(1907) Articles du Mercure de France, année 1907 « Tome LXVII, numéro 240, 15 juin 1907 »
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(1907) Articles du Mercure de France, année 1907 « Tome LXVII, numéro 240, 15 juin 1907 »

Tome LXVII, numéro 240, 15 juin 1907

La question religieuse. Enquête internationale [V]

Tome LXVII, numéro 240, 15 juin 1907, p. 625-656 [630, 634-635, 638-639, 645].

Marquis Pietro Misciatelli (Rome)

Il ne me semble pas qu’on puisse envisager sérieusement la possibilité de la dissolution du sentiment religieux dans les âmes. À mon avis, il serait également absurde d’admettre la dissolution du sentiment de l’amour. Toujours, la prière, silencieuse et profonde, s’élèvera vers l’Être Suprême tant que battront des cœurs humains, tant qu’il y aura la douleur, et qu’il y aura la mort.

Lorsque je réfléchis aux événements de politique religieuse sur lesquels vous rappelez mon attention, et que je les compare à ceux des siècles qui nous ont précédés, mon esprit ne peut y apercevoir que des manifestations constantes, quoique diverses, de la vitalité du sentiment religieux, qui se révèle particulièrement dans la lutte.

La passion religieuse qui agite, à présent comme jadis, toutes les nations, n’est pas, à mon avis, une simple question de caste, ou pour mieux dire un mouvement purement clérical. Au-dessus des convoitises personnelles et du fanatisme aveugle, brille la flamme ardente d’une croyance millénaire.

L’idée religieuse, alimentée sans cesse par cette flamme, trouve une voie naturelle creusée par le travail de la science, et y entraîne les âmes vers les splendeurs de la Vérité, vers ce ciel où chante la plus haute espérance.

Francesco Cosentini. Professeur à l’Université Nouvelle de Bruxelles

Je pense que nous assistons et que nous assisterons à une progressive dissolution aussi bien de l’idée que du sentiment religieux. La religion, comme idée, prétendait nous présenter une conception générale du monde, dans un ensemble systématique en harmonie avec le dogme ; la religion, comme sentiment, prétendait assumer la direction de toute activité pratique et morale, et suggérer les règles d’une bonne conduite éthique. L’une et l’autre prétention vont devenir incompatibles avec le progrès de la pensée scientifique et avec une plus rationnelle conception de la vie morale.

En fait, d’un côté, la science, qui à cette heure n’est plus le privilège d’un petit nombre, mais devient chaque jour plus accessible à tous, a ébranlé les bases de l’idée religieuse, prouvant l’absurdité du dogme et son antinomie avec l’expérience positive ; d’un autre côté, l’éthique tend à se détacher complètement de toute enveloppe religieuse qui, le plus souvent, soit par des folies ascétiques, soit par un stupide ritualisme, devient l’anesthésique de la conscience, et renforce des préjugés et des tendances contraires aux instincts mêmes et aux besoins naturels de l’homme.

Tous ceux qui veulent le progrès de l’humanité doivent préparer cette dissolution, soit en faisant connaître les conquêtes de la science positive, soit en propageant une morale sociale rationaliste débarrassée de tout vêtement religieux.

M. Gian Pietro Lucini. Homme de lettres (Italie)

I. La Foi, comme manifestation du sentiment, ne s’abolira jamais.

II. Qu’il y ait une mystique de la nature, comme il y a une physique : rite et science, intuition et expérience.

III. Une théorie de l’abstention systématique et volontaire à la croyance déiste serait une théorie négative. L’Athée ne produit pas ; il s’annihile, comme le fakir, quoique inversement : deux désordres.

IV. La Religion est l’Art de la Foi. Or, chaque art évolue, suit le temps, sollicite les poètes ; Dieu est un réflexe du génie créateur qu’interprètent l’époque et ses nécessités. — Les Dieux se reproduisent idéologiquement selon les modifications sociales et intellectuelles, les différences organiques des races, les bigarrures des mœurs, la physiologie des individus. Dieu est et sera toujours un Être en évolution. Car l’humanité souhaite son Dieu à son image (même l’homme de Blanqui, qui n’a ni Dieu ni Maître) décorativement représentatif de ses aspirations. — Avec Dieu l’homme hypothèque sur l’avenir et sur l’immortalité la présomption égoïste de se survivre. Avec Dieu, l’art se fait ministre gnostique et le poète l’explicateur de la nature. Dieu-utilité. Or, il est un locus communi sermonis, un mot catégorique, comme tant d’autres, avec lequel nous représentons des illusions, des images : donc signification d’une méthode. Concorder dans l’unité générale, c’est le rêve. — Leibnitz, qui eut la passion de l’unité et de l’harmonie, répète mystiquement : « La gloire de Dieu n’est pas seulement l’immuable et l’éternel ; elle est le devenir naturel et l’humanité le fragment. » Mais l’Art et la Science, c’est-à-dire la Foi et la connaissance la répandent et l’augmentent, successivement : aussi la religion se ploie à toutes ces métamorphoses en détermination d’une philosophie de la vie ; philosophie potentielle et cinétique. — Peut-être que Dieu est le dernier échelon de la série biologique à la découverte duquel marchent les Arts, les Sciences, les Religions. — Le Dieu d’une Époque industrielle est mécanique.

V. L’Idéalisme déterministe et expérimental est la doctrine qui nous révèle le Dieu-Nature, positivement, sans les images et les symboles de la révélation.

VI. À mon avis, la crise actuelle est une manifestation anticléricale, non pour la dissolution de l’idée religieuse en soi, mais pour l’intégration d’un dogme scientifique-religieux. Le Poème est son acte de foi. Son utilité sociale fiance le rêve, besoin passionnel, avec la réalité, constatation sensorielle et musculaire. Le mouvement est en synthèse. — Il y a aussi réaction contre un formulaire imbécile et dépourvu de valeur, et une renaissance idéaliste : nous demandons, de par la conscience moderne, la décadence d’une institution qui nous répugne, incapable de satisfaire au besoin de certitude et de repos qui nous angoisse.

Napoleone Colajanni. Député, directeur de la Rivista Popolare di Politica, Lettere e Scienze sociali (Rome)

La question posée est des plus ardues. Je pense qu’on ne peut pas faire de prévision à longue échéance sur les phénomènes sociaux ; et de cette impossibilité j’ai donné les raisons dans ma Statistique théorique et je les avais données déjà dans le Socialisme (1884).

Si du passé on peut déduire le futur, je dirai que la religion ne meurt pas, que les religions se succèdent et se transforment, que le sentiment religieux s’atténue, mais ne disparaît pas entièrement, au moins dans les grandes collectivités.

Les exemples de peuples très religieux en grande décadence, d’athées très moraux, des Chinois, des Japonais, des adeptes du Confucianisme ou du Bouddhisme, qui représentent un minimum de religion, me donnent la conviction qu’un progrès moral est possible parallèlement à un affaiblissement du sentiment religieux.

La Curiosité.
Troisième vente Sedelmeyer : tableaux des Écoles flamande, italienne, espagnole et des Maîtres primitifs [extrait]

Tome LXVII, numéro 240, 15 juin 1907, p. 762-765 [763-765].

C’est toujours M. Paul Chevallier qui dirigea la troisième vente Sedelmeyer et c’est toujours à M. Féral que fut confiée l’expertise.

L’exposition eut un succès égal à celui des expositions précédentes. Il s’agissait, cette fois, des tableaux des Écoles flamande, italienne, espagnole et des Maîtres primitifs, soit un ensemble de 251 tableaux. Comment, en si peu de temps, s’arrêter devant chacun, l’examiner, en retenir les mérites ou les défauts ? Vendeurs, commissaires-priseurs, experts ont juré de provoquer une épidémie de méningite ! Combien on souhaiterait des ventes moins copieuses, mais plus nombreuses et réparties sur un espace de deux ou trois mois ! Depuis longtemps le vœu est unanime et personne n’en tient compte ! Et il est encore des gens qui croient que l’Humanité est susceptible d’amélioration !

Marchons donc à la vapeur, — faisons même du « deux cents » à l’heure, bien qu’à regret !

[…]

Les noms les plus divers parmi ceux des maîtres italiens figuraient dans la collection Sedelmeyer. C’est même une chose à noter que cette quantité et cette qualité des œuvres italiennes.

Les enchères les plus fortes furent réservées à deux peintures du Titien : le Portrait d’un seigneur vénitien monta à 119 000 fr., le Denier de César à 104 000 fr. Un amateur donna ensuite 46 000 fr. d’une toile vigoureuse, peinte avec un art minutieux par Bartolomeo Veneto. Une autre enchère importante, 21 500 fr., alla à un Portrait de jeune fille, par Bernardino Luini, d’un sentiment exquis.

La Vierge du duc de Lorraine, attribuée à Raphaël, ne dépassa pas 10 000 fr. ; la Vierge et l’enfant Jésus, de Botticelli, ne fut poussée qu’à 5 000 fr. ; la Vierge en prière, du Pérugin, fit 15 100 fr. […].

Tout le reste fut dispersé à des prix honorables. Et ainsi le produit de la troisième vente Sedelmeyer s’éleva 1 395 270 fr., ce qui porta à 5 238 690 fr. le total des trois premières ventes.

Échos.
Les Mémoires de Casanova

Tome LXVII, numéro 240, 15 juin 1907, p. 766-768 [767]

La maison Brockhaus, de Leipzig, s’est enfin décidée à publier intégralement le texte original des Mémoires de Casanova. Cette édition littérale sera en même temps une édition critique comportant des notes et des éclaircissements. On parle pour ce travail d’un jeune écrivain qui s’est fait connaître par de savantes et originales études sur la Renaissance et sur le xviiie  siècle en Italie. M. Octave Uzanne, qui détient des papiers inédits de Casanova, semble avoir joué un rôle important dans cette affaire, dont la réalisation intéresse si vivement les lettres, l’histoire et la psychologie.