(1722) Chocquet, Louis [article du Supplément au Dictionnaire Historique et Critique] « article » pp. 42-44
/ 1079
(1722) Chocquet, Louis [article du Supplément au Dictionnaire Historique et Critique] « article » pp. 42-44
CHOCQUET (Louïs) fameux Poëte François vers le milieu du XVI. siecle, & Auteur d’un Ouvrage fort rare & fort singulier, dont nous donnerons ci-dessous des Extraits (A). Il a été inconu à La Croix du Maine, mais non pas à Du Verdier, qui l’a mis dans sa Bibliotheque comme l’Auteur d’un in folio qui fut imprimé à Paris l’an 1541. Il s’est contenté de marquer que c’est un Volume où les Actes des Apôtres & l’Apocalypse de Saint Jean ont été mis en Rime Françoise par Personnages. Il a négligé d’en raporter des Extraits, & ce n’est point sa coutume de négliger cela quand un Livre contient des choses un peu singulieres. Il a même assez souvent raporté de longs Passages qui n’avoient rien de fort exquis. On peut donc s’étonner avec raison qu’il n’ait rien cité des Poësies de Louïs Chocquet ; car on y trouve des Scenes bien étranges, & bien surprenantes. Nous suplérons à ce defaut, & nous ferons conoitre cet Ouvrage un peu mieux qu’on ne le conoit dans du Verdier.

[Remarque]

(A) Il est Auteur d’un Ouvrage… fort singulier, dont nous donnerons des Extraits.] L’Exemplaire, qui m’a été préte, contient trois Parties, dont la I. est intitulée Le prémier volume des Catholiques œuvres & Actes des Apostres redigez en escript par Sainct Luc Evangeliste & hystoriographe, depute par le Sainct Esperit. Icelluy sainct Luc escripuant à Theophile, Avecques plusieurs hystoires en icelluy inserez des gestes des Cesars. Et les demonstrances des figures de Lapocalypse veues par sainct Jehan Zebedee en l’Isle de Pathmos soubz Domician cesar, avecques les cruautiez tant de Neron que dicelluy Domictan. Le tout veu & corrige bien & deuement selon la vraye verite, & joue par personnages à Paris en l’hostel de Flandres l’an mil cinq cens XLI. Avec privilege du Roy. On les vend en la grand Salle du Palais par Arnoul & Charles les Angeliers freres tenans leurs bouticques au prémier & deuxiesme pilliers devant la Chappelle de Messeigneurs les Presidens. Ce prémier Volume contient en 210. feuillets cinq livres des Actes des Apôtres. Voions le Titre de la II. Partie : le second volume du Magnificque Mystere des Actes des Apostres continuant la narration de leurs faicts & gestes selon l’escripture saincte, avecques plusieurs histoires en icelluy inserées des gestes des Cesars. Veu & corrigé bien & deuement selon la vraye verite, & ainsi que le mystere est la joue à Paris ceste presente année mil cinq cens quarante & ung. Avec Privilege. Ce second Volume contient 165. feuillets, & finit au neuvieme livre des Actes des Apôtres. La III. Partie est l’Apocalypse Saint Jehan Zebedee, ou sont comprinses les visions & revelations que icelluy Saint Jehan eut en l’Isle de Pathmos, le tout ordonne par figures convenables selon le texte de la Saincte escripture. Ensemble les cruauliez de Domicien Cesar. Avec Privilege M. D. xli. Elle contient 46. feuillets, & fut achevée d’imprimer le 27. de Mai 1541. L’Ouvrage est in folio.
Louïs Chocquet n’a mis son nom qu’au commencement de la troisieme Partie. Il l’y a mis en deux manieres, prémiérement par une Epigramme Latine au revers du prémier feuillet, & puis au haut du second feuillet, « Cy ensuit le Mystere de l’Apocalypse Sainct Jehan, avec les cruaultez de Domicien Empereur de Romme, compose par maistre Loys Chocquet. » On ne trouve aucune mention de lui dans les Privileges d’imprimer. Ce fut Guillaume Alabat, marchant demourant à Bourges, qui obtint le Privilege de François I., à Lion, le 24. de Juillet 1536. Il l’obtint pour six années. Il expose, que a l’honneur & louenge de dieu, de nostre mere saincte eglise, & de la saincte foy catholicque, & pour condition & consolation de tous bons & vrays Chrestiens. Il feroit voulentiers Imprimer le livre des Actes des apostres en cinq ou plusieurs volumes qu’il a par devers luy & qui a este compose en ryme françoise & corrige a grans frais & mises. Lui & ses Libraires eurent un Procès au Parlement de Paris l’an 1540. contre Maistre François Hamelin, François Potrain, Jehan Louvet, & Leonard Chollet, Maistres & Entrepreneurs du mystere des Actes des Apostres à Paris cette année là. La Cour ordonna que ces quatre Entrepreneurs ne pourroient faire imprimer le mystere des dicts Actes des Apostres par autres que par ceulx qui ont eu le Privilege de les imprimer quelque addition qu’ils y fissent. On voit dans une Balade aux commencement du II. Volume les noms de ces quatre Entrepreneurs & qualitez. Voici en quels termes :
Au Plasmateur rendent grace les quatre
De bon vouloir entre Parisiens
Les quels ont faict apparoir le Theatre
Bien ensuyvant les Rommains anciens
. . . . . . .
. . . . . . .
. . . . . . .
Françoys de nom les deux, n’en faut debatre
Lung Hamelin, l’autre Poutrain, scients
Lung en practique, & l’autre pour sembatre
Tixtre tapis soubs rethoriciens
Sçait assez bien, puis pour l’exploict parfuire
Leonard Chovelet boucher voulut bien faire
Et Jehan Louvet operateur aux fleurs
Bien congnoissant des bons grains les meilleurs.
A iceulx quatre honneur royal desire
Donner faveur abollir les erreurs
Qui font humains a vertu contredire.
Je raporte toutes ces petites particularitez, parce qu’elles peuvent servir à faire conoitre quelques circonstances de la Comédie de ce siecle là. Quelques-unes de ces circonstances ne sont point dans le Moreri ; car, par éxemple, on n’y trouve point que l’Hôtel de Flandres ait jamais été le lieu où se soient données les Représentations Dramatiques des Histoires de la Sainte Ecriture dans Paris. Mais, pour faire mieux conoitre ce que c’étoit en ce tems là que le Théatre François, je raporterai quelques morceaux des Pieces de notre Chocquet. Ils sufiront à nous aprendre, que pendant que l’on défendoit au Peuple de voir les Histoires Saintes dans le Livre qui les contient purement & fidélement, on lui permettoit de les voir sur le Théatre, souillées de mille inventions grossieres, dont on exprimoit la plupart d’une façon basse, & en style de farceur.
La prémiere Histoire que l’on ait décrite dans ce Volume est l’élection d’un Apôtre en la place de Judas. On a suposé bassement que les Apôtres firent tirer à la courte paille ; car c’est ainsi que je puis qualifier l’expédient qu’on raconte :
Baillez les festus preparez
Ainsi que l’avons assigne.
Lung en y a qui a ung signe
Comme il appert, signe lauons
Pour l’amour de nos compaignons.
Le second de signe na point,
Dont pour acheuer nostre poinct
Pierre, tenez les en uos mains,
Et eulx deux, qui sont incertains
Ou le signe est, n’en quelle espece,
Viendront tirer chascun sa piece,
Et celluy auquel escherra
Le signe, subrogue sera
Au lieu qui est ja devise.

Après que les deux fetus surent tirez, les Apôtres regardérent qui avoit le signe, & s’écriérent tous ensemble,

C’est Mathias :

Sur quoi Saint Pierre s’exprima ainsi

                      Loue soit dieu,
Ca Mathias, entre nous autres
Faictes nombre des douze Apostres.
Joyeulx en suis, proficiat,
Conferme soyez en l’estat .

On met très souvant les Diables en jeu ; & c’est dans ces endroits là que le Poëte s’excite le plus, & qu’il met principalement en œuvre son industrie ; mais il soutient mal les caracteres, & au lieu d’inspirer de l’horreur, il étoit plus propre à faire rire. Il s’abandonnoit au burlesque, tant le gout qui régnoit alors étoit mauvais. Il introduit Lucifer qui convoque tous les Diables, & il lui fait dire :

Dyables meschans destinez en terre estre,
Clos a jamais dans le centre terrestre,
Viendrez vous point a mes cris & aboys,
Sortez au feu de nostre infernal être
Par mes haulx cris vous pouez bien cognoistre
Que c’est a droict que complaindre me doibs :
Haro, haro, nul de vous je ne veoys,
Si ne venez desesperer m’en voys.
Dyables mauldicts, Dyablesses, Dyabletons,
Courez en lair, trauersez champs & boys
Foulare gectez, accordante a ma voix
Approchez tost dyabolicques luytons : &c.

Voici la réponse de Sathan :

Prince denfer tes cris as faict estendre
Si tresavant qu’ils sont venus descendre
Jusques au fons des noires regions
Nos vils manoirs tu as presque faict fendre
Que te fault-il ? Es tu prest de te pendre
Dyables sont hors par grandes legions .

Autre Discours de Lucifer :

» Haro, haro, approche toy grant Dyable,
» Approche toy notayre mal fiable.
» Fier Belyal procureur des enfers
» Si tu ne fais ung faulx traict desuoyable
» Nous perdons tout le genre humain saluable
» Et demourons seuls enchaynez en fers.
. . . . . . .
. . . . . . .
» Sur terre auons des ennemis peruers
» Encontre nous machinans prescherie
» Ce sont villains yssus de pescherie
» Voulans noncer de dieu la paix cherie.
» Mais si vostre art a mort ne les ruyne
» Ravis serez tous a la boucherie
» Si gay n’aura de qui la bouche rie
» S’il le convient laisser mettre en ruyne.

Autre Réponse de Sathan :

» Prince dampne de tenebre & bruyne
» Loup ravissant, ton hurlement ne fine
» Que te fault-il ? as tu la rage au cueur ?
» Prens plomb fondu, chaulx, soufre, & poix resine
» Metail bouillant qui seront drogue fine
» Pour destouper ta mauldicte rancueur. »

Autre Discours de Lucifer.

» Après que Christ fut au tombeau rendu
» Trois jours apres de mort ressuscita
» Et qui plus est tout vif se presenta
» A ses amys qui ne sont pas des nostres,
» Douze coquins qui se nomment Apostres,
» Grans seducteurs de la loy Judaïque
» Ausquels il dit le texte Evangelicque
» Soit soustenu & presche de par vous
» Apres es cieulx il monta devant tous
» En les laissant tous douze sur la terre,
» Lesquels present nous meinent dure guerre
» En la cite Hierusalem nommee
» Et tout autour du pays de Judee
» Qui est pour nous grande perplexite.
» Dyables obscurs chascun soit incite
» Pour ces maraulx a la mort faire rendre
» Si dessus nous les laissez entreprendre
» Dieu pis yra pour nous dessus les rens
» Pour ce Sathan vers eulx le chemins prens
» Pense souldain de leur liurer bataille
» Pour mettre a fin la maudicte canaille
» Transporte toy aux prestres de la loy
» Lesquels tousjous ayent lor & aloy
» En recordant leur mauldicte auarice
» De ces coquins donne bien la notice, &c. . »

Satan répond.

» De tous les Droicts assez entends l’affaire
» Pour exploicter sans long temps pretendu
» Au fonds d’enfer je puisse estre pendu
» Si en brief temps je ne fais des merveilles
» Puis qu’il convient que je souffle es oreilles
» Bien tost mourront les coquins de Jesus. »

Lucifer aiant partagé entre les Diables ses commissions, Sathan lui parla de la sorte :

» Voy Lucifer tous Dyables sont enclins
» Par tours souldains mouvemens & declins
» Dessus les champs leur deuoir tres bien faire,
» Mais au depart pour mieulx nous satisfaire
» Ta patte estends sur nos groings dyabolicques
» Pour confermer nos esprits drachoniques
» Que recevons pour benediction.”

Voici ce que Lucifer répond :

» Dyables dampnez en malediction
» Dessus vous tous par puissance interdicte
» Ma patte estends qui est de Dieu mauldicte
» Pour de tous maulx & malfaicts vous absouldre
» Couverts soyez de fulminante fouldre.

N’étoit-ce pas donner dans le ridicule, & y tourner indirectement la Sainte & Apostolique cérémonie de l’imposition des mains ?

Après ces Dialogues des Démons, on en voit d’autres qui sont pires en leur espece ; car les Discours que l’on fait tenir à Dieu & à Jesus-Christ parlans l’un à l’autre sont entiérement indignes de la majesté du sujet. Les sergens qui emprisonnérent les deux Apôtres qui guérirent un boiteux, parlent si burlesquement, que c’est un morceau de Farce.

Agrippart

Prens moy ce galland par le poing
Et le me lye d’une corde

Griffon

Si je lui fais misericorde
Beau Sire je veuil qu’on me tonde

Agrippart

Est il lye

Griffon

Le mieulx du monde.
Allons les cacher pour la pluye
Vous serez enfans de la pye
Gallans, car vous serez en cage

Trotemenu, messager du grand Sacrificateur Anne, enchérit sur ce burlesque :

» C’est rage comme je chopine
» De chanter ne me puis tenir,
» Toutes les fois que je chemine
» Il n’est chose qui ne se mine
» J’ay huy si bien tire laureille
» Puis le matin à ma bouteille
» Que tout est pieca mis en vente
» Je n’ay garde quelle sesuente,
» Car plus ny a raisin ne moust

Rapportons quelques morceaux du Dialogue d’Anne & de Caiphe.

Anne

» Je les ai veus tres bonnes gens
» Loyaulx & de bonne fasson
» Et mont apporte du poisson
» Cent fois a vendre en mon hostel

Cayphas

» Est il vray

Anne

Par Dieu il est tel
» Mes gens en ont bien souvenance :
» Mais pour mieulx vivre à leur plaisance
» Ils ont delaisse leur mestier
» Dont ils n’auoient pas mestier,
» Car tres bien ils en pouoient viure
» Et depuis ont voulu ensuyure
» Jesus le mauvais Scismaticque
» Qui leur a apprins la magicque
» Et nygromance on le scait bien,
» Car il estoit magicien
» Le plus grand qui fust jusqua Romme.”

L’Interrogation juridique qu’on fit au Boiteux me semble devoir être raportée :

Anne

: … » mais je te vueil demander
» S’il est vray ce qu’on a compte,
» On nous a ici recite
» Que pour trouuer moyen de viure
» Toy qui estoys fort & deliure
» Faignoys d’estre tout contrefaict.
» D’y hardiment si tu las faict
» Je le te feray pardonner
» Avecques ce te feray donner
» De l’argent pour toy bien pourvoir
» Plus qu’il nont : On peut bien scavoir
» Qu’ils ten ont donne & promis
» Affin que dies qu’ils tont mis
» En bon estat & en sante
» Pour avoir bruyt par la cite
» De faire miracles patens. »

Par ces échantillons du prémier Livre, on pourra juger de tout le Volume ; mais il faut se souvenir qu’il ne sont pas aussi grotesques qu’une infinité d’autres endroits.

Il faut noter que l’Auteur se conforme soigneusement aux traditions populaires. Il fourre un long Episode concernant Denys l’Aréopagite, & son ordination à l’Episcopat. Il en fourre un autre beaucoup plus long touchant la Mort, la Resurrection, & l’Assomption de la Sainte Vierge. On admiroit en ce tems-là cette manœuvre de Théatre ; mais aujourd’hui, elle fait pitié. C’est ici qu’il faut que je cite ces Vers de Mr. Des Preaux :
Chez nos devots Ayeux le Théatre abhorré
Fut long-tems dans la France un plaisir ignoré.
De Pelerins, dit-on, une troupe grossiere
En public à Paris y monta la prémiere,
Et sotement zélée en sa simplicité
Joüa les Saints, la Vierge, & Dieu, par piété.
Le Savoir à la fin dissipant l’Ignorance
Fit voir de ce projet la dévote imprudence.
On chassa ces Docteurs préchant sans mission,
On vit renaitre Hector, Andromaque, Ilion .
Si vous voulez un Commentaire sur cela, lisez ces paroles. « Il est certain que les Pelerinages introduisirent ces Spectacles de devotion. Ceux qui revenoient de Jerusalem & de la Terre-Sainte, de Saint Jaques de Compostelle, de la Sainte-Baume de Provence, de Sainte Reine, du Mont Saint Michel, de Nôtre-Dame du Puy, & de quelques autres lieux de pieté, composoient des Cantiques sur leurs Voyages, y méloient le recit de la vie & de la mort du Fils de Dieu, ou du Jugement dernier d’une maniere grossiere, mais que le chant & la simplicité de ces temps là sembloient rendre pathetique, chantoient les miracles des Saints, leur Martyre, & certaines Fables à qui la créance du peuple donnoit le nom de Visions, & d’Apparitions. Ces Pelerins qui alloient par troupes, & qui s’arrêtoient dans les ruës & dans les places publiques où ils chantoient le Bourdon à la main, le Chapeau & le Mantelet chargez de Coquilles & d’Images peintes de diverses couleurs, faisoient une espece de spectacle qui plut, & qui excita la pieté de quelques Bourgeois de Paris à faire un fond pour acheter un lieu propre à élever un Theatre, où l’on representeroit ces Mysteres les jours de Fête, autant pour l’instruction du peuple, que pour son divertissement. L’Italie avoit des Theatres publics, où l’on representoit ces Mysteres, & j’en ai vû un à Veletri, sur le chemin de Rome à Naples, dans une place publique, où il n’y a pas quarante ans que l’on a cessé de representer les Mysteres de la vie du Fils de Dieu. Ces Spectacles de pieté parurent si beaux dans ces siecles ignorans, que l’on en faisoit les principaux ornemens des receptions des Princes quand ils entroient dans les Villes, & comme on chantoit Noël Noël, au lieu des cris de Vive le Roi, on representoit dans les ruës la Samaritaine, le mauvais Riche, la Passion de Jesus-Christ, & plusieurs autres Mysteres, pour recevoir nos Rois. Les Pseaumes & les Proses de l’Eglise étoient les Opera de ces temps-là. On alloit en Procession au devant de ces Princes avec les Bannieres des Eglises : on chantoit à leur loüange des Cantiques composez de divers Passages de l’Ecriture liez ensemble, pour faire des allusions sur les actions principales de leurs Regnes.