(1907) Articles du Mercure de France, année 1907 « Tome LXIX, numéro 248, 15 octobre 1907 — Fin du tour d’Italie en 1811 — [Premier extrait] — Chapitre LXIX »
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(1907) Articles du Mercure de France, année 1907 « Tome LXIX, numéro 248, 15 octobre 1907 — Fin du tour d’Italie en 1811 — [Premier extrait] — Chapitre LXIX »

Chapitre LXIX

Ancône

[J’écris ces lignes dans la chambre de Livia, sur sa table, en face de la mer qui forme mon horizon, au-delà de toutes les cheminées d’Ancône. La mer, c’est-à-dire les rivages (j’écrivais tout cela avec ennui et lassitude. 1813) ne sont pas superbes comme à Naples. Ce sont des rochers arides.] C. C. citadelle ; travaux considérables auxquels on dépense, dit-on, 12 000 écus par jour ; B. arc de triomphe bien conservé de… à six pieds de la mer ; C. fanal au bout du môle ; D. porte de France ; F. petite jetée en simples blocs de pierre. On monte et l’on descend sans cesse dans Ancône, ce qui y restreint beaucoup l’usage des voitures. Les maisons sont en briques et fort hautes, les rues très étroites.

Hier 18, je suis allé à Saint-Cirriaque (en A), mais je n’ai pas songé à voir la fameuse vierge qui ouvrit les yeux après l’arrivée des Français, ce qui voulait dire qu’elle voulait les voir chassés. Il n’y a pas d’arbres à Ancóne, on se promène à la porte de France, sur la grève nue et du côté des fortifications nouvelles. Livia me mena à ces deux promenades le… octobre, jour de mon arrivée.

I have found her much below my ideas, but for the figure, and for the parts. Conducing her to the theater, the very evening for my arrival, she had the figure cachée par une espèce de chapeau et comme elle a un peu la taille de Mme la comtesse Simo, j’eus pendant quelques pas la délicieuse illusion que j’étais avec elle.

[Livia s’ennuie dans la petite ville d’Ancône où elle voit peu de monde encore. L’ennui la rend apathique et doit même lui donner un peu d’humeur. Son père vit avec une servante de la maison, ce qui fait le malheur de L. Ce père me semble avoir beaucoup du caractère et de l’esprit de mon cousin Rebuffet et être, comme lui, peu apprécié. Aussitôt qu’il me vit, il m’offrit de loger chez lui. J’hésitai un peu et enfin acceptai. J’ai trouvé Livia libre et plongée dans l’ennui. La comparaison de Mme de Palfy et de Mlle Mimi de Bé… et de… me montre clairement qu’un des effets de l’ennui est de plonger dans une inactivité apathique qui augmente l’ennui, et qu’un moyen presque sûr d’éviter ce gouffre affreux est de se livrer, comme lady Gaybut Grabu, à une activité extrême. Pour se faire aimer d’une femme ennuyée, il faut cacher la théorie, mais, peu à peu, la porter à plus d’activité ; vous serez bientôt pour elle une source de plaisirs. Faire la cour directement à une femme qu’on désire est la plus grande des sottises ; cela ne pourrait réussir qu’avec une femme pure de vanité, et la vanité des femmes est un lieu commun de tous les philosophes. Soient deux sœurs A et B ; si vous voulez plaire à A, ne manquez jamais de marquer des attentions à B.]

Livia était plongée dans l’apathie de l’ennui et, à propos de bottes, ne voulait pas prendre sa leçon ce matin ; je l’ai portée à la prendre par des plaisanteries ; chanter devant moi, et des choses d’amour, l’a certainement occupée. J’ai écrit la portée de sa voix pour lui envoyer de la musique de Mozart. J’ai tiré de son maître la confirmation entière d’une idée à moi. Bisogna novità pella musica. Voilà, en Italie, une règle sans exception et qui s’accorde bien avec la sensibilité de ce peuple né pour les arts. Si l’on donnait un opéra de Cimarosa, vient de me dire mon maestro, à la première mesure de chaque air tout le monde le reconnaîtrait et l’opéra ne pourrait durer. Il est convenu que peut-être dans 30 ans les opéras de Cimarosa, un peu oubliés, pourront avoir de nouveau le plus grand succès.