d’une Déesse prostituée à tout ce qu’on pouvoir representer d’impur sur le theatre, se garentir des reproches de la terre par le temple d’une Déesse qui authorisoit par sa conduite & par sa complaisance tout ce qu’on pouvoit representer de plus infame dans cet abominable lieu. Cet edifice sembloit dire au Ciel, qu’il ne pouvoit condamner la representation des vices qu’il couronnoit dans une de ses Déesses les plus considerées ; il sembloit dire aux plus sages du Senat, & de toute la terre, qu’ils ne pouvoient censurer sans injustice, sans inégalité, sans quelque espece d’impieté, la representation de ce qu’ils reveroient dans une de leurs plus puissantes divinitez qu’ils reconnoissoient pour l’origine, & pour la plus favorable protectrice de l’Empire.
L’honesteté publique ne pouvant plus supporter ces infamies que les loix precedentes n’avoient pû abolir, les Empereurs Payens établirent des Prefets du plaisir, ou plutost détacherent cette partie la plus negligée de l’office des Ediles ; & ces Prefets estoient chargez du soin d’examiner & de corriger les Pieces de theatre, d’interdire ou de reformer celles qui pouvoient blesser l’innocence & l’honesteté publique. L’Empereur Tybere, quoy qu’assez déreglé & assez inconstant, fit observer ce reglement avec fermeté. Les Empereurs plus moderez, & plus retenus que luy, ne furent pas moins exacts à maintenir & à faire garder cette Ordonnance. L’Empereur Theodose estoit trop Chrestien pour dégenerer de la vigilance & des soins de ses predecesseurs ou Payens, ou Chrestiens. Le Roy Theodoric, quoy qu’infecté de l’heresie Arienne, auroit crû deshonorer le nom de Chrêtien, s’il avoit eu moins de zele pour la pudeur & pour l’integrité, que quelques-uns des Empereurs Payens.

Il renouvelle leurs Ordonnances, il commet à des personnes de sçavoir, de pieté, d’autorité, le soin de revoir, d’approuver, de défendre, de corriger les Pieces qui devoient paroistre sur les theatres. Son illustre Secretaire Cassiodore l’exprime avec ces termes dans les lettres qu’il donna de la part de ce Prince pour le rétablissement de cette charge.

La raison veut que ceux qui ne sçavent pas se conduire avec la moderation prescrite par les loix, soient gouvernez eux-mesmes par un homme qui puisse les moderer. La dignité où je vous éleve est comme une tutrice que j’establis pour conduire ceux qui s’égarent souvent, afin que ce qui a esté inventé pour recréer le peuple, ne semble pas avoir esté permis pour le corrompre, & que l’honeste homme ait le pouvoir de commander à ceux qui s’émancipent d’ordinaire des loix de l’honesteté. Ne souffrez point que les Comediens inspirent au public ce que vous ne pouvez supporter dans vos personnes, ny qu’ils s’efforcent de ruïner ce que vous estimez avec le plus de raison & de justice.

II. Raison. Facilité de ses précautions.

Je ne vois pas que ces precautions soient plus difficiles en ce siecle, que dans celuy de ces grands Princes, & qu’un Monarque qui les surpasse en tant d’avantages extraordinaires, ne les imitast dans le soin de l’innocence publique, si ce qui la blesse avoit l’insolence de paroistre devant sa Majesté, & si elle estoit informée de ces desordres ; ce soin ne causeroit pas plus de peines aux Magistrats, que celuy que les loix leur donnent de l’impression des Livres qui traitent des choses les plus saintes.

Le Concile de Latran défend d’imprimer les Livres qui traitent des choses saintes, s’ils ne sont examinez & approuvez par les ordinaires, ou par leurs deputez, il excommunie & les Auteurs & les Imprimeurs qui entreprennent, ceux mesmes qui debitent & qui lisent les Livres qui ne sont pas approuvez. Le Concile de Trente renouvelle cette Ordonnance dans la Session 4. où il traite de l’edition & de l’usage des Livres sacrez. Les Magistrats y tiennent la main, ils sont observer cette Ordonnance, quoy que les Auteurs ne puissent estre suspects que ce soit saint Augustin, que ce soit mesme l’Escriture sainte, parce que les Heretiques y peuvent avoir inseré quelque erreur, qu’ils peuvent en avoir retranché quelque verité, qu’il s’y est peut-estre glissé quelque faute par la negligence des editions precedentes. L’Auteur est peut-estre vivant, reconnu de toute la terre pour Saint, pour orthodoxe ; ses ouvrages precedens ne respirent, & ne sont capables d’inspirer que la plus saine doctrine, & que la plus pure pieté. Mais qui répondra qu’il ne luy soit échappé quelque faute, & qu’il ne se soit laissé aveugler par l’amour des productions de son esprit ? Il n’y a point de privilege, point d’exemption ; il est défendu d’imprimer aucun de ces Livres qui n’ait passé par la censure, qui ne soit autorisé par une legitime approbation ; & les Magistrats font observer ces Decrets de l’Eglise leur Mere ; ils punissent par confiscations & par amendes ceux qui contreviennent à ses ordres.

Les Pieces de theatre n’approchent pas du nombre de ces Livres, les Pieces de theatre sont courtes en comparaison de la plus grande partie de ces Livres ; les Pieces de theatre ne demandent pas une application si forte & si génante que ces Livres, elles sont plus dangereuses que les méchans Livres ; leur representation agit souvent avec plus de force sur le cœur, que le sujet mesme ne le pourroit faire, parce que l’artifice donne des perfections à la copie, qui ne se rencontrent pas toujours dans l’original.

Il n’y a point de raison qui doive détourner les Magistrats d’ordonner que ces Pieces seront examinées, point de raison qui doive les détourner de défendre qu’on les jouë, & qu’on les imprime avant cet examen. L’Auteur est un homme de probité. Est-il plus ortodoxe & plus saint que les Peres de l’Eglise dont les Conciles ordonnent de revoir & de confronter les ouvrages ? L’Auteur ne traite le sujet que par divertissement. Les Peres ne nous apprennent-ils pas que le poison est plus dangereux & plus redoutable, quand il est mêlé avec le plaisir qui le déguise, & qui en oste la défiance ?

Par quelle raison donc les exempter de l’examen ? Sera-ce à cause de l’innocence du sujet ? On n’en peut pas estre assuré sans l’avoir leu ; à cause de la maniere de la composition ? Les vers penetrent plus dans l’esprit que la prose. Nous fierons-nous à la probité des auditeurs ? Nous n’en pouvons pas juger à leur avantage, s’ils s’exposent sans consideration à la representation d’une Piece inconnuë. Ce ne peut estre qu’une inadvertance, & je n’en voudrois pas accuser une negligence & une facilité, que la probité & la bien-seance n’ont pas permises aux Magistrats heretiques ou payens.

III. Raison. Zele des Magistrats pour des choses de moindre consequence.

Les Magistrats défendent de joüer la Comedie dans le temps des Offices divins, ils ne souffrent pas qu’on joüe les jours de Feste, qu’aprés que le divin Service est achevé.

Que ce zele est loüable, mais que n’est-il égal. On craint & avec raison de détourner les fidelles d’une bonne action, quoy que plusieurs raisons permettent aux fidelles de s’en dispenser quelque-fois. On n’apprehende point que la Comedie ne les débauche de la fidelité qu’ils doivent à Dieu, qu’elle ne les souleve contre ses ordres, qu’elle n’inspire aux peuples l’impudicité, la vengeance, l’impieté, les autres crimes, & qu’ils ne desobeïssent à des défenses qu’il n’est jamais permis de violer. Puissances du monde oubliez-vous vostre zele, ne vous souvenez-vous plus de vostre pieté ? Ne croyez-vous pas, ne craignez-vous pas que Dieu soit plus offensé par des desobeïssances formelles à ses commandemens, que par le danger de violer une des loix, ou de ne pas observer un des conseils de son Eglise ?

Non, Messieurs, non, Dieu n’est pas seulement offensé par les crimes que le theatre inspire quelquefois ; on l’offense en effet quand on vient à la Comedie, sans sçavoir si la Piece qu’on doit joüer est innocente ou criminelle, ou mesme dangereuse, & on ne peut pas exposer sa conscience & son salut à ce hazard, sans offenser celuy qui nous défend une indiscretion si contraire à la crainte que nous devons avoir de luy déplaire, & de le perdre.

Les Romains permettoient aux maris de repudier leurs femmes quand elles avoient esté au theatre à leur insçû. Ils avoient raison de juger qu’elles n’estoient pas assez chastes, quand elles ne craignoient pas de voir & d’entendre ce qui estoit capable de les corrompre.

Dieu est trop pur, Dieu aime trop la chasteté, & toutes les vertus, pour ne se pas separer d’avec une ame, qui ne considere ny les ordres, ny la satisfaction de son divin Espoux, puisqu’elle ne craint ny de luy desobeïr, ny d’estre répudiée. Il n’est que trop offensé par ce mépris, & par le peu d’estime qu’elle fait du plaisir, de l’amour, & de la possession de ce divin Espoux.

Messieurs, si les Comedies offensoient la majesté du Prince, si elles estoient assez insolentes pour décrier sa personne, & sa conduite, assez temeraires pour exciter les peuples à la revolte, vous concevriez de justes indignations contre ces attentats : Vous puniriez les Auteurs & les Acteurs ; & vous ne laisseriez pas mesme l’assemblée impunie, si elle avoit applaudy à cette profanation de la majesté du Prince, & à ces soûlevemens du peuple. Personne ne doute que vous n’employassiez tout vostre zele, & toute vostre autorité pour reprimer, pour châtier une audace si impie, & pour vanger l’outrage fait à une Majesté que vous défendriez, s’il estoit necessaire, aux dépens de vos biens, de vostre sang, & de vostre vie.

Conclusion du Discours.

Vous reconnoissez sans doute un Dieu pour vôtre Souverain ; vous ne doutez point que la majesté des Rois ne soit un rayon & une dépendence de cette souveraineté infinie de qui le neant mesme reçoit, respecte, & accomplit les ordres. Vous sçavez avec quelle insolence Dieu est tres-souvent outragé par plusieurs Comedies : Vous sçavez avec quelle audace, & avec quel malheureux succés plusieurs de ces Pieces travaillent pour soûlever son peuple. Vous sçavez que ces revoltes sont en partie les sources des calamitez qui affligent les familles, qui desolent les Estats, & qu’il n’y a rien de plus odieux à Dieu, & de plus pernicieux aux hommes que les pechez publics. Armez tout vostre zele pour arrester, & pour prévenir des attentats si criminels & si funestes. Considerez ce que vous devez au souverain des Rois qui vous a honorez d’une partie de son autorité, afin que vous en usiez pour sa défense, pour sa sureté, pour le bien de son peuple. Considerez ce que vous devez à l’innocence, à l’honneur, à la conservation de l’Estat, & que vous ne pouvez vous exempter de ces soins sans manquer à une des principales obligations dont la Providence divine vous a chargez en vous donnant la conduite des peuples.

Les Empereurs Payens s’éleveront au jour épouvantable du Jugement contre les Magistrats qui n’agissent pas en cecy avec ce qu’ils doivent de vigilance & de courage.

Nous ne sçavions-pas que les vertus estoient si considerées de Dieu ; nous ne sçavions pas que l’innocence estoit la production du sang & du cœur d’un Dieu incarné, & qu’elle deust regner avec luy dans le Ciel, aprés luy avoir rendu des services si agreables sur la terre. La seule consideration de l’honesteté publique nous a portez à corriger & à prévenir la corruption & l’infamie que les Comedies peuvent causer à l’Estat. Avec quel zele, avec quel soin, n’eussions-nous pas travaillé à la reforme, & au reglement de ces desordres, si nous eussions esté instruits comme vous du respect que Dieu merite, & de la consideration qui est deuë à l’innocence.

Ne cedez point en zele, Messieurs, à ceux que vous surmontez en religion & en vertu. Vous estes plus redevables à un Dieu de qui vous avez reçû plus de lumiere, autant d’autorité, & dont vous avez beaucoup plus à esperer, & à craindre ; que la connoissance, que les commandemens, que les bienfaits, j’ay peine d’ajoûter que les promesses, que les menaces d’un Dieu si digne d’estre servy pour le seul honneur de luy plaire, obtiennent de vous les soins & les reglemens que la seule raison a obtenu des Payens. Rendez à la reputation de l’Estat, à la vostre, à la prosperité, au salut des peuples, à vostre prosperité, à vostre salut, à la satisfaction, à la gloire de Dieu, ce que plusieurs Payens n’ont pû refuser à la seule honesteré publique.

Que le nom de Catholique ne soit pas moins puissant sur vos esprits, que celuy de Chrestien l’a esté sur l’esprit de Théodoric, & de plusieurs autres Princes heretiques. Et puisque vous avez l’avantage d’estre les enfans de l’Eglise, n’ayez pas moins de respect pour un Dieu qui est son Espoux, & vostre Pere : n’ayez pas moins de charité pour les Fidelles qui sont leurs enfans, & vos freres.

Je ne suis que l’écho d’un des plus laborieux, & des plus illustres Jurisconsultes de ce siecle, c’est le sçavant Petrus Gregorius. Ce grand homme aprés avoir representé les desordres qui naissent des Comedies, rapporté les sentimens des Conciles & des Peres sur cet important sujet, écry avec tout ce qu’il a pû de force contre ces débauches publiques, dit qu’il ne faut pas l’accuser de sortir de ses limites, & d’entreprendre sur les fonctions des Pasteurs, & des Predicateurs, parce que la reforme de ces abus est un devoir commun à ceux que la Providence a établis pour gouverner les ames, & pour aider à la conduite des Estats.

Que les Magistrats sçachent, ce sont les termes de ce fameux écrivain, que ces précautions sont necessaires à l’Estat, que ces abus ne peuvent subsister sans fomenter l’oisiveté, sans multiplier les crimes. Et ce qui est tres-digne d’estre déploré, sans diminuer notablement le culte divin, sans l’empescher. Nous pouvons ajoûter que les Puissances ne peuvent les souffrir sans desobeïr à Dieu, sans éloigner ses graces, sans manquer à l’Estat, sans se rendre responsables à Dieu de ses propres outrages, du deshonneur & de la corruption de l’Estat, & des malheurs qu’on a sujet d’en craindre.

Que je serois heureux si ce Discours arrivoit jusqu’aux personnes capables d’apporter quelque ordre à ces abus, ou par leur autorité, ou par leurs remontrances. Que je serois heureux, si je contribuois par ce Discours à une reforme, & à un établissement, pour qui je n’épargnerois pas mon propre sang.

Plusieurs Comediens m’ont témoigné bien de la passion pour cét établissement : ce qu’ils entendent dire dans les chaires contre leur profession, & les difficultez que l’on fait de les absoudre leur donnent un juste sujet de s’étonner de ce que les Puissances de l’Eglise, & du monde ne conviennent pas pour un établissement aussi necessaire à leur salut, qu’à celuy des Acteurs, & du peuple, & qu’au bien public dont elles sont responsables.

Il n’est pas plus difficile d’établir pour ce sujet des Censeurs en ce siecle, qu’il ne l’a esté dans les siecles des Payens, & des Heretiques. Ce siecle qui surpasse les precedens dans la Religion, & dans les armes, qui triomphe des ennemis de l’Eglise, & de l’Estat avec un succés si glorieux, égaleroit sans peine les precedens par un établissement si raisonnable, si chrestien, si avantageux, si necessaire, & si aisé. Ce seroit aux siecles futurs à prendre le soin de l’entretenir ; ce seroit nostre gloire & nostre bonheur, comme nostre devoir de le faire.