(1764) Saggio sopra l’opera in musica « Saggio sopra l’opera in musica — Iphigénie en Aulide. Opera — Acte III »
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(1764) Saggio sopra l’opera in musica « Saggio sopra l’opera in musica — Iphigénie en Aulide. Opera — Acte III »

Acte III

Appartements du Palais.

Scène I

Agamemnon

Air

Douce Espérance, présent des dieux, qui soulagez les mortels des maux qu’ils souffrent par l’attente des biens qu’ils désirent : vous qui habitez avec tous les hommes, douce Espérance, ne m’abandonnez pas.

 

Les barbares qui aiment le carnage peuvent attribuer à la divinité leur sauvage inclination. Mais je ne saurais penser que les dieux soient capables d’un crime. J’entendrai bientôt moi-même leur voix. Assez et trop longtemps les Grecs ont été abusés par la voix des devins. Sujets à se tromper, comme les autres mortels, la crédulité du vulgaire fait toute leur science. Mais hélas ! d’où vient que je tremble d’interroger cet oracle fatal ? Si pourtant il demande ma fille, je ne saurais reculer sa mort d’un moment. Ah ! voici Ulysse. Dieux! que je crains son approche !

Scène II

Agamemnon et Ulysse.

Ulysse

Venez, Seigneur, et reconnaissez ce nouveau gage de l’amitié d’Ulysse. Tout ce que j’avais prévu est arrivé en effet. Calchas a reçu votre demande avec indignation. Quoi ? disait-il, la religion est profanée, nul respect pour les ordres des dieux ; et l’on croit que ces dieux nous seront favorables aux champs de Troie !

Et c’est le chef qui donne à la Grèce assemblée cet exemple d’irréligion !

Agamemnon

Il voudrait en effet ce Calchas être lui-même le chef suprême de la Grèce, commander l’armée et vingt rois par ses divinations et par ses prestiges. Prophète sinistre qui jamais n’a annoncé un bon augure, ni fait la moindre chose digne de louange.

Ulysse

Je crois, Seigneur, que j’aurais plutôt persuadé Pâris de rendre Hélène, que je n’aurais persuadé Calchas de vous introduire dans le tempIe. Mais enfin les sentiments de père, les vertus d’Iphigénie, votre amour pour le bien public, votre soumission dès que vous aurez entendu les ordres du ciel, les dieux enfin m’ont dicté le discours que j’ai tenu à leur pontife. J’ai apaisé sa colère : il a consenti à ma demande et à la vôtre. Allons, Seigneur, tout est prêt. Les mêmes dieux qui m’ont inspiré, vous admettent à leur présence.

Scène III

Clytemnestre, Iphigénie et les mêmes.

Clytemnestre

Arrêtez, Seigneur, il faut éclaircir un mystère.

Agamemnon

Ah, Madame, laissez-moi aller où m’appellent les destinées de ma famille et de la Grèce.

Scène IV

Clytemnestre et Iphigénie.

Clytemnestre

Ah ma fille ! Il se dérobe à notre vue. Il va hâter sans doute les cruelles destinées de sa famille. Je ne m’étonne plus qu’interdit dans ses discours, il ait paru nous revoir à regret.

Iphigénie

Hélas !

Clytemnestre

Vous ne savez pas vos malheurs, ma fille.

Iphigénie

Que dites vous, Madame ?

Clytemnestre

Arcas vient de me rendre en ce moment une lettre, qu’il avait ordre de me rendre en chemin.

Iphigénie

Eh bien, Arcas ne venait-il pas presser notre arrivée ?

Clytemnestre

Votre père m’ordonnait de reprendre la route d’Argos sous prétexte qu’Achille voulait différer son hymen; mais en effet, pour s’ouvrir, dit-on, le chemin de Troie ; votre père devait vous immoler.

Iphigénie

Dieux !

Clytemnestre

Arcas s’est égaré en chemin.

Iphigénie

Vous ne m’auriez donné le jour, et ne m’auriez élevée que pour être immolée aux Grecs et immolée par un père ! Les cruels ! Ils me conduisaient au milieu de l’Aulide sur un char de triomphe, ils allumaient les flambeaux de l’hymen. Hymen fatal ! on me destinait au fils de la déesse et je suis livrée à la mort.

Clytemnestre

Non, ma fille, vous ne le serez pas. Je saurai vous défendre de la cruauté d’un père. Achille même, le vaillant Achille, comment pourrait-il souffrir, sans commettre son honneur, qu’on abusât de son nom ? Quoi ? ce serait lui-même qui vous conduirait à l’autel !

(Elle veut sortir.)

Iphigénie

Ah, non, arrêtez, Madame. Mon père, qui voulait nous faire retourner à Argos, saura peut-être me sauver au milieu même de l’armée; lui qui y tient le rang suprême, et qui a toujours aimé Iphigénie. Mais, hélas, de quels yeux reverrai-je Argos ? Moi qui en étais partie au milieu des concerts et des danses pour être l’épouse d’Achille, moi qui fille d’Agamemnon et de Clytemnestre, fille de Thétis, devais régner à Pthie dans les riches maisons de Pelée, et qui dans la race d’Achille étais destinée à donner de nouveaux héros à la Grèce. Non, laissez-moi mourir. Je mourrai au moins remplissant sans murmure la destinée, à laquelle m’appellent les ordres d’un père et les dieux. Je mourrai sans déshonneur.

Clytemnestre

Hélène, sœur fatale à la maison des Atrides, qui troublez toute la Grèce, qui mettez en armes l’Europe contre l’Asie, que vous me coûtez de larmes ! Ce n’était pas assez que vous eussiez déshonoré la couche de Ménélas. Faudra-t-il encore qu’Agamemnon se souille du sang d’Iphigénie avant de vous ravir d’entre les bras de votre indigne Phrygien ?

Iphigénie

Ah, Madame, que je prévois de malheurs, si vous n’êtes soumise aux ordres d’Agamemnon, et si vous voulez me dérober à la mort ! Vous voilà désobéissante à votre époux : lui-même désobéirait aux dieux, sans l’ordre desquels sans doute il ne me sacrifierait pas. Si Achille prend ma défense, la discorde s’empare des chefs de l’armée ; tout ordre est renversé. Les dieux seuls connaissent ce qui pourrait en arriver.

Air

Que je meure obéissante aux ordres des dieux, que j’achève une vie qui m’exposerait peut-être à des malheurs pires encore que la mort même.

Que je sauve par ma mort les maux qui menacent ma famille et la Grèce, qui menacent Achille.

Scène V

Clytemnestre

Se pourrait-il qu’Agamemnon voulût immoler une fille si vertueuse ! Ambition, tyran des rois, que ne peux-tu sur le cœur des mortels orgueilleux ? Les dieux se plairaient-ils à commander des crimes ?

Air

Allons nous éclaircir, allons déchirer le voile importun, qui couvre encore mes yeux : nous verrons après le parti qu’il faudra prendre.

Scène VI

Le théâtre représente l’intérieur du temple de Diane.
Agamemnon, Ulysse, Calchas, Chœur des prêtres.

Chœur des prêtres

En vain les mortels tentent de se soustraire aux ordres des dieux.

Un du chœur

Les ordres des dieux sont gravés sur l’airain de l’éternité.

Deux du chœur

Le temps ne saurait le consumer; ni la force, ni l’adresse des hommes ne sauraient le briser.

(Une partie des prêtres danse gravement autour de l’autel de la déesse.)

Un du chœur

Les rois sont sujets aux décrets des dieux, ainsi que les bergers.

Tout le chœur

Jupiter incline sa tête immortelle : l’Olympe tremble, et l’univers se tait.

Calchas

Approchez, Agamemnon, et regardez comme une faveur signalée de la déesse, qu’on vous accorde qu’elle soit interrogée une seconde fois.

Demi-air

Et vous déesse, fille de Jupiter, qui vous plaisez dans la solitude des vallées et dans l’ombre des forêts, ne regardez dans la démarche d’Agamemnon, que la piété d’un père.

Mais si mes vœux ont toujours été pour le bien de la Grèce, si mes sacrifices vous ont été chers, parlez, déesse, redemandez votre victime, et vengez l’honneur de vos ministres offensé par l’incrédulité.

Agamemnon

Ah! si l’âge, si l’innocence, si la beauté, si la piété envers les dieux, envers vous-même, déesse, que j’adore en ces lieux et dont je crains les oracles…

(Tandis qu’Agamemnon parle, on entend un bruit comme du tonnerre fort éloigné, qui augmente peu à peu.)

Calchas

La déesse va parler.

L’Oracle dans le fond du théâtre

« Grecs, si vous voulez aborder à Troie, répandez dans l’Aulide le sang d’Iphigénie. »

Agamemnon.

Hélas !

Le chœur

Les rois sont sujets aux décrets des dieux, ainsi que les bergers.

Deux du chœur

Mille vaisseaux cachaient les mers : les rivages et les collines étaient couvertes par les chariots de guerre.

Un du chœur

Où sont-ils maintenant ?

Tout le chœur

Ils ont été dispersés par le souffle des dieux irrités par la désobéissance.

Calchas.

Allez, Seigneur, soumettez-vous aux ordres des dieux.

Le chœur

Les ordres des dieux sont gravés sur l’airain de l’éternité.

Calchas

Seigneur, songez que ce sacrifice va vous ouvrir le champ de gloire, qui vous attend sous les murs d’Ilion. Voyez les vaisseaux grecs couvrir l’Hellespont et voler à Troie parmi les acclamations des matelots et des soldats ; voyez ces mêmes vaisseaux les poupes couronnées et chargées de dépouilles, fendre une seconde fois ces mêmes mers ; voyez la Grèce entière qui vous appelle de loin, vous reçoit du rivage et chante votre triomphe. Allez, Seigneur, soumettez vous aux ordres des dieux.

Agamemnon

Hélas !

Le chœur

Les ordres des dieux sont gravés sur l’airain de l’éternité. Les rois y sont sujets, ainsi que les bergers. Jupiter incline sa tête immortelle : l’Olympe tremble et l’univers se tait.