(1907) Articles du Mercure de France, année 1907 « Tome LXX, numéro 249, 1er novembre 1907 »
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(1907) Articles du Mercure de France, année 1907 « Tome LXX, numéro 249, 1er novembre 1907 »

Tome LXX, numéro 249, 1er novembre 1907

Les itinéraires de Stendhal

Tome LXX, numéro 249, 1er novembre 1907, p. 87-92.

Voici une liste, assez fidèle, on l’espère, des villes par lesquelles passa Stendhal au cours de son existence. On l’offre aux curieux de documents littéraires.

Nota. — Chaque nom de ville est précédé, chaque fois qu’on l’a trouvée, de l’époque du séjour et suivi de la référence : Journal de Stendhal, Souvenirs d’Égotisme, Vie de Henri Brulard, Correspondance inédite, Notice Romain Colomb, ou Supplément au Journal de Stendhal (Mercure de France, 15 octobre 1907). Quelquefois les références se contrôlent, et dans ce cas on les a indiquées ensemble. On a aussi marqué à leur place les successives occupations ou fonctions de Beyle pendant ces itinéraires.

PAUL LÉAUTAUD.

1783

23 janvier naissance à Grenoble

1783-1799

Enfance et adolescence à Grenoble

1799

10 novemb. Paris, Not. Colomb. — Brulard Hôte de la famille Daru

1800

Paris Id.
avril Dijon. Not. Colomb. — Brulard Commis aux intendances Campagne d’Italie
Genève. Not. Colomb. — Brulard Id. Id.
Lausanne. Brulard Id. Id.
10 mai Rolle. Not. Colomb. — Brulard Id. Id.
22 — Passage du Saint-Bernard. Not. Colomb. — Brulard Id. Id.
25 — Bard. Not. Colomb. — Brulard Id. Id.
26-27 — Ivrée. Not. Colomb. — Brulard Id. Id.
juin Milan. Not. Colomb. — Brulard Id. Id.
14 — Bataille de Marengo. Not. Colomb Id. Id.
18 — Milan. Not. Colomb. — Brulard Id. Id.
Îles Borromées. Not. Colomb. Id. Id.
Laveno. Not. Colomb. Id. Id.
Côme. Not. Colomb. Id. Id.
Varèse. Not. Colomb. Id. Id.
23 octobre Romanego. Not. Colomb. S.-lieut. au 6e dragons et aide de camp du général Michaud Id.
24 décemb. Mozembano. Not. Colomb. Id. Id.

1801

janvier Castel-Franco. Not. Colomb. Vie de garnison Id.
Vérone. Journal Id.
avril Milan. Journal. — Not. Colomb. Id.
mai Bergame. Journal. — Not. Colomb. — Souv. Égot. Id.
Milan. Journal. — Not. Colomb. Id.
juillet Crémone. Journal Id.
août Bergame. Journal. Id.
Brescia. Journal — Not. Colomb. Id.
septembre Bergame. Journal. Id.
Brescia. Journal. Id.
Savigliano. Not. Colomb. Id.
Bra. Journal. Id.
Cassano. Journal. Id.
Milan. Journal. Id.
Pavie. Journal. Id.
Voghera. Journal. Id.
Marengo. Journal. Id.
Alexandrie (Piémont). Journal. Id.
Asti. Journal. Id.
octobre Bra. Journal. Id.
nov.-déc. Saluces. Journal. — Souv. Égot. Id.
décembre Savigliano. Journal. Id.
Grenoble. Journal. Id.

1802

janv.-av. Grenoble. Not. Colomb. — Journal.
av.-déc. Paris. Journal. Souv. Égot. Démission de l’armée

1803

janv.-juin Paris. Souv. Égot. — Journal Amateur de théâtre. Projets de littérature dramatique
juillet-déc. Grenoble et Claix. Journal. — Souv. Égot. Id.

1804

janv.-mars Grenoble. Journal. —Souv. Égot. Id.
20 mars Genève. Souv. Égot. Id.
avril-déc. Paris. Journal. —Souv. Égot. Id.

1805

janv.-mai Paris. Journal. Id.
juin Grenoble. Journal. —Souv. Égot. — Not. Colomb.
août-oct. Marseille. Souv. Égot. — Not. Colomb. Commis épicier

1806

janv. à mai Marseille. Journal. —Souv. Égot. Id.
mai Toulon. Journal.
juin Grenoble. Journal. — Souv. Égot.
Plancy-sur-Aube. Journal.
Mâcon. Journal.
juillet-août Paris. Journal. — Not. Colomb.
septembre Montmorency. Journal.
sept.-oct. Paris. Journal.
octobre Mayence. Journal. Camp. de Prusse
14 — Iéna. Not. Colomb. Id.
26 — Berlin. Not. Colomb. Id.
novembre Brunswick. Brulard. Intendant des domaines de l’Empereur à Brunswick Id.

1807

Brunswick. Not. Colomb. Id.
Vienne. Not. Colomb. Id.
décembre Brunswick. Souv. Égot.

Id.

Adjoint au commissaire des guerres

1808

Brunswick. Journal. — Not. Colomb. — Souv. Égot. Id.
1er déc. Paris. Journal Id.

1809

janv.-mars Paris. Journal Id.
5 avril Strasbourg. Corr. Id. Campagne de Vienne
Neubourg. Journal. Id. Id.
19 — Ingolstadt. Corr. — Souv. Égot. Id. Id.
16 — Donawerth. Corr. Id. Id.
23 — Landshut. Corr. — Journal. Id. Id.
3 mai Wels. Corr. — Journal. Id. Id.
Lombach. Journal. Id. Id.
Wels. Journal. Id. Id.
Ebersberg. Journal. Id. Id.
5 — Ems. Journal. Id. Id.
11 — Saint-Polten. Corr. — Journal. — Souv. Égot. Id. Id.
Vienne. Not. Colomb. — Journal. — Corr. Id. Id.
juin Schœnbrunn. Not. Colomb. Id. Id.

1810

toute l’année Paris. Not. Colomb. — Journal Auditeur au Conseil d’État et Inspecteur du mobilier de la Couronne

1811

janv.-mai Paris. Corr. — Journal Id. (en Congé)
mai Le Havre. Not. Colomb. — Souv. Égot. Id. Id.
mai-août Paris. Corr. — Journal Id. Id.
25 août Versailles. Journ. Id. Id.
26 — Paris. Journ. Id. Id.
28 — Montmorency. Journal Id. Id.
29 — Tonnerre. Journ. Id. Id.
Montbard. Journ. Id. Id.
2 sept. Champagnoles. Journal. Id. Id.
3 — St-Laurent. Journ. Id. Id.
3 — Vallery. Journal. I d. Id.
3 — Morez. Journal. Id. Id.
3 — Genève. Journ. Id. Id.
8 — Milan. Journal. Id. Id.
27 — Florence. Journ. Id. Id.
2 octobre Rome. Souv. Ég. Id. Id.
8 — Pompeï. Suppl. Journal. Id. Id.
9 — Naples. Journal. Id. Id.
19 — Ancône. Journal. Id. Id.
22 — Milan. Supplém. Journal. Id. Id.
23 — La Madona del Monte. Supplém. Journal. Id. Id.
24 — Varèse. Journal. Id. Id.
25 — Laveno. Suppl. Journal. Id. Id.
25 — Îles Borromées. Journal. Id. Id.
26 — La Madona del Monte. Supplém. Journal. Id. Id.
26 — Palanza. Supplém. Journal. Id. Id.
26 — Laveno. Supplém. Journal. Id. Id.
26 — Varèse. Supplém. Journal. Id. Id.
27 — La Madona del Monte. Supplém. Journal. Id. Id.
29 — Milan. . Supplém. Journ. — Journ. Id. Id.
30 — Bréra. Supplém. Journal. Id. Id.
2 novem. Milan. Journal. Id. Id.
27 — Paris. . Supplém. Journal. Id. Id.

1812

Paris
6 juin Passage du Niémen. Not. Col. Intendant Campagne de Russie
27 juillet Ekatesberg. Souv. Égot. Id. Id.
19 août Smolensk. Corr. Id. Id.
sept.-oct. Moscou. Corr. Id. Id.
Orcha. Not. Col. Id. Id.
Minsck. Not. Col. Id. Id.
Witepsk. Not. Col. Id. Id.
Mohiloff. Not. Col. Id. Id.
9 novem. Mayence. Corr. Id.

1813

janv.-avril Paris. Journal. Id.
avril Mayence. Not. Colomb. Intendant à Sagan.
Erfurth. Not. Colomb. Id.
Lutzen. Not. Colomb. Id.
21 mai Bautzen. Corr. Id.
juin-juillet Sagan. Corr. — Not. Colomb. — Journ. — Souv. Égot. Id.
30 juillet Dresde. Corr. Id.
septembre Milan. Journal. Intendant à Sagan (en congé)
Bréra. Journal. Id.
Monza. Journal. Id.
Côme. Journal. — Not. Colomb. Id.
Monza. Journal. Id.
Monticello. Journal. Id.
Milan. Journal. Id.
octobre Venise. Souv. Égot. — Journal Id.
4 nov. Milan. Corr. Id.
Naples. Not. Colomb. Id.
18 déc. Paris. Corr. Id.

1814

janvier Grenoble. Not. Colomb. Id.
Carouge. Not. Colomb. Id.
Grenoble. Not. Colomb. Id.
2 mars Chambéry. Corr. Id.
avril-juill. Paris. Not. Colomb. — Journ. — Corr. Homme du monde, écrivain dilettante
août Milan. Not. Colomb. Id.

1815

toute l’année Milan. Not. Colomb.

1816

Milan. Not. Colomb.
30 sept. Rome. Souv. Égot.
1er octobre Milan. Souv. Égot.
4 — * Berlin
20 — Milan. Souv. Égot.
25 — * Munich
4 nov. * Milan
15 — Livourne. Souv. Égot.
1er déc. * Parme
2 — * Bologne
5 — * Florence
9 — * Viterbe
10 — * Rome
26 — Milan. Souv. Égot.
31 — * Rome. Souv. Égot.

1817

6 janvier Rome. Souv. Égot.
9 — * Terracine
10 — * Capoue
10 — Milan. Corr.
11 — * Naples
21 février * Ischia
25 — * Pœstum
5 mars * Naples
9 — * Capoue
12 — * Velletri
13 — * Rome
27 — * Civita-Castellana
29 — * Pérouse
30 — * Florence
12 avril * Bologne
15 mai * Imola
17 — * Ferrare
20 — * Cesène
21 — * Rimini
22 — * Rép. St-Marin
24 — * Pesaro
27 — * Ancône
30 — * Lorette
2 juin * Pesaro
4 — * Rovigo
10 — * Arqua
18 — * Padoue
19 — * Padoue
21 — * Venise
21 — * Pliniana
23 — * Monticello
24 — * Monza
* Varèse
27 — * Fuzina
28 — * Îles Borromées
Paris. Not. Colomb.
Londres. Not. Colomb.
8 juillet * Genève
10 — * Milan
10 — * Lausanne
18 — * Villa Melzi
28 — * Francfort-s.-le-Mein
15 octobre * Milan. Not. Colomb. — Souv. Égot.
15 octobre * Tullins. Corr.
25 nov. * Sienne. Corr.
1er déc. * Milan. Corr.

1818

janv.-mars Milan. Corr.
14 avril Grenoble. Corr. — Souv. Égot.
22 — Milan. Corr.
4 mai Paris. Souv. Égot.
juin à sept. Milan. Corr. — Souv. Égot.
24 octobre Lac de Côme. Corr.
16 nov. Varèse. Corr.
nov.-déc. Milan. Corr. — Souv. Égot.

1819

mars-avril Milan. Corr.
7 juin Varèse. Corr.
juin-juillet Florence. Corr.
24 juillet Bologne. Corr.
15 août Grenoble. Souv. Égot. — Corr. — Not. Colomb.
nov.-déc. Milan. Corr.

1820

3 mars Milan. Corr.
25 — Bologne. Corr.
28 — Mantoue. Corr.
avril à oct. Milan. Corr. — Souv. Égot.
13 nov. La Cadenabbia. Corr.
nov.-déc. Milan. Souv. Égot. — Corr.

1821

janv.-mars Milan. Not. Colomb.
avril Paris. Not. Colomb.
mai-juin Milan. Corr. — Souv. Égot.
juin Côme. Souv. Égot.
Airolo. Souv. Égot.
Bellinzona. Souv. Égot.
Lugano. Souv. Égot.
Saint-Gothard. Souv. Égot.
Alforf. Souv. Égot.
Bâle. Souv. Égot.
Belfort. Souv. Égot.
Langres. Souv. Égot.
juin-août Paris. Brulard. — Souv. Égot.
septembre Calais. Not. Colomb. — Souv. Égot.
Douvres. Not. Colomb. — Souv. Égot.
Londres. Not. Colomb. — Souv. Égot.
29 déc. Paris. Corr. — Souv. Égot.

1822

janv.-avril Paris. Corr.
10 juin Montmorency. Corr. — Souv. Égot.
juin Paris. Souv. Égot.
28 juin Berne. Souv. Égot.
juillet-août Paris. Corr.
Corbeil. Souv. Égot.
4 sept. Vincennes. Corr.
sept.-déc. Paris. Corr.

1823

janv.-août Paris. Corr.
26 octobre Isola Bella. Corr.
31 — Alexandrie (Piémont). Corr.
20 nov. Paris. Corr.

1824

janvier Rome. Corr. — Souv. Égot.
avril-oct. Paris. Corr. — Souv. Égot.
octobre Grenoble. Not. Colomb.
octob.-nov. Paris. Corr.
14 déc. Londres. Corr. — Souv. Égot.
24 — Paris. Corr. — Souv. Égot.

1825

janv.-août Paris. Corr.
30 septem. Naples. Corr.
octobre Paris. Corr.
novembre Rome. Corr.
nov.-déc. Paris. Corr. — Souv. Égot.

1826

janvier Paris. Corr.
août-sept. Londres. Corr.
15 sept. San Remo. Brulard
5 décembre Rome. Corr.
23 — Paris. Corr.

1827

Paris. Not. Colomb.
15 sept. Ischia. Brulard.
19 nov. Florence. Corr.
6 décembre Paris. Corr.

1828

janvier Paris. Not. Colomb.
17 janvier Isola Bella. Souv. Égot.
juillet-nov. Paris. Souv. Égot. — Corr.

1829

toute l’année Paris. Corr. — Souv. Égot.

1830

janv.-nov. Paris. Not. Colomb. — Souv. Égot. — Corr. — Brulard.
novembre Trieste. Not. Colomb. — Corr. Consul de France à Trieste

1831

janvier Trieste. Corr. Id.
Venise. Corr. Id.
Trieste. Corr. Id.
3 février Venise. Souv. Égot. Id.
16 mars Trieste. Souv. Égot. Id.
avril à déc. Civita-Vecchia (et Rome). Corr. — Not. Colomb. — Souv. Égot. Consul de France à Civita-Vecchia

1832

toute année Civita-Vecchia (et Rome). Not. Colomb. — Corr. — Brulard — Souv. Égot. Id.
14 janvier Naples. Corr. Id.
février Ancône. Not. Colomb. Id.
27 août Palerme. Corr. Id.
18 octobre Aquila. Corr. Id.

1833

janv. à av. Civita-Vecchia (et Rome). Not. Colomb. — Corr. Id.
oct.-déc. Paris. Not. Colomb. — Corr. (en congé)
décembre Civita-Vecchia (et Rome). Not. Colomb. — Corr. Consul de France à Civita-Vecchia

1834

toute l’année Civita-Vecchia (et Rome). Not. Colomb. — Corr. Id.

1835

toute l’année Civita-Vecchia (et Rome). Not. Colomb. — Corr. — Souv. Égot. Id.

1836

janv. à mai Civita-Vecchia (et Rome). Not. Colomb. — Corr. Id.
mai-déc. Paris. Not. Colomb. Consul de France à Civita-Vecchia (en congé)

1837

Paris Id.
Verrières Id.
10 avril Fontainebleau Id. Itinéraire de Mémoires d’un Touriste
11 — Montargis Id. Id.
12 — Neuvy Id. Id.
12 — Cosne Id. Id.
13 — La Charité Id. Id.
14 — Nevers Id. Id.
17 — Fourchambault Id. Id.
21 — Moulins Id. Id.
30 — Autun Id. Id.
3 mai Chaumont Id. Id.
Dijon Id. Id.
9 — Langres Id. Id.
10 — Dijon Id. Id.
12 — Beaune Id. Id.
14 — Chalon-s.-Saône Id. Id.
Besançon Id. Id.
Mâcon Id. Id.
15 — Lyon Id. Id.
9 juin Vienne Id. Id.
11 — Saint-Vallier Id. Id.
11 — Valence Id. Id.
12 — Avignon Id. Id.
18 — Clermont-Ferrand Id. Id.
20 — Bourges Id. Id.
Chateauroux Id. Id.
Châtillon-s.-Indre Id. Id.
Loches Id. Id.
22 — Tours Id. Id.
Saumur Id. Id.
25 — Nantes Id. Id.
5 juillet Vannes Id. Id.
Auray et environs Id. Id.
Lorient Id. Id.
Vannes Id. Id.
Rennes Id. Id.
Saint-Malo Id. Id.
Granville Id. Id.
Dol Id. Id.
Avranches Id. Id.
Coutances Id. Id.
Honfleur Id. Id.
Le Hâvre Id. Id.
Rouen Id. Id.
18 — Paris Id. Id.
Beaucaire Id. Id.
27 — Tarascon Id. Id.
1er août Nîmes Id. Id.
Orange Id. Id.
Valence Id. Id.
6 — Tullins Id. Id.
Rives Id. Id.
7 — Grenoble et env. Id. Id.
21 — Vizille Id. Id.
Briançon Id. Id.
23 — Grenoble Id. Id.
25 — Le Pont de Chaix Id. Id.
27 — Grenoble Id. Id.
1er sept. Fourvoirie Id. Id.
Chambéry Id. Id.
Aix Id. Id.
Genève Id. Id.
Lyon et environs Id. Id.
Avignon Id. Id.
Aix Id. Id.
Marseille Id. Id.
Gênes Id. Id.
Marseille Id. Id.
Toulon Id. Id.
Marseille Id. Id.
Arles Id. Id.
Nîmes Id. Id.
9 — Montpellier Id. Id.
12 — Béziers Id. Id.
septembre Narbonne Id. Id.
14 — Sijean Id. Id.
15 — Perpignan Id. Id.
Mataro Id. Id.
Barcelone Id. Id.
Bordeaux Id. Id.
20 déc. Paris. Not. Colomb. Id.

1838

janv.-févr. Paris. Corr. Id.
24 mars Bordeaux. Corr. Id.
2 juillet Strasbourg. Corr. Id.
juill.-août Paris. Corr. Id.
Londres. Not. Colomb. Id.
4 sept. Lyon. Corr. Id.
Paris. Corr. Id.

1839

janv.-juin Paris. Corr. Id.
juin-déc. Civita-Vecchia (et Rome). Not. Colomb. — Corr.

Id.

Consul de France à Civita-Vecchia

1840

toute l’année Civita-Vecchia (et Rome). Not. Colomb. — Corr. Id.

1841

janv.-oct. Civita-Vecchia (et Rome). Not. Colomb. — Corr. — Souv. Égot. Id.
8 octobre Florence. Corr. Consul de France à Civita-Vecchia (en congé)
Genève. Not. Colomb. Id.
8 novembre Paris. Not. Colomb. Id.

1842

Paris. Not. Colomb. — Corr. Id.
23 mars ; mort Id.

Trois nouvelles

Tome LXX, numéro 249, 1er novembre 1907, p. 93-109.

Le Démon m’a dit……

I

Dans toute ma vie je n’ai parlé au Démon que cinq fois, mais de tous les hommes aujourd’hui vivants, c’est certainement moi qui le connais le plus intimement et c’est avec moi qu’il est le plus familier. Il me témoigne — je le déclare avec un certain orgueil que je ne cherche pas à dissimuler — une bienveillante condescendance qui est allée parfois jusqu’à m’émouvoir. Quand je suis avec lui je ne fais que l’écouter. Mais non, je me trompe : J’écoute et je le regarde. Le Démon, du moins tel qu’il m’est apparu jusqu’ici, est une figure excessivement suggestive et qui sort assez de l’ordinaire. Il est très grand et très pâle : il est encore assez jeune, mais de cette jeunesse qui a trop vécu et qui est plus triste que la vieillesse. Son visage, très blanc et allongé, n’a de particulier que la bouche mince, fermée et serrée, et une ride très profonde et unique qui s’élève perpendiculairement entre les sourcils et se perd près de la racine des cheveux. Je n’ai jamais bien compris de quelle couleur sont ses yeux, parce que je n’ai jamais pu les regarder plus d’un instant, et je ne sais pas non plus de quelle couleur sont ses cheveux, parce qu’un grand bonnet de soie, qu’il n’ôte jamais, les cache complètement. Il s’habille convenablement de noir, et ses mains sont impeccablement gantées.

Il est rare, par le temps qui court, qu’il se décide à venir sur la terre. Un jour il me l’a avoué d’un air triste : « Désormais les hommes ne m’intéressent plus. On les achète pour peu, mais ils valent de moins en moins. Ils n’ont ni moelle, ni âme, ni souffle : peut-être n’auraient-ils même pas de sang assez rouge pour écrire le contrat d’usage. »

Malgré cela, quand il s’ennuie, à certains jours, dans son pays trop peuplé il vient parmi nous. Personne, à la vérité, ne s’en aperçoit, car les hommes ne le reconnaissent plus et passent auprès de lui, le croyant un des leurs, souriant et soulevant leurs chapeaux d’un air de tranquille assurance qui fait peur. Mais moi je sens toujours dans l’air le remous de son passage et je cherche à jouir de sa précieuse société. La conversation du Démon est la plus profitable et la plus agréable que je connaisse ; c’est une de celles qui font comprendre le monde, et surtout le monde qui est en nous, bien plus que tous les petits et gros traités qu’on peut lire à la bibliothèque universitaire de Heidelberg.

Je n’ai jamais rencontré d’être plus indulgent que le Diable. Il connaît si parfaitement les iniquités, les malhonnêtetés, les saletés et bestialités humaines, que rien ne l’étonne ni ne l’irrite. Il est paisible et souriant comme un philosophe antique, et il me paraît plus chrétien que tous les chrétiens qui sont au monde. Il a pardonné même à Celui qui l’a condamné et chassé loin de lui. Quand il en parle, il reconnaît que le Tout-Puissant agit justement en le précipitant du Ciel, car un roi ne peut permettre qu’il y ait autour de lui des êtres trop superbes et indisciplinés. « Si j’avais été à sa place — me confessa-t-il une fois — j’aurais condamné le rebelle à une peine bien plus terrible. Je l’aurais contraint à l’inaction, à l’immobilité. Au lieu de cela, Dieu fut généreusement clément à mon égard et me donna le moyen de suivre la carrière pour laquelle j’étais le mieux fait. Bien qu’aujourd’hui, je me sois lassé même de celle-là, je n’ai pourtant pas de raisons de me plaindre ; je me serais ennuyé encore bien plus au sein de la béatitude céleste. »

Il est animé, même envers les hommes, d’une certaine bonhomie un peu ironique, laquelle n’est pas exempte, il faut l’avouer, d’un mépris convaincu, qu’il ne réussit pas toujours à dissimuler. Il est, par métier, le tourmenteur de l’humanité ; mais une longue habitude l’a rendu moins féroce et moins terrible. Ce n’est plus le démon hirsute et monstrueux du Moyen-Âge, pourvu de queue et de cornes, qui allait caresser les vierges dans les monastères et susciter les fièvres solitaires des Pères dans le Désert.

Il a décidément compris que la tentation est parfaitement inutile. Les hommes pèchent d’eux-mêmes, naturellement et spontanément, sans qu’il soit besoin de les y appeler et de les y exciter. Il les laisse en paix et ils courent à lui comme l’eau sur la pente. Aussi ne les considère-t-il plus comme des ennemis à vaincre, mais comme de bons et fidèles sujets, disposés à payer leurs impôts sans se faire prier. De là lui est née, ces derniers temps, pour nous autres hommes une certaine pitié, qui ne détruit pas le mépris, mais l’atténue et le voile. J’ai été confirmé dans cette opinion par le dernier entretien que j’ai eu avec lui, entretien dans lequel il m’a révélé une chose qui a un certain intérêt pour tous ceux d’entre nous qui recherchent l’au-dessus et l’au-delà.

II

Je l’ai rencontré la dernière fois dans une de ces rues solitaires qui environnent Florence, encaissées entre des murs gris d’où jaillissent des branches d’oliviers. Il cheminait tout en lisant un petit livre relié de noir, et riait à part lui, comme lui seul sait rire. Je me suis approché ; à peine m’a-t-il vu, il a fermé son livre, m’a pris le bras et s’est mis à me dire : « Je connais depuis des siècles ce petit livre : c’est la Bible, et je la relis de temps en temps quand j’ai besoin de me remettre de bonne humeur. Celle que je lis maintenant est en anglais et je me suis aperçu que l’anglais se prête admirablement à l’Ancien Testament, tandis que je préfère l’italien pour le Nouveau. Maintenant j’étais en train de relire, pour la millième fois, les premiers chapitres de la Genèse, et vous comprenez bien pourquoi. J’ai dans ceux-là un rôle important et je suis quelquefois, non seulement fier, mais un peu vaniteux. J’ai donc un certain plaisir à me voir revêtu des belles dépouilles du serpent, enroulé autour de l’arbre comme dans les vieillies gravures, dressant ma tête noirâtre vers le corps humide et nu de la charmante Ève. Mais c’est vraiment dommage que l’histoire de la tentation ait été ainsi altérée par les historiens serviteurs de Dieu. Un jour ou l’autre, si j’ai le temps, je ferai une édition corrigée de la Bible, et non seulement corrigée, mais augmentée, car les saints et pieux écrivains ont éprouvé de la répugnance à écrire trop souvent mon nom et ont laissé dans l’obscurité quelques-unes de mes plus belles entreprises.

« Pour en revenir à la tentation, je répète, mon cher ami, que le récit biblique est effrontément falsifié. Je n’ai jamais dit cela à personne, mais je crois que vous êtes celui auquel on peut dire ce qu’aucun homme ne pourrait imaginer de lui-même. Je vous confesserai donc que je ne fus, au sens réel du mot, ni un tentateur ni un séducteur. Quand je m’adressai à Ève pour l’inciter à goûter au fruit défendu, je n’avais aucune intention de faire tomber les hommes en disgrâce. Mon seul dessein était de me venger de Jéhovah qui, à ce que je croyais, m’avait indignement traité. Je voulais, en un mot, lui créer des rivaux de sa puissance, et c’est pourquoi je n’avais aucune envie de mentir quand je disais à Ève : « Mangez de ces fruits et vous serez semblables à Dieu. »

« Je ne disais, je vous l’assure, que la vérité pure et simple. En effet l’arbre défendu était l’arbre de la science, l’arbre de la sagesse, non seulement du bien et du mal, comme dit le Juif, mais du vrai et du faux, du visible et de l’invisible, du ciel et de la terre, des êtres animés et des esprits. Et vous savez, mon cher ami, que connaissance est puissance et qu’être Dieu signifie précisément posséder la connaissance et la puissance. Aussi ne voulais-je aucunement tromper les hommes en leur indiquant le moyen de se rendre semblables à Jéhovah. Mon intérêt était qu’ils y réussissent, car j’espérais en leur aide pour reconquérir le ciel.

« Je vois dans vos yeux que vous voudriez me demander quelque chose et je sais ce que vous voudriez me demander : Comment se fit-il, n’est-ce pas, qu’Adam et Ève, bien qu’ayant goûté au fruit défendu, ne devinrent point des Dieux, et, de plus, furent chassés du beau jardin par leur Dieu ? »

« Si vous le voulez, je vous expliquerai brièvement ce mystère apparent.

« Ève, dans le trouble où elle se trouvait, ne s’aperçut pas que les fruits de l’arbre étaient nombreux et différents les uns des autres ; elle n’entendit pas ce que je lui disais : qu’il ne suffisait pas d’en manger quelques-uns, mais qu’il fallait dépouiller entièrement l’arbre, — autrement dit acquérir la connaissance totale. Au lieu de cela, après en avoir mangé un, elle n’eut pas la présence d’esprit de cueillir et manger rapidement tous les autres ; il arriva donc que Jéhovah eut le temps de se rendre compte du danger et d’y parer immédiatement par l’exil à perpétuité. Si Adam et Ève avaient mangé tous les fruits de l’arbre merveilleux, le Grand Vieillard n’aurait plus eu le pouvoir de les chasser hors du Paradis. Ils eussent été des Dieux contre Dieu, et aucun ange, si bien armé fût-il d’épées flamboyantes, n’aurait pu les mettre en fuite. Dieu a pu les punir parce qu’ils n’avaient pas péché entièrement. Le péché originel fut châtié parce qu’il ne fut pas assez complet. C’est ainsi qu’il en a toujours été sur la terre, et je ne vous rappellerai pas une fois de plus la légende d’Alexandre et du pirate pour vous démontrer comme quoi un crime est puni quand il est léger, et exalté et récompensé quand il est grand.

« L’homme, en ce jour lointain, perdit donc une magnifique occasion de devenir Dieu, et moi je perdis une de mes chances de retour au Ciel. Mais je crois, mon excellent ami, et je vous le dis, bien que vous autres hommes ne prêtiez guère foi aux conseils du Démon, je crois que vous seriez encore à temps pour finir les fruits de l’arbre, vous seriez encore à temps pour devenir des Dieux. Vous ne vous souvenez plus de la route du Paradis terrestre, mais je sais que quelques graines de cet arbre s’en sont échappées et sont déjà pleines de vie. Il s’agit de les rechercher parmi vos forêts, de les soigner, de les émonder, jusqu’à ce qu’elles donnent une fois encore leurs fruits. Alors, — croyez-en votre vieil ami le Démon, que des serviteurs jaloux veulent faire passer pour votre adversaire — alors vous pourrez en manger à votre aise, à satiété, et ma promesse sera accomplie.

« Vous voudriez me demander quelques indications, quelque signe auquel reconnaître cet arbre et ses fruits ? Mais je ne puis rien vous dire. Des ordres supérieurs me l’interdisent. Il faut que vous en retrouviez la trace de vous-mêmes avec patience et persévérance. Et avertissez-moi tout de suite dès que vous l’aurez trouvé, car alors ma mission sera terminée et peut-être le bon Dieu me rappellera à lui. »

La voix du Démon, à ce moment, se fit un peu mélancolique. La ride droite et profonde, qui s’élève au milieu de son front, me parut plus sombre. Après s’être arrêté quelques instants, comme saisi de quelque pensée soudaine, il continua son chemin en silence, regardant les étoiles qui commençaient à trembler dans le ciel languissant du crépuscule.

Celui qui ne put pas aimer……

Depuis que Don Juan a pris femme, il est presque impossible de le rencontrer hors de chez lui, — surtout le soir. Ses cheveux gris et clairsemés, ses épaules un peu voûtées et aussi — pourquoi ne pas le dire ? — un catarrhe obstiné, désormais chronique, le tiennent éloigné du monde et de ses pompes. Pourtant, un soir de mars, je vis Don Juan Tenorio causer, dans un lieu public, avec Jean Buttadeo, dit le Juif Errant.

Au milieu de la ridicule majesté d’une brasserie à l’allemande, sous un globe électrique à l’éclat impudent, les deux hommes parlaient et secouaient leurs têtes grises, sans regarder la foule des femmes aux lèvres trop rouges et des jeunes gens anémiques et ennuyés qui étaient là, désœuvrés, et buvant de la bière, tout autour d’eux. Les deux apparitions légendaires avaient bu leur café, et ne paraissaient pas songer qu’il y ait au monde des amateurs de folklore et des professeurs de poésie comparée. Ils vivaient et parlaient comme vous et moi, et leurs paroles m’arrivèrent distinctes et compréhensibles dès que je m’approchai de la table de fer à laquelle ils étaient assis. Une chaise était encore libre auprès d’eux et je m’y installai. Les deux vieillards n’interrompirent point leurs discours, et me regardèrent à peine à la dérobée, en souriant, comme si j’étais un ami d’enfance qu’ils eussent quitté peu d’instants auparavant.

« Ce n’est pas facile, non, ce n’est pas facile — affirmait énergiquement Don Juan — de donner une explication de mon histoire et je mourrai peut-être avant que l’on découvre le secret de ma vie. J’ai été quelquefois dans les théâtres où l’on représente mes hauts faits, et j’ai ri plus que les autres à ces parodies naïves qui font de moi un insatiable libertin, pétri de luxure et de vanité, et finalement entraîné en Enfer par la vengeance du Commandeur et de Dieu. Oh ! la douce, si douce chose que n’être pas compris de ces rois du parterre ! Pas même Molière, qui pourtant était courtisan et comédien, n’a compris ce que j’étais. Sous mon justaucorps bleu marin, sous mon chapeau à la plume noire et solitaire, nul n’a su voir. Séductions, baisers, fuites nocturnes, escaliers secrets, rendez-vous insidieux, guets-apens et rapts, bals masqués et banquets, et le blanc monument et la dernière fête — tout cela qui était extérieur, conventionnel, fictif, tout cela, mais rien que cela, a été vu par les auteurs de tragicomédies et de poèmes. Un séducteur pittoresque, un cavalier fantaisiste, un amoureux volage : voilà ce que je suis pour tous ceux-ci et pour ceux qui les usent. Et pas un seul parmi tous ces grands révélateurs du cœur humain n’a découvert la cause désespérée de toutes mes aventures ; pas un seul n’a deviné que je fus libertin malgré moi, et volage contre mon désir.

Si je pouvais évoquer les nuits de ma première adolescence, lorsqu’avant de m’endormir j’essayais d’imaginer, de décider ce que devait être ma vie ! Jamais il n’y eut d’enfant plus doux et plus pur que moi. Je songeais à l’amour comme à une chose sacrée et la femme était pour moi une sorte de mystérieuse récompense qui m’attendait au seuil de ma jeunesse. Et la jeunesse arriva, et le printemps vint, et les étoiles tremblèrent, et les arbres reverdirent et les femmes se vêtirent de leurs belles robes claires. Mais l’amour ne vint pas. L’amour resta pour moi un mot… Je ne ressentis aucune de ces palpitations qui font pâlir brusquement les visages des hommes. Je n’eus pas de sursauts et de frissons à la vue d’un cher visage, au son d’une voix chère. Mes sens s’éveillèrent, mais mon cœur resta calme, tranquille, réglé comme auparavant. J’avais le désir de l’amour, mais non le pouvoir d’aimer. Je sentis alors que je n’aimerais jamais, que je ne pourrais jamais connaître les égarements et les ardeurs de la passion. Je sentis alors que je pourrais posséder des femmes, que je pourrais me faire aimer d’elles, mais que je ne réussirais pas une seule minute à agiter mon cœur ou à troubler mon âme. Dans les premiers temps, je ne voulus pas croire à l’impossibilité où j’étais d’aimer et je cherchai par tous les moyens à démentir mes premières expériences. Car je croyais à la beauté et à la grandeur de l’amour et je ne voulais pas que les femmes fussent pour moi seulement un jeu et un divertissement. Je cherchai donc à créer en moi, à tout prix, la passion de laquelle je me sentais incapable spontanément ; j’essayai de toutes les méthodes pour être, moi aussi, fût-ce une seule fois, enveloppé par la flamme folle de l’amour.

« Je crus que je pourrais y parvenir en agissant en toute chose comme si j’étais déjà épris, espérant qu’à force de répéter certaines paroles et de faire certains actes je ferais naître en moi aussi le sentiment auquel ces paroles et ces actes servent d’expression chez autrui. En conséquence, je feignis l’amour à la perfection, et j’imitai tous les gestes, les sourires, les regards, les paroles, les expressions dont les amoureux font usage. Je répétai mille et cent mille fois les imaginations les plus tendres, les confidences les plus ardentes, les morceaux les plus passionnés de la lyrique passionnelle — je baisai, je caressai, je soupirai, je passai de longues heures sous une fenêtre ; j’attendis des nuits entières, enveloppé dans mon manteau, l’apparition d’une lumière connue, j’écrivis des lettres insensées, je me forçai à verser des larmes d’émotion et je finis par me compromettre aux yeux de tout le monde en engageant solennellement ma foi à une jeune fille que ma comédie amoureuse n’avait que trop émue. Mais tout ceci fut en vain. Vaines furent mes feintes minutieuses étudiées sur les modèles les plus parfaits, et sur les livres les plus célèbres. Je continuai à être incapable de véritable amour ; je dus reconnaître cent fois, chaque jour, à chaque instant, ma radicale impuissance d’aimer.

« C’est alors que commença ma vie légendaire, celle qui a fait de moi le type du libertin inconstant. Jusqu’alors j’étais resté pur même de corps, et j’avais cherché de toute mon âme cette affection puissante et terrible dont tous les hommes sont saisis au moins une fois. Mais en face de mon incapacité passionnelle je n’eus pas le courage de me résigner. Je voulus encore et pendant toute ma vie tenter le sort. J’espérai que peut-être, à l’improviste, l’amour jaillirait à pleines ondes dans mon cœur, rendu plus intense et plus impétueux par cette longue attente. Je crus que jusqu’à ce moment il n’était pas né en moi parce que je n’avais pas encore rencontré la femme qui devait faire sourdre et jaillir la source intérieure de ma passion. Et je me mis à chercher désespérément cette femme, et je parcourus tous les pays, toutes les villes du monde, toute la terre, séduisant des fillettes, attirant des vierges, conquérant des veuves et des épouses, toujours inquiet, infatigable, triste, mécontent ; toujours à l’affût de cette femme unique, de cette libératrice inconnue, qui devait exister quelque part, que je devais rencontrer, qui devait me faire connaître l’amour immortel. Et il y eut des femmes qui m’aimèrent et des femmes qui fuirent avec moi et des femmes qui pleurèrent pour moi et des femmes qui moururent pour moi… et jamais je n’eus la joie et la surprise de trouver celle qui devait faire battre mon cœur et désemparer mou esprit. Je possédai le corps de femmes innombrables, et sentit battre sur ma poitrine d’innombrables cœurs d’amantes, et pas même une heure je ne fus capable de mêler mon âme à l’âme de qui m’aimait. J’étais auprès d’elles l’intelligence froide, insensible, lucide ; intéressé seulement par les formes de leurs membres et par les gentilles curiosités de leurs petites âmes ardentes. Je les regardais dans les yeux — yeux noirs, yeux bleus, yeux gris, yeux de spasme et de passion — et je voyais se refléter en eux mon visage, et je voyais briller en eux la joie de me sentir près d’elles, et cependant mes yeux ne se voilèrent pas un instant, et quand je les avais possédées je les quittais sans un regret.

« On dit alors que j’étais un vil débauché qui cherchait le plaisir du corps et méprisait l’amour. Au lieu de cela, je passais ainsi de femme en femme, d’aventure en aventure, à la recherche de l’amour unique, et mon inconstance était faite de ma persévérance à le vouloir rencontrer, et mon caprice naissait du désespoir de ne pas le trouver. On crut que je m’amusais, alors que j’étais triste de mes vaines recherches ; on dit que j’étais cruel, alors que le sort était cruel envers moi. Je recherchais mille femmes, parce que je ne réussissais pas à en aimer une seule pour toujours, et on s’imagina que je voulais me jouer de toutes. On ne vit pas, sous l’apparente légèreté du cavalier volage, toute la triste rage de l’amant repoussé par l’amour. De nombreux cœurs de femmes souffrirent par ma faute, mais aucune ne connut, même dans les larmes et les sanglots des abandons, toute l’amère désespérance de mon âme inassouvie par les chairs tendres et les rapides bonnes fortunes. Sous le masque de ma légende se cache le sourire amer de celui qui fut aimé et ne réussit pas à aimer. »

Le vieux séducteur se tut alors et l’autre vieillard commença à parler d’une voix lointaine :

« Ce que tu as dit est peut-être vrai et, certainement, est terrible. Mais tu n’as dit que la raison intérieure, la préhistoire de ta légende et tu n’as offert aucune interprétation nouvelle, tu n’as indiqué aucun sens nouveau. Moi, qui depuis des siècles et des siècles parcours le monde, à qui ma solitude a appris à méditer ; moi qui suis devenu comme Œdipe errant, déchiffreur d’énigmes et philosophe tragique, je vois bien quel enseignement ressort de ta lamentable histoire. Ce que les hommes ont voulu condamner et tuer en ta personne, c’est l’amour de la diversité, l’amour du changement. Devant tes innombrables amours, devant la mobilité perpétuelle de tes goûts et de tes désirs, ils ont dressé la blanche et rigide statue du Commandeur, véritable symbole, dirait un logicien, de l’immobile concept opposé à la continuelle variabilité de l’intuition. Et c’est pour cela, ô Don Juan, que tu es mon frère… Car en moi aussi les hommes ont exprimé leur horreur et leur terreur du changement.

« Ils m’ont condamné au vagabondage éternel, parce qu’ils s’imaginaient que changer sans cesse de pays, voir sans cesse des choses nouvelles, n’avoir pas de demeure fixe, une tanière stable de sa naissance à sa mort, était la plus grande malédiction pour l’âme d’un homme. Moi, au contraire, j’ai converti leur punition en bénédiction ; je me suis fait une âme magnifique de voyageur, d’explorateur, de pèlerin, de chevalier errant, de globe trotter dilettante, et je vis ainsi, dans la continuelle diversité et le perpétuel changement, une vie autrement riche que celle de mes juges et de mes bourreaux. Moi et toi, Don Juan, nous sommes les héros de la diversité et de la mutabilité, et les dévots de la maison unique et de la femme unique ont voulu nous cracher à la face leur mépris. Mais nous courons, ô Don Juan, nous courons plus vite qu’eux ; voici qu’ils rentrent sous la terre, couver leur économique bonheur… »

Mais Don Juan n’écoutait pas le voyageur sentencieux, et à peine celui-ci cessa de parler qu’il reprit pour son propre compte :

« Sous le masque de ma légende, il y a peut-être un sourire, un sourire amer, mais dans mon cœur il n’y a que l’angoisse toujours renouvelée de mes désillusions. Désormais je suis vieux et je ne saurai jamais ce qu’est l’amour. Dans aucun chemin, la femme que je cherchais n’est venue au-devant de moi, et quand la vieillesse est venue, quand j’ai eu besoin de repos et de soins, je n’ai trouvé qu’une pauvre servante qui ait voulu de mon nom. Et Don Juan maintenant vit parmi ses souvenirs morts et ses espérances inutiles, et n’a d’autre plaisir que celui d’allumer son feu avec quelque lettre passionnée et parfumée. »

Le Juif Errant était sur le point de tirer encore quelque conclusion philosophique des paroles de Don Juan, mais à ce moment un petit homme obséquieux, tout habillé de noir, et marqué d’une verrue sur la joue gauche, vint nous annoncer que la brasserie fermait, Don Juan tira de sa bourse une large pièce d’or, mais le petit homme la regarda et la refusa. C’était un doublon d’Espagne de 1662. Jean Buttadeo, plus pratique, sortit de sa poche une pièce d’argent, la fit sonner sur la table, et, tous trois ensemble, nous sommes sortis sur la place déserte déjà, riant bruyamment sans raison aucune.

Deux images dans un bassin

I

Uniquement afin de revoir mon visage dans un bassin mort, plein de feuilles mortes, au fond d’un jardin stérile, pour cela seulement, alors, je m’arrêtai après tant d’années dans la petite capitale. — Quand j’en fus tout près, je ne pensais pas avoir d’autre maison que celle-là.

Revenant du bord de la mer, des grandes villes de la côte, j’éprouvais le désir de choses cachées, de rues étroites, de murs silencieux un peu noircis par la pluie. Tout cela je savais le trouver dans la petite ville où, pendant cinq années, avec des maîtres désabusés, aux classiques barbes blanches, j’avais étudié les sciences les plus germaniques et les plus fantastiques.

Je pensais souvent à la chère cité, si seule au milieu de la plaine, comme une exilée (j’ai toujours cru qu’il y a des villes qui, elles aussi, sont exilées de leur véritable patrie) — sans fleuve, sans tour, sans campanile, presque sans arbres, mais toute calme et résignée autour du grand palais rococo, dans lequel bavarde et dort la Cour. Dans les rues, tous les cent pas, il y a un puits, et près de ce puits une fontaine et sur chaque fontaine un guerrier de terre cuite, peinturluré de bleu céleste et de rouge pâle.

Je me l’appelais aussi la maison où j’habitais pendant les années de mon noviciat scientifique. Mes fenêtres ne donnaient pas sur la place, mais sur un grand jardin enfermé entre les maisons, où il y avait, dans un coin, un bassin ceint de rochers artificiels. Personne ne s’occupait de ce jardin, le vieux propriétaire était mort et sa fille, ennuyée et dévote, considérait les arbres comme des mécréants et les fleurs comme des coquettes.

Le bassin était mort aussi par sa faute. Aucun jet d’eau ne s’élançait plus de son sein. L’eau semblait aussi immobile et lasse que si elle eût été la même depuis un nombre considérable d’années. Du reste les feuilles des arbres la couvraient presque entièrement, et les feuilles aussi semblaient tombées là pendant des automnes mythiquement lointains.

Ce jardin fut le lieu de mes joies tant que j’habitai la petite capitale. J’avais la permission d’y aller à toute heure ; quand les maîtres ne me réclamaient pas, je m’asseyais avec un livre auprès du bassin ; quand j’étais fatigué de lire et que le jour tombait, je cherchais à voir mes yeux réfléchis dans l’eau, ou bien je comptais les vieilles feuilles et suivais avec une angoisse extatique leurs lents voyages au souffle inégal du vent. Quelquefois les feuilles s’écartaient ou se ramassaient toutes vers le fond, et alors je voyais dans l’eau mon visage et je le fixais si longuement qu’il me semblait ne plus exister pour mon compte avec mon propre corps, mais être seulement une image fixée dans l’eau dormante pour l’éternité.

II

Et c’est pourquoi je courus de suite au jardin, à peine fus-je arrivé dans la petite capitale. Bien des années avaient passé, mais la ville était restée la même. Dans les mêmes rues étroites passaient les mêmes femmes courtes et jaunes, aux coiffes froissées ; et les guerriers de terre cuite, inutiles et ridicules, s’appuyaient toujours à la garde des épées bleues, sur les nombreuses fontaines.

Et le jardin aussi était comme je l’avais laissé, — et le bassin aussi était tel que je l’avais vu la dernière fois avant de retourner dans mon pays.

Quelques touffes de plus dans les plates-bandes, quelques feuilles de plus dans la vasque, et tout le reste était comme au temps passé. Je voulus encore revoir mon visage dans l’eau et je m’aperçus qu’il était différent, bien différent de celui que je me rappelais si nettement. L’enchantement du bassin, du lieu, me ressaisit. Je m’assis sur un des rochers artificiels et de la main je remuai les feuilles mortes pour faire un miroir plus vaste à mon visage pâli et transfiguré.

Il y avait quelques minutes que j’étais là, regardant mon image et rêvant aux lois du temps, quand je vis se dessiner dans l’eau, à côté de la mienne, une autre image. Je me retournai impétueusement : un homme s’était assis près de moi et se mirait à côté de moi dans le bassin. Je le regardai stupéfait, je le regardai encore et il me sembla qu’il me ressemblait un peu. Je tournai encore les yeux vers le bassin et regardai de nouveau son image réfléchie sur le fond sombre. En un instant je m’aperçus de la vérité : son image ressemblait parfaitement à la mienne sept ans auparavant

Autrefois peut-être cela m’aurait épouvanté et j’aurais certainement crié comme un homme enfermé dans le cercle d’une invincible obsession. Mais désormais j’avais appris que seul l’impossible devient quelquefois réel ; c’est pourquoi je ne fus nullement atterré. Je tendis la main à l’homme qui me la serra et je lui dis :

— « Je sais que tu es moi — un moi passé depuis longtemps, un moi que je croyais mort, mais que je revois ici comme je le quittai, sans changement perceptible. Je ne sais, ô moi du passé, ce que tu veux du moi présent, mais, quoi que tu me demandes, je ne saurai peut-être pas te le refuser. »

L’homme me regarda avec une certaine stupeur, comme si j’étais nouveau pour lui et répondit après quelques moments d’hésitation : « Je voudrais rester un peu avec toi. Quand tu as cru partir définitivement je suis resté ici, dans cette ville où le temps ne s’écoule pas, sans bouger, sans rien faire, à t’attendre. Je savais que tu reviendrais. Tu avais laissé la partie la plus subtile de ton âme dans l’eau de ce bassin, et c’est de cette âme que j’ai vécu jusqu’à ce jour. Mais à présent je voudrais me réunir à toi, rester étroitement attaché à toi, vivant avec toi, t’écoutant me raconter ce que tu as récolté de tes vies de ces dernières années. Je suis comme tu étais alors, et je ne connais de toi rien de plus que ce que tu connaissais alors. Tu comprends mon envie de savoir et d’écouter. Prends-moi de nouveau pour compagnon, jusqu’à ce que tu partes encore de cette ville exilée du monde et du temps. »

D’un signe de tête je consentis et nous sortîmes du jardin la main dans la main comme deux frères.

III

C’est alors que commença pour moi une des périodes les plus singulières de ma vie, déjà si différente de celle des autres hommes. Je vécus avec moi-même — avec un moi passé — des jours de joie imprévue. Mes deux moi allaient par les rues mal pavées, dans le silence qui régnait depuis longtemps dans la petite capitale — un silence qui datait du siècle dix-huitième… — et causaient ensemble sans se lasser, cherchant à se rappeler les choses qu’ils virent, les hommes qu’il connurent, les sentiments qui les agitèrent, les songes qui laissèrent un goût amer dans leurs esprits. Les deux âmes — l’ancienne et la nouvelle — cherchèrent ensemble l’université silencieuse et sépulcrale comme un couvent dans la montagne ; elles se promenèrent dans le jardin français, derrière le jardin rococo, où les statues mutilées et noircies n’honoraient plus d’un seul regard les allées sans fin — et poussèrent enfin jusqu’au Liliensee, un étang mal creusé qui, par décret des vieux princes, avait fini par obtenir le nom de lac. Je ne puis me rappeler ces jours de promenades et de confidences sans que le cœur, un instant, me manque.

Mais après les premières heures d’effusion, après les premiers jours d’évocation du passé, je commençai à éprouver un ennui inexprimable en écoutant mon compagnon. Certaines ingénuités, certaines grossièretés, certaines façons grotesques, dont il faisait continuellement preuve, me déplaisaient. Je m’aperçus en outre, en causant longuement avec lui, qu’il était plein d’idées ridicules, de théories désormais défuntes, d’enthousiasmes provinciaux pour des choses et des hommes que je ne me rappelais même plus. Il prêtait foi à certaines paroles, s’émouvait à certaines poésies, s’exaltait à certains spectacles qui à moi, au contraire, me donnaient envie de me moquer ou de sourire.

Sa tête était encore toute remplie de ce romantisme fait de chevelures désordonnées, de montagnes maudites, de tempêtes et de batailles avec roulements de tonnerre et de tambours, et son cœur s’égarait en ce pathos germanique (fleurs bleues, lune entre les nuages, tombes de chastes fiancées, chevauchées nocturnes, etc.) duquel vivent les maigres dandys mélancoliques et les demoiselles blondes grassouillettes.

Son naïf orgueil, son inexpérience da monde, son ignorance profonde des secrets de la vie, qui au début m’amusaient, finirent par me fatiguer, par susciter en moi une sorte de pitié méprisante qui peu à peu devint de la répulsion.

Pendant quelques jours encore je sus résister à mon envie de l’insulter ou de le fuir ; mais un matin, comme il venait de déclamer avec grande emphase un lied stupidement émouvant, je sentis mon mépris qui se changeait en haine.

« Et pourtant, pensai-je, cet homme duquel je ris, ce jeune homme ridicule et ignorant a été moi-même autrefois… Il est encore moi-même par quelques côtés… Pendant ces longues années, moi j’ai vécu, j’ai vu, j’ai deviné, j’ai pensé, et lui est resté ici, dans la solitude, intact, parfaitement semblable à celui que j’étais le jour où je quittai ces lieux. Maintenant mon moi présent méprise mon moi passé — et cependant, en ce temps-là, je croyais, plus encore qu’aujourd’hui, être l’homme supérieur, l’être noble et grand, le sage universel, le génie en expectative. Et je me rappelle qu’alors je méprisais mon moi passé, mon petit moi d’enfant ignorant pas encore dégrossi… À présent je méprise celui qui méprisait. Et tous ces méprisants et tous ces méprisés ont eu le même nom, ont habité le même corps, ont apparu aux hommes comme un seul vivant. Terrible et perfide pensée. Moi qui aujourd’hui méprise, je serai méprisé ; moi qui juge, je serai jugé. Après le moi présent un autre se développera qui méprisera mon âme d’aujourd’hui comme je méprise aujourd’hui celle d’hier. Qui aura pitié de moi si je n’ai pas pitié de moi-même ? »

Tandis que je pensais cela, le moi ancien pariait et déclamait. Je n’avais plus rien à lui dire et je me taisais ; il n’avait plus rien à me dire ; mais au lieu de se taire, il fabriquait des phrases et récitait des poésies horriblement longues. Qu’y avait-il de commun entre nous désormais ? Les souvenirs du passé lointain épuisés, je ne pouvais parler avec lui du passé proche, de tout mon univers plus récent de beautés contemplées, de cœurs aimés et brisés, de paradoxes improvisés autour de la table à thé, et bien moins encore du songe douloureux qui remplit désormais toute mon âme. Il était inutile de lui dire tout ceci ; il ne me comprenait pas. Le son des mots qui évoquait en moi toute une scène, les associations d’idées d’un parfum, d’un nom, d’un bruit ne disaient rien à son âme. Il me priait de lui parler de moi, et si j’y consentais, il m’écoutait avec curiosité, mais sans sentir, sans comprendre, sans revivre avec moi ce que je lui racontais. Ses yeux se perdaient dans le vide et à peine je me taisais, il recommençait ses déclamations et ses fadaises sentimentales.

Il arriva donc un jour où la haine contre ce moi-même passé fut plus forte que moi. Je lui dis alors avec beaucoup de fermeté que je ne pouvais plus vivre avec lui et que j’étais obligé de fuir sa présence pour vaincre mon dégoût. Mes paroles le surprirent et l’attristèrent profondément. Ses yeux se firent suppliants ; sa main me serra plus fort.

« Pourquoi veux-tu me quitter — dit-il de son odieuse voix mélodramatique — pourquoi veux-tu me laisser encore une fois si seul ? Pendant si longtemps je t’ai attendu en silence, pendant tant d’années j’ai compté les heures qui me rapprochaient de celles-ci… Et maintenant que tu es avec moi, que je t’aime, que nous parlons des pâles souvenirs du passé, et de l’amour et de la beauté du monde, et des douleurs des créatures, tu veux me laisser seul dans cette ville si triste, si lentement triste ? »

À ces paroles je ne répondis que par un geste de colère. Mais quand je fis un mouvement pour m’en aller, je sentis son bras qui m’étreignait avec violence et j’entendis encore sa voix qui me disait avec des sanglots :

« Non, tu ne partiras pas. Je ne te laisserai pas partir. Je suis si heureux à présent de pouvoir parler à quelqu’un qui peut me comprendre, à quelqu’un qui a encore un cœur brûlant, qui vient de la cité des vivants, qui peut écouter tous mes gémissements et accueillir mes confessions ! Non, tu ne partiras pas de cette petite capitale. Je ne permettrai pas que tu partes ! »

Cette fois encore je ne répondis pas et tout le jour je restai avec lui sans parler. Il me regardait en silence et me suivait toujours.

Le jour d’après je me disposai à partir, mais il se planta devant ma porte et ne me laissa pas sortir tant que je ne lui eus pas promis de rester encore avec lui ce jour-là.

Quatre jours encore se passèrent ainsi. Je cherchais à le fuir, il ne me quittait pas un instant, m’assommant par ses lamentations, et m’empêchant, au besoin par la force, de quitter la ville. Mon horreur et mon désespoir croissaient d’heure en heure. Enfin le cinquième jour, voyant que je ne pouvais me délivrer de sa surveillance jalouse, je pensai qu’il me restait encore un moyen, et je sortis résolument de la maison, suivi de son ombre lamentable.

Nous allâmes, ce jour-là aussi, dans le jardin stérile où j’avais passé tant d’heures sous cette forme, avec cette âme ; et, ce jour-là aussi, nous nous approchâmes du bassin mort, plein de feuilles mortes. Ce jour-là aussi nous nous assîmes sur les rochers artificiels et nous écartions de la main les feuilles afin de contempler nos images. Quand nos deux visages apparurent ensemble, proches, sur le miroir sombre de l’eau, je me retournai brusquement, j’empoignai mon moi passé par les épaules et le jetai le visage contre l’eau, à l’endroit même où apparaissait son image. Je poussai sa tête sous l’eau et je l’y tins immobile de toute l’énergie de ma haine exaspérée. Il tenta de se débattre, ses jambes s’agitèrent violemment, mais sa tête resta dans l’eau frémissante du bassin. Après quelques minutes, je sentis que son corps s’enfonçait et devenait flasque. Alors je le laissai et il tomba encore plus bas, vers le fond de l’eau. Mon odieux moi du passé, mon ridicule et stupide moi des années passées, était mort pour toujours…

Je sortis avec calme du jardin et de la ville. Personne ne m’inquiéta jamais au sujet de cet événement. Et maintenant je vis encore dans le monde, dans les grandes villes de la côte, et il me semble que quelque chose me manque de quoi je n’ai pas un souvenir précis… Quand la joie me saisit, avec ses rires stupides, je me dis que je suis le seul homme qui se soit assassiné soi-même et vive encore. Mais cela ne suffit pas à me rendre sérieux.