(1764) Saggio sopra l’opera in musica « Saggio sopra l’opera in musica — Iphigénie en Aulide. Opera — Acte I »
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(1764) Saggio sopra l’opera in musica « Saggio sopra l’opera in musica — Iphigénie en Aulide. Opera — Acte I »

Acte I

Le théâtre représente le camp des Grecs près de la ville d’Aulide. La flotte grecque parait sur la mer dans le fond. Sur le devant on voit l’entrée de la tente d’Agamemnon. Le théâtre est d’abord sombre et s’éclaire peu à peu.

Scène I

Agamemnon et Arcas.

Agamemnon

Viens, Arcas, suis-moi.

Arcas

Quoi, Seigneur, vous devancez l’aurore ! Vos yeux seuls sont ouverts, tandis que les oiseaux, les vents et l’Euripe, tandis que tout encore est dans le silence.

Agamemnon

Heureux ceux qui loin des honneurs vivent sans gloire et sans soucis !

Arcas

Agamemnon issu du sang de Jupiter, à la tête de l’armée, de vingt rois et de mille vaisseaux que la Grèce a assemblés contre l’Asie, depuis quand tenez-vous ce langage ? Père de la belle Iphigénie, Achille, fils d’une déesse, le plus vaillant des Grecs, celui qui doit renverser la superbe Troie, Achille recherche en mariage cette fille. Que vous reste-t-il à demander aux dieux ? Il est vrai qu’un long calme… mais hélas ! Quels pleurs vois-je couler de vos yeux attachés sur ce billet ! Pleurez-vous Oreste, Clytemnestre ou la belle Iphigénie ?

Agamemnon

Non, tu ne mourras point; je n’y saurais consentir.

Arcas

Seigneur…

Agamemnon

Tu sais qu’il y a trois mois que nous étions prêts à faire voile de l’Aulide, lorsque ce calme qui nous y retient encore, nous ferma le chemin de Troie. Frappé de ce prodige, j’interrogeai Calchas ; il consulta Diane qu’on adore en ces lieux. Mais que devins-je, Arcas, lorsqu’on me répondit, que pour m’ouvrir le chemin de Troie il fallait sacrifier Iphigénie ?

Arcas

Votre fille !

Agamemnon

Que te dirai-je, Arcas ? Victime de l’ambition et pressé par Ulysse, je consentis après mille combats à sacrifier ma fille. Mais quel artifice a-t-il fallu chercher pour l’arracher des bras d’une mère ? ]’empruntai le langage d’Achille son amant. J’écrivis en Argos, qu’il ne voulait partir pour Troie, que l’hymen n’eut couronné ses feux.

Arcas

Et croyez-vous, Seigneur, que le bouillant Achille souffrira qu’on abuse de son nom, et ne volera pas à la vengeance ?

Agamemnon

Il était absent alors. Tu te souviens que Pelée, son père, assailli dans son propre royaume, l’avait rappelé. On aurait cru que cette expédition dût le retenir longtemps. Mais qui peut résister à ce foudre de guerre ? Il se montra, vainquit, et hier il revint en Aulide. Mais de plus puissants motifs me retiennent. Moi je serai le bourreau d’une fille, que le sang, la jeunesse, sa tendresse pour moi et mille vertus me rendent sacrée ! Non, les dieux n’approuveraient pas ce sacrifice. Ils ont voulu seulement m’éprouver, et me condamneraient si je leur livrais la victime qu’ils demandent. Arcas, cours au devant de la reine; rends-lui ce billet, et que tes discours s’accordent avec ce que j’écris. Je lui mande qu’Achille, ne soupirant qu’après la gloire, veut différer cet hymen jusqu’à son retour de Troie. Va, cours, prends un guide fidèle. Si ma fille met le pied dans l’Aulide, elle est morte. Sauve-la d’Ulysse, de l’armée, de Calchas, de la religion ; sauve-la de ma propre faiblesse.

Arcas

Comptez sur moi, Seigneur, je vole pour vous obéir.

Air

Agamemnon

Suspend ta colère, ô chaste déesse, ne souille pas tes autels du sang d’une mortelle, qui a toujours suivi tes lois……

Mais on entre. C’est Achille: dieux ! Ulysse le suit.

Scène II

Agamemnon, Achille, Ulysse.

Agamemnon

Quoi, Seigneur, se peut-il que vos triomphes soient si grands et si rapides ! La victoire vous a précédé dans la Thessalie, et vous suivez de près la renommée dans l’Aulide. Presqu’en passant vous soumîtes Lesbos, la plus puissante alliée des Troyens; et ces grands exploits ne sont que les amusements d’Achille oisif.

Achille

Seigneur, puisse bientôt le ciel qui nous arrête ouvrir un champ plus noble à mes destinées ! Mais que me faut-il croire d’un bruit qui me surprend, et me met au comble de mes vœux ? On dit qu’Iphigénie va bientôt arriver en ces lieux, et que je vais être le plus heureux des mortels.

Agamemnon

Ma fille ! Qui vous a dit qu’elle doit arriver ?

Achille

Qu’a donc ce bruit qui doive vous étonner ?

Agamemnon

Ciel, saurait-il mon artifice ! (à Ulysse.)

Ulysse

Agamemnon s’étonne avec raison. Quoi ? tandis que le ciel est en courroux contre les Grecs, qu’il faut fléchir les dieux, qu’il leur faut du sang, et peut-être du plus précieux, Achille, le seul Achille ne songe qu’à l’amour.

Achille

Dans les champs de Troie les effets feront voir qui chérit plus la gloire ou d’Ulysse ou de moi. Vous pouvez maintenant à loisir consulter les victimes sur le silence des vents. Moi, qui de ce soin me repose sur Calchas, souffrez, Seigneur, que je presse un hymen, dont dépend mon bonheur. Je saurai bien réparer devant Troie les moments que l’amour me demande en Aulide.

Agamemnon

Ô ciel, pourquoi faut-il que tu fermes le chemin de l’Asie à de tels héros ! N’aurais-je vu tant de valeur, que pour m’en retourner avec plus de confusion !

Ulysse

Dieux, qu’entends-je !

Achille

Qu’osez-vous dire ?

Agamemnon

Qu’il faut abandonner notre entreprise. Les vents nous sont refusés : le ciel protège Troie, les dieux par trop de présages se déclarent en sa faveur.

Achille

Quels sont donc ces présages ?

Agamemnon

Vous-même, Seigneur, souvenez-vous de ce que les oracles ont prédit de vous.

Achille

Les Parques, il est vrai, ont prédit à ma mère que je pouvais choisir d’une vie longue et sans gloire, ou de peu de jours suivis d’une gloire immortelle. Achille n’a pas balancé. Couronné par l’hymen je cours à Troie. J’y mourrai ; mais ne mourrai pas tout entier.

Air

Les cris des Troyennes répèteront mon nom, reconnaissant mes coups dans les blessures de leurs époux; et le nom d’Achille sera l’entretien des siècles à venir.

Scène III

Agamemnon et Ulysse.

Agamemnon

Hélas !

Ulysse

Achille, Seigneur, aurait-il échangé vos desseins ?

Agamemnon

Ni Achille, ni Ajax, ni Diomède, ni tous les rois qui sont dans l’armée ne pourraient faire changer un dessein qu’ Agamemnon aurait pris.

Ulysse

Que faut-il donc que j’augure de ces soupirs et de vos discours ? Une nuit a ébranlé votre constance et détruit l’ouvrage de tant de jours.

Agamemnon

Non, Seigneur, je ne saurais croire que les dieux demandent une telle victime.

Ulysse

Que dites-vous, Seigneur ? Calchas nous a expliqué clairement les ordres des dieux ; lui qui est le dépositaire et l’interprète fidèle de leurs secrets.

Agamemnon

Les ordres des dieux sont obscurs et souvent impénétrables aux mortels.

Ulysse

Quoi, Seigneur, vous devez votre fille à la Grèce ; vous nous l’avez promise. Mais que dis-je à la Grèce? Vous la devez à vous-même. Et pour qui donc allons nous courir aux campagnes du Xanthe, pour qui abandonnons nous nos femmes, nos enfants, nos royaumes, si ce n’est pour venger la honte des Atrides ? Votre voix pressante nous a assemblés, les suffrages de vingt rois, qui pouvaient tous vous disputer le rang suprême, vous ont mis à la tète de cette armée. Et le premier ordre du général est de refuser la victoire, le premier conseil du chef de la Grèce est de renvoyer les Grecs qu’il a assemblés.

Agamemnon

Ah, Seigneur, que loin du malheur qui m’accable, vous vous montrez aisément magnanime. Mais si vous entendiez condamner votre fils Télémaque, s’il devait approcher de l’autel ceint du fatal bandeau, vous changeriez de langage, vous croiriez moins les oracles : je vous verrais courir et vous jeter entre Calchas et lui.

Duo

Agamemnon

Voyez ma fille expirante, entre les sanglots et les larmes, verser son sang innocent sous un couteau impie.

Que la piété de père attendrisse votre âme.

Ulysse

Voyez la superbe Troie, parmi nos chants de victoire, plongée dans les flammes sous nos flambeaux vengeurs.

Que les sentiments du héros triomphent dans votre cœur.

Agamemnon

Eh bien, Seigneur, j’ai donné ma parole; et si ma fille vient, je consens qu’elle périsse. Mais si, malgré mes soins, son destin heureux la retient dans Argos, ou bien l’arrête en chemin, souffrez que j’explique cet obstacle comme un arrêt du Ciel, et que j’accepte le secours de quelque dieu favorable, que sa piétée, son innocence et son âge auront intéressé à son salut… Mais quels sons frappent mon oreille ?

(On entend de loin une symphonie guerrière et l’on voit paraître sur un char Clytemnestre et Iphigénie accompagnées de femmes grecques et de soldats, qui les ont reçues à l’entrée du camp.)

Dieux! c’est elle-même. Dans l’état où je suis, je me dérobe à ce funeste spectacle.

Scène IV

Ulysse, Clytemnestre, Iphigénie et le chœur.

Chœur

Non, la belle Hélène, que l’insolent Pâris a enlevé à Ménélas, n’était pas plus belle qu’Iphigénie, que l’hymen doit unir au vaillant Achille.

(Tandis que le chœur chante, Clytemnestre et Iphigénie descendent du char aidées des femmes grecques.)

Ulysse

Venez, et que l’appareil de ce camp n’effraye point vos yeux.

Clytemnestre

Mes yeux cherchent en vain Agamemnon, qu’ils auraient dû voir le premier.

Iphigénie

Quel malheur, hélas, le retient éloigné de nous ? Serait-ce, Madame, que nous serions arrivées contre son gré ?

Ulysse

Les soins de l’armée le dérobent un moment à votre vue. Mais vous, Iphigénie, venez, montrez vous aux soldats comme un astre favorable au salut de la Grèce.

Chœur

Non, la belle Helène, que l’insolent Pâris a enlevé à Ménélas, n’était pas plus belle qu’Iphigénie, que l’hymen doit unir au vaillant Achille.

Un d’entre le chœur

Comme l’étoile du matin brille parmi les feuillages épais d’une forêt, telle est Iphigénie parmi les lances et les javelots de cette armée.

(Les chants seront entremélés de danse, qui sera composée de femmes grecques et de soldats.)

Un d’entre le chœur

Père fortuné, heureuse mère à qui la belle Iphigénie a souri en voyant la clarté du jour !

Deux d’entre le chœur

Achille plus heureux encore, entre les bras de qui elle va verser des larmes dans l’ombre de la nuit !

Chœur

Non, la belle Hélène, que l’insolent Pâris a enlevé à Ménélas, n’était pas plus belle qu’Iphigénie, que l’hymen doit unir au vaillant Achille.

On danse.