(1705) Pour le Vendredy de la Semaine de la Passion. Sur le petit nombre des Elûs. Troisiéme partie [extrait] [Sermons sur les Evangiles du Carême] pp. 244-263
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(1705) Pour le Vendredy de la Semaine de la Passion. Sur le petit nombre des Elûs. Troisiéme partie [extrait] [Sermons sur les Evangiles du Carême] pp. 244-263

2°. Vous avés renoncé à la chair dans vôtre Baptême, c’est à dire, que vous avés promis de ne point vivre selon les sens : vous vous êtes engagés à regarder comme des crimes la molesse, l’indolence, la sensualité, & pour m’exprimer avec le grand Apôtre, à crucifier vôtre chair, à la châtier, à reduire vôtre corps en servitude ; ce n’est pas ici un état de perfection fondé sur la severité de la morale, c’est un vœu solemnel fondé sur le plus saint de tous les actes de Religion. Ce n’est point un conseil, c’est le devoir le plus indispensable de la Foi du Chrétien. Or où sont ceux qui soient plus fidelles à ce vœu qu’au premier ? à voir la delicatesse avec laquelle on traite son corps, à l’indolence & l’oisiveté à laquelle s’abandonnent les gens du monde, ne les prendroit-on pas plûtôt pour des Disciples d’Epicure que pour des enfans de Jesus-Christ & de son Eglise ?

Enfin vous avés renoncé à Satan & à ses œuvres : vous l’avés promis & juré ; mais où sont les Fidelles qui y renoncent ? qui disent anatheme à ses charmes & à ses attraits ? Quelles sont les œuvres de Satan ? ce sont celles que pour l’ordinaire vous faites, gens du monde, ce sont les jeux, les plaisirs, les spectacles, les divertissemens, les Cercles, les Assemblées où il préside, les mensonges dont il est le pere, l’orgueil dont il est le modelle, les jalousies, les envies, les inimitiés dont il est l’artisan. Or où sont ceux qui n’ont point levé le voile ? qui s’abstiennent de ses œuvres, qui fuient ses charmes ? & ici, pour vous le dire en passant, voilà bien des questions decidées, vous nous demandés si les spectacles, les comedies, les opera, les bals, les theatres vous sont défendus ou permis : je ne veux sur cela qu’un principe qui vous servira à décider toutes sortes de cas en cette matiere. Le voici : c’est de vous demander à vous-mêmes : sont-ce des œuvres de Jesus-Christ, ou des œuvres de Satan ? car il n’y a point de milieu : ce n’est pas que la Religion Chrétienne ne connoisse & ne permette certains délassemens, & de corps & d’esprit, sans lesquels les travaux paroîtroient rebutans, & la vertu trop farouche ; mais ces sortes de délassemens ne sont permis que pour en venir à une devotion plus serieuse, & la Religion n’en reconnoît point d’autre fin. Tout ce que nous faisons, que nous pleurions, que nous nous rejoüissions, que nous travaillons, que nous nous reposions, tout doit être d’une telle nature que nous le rapportions à Jesus-Christ nôtre chef : sans cela ce ne sont point ses œuvres que nous faisons.

Ce principe le plus indubitable de nôtre Religion une fois supposé, tous ces spectacles dont je viens de parler, sont-ils permis ou défendus ? Pouvés-vous dire que vous y assistés pour l’amour de Jesus-Christ ? Cette œuvre profane & de l’invention de Satan, peut-elle trouver sa place parmi les œuvres pures des Chrétiens ? Jesus-Christ peut-il entrer dans cette maniere de délassement ? Auriés-vous bien assés d’impudence pour lui dire que c’est par rapport à lui que vous allés à ces Comedies, à ces danses ? Oseriés-vous lui dire : oüi, mon Sauveur, c’est pour vôtre gloire que je cours à ces spectacles, à ces assemblées mondaines, que je me presente devant ces objets scandaleux. Je vous offre ce divertissement : c’est pour l’amour de vous que je vais le prendre, afin de vous plaire & de vous servir davantage.

Quoi donc un Dieu crucifié autoriseroit ces plaisirs ? Un Dieu mort en croix se trouveroit sur ces infames theatres ? Jesus-Christ animeroit une bouche qui prononce tant de paroles impudiques ! Jesus-Christ donneroit le mouvement à des levres qui ne debitent que des fables ? Quoi ! Jesus-Christ formeroit ces sons d’une voix ou d’un instrument qui corrompt les cœurs ? Quoi ! il approuveroit ces chansons lascives qui n’inspirent qu’un amour profane, il voudroit qu’on lui rapportât un art funeste qui lui ravit tant d’Adorateurs, qui seduit tant d’ames innocentes. Quoi ! Jesus-Christ paroîtroit au milieu de ces suppôts de Satan, & voudroit être adoré en la personne d’un Acteur, ou d’une Actrice infame ! Jesus-Christ inspireroit une doctrine dont le poison entre par tous les sens, & dont toutes les maximes ne tendent qu’à embraser les cœurs & les faire brûler d’une flamme criminelle !

Etoit-ce-là vos plaisirs & vos délassemens, pieux Fidelles, dans ces Assemblées saintes, où vous ne vous entreteniés que des moiens de salut ? où vous ne donniés à vos sens que le triste ; mais solide plaisir de la mortification, où vôtre esprit ne s’occupoit que des choses du Ciel, où vôtre bouche ne prononçoit que des protestations d’une nouvelle fidelité, où vôtre voix ne servoit qu’à entonner des Cantiques sacrés, où l’on ne mangeoit que pour vivre, où l’on ne faisoit ensemble quelques repas sobres & mediocres, que pour serrer plus étroitement les nœuds sacrés d’une commune charité, où l’on ne parloit que de souffrances, que d’austerités, que de pénitence, où l’on s’entrexhortoit au martire, où l’on se préparoit à la mort par la pieuse lecture des consolantes verités de l’Ecriture, ou par la meditation des souffrances de Jesus-Christ.

Or si ces œuvres ne peuvent se rapporter à Jesus-Christ, ce ne sont donc point ses œuvres, & si ce ne sont point ses œuvres, ce sont celles de Satan, dit Tertulien, & si ce sont les œuvres de Satan, tout Chrétien doit s’en abstenir. Donc, de quelque innocence que vous vous flattiés en assistant à ces spectacles profanes, vous en sortés toûjours soüillés, & par consequent criminels, parce que vous participés aux œuvres de Satan que vous aviés detestées, & que vous violés témerairement les promesses que vous aviés faites à Jesus-Christ & à son Eglise dans vôtre Baptême. Ce ne sont point ici de simples conseils, mes Freres, ce sont des obligations, les plus essentielles de vôtre vocation : vôtre Foi n’en connoît point de plus indispensables ; ce ne sont point de ces verités dont la pratique ou le violement vous rendent plus ou moins parfaits ; mais qui vous rendent fidelles, ou rebelles, en les observant ou ne les observant pas. Cependant, ô étrange corruption ! qui les observe comme il faut ces verités sacrées ? qui les croit d’une obligation si étroite ? & qui est ce qui fait le moindre scrupule de faire ces œuvres de Satan ? Helas ! loin de s’en faire des crimes, on s’en fait honneur : on est presque embarrassé dequoi l’on s’accusera au Tribunal sacré de la Pénitence, quoi qu’on soit chargé de mille crimes de la sorte ; & après une vie toute mondaine, toute voluptueuse, toute sensuelle, passée dans les jeux, dans les spectacles, on ne trouve presque rien à dire au Prêtre !

Ah ! si vous vous souveniés bien des engagemens de vôtre Baptême ! si vous vous representiés chaque jour devant les yeux le détachement du monde, la fuite de ses pompes & de ses plaisirs, la haine de vous-même, la mortification de vos sens, la vie de la Foi, que vous avés embrassées, la conformité avec Jesus-Christ, qu’il exige de vous comme son membre & son enfant, si vous le compreniés bien, qu’il faut aimer Dieu de tout vôtre cœur sans retour, ni partage, que vous ne pouvés sans crime porter ailleurs vos affections & vos desirs, que toute pensée, toute parole, toute œuvre qui ne se rapporte point à lui, est l’œuvre de Satan, & par consequent criminelle, qu’un simple regard qui ne tend pas à lui & à sa gloire, lui deplaît, l’offense ; qu’une seule demarche quelque innocente qu’elle paroisse, si elle ne se fait pas selon la charité, nous rend rebelles & coupables : si vous les compreniés bien, dis-je, ces verités, vous gemiriés sans cesse, vous viendriés souvent au pied du Tribunal vous declarer coupable devant Jesus-Christ vôtre Juge, dont le Confesseur tient la place.

Quoi ! diriés-vous, l’état que j’ai embrassé dans le Baptême, exige de moi une vigilance si exacte, un courage si infatiguable, des exercices si saints, une retenuë si grande, une haine du monde si absoluë, un amour de Dieu si universel : une legere partie de ce tems qui m’a été donné pour travailler à mon salut, ou passé inutilement, ou emploié à des choses profanes, est capable de me rendre un serviteur criminel, ou du moins inutile. Ah ! si cela est, me dirés-vous, qui pourra donc se sauver ?* Quis ergo poterit salvus esse ? Qui pourra se sauver ? Le voulés-vous sçavoir ? ce sont ceux qui craindront sans cesse d’être du nombre des reprouvés : ceux qui veilleront pour ne jamais se laisser surprendre. Qui pourra se sauver ? Ce sera cet homme de qualité, cet homme riche, qui dans sa grandeur & son opulence se tiendra toûjours humble & detaché des choses de la terre, qui compatira aux besoins de ses freres. Qui pourra se sauver ? Ce sera cette femme Chrétienne, qui renfermée dans l’enceinte de son domestique, éleve ses enfans dans la crainte de Dieu, laisse au Seigneur le soin de leur destinée, les aime tous d’une égale tendresse, ne leur marque d’autre place que celle où Dieu les appellera, ne s’abandonne point aux modes de luxe & de vanité, ne se trouve point dans les cercles de railleries & de médisances, ne s’assied point dans la Chaire du mensonge, ne paroît gueres qu’au Temple, & n’y va que pour y prier & y adorer, qui ne suit point les usages, les coûtumes, les maximes du monde, & qui par son rang & ses exemples donne du credit à la vertu. Qui pourra se sauver ? ce fidelle qui imite la candeur & la bonne foi des premiers Chrétiens, qui marche sur leurs traces : un homme qui n’est vigilant que pour empêcher que le vice n’entre dans son ame, qui n’est juste que pour abandonner lui-même ses droits temporels & soûtenir ceux de ses Freres, qui n’est puissant, grand, élevé en autorité que pour défendre ceux qui ont besoin de son appui, & proteger le foible & l’innocent : heureux que pour combler les pauvres de ses bien-faits : sincere qui n’entretient pas le vice en le dissimulant : désinteresse qui ne trahit pas son ministere pour un vil interêt : charitable qui ne fait pas ses largesses du bien d’autrui ; mais qui fait de son bien propre le patrimoine de l’indigent : patient qui ne murmure pas contre la main Toute-puissante qui le frappe, & qui pardonne une injure si-tôt qu’il l’a reçuë : doux & affable au milieu de l’éclat & de la pompe qui l’environne, pénitent dans la prosperité comme dans l’adversité, joïeux dans les maux comme dans les biens. Qui pourra se sauver ? vous-même, mon Frere, qui le demandés, si vous voulés entrer dans ces voies.

Or ceux qui vivent de la maniere que je viens de dépeindre, ne composent pas sans doute le plus grand nombre : on n’en trouve que très-peu dans le monde, & vous en convenés vous-même ; il est donc certain, que tandis que vous suivrés le grand nombre, cette multitude de mondains, vous ne serés pas du nombre de ceux qui se sauvent. Si cependant vous vous vantés de pouvoir vous sauver en vivant comme vous faites, tout le monde peut se vanter comme vous, puisqu’à un petit nombre d’Impies près, qui secoüant le joug de leur conscience, ne veulent suivre de regle que l’impieté & le libertinage, tous les autres vivent comme vous agissent comme vous, se conduisent comme vous, & par consequent le plus grand nombre se sauveroit selon vous, ce qui pourtant est contraire aux paroles de Jesus-Christ, qui dit qu’il y aura peu d’élus,* pauci verò electi  : Il est donc de foi que vous ne pourrés vous sauver, tandis que vous suivrés la multitude, & que vous vivrés comme les autres.

Voilà qui fait trembler, mes Freres ; & ce sont ici de ces verités d’autant plus terribles, qu’elles s’adressent à chacun en particulier : il n’est peut-être personne ici qui ne dise en lui-même : oüi, je vis comme ceux qui sont de mon âge, de mon rang, de mon état, de ma profession, & puisque je suis le plus grand nombre, je suis donc perdu : je me danne avec la multitude ; mais quoiqu’on se represente qu’il n’y aura de sauvés qu’un petit nombre de gens qui operent leur salut avec crainte & en tremblant, on ne laisse pas de se calmer & d’esperer contre toute esperance. Tout le monde se flatte qu’après avoir été confondu parmi la foule des Pécheurs, on en sera distingué par la misericorde du Seigneur, chacun se repose sur une chimerique confiance, & c’est pour la détruire que je vous expose le danger où vous êtes. Voici ce que j’ajoûte à ce que je vous ai dit.

Je suppose que ce soit ici nôtre derniere heure à tous : (car je ne m’en exempte pas moi-même) que les Cieux vont s’ouvrir sur nos têtes, que le tems est passé, & que l’éternité commence : que Jesus-Christ va paroître pour nous juger selon nos œuvres, & que nous sommes tous ici pour attendre de lui, ou le coup de grace, ou le coup de mort. Je vous le demande, frappé de terreur moi-même, ne separant point mon sort du vôtre, & me mettant dans la même situation où nous devons tous paroître un jour devant Dieu nôtre Juge, & où je vous prie de vous mettre dès maintenant pour un moment : si Jesus-Christ, dis-je, paroissoit dès à present pour faire la terrible separation des Justes & des Pécheurs ; croiés-vous que le plus grand nombre fut sauvé ? croiés-vous que le nombre des Justes fût au moins égal à celui des Pécheurs ? croiés-vous que s’il faisoit maintenant la discussion des œuvres du grand nombre qui est dans cette Eglise, il trouvât seulement dix Justes parmi nous ? Je vous le demande : vous l’ignorés & je l’ignore comme vous, où en seroient tous les autres ? Disons plus : il y a beaucoup de pécheurs qui ne veulent pas se convertir, plusieurs qui le veulent & ne le font pas, d’autres qui ne se convertissent que pour retomber, ou enfin qui par une fausse temerité croient ne pas avoir besoin de se convertir ; commencés par retrancher d’abord ces quatre sortes de Pécheurs : car ils ne seront pas du nombre des Elus, puisque nul d’eux n’est en grace. Où êtes-vous donc maintenant, Justes aux yeux de Jesus-Christ ? Paroissés & vous separés des Pécheurs : froment demêlés-vous de la paille ; que restera-t’il après cela ? Ah ! nôtre perte est presque certaine, & nous n’y pensons pas ! nous sommes dans la voie de perdition & nous ne songeons pas à en sortir !

Quand même il ne devroit y avoir qu’un seul reprouvé de nous tous, & qu’une voix du Ciel nous le viendroit annoncer sans assigner qui il est, qui de nous ne trembleroit pas ? Chacun d’entre nous ne diroit-il pas de soi-même comme autrefois chaque Disciple : n’est-ce point moi ; Seigneur, qui suis ce reprouvé ? Quel est mon sort & ma destinée ? Suis-je du nombre de vos élus ou de celui des malheureux ? me ferés-vous passer à vôtre droite avec les benits de vôtre Pere, ou me précipiterés-vous dans l’Enfer avec les maudits ? Voilà ce que chacun de nous diroit : si nous ne nous mettons donc en état de detourner de dessus nous ce malheur par nos larmes, nôtre pénitence & nôtre fidelité, sommes-nous sages ! Peut-être que parmi nous il n’y aura pas dix Justes. Que sçai-je ? peut-être même n’y en aura-t’il pas un seul : car, ô mon Dieu, je n’ose sans fraieur tourner les yeux sur l’abîme de vôtre justice & la multitude de nos iniquités : peut être, dis-je, de nous tous, il n’y en aura qu’un seul de sauvé ; & vous croiés que ce sera vous, mon Frere ! vous vous calmés sur cette fausse confiance, vous qui avés plus de sujet de craindre que tout autre, vous qui devriés trembler quand ce malheureux sort ne tomberoit que sur un reprouvé !

O mon Dieu ! qu’on connoît peu le danger où l’on est exposé de ne pas faire tous ses efforts pour en sortir ! Quoi ? un malheureux pécheur ne se trouble pas le moindre moment sur un objet où les plus justes ont séché de fraieur ! A cette seule pensée de la destinée éternelle on a vû de saints Pénitens frapper leur poitrine, se troubler, se couvrir de cendres & de cilice, ouvrir à peine la bouche pour demander à leurs Freres : croiés-vous que le Seigneur me fera misericorde ? On les a vûs prêts à succomber sous les austerités qu’ils redoubloient, si vôtre misericorde, ô mon Dieu, n’eût commandé à l’orage de leur cœur effraié, de s’appaiser. Voilà ce qu’ont fait tant des Saints : & après tant de crimes, tant de chûtes & de rechûtes, presque tout le monde demeure tranquille : des pécheurs déjà exclus de la celeste Patrie dont ils se sont rendus indignes, demeurent calmes sur leur destinée ; tout ce que l’on recommande aux Ministres qui les assistent, c’est de ne point les effraier, de ne point leur parler de ces terribles verités, & de les aider à se seduire & à se tranquiliser dans la fausse paix de leur conscience criminelle.

Mais que conclure de ces grandes verités ? qu’il faut desesperer de son salut. A Dieu ne plaise, mes Freres, que je veuille ici aigrir vos plaies, en voulant les guerir ; mon dessein est seulement de vous detromper de ces funestes erreurs, qui vous font croire qu’en suivant les Usages, les Coûtumes, les Maximes, & la multitude du monde, vous êtes dans la voie du salut. Je veux seulement vous faire comprendre que pour être du petit nombre de ceux qui se sauvent, il faut se separer de la multitude, & ne point se mêler avec la foule qui est toûjours le plus mauvais parti : que quelque étroite que soit cette voie, il faut faire tous ses efforts, pour y entrer ; quelque petit que soit ce nombre d’Elus, il faut faire son possible pour en être.

Lorsque les Juifs furent prêts de quitter la Judée, & de partir pour être captifs à Babilone, le Seigneur leur parla en ces termes, par son Prophete Jeremie : enfans d’Israël, lorsque vous serés arrivés à Babilone, vous verrés les Peuples qui porteront sur leurs épaules des Dieux d’or & d’argent, de pierre & de bois, pour donner de la crainte aux Nations ; donnés-vous bien de garde de vous laisser entraîner au torrent du mauvais exemple : & ne craignés pas comme les autres ces Divinités impuissantes & chimeriques ; & voiant devant & derriere vous la multitude qui adore ces Idoles, dites dans le fond de vos cœurs : c’est vous seul, ô mon Dieu, qu’il faut adorer : c’est vous seul que nous voulons adorer, & qui seul merités d’être adoré ;* dicite in cordibus vestris : te oportet adorari Domine.

Souffrés, mes Freres, que je finisse mon Discours par ces paroles : au sortir de ce Temple vous allés rentrer dans le monde figuré par l’infidelle Babilone : vous y allés voir ces Dieux d’or & d’argent, postés dans les places publiques, devant qui presque tout le monde est prêt de fléchir le genoüil : vous y allés trouver les Idoles vivantes de luxe & de vanité, ces hommes & ces femmes revêtus d’habits riches & pretieux qui brillent par la pompe de leur train, & la magnificence de leur équipage, devant qui tout le monde rampe & se prosterne : vous y allés trouver ces marques d’orgueil dont tous les riches & les grands se parent ; pour inspirer du respect & de la crainte aux petits : ces plaisirs que tout le monde se permet, ces richesses que tout le monde adore, ces voluptés aprés lesquelles tout le monde soupire, ces honneurs & ces dignités que tout le monde brigue, ces usages que tout le monde embrasse ; prenés bien garde de vous laisser entraîner à ces exemples de mondains : ne vous laissés par aller au torrent de la multitude ; & si vous voulés être du petit nombre de ces Israëlites fidelles, dites comme eux dans vôtre cœur : oüi, mon Dieu, il n’y a que vous qu’il faille adorer, te oportet adorari Domine . Je renonce aux maximes de ce monde trompeur : je déteste ses Loix : je ne veux point de commerce avec un Peuple qui vous méconnoît : j’ai en horreur les fausses Divinités qu’il respecte : les Idoles qu’il adore ne sont point des Dieux comme le nôtre : ils sont l’ouvrage de ses mains ; vous seul, ô mon Sauveur, mérités qu’on vous aime, qu’on vous serve, qu’on vous adore ; & les Loix corrompuës de Babilone n’ont rien de commun avec les saintes Loix de Jerusalem. Je vous adorerai dans la sincerité de mon cœur : je tournerai vers vous seul tout mon culte : on traittera de foiblesse ma devotion & ma pieté ; mais heureuse foiblesse qui me donnera la force de resister aux attaques de Satan, & de ne me pas laisser surprendre aux vains charmes de la seduisante Babilone ; & comme j’espere en vous seul, je veux n’adorer & ne servir que vous.

Ah ! le tems de la captivité finira, ô mon Dieu ! vous nous transporterés un jour dans la sainte Sion : c’est alors que vous regnerés sur les Impies, qui aujourd’hui ne vous reconnoissent pas, que toute puissance, toute prosperité, toute grandeur, tous titres ; que tous les plaisirs, les honneurs, les richesses, les possessions de la terre seront anéanties, & que vous seul demeurerés. On comprendra, mais trop tard, que vous seul merités d’être adoré & servi, aimé & glorifié, parce que tout sera passé dans le monde & que vous seul serés immuable, & demeurerés éternellement, te oportet adorari Domine.

Voilà le fruit que vous devés tirer de ce Discours : vivés dès à present comme si vous êtiés prêts de paroître devant vôtre Juge ; veillés pour vous preserver de la corruption du grand nombre, pensés sans cesse que ce grand nombre se danne : detestés ses maximes, méprisés ses usages, ne comptés pour rien ses coûtumes, & souvenés-vous que tous les Saints se sont separés au moins de cœur & d’affection de son commerce, pour ne s’attacher qu’à Jesus-Christ, ne suivre que ses Loix, ne craindre que lui, & n’aimer que lui. C’est ainsi qu’après vous être separés vous-mêmes de la compagnie des Pécheurs en ce monde, vous en serés encore separés dans l’autre, où le Sauveur vous dira : venés les benits de mon Pere, possedés le Roiaume qui vous est preparé dès le commencement des siecles. Je vous le souhaite.