(1907) Articles du Mercure de France, année 1907 « Tome LXVIII, numéro 243, 1er août 1907 »
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(1907) Articles du Mercure de France, année 1907 « Tome LXVIII, numéro 243, 1er août 1907 »

Tome LXVIII, numéro 243, 1er août 1907

Histoire.
Maurice Vitrac : Philippe-Égalité et Monsieur Chiappini ; M. Daragon

. Tome LXVIII, numéro 243, 1er août 1907, p. 508-513 [512-513]

Ce pauvre Louis-Philippe, dont la situation, comme on vient de le voir, ne fut en vérité que trop malaisée, eut encore, par-dessus le marché, maille à partir, après sa mort, avec les Naundorffistes, qui, s’ils ont octroyé à Naundorff le droit de porter le nom de Bourbon, ont refusé au fils de Philippe-Égalité le droit de porter le nom d’Orléans. Celui-ci ne serait autre que le fils d’un certain Chiappini, geôlier italien. Substitution d’enfants. Ce que c’est tout de même ! Le duc de Chartres (plus tard Philippe-Égalité) et la duchesse, voulant absolument un héritier mâle, auraient fait le troc d’une fille, au jour de la naissance, contre un autre enfant, un garçon, le fils du Chiappini en question, né vers le même temps. Cette fille, baptisée Marie-Stella Chiappini et devenue lady Newborough, aurait découvert le faux, et elle prétendit effectivement, — munie d’un jugement qui mentionnait bien le fait d’une substitution d’enfants, lequel semble avéré, mais sans nommer le moins du monde le duc de Chartres (et pour cause) comme le complice de Chiappini dans cette substitution, — elle prétendit, disons-nous, prendre, dans la maison d’Orléans, le rang que Louis-Philippe, vulgaire Chiappini (!), y usurpait. Croira-t-on que l’affaire fit du bruit à l’époque ? Le parti Naundorffiste s’est appliqué à continuer et à grossir ce bruit. « Les écrivains orléanistes, dit M. Maurice Vitrac, avaient de bonnes raisons de douter que Naundorff fût Louis XVII, n’était-il pas de bonne guerre que le parti Naundorffiste s’efforçât d’établir que Louis-Philippe, étant né d’un geôlier italien, les prétentions de la Maison d’Orléans à la couronne de France étaient ridicules ? » M. Duquesne, parent des Naundorff, a publié, sous le pseudonyme de Paul Dumont, un ouvrage destiné à prouver le bon droit de Lady Newborough. C’est cet ouvrage que réfute M. Vitrac, en établissant, d’une part, qu’à la date de la substitution Chiappini, en Italie, le duc et la duchesse de Chartres se trouvaient en France, et, d’autre part, que le complice de Chiappini était un certain comte Battaglini. La discussion de fait occupe les deux derniers chapitres et un appendice. Les premiers chapitres recomposent la vie du duc de Chartres à l’époque de son mariage avec Mlle de Bourbon-Penthièvre, et depuis, jusqu’à la naissance de M. de Valois (le futur Louis-Philippe). Ce sont les pages les plus agréables à lire, et puisque la question Chiappini nous a valu ce tableau de la société du Palais-Royal, félicitons-nous qu’elle ait existé, quelque oiseuse qu’elle soit, d’autant qu’elle n’existe certainement plus après l’exposé péremptoire de M. Maurice Vitrac.

Lettres allemandes.
Friedrich Th. Vischer : Briefe aus Italien ; Munich, Süddeutsche Monatshefte, M. 2,50

Tome LXVIII, numéro 243, 1er août 1907, p. 543-548 [544].

À l’occasion du centième anniversaire de la naissance de l’esthéticien Fr. Th. Vischer, ses admirateurs et ses amis projettent la publication de plusieurs ouvrages. Nous avons déjà indiqué que la livraison de juin des Süddeutsche Monatshefte était presque entièrement consacrée à l’auteur d’Auch Einer. Voici un charmant petit volume de lettres d’Italie, éditées par les soins de son fils M. Robert Vischer. Elles sont adressées à de très proches parents, à des amis d’enfance, à David Strauss, déjà célèbre par la publication de sa Vie de Jésus, au poète Mœrike, à tous ces braves gens qui formaient l’élite de la société wurtembergeoise dans la première moitié du siècle dernier. Vischer partit pour l’Italie en 1839, alors qu’il était âgé de trente-deux ans. Ce voyage devait avoir une influence considérable sur son développement. « Je ne saurais dire ce qui resterait de moi, écrivait-il près de cinquante ans plus tard, si je pouvais en soustraire ce que je dois à mon séjour en Italie. » Voyageant lentement, Vischer observe avec humour et avec sagacité et plus d’un trait qu’il note à l’usage de ses intimes rappelle telle boutade des Promenades dans Rome de Stendhal. Mais l’honnête Allemand avait peut-être une supériorité sur le grand Français. Il savait regarder sans préjugés d’école, et, guidé par son seul instinct, il découvre les primitifs : Fra Angelico, Ghirlandajo, le Pérugin, Francia, et, qui mieux est, il sait en parler avec intelligence. Cet Allemand d’autrefois mérite tout notre respect.

Lettres italiennes

Tome LXVIII, numéro 243, 1er août 1907, p. 554-559.

La jeune poésie italienne

M. Remy de Gourmont a vu avec une parfaite lucidité que l’esprit italien, se mouvant aujourd’hui dans les cercles magiques du charme des écoles occultistes en est où l’esprit français était il y a quinze ou vingt ans. La même loi régit le même esprit dans ses manifestations poétiques. Les diverses écoles poétiques, qui se succèdent, s’accouplent, se chevauchent ces derniers temps en Italie, semblent vraiment suivre les mouvements et les désordres que connut la poésie française il y a quinze ou vingt ans… Plus que de véritables « écoles », la jeune poésie italienne présente, en réalité, des groupements d’esprits sympathiques, réunis dans une même tendance, selon les talents et selon les différents pays. Mais à chacun de ces groupements encore anonymes, on peut reconnaître certaines qualités particulières, certains caractères dominants, qui ne sont pas encore parfaitement individualisés, faute d’un seul talent capable de les résumer puissamment et de les orienter selon un mode précis, en quelque sorte définitif, nettement reconnaissable.

Un Essai sur les tendances de la poésie italienne contemporaine serait encore prématuré. Car on peut dire de cette poésie qu’elle traverse une crise de recherche, une période évidente de transition, où elle révèle une assez forte « volonté d’être ». Mais parmi ses talents, les plus jeunes et les plus hardis, aucun n’a encore donné avec son art la grande norme, qui, une fois formulée en œuvre, répand autour d’elle à la fois cet apaisement et cet engouement qui caractérisent les œuvres géniales ou qui semblent telles, les « œuvres messianiques » de chaque heure et de chaque quart d’heure de toute histoire littéraire.

Cependant, de l’abondance poétique printanière qui sur le marché littéraire, où se fut l’échange des illusions et des colères, vient de verser un nombre considérable de livres aux mille formats et aux mille couleurs, se dégage quelque vérité, temporaire, fugitive, mais qui représente assez bien l’état d’âme de la poésie italienne. Maintenant les aînés sont clairement et violemment délaissés par les jeunes poètes, tandis que s’évanouissent les dernières voix des rhéteurs qui péroraient sur la mort de Carducci. Après l’exaltation presque exclusivement politique de l’œuvre de Carducci, où la conscience nationale, dans la platitude générale, retrouvait quelques rythmes de fierté et une langue renouvelée ; après les affirmations tour à tour parnassiennes et symbolistes de l’art de d’Annunzio, où la langue devenait précieuse et incomparable œuvre de virtuose ; après les douceurs lunaires et potagères de la poésie de Pascoli, souvent toutefois très belles, les jeunes demandent à l’art d’autres émotions, d’autres réalisations, d’autres fécondations. Les quelques tentatives épiques, garibaldien nés, de Carducci à Marradi, ne les satisfont pas. D’Annunzio demeure isolé, enfermé dans ses grands rêves tragiques ; l’esprit littéraire italien, fatigué de l’antique domination du poète froid des élégances, ne comprend pas encore que celui-ci a atteint le plus pur sommet de sa force avec ses tragédies. L’Italie jeune ne veut plus le suivre, et, dans le sens nouveau de la renaissance tragique, si étroitement liée à la renaissance méditerranéenne de demain, elle ne saurait encore le comprendre. Le double mouvement français : symboliste et vers-libriste, semble hanter des phalanges de poètes, qui semblent s’exercer pour atteindre une très grande souplesse, il y en a qui cherchent une affirmation « symphonique » de l’artiste, dans les rapports des rythmes extrêmement souples et des mouvements de l’âme extrêmement subtils et variés. Il y en a qui font de l’impressionnisme plein d’émotion et d’ironie souriante. Quelques-uns, à Florence, se tournent vers la nature, et la cherchent dans les anciens mètres, avec une émotion nouvelle, compliquée, et assez intéressante. D’autres, enfin, cherchent dans la science et dans la connaissance moderne de l’être, quelque mouvement lyrique nouveau, quelque affirmation rythmée de la pensée contemporaine.

En dehors même du double mouvement français dont il est parlé plus haut, les autres recherches caractéristiques de la littérature française se répètent en Italie. Ici comme là, il manque le génie représentatif, dont le nom seul évoquerait l’état d’âme de plusieurs générations aboutissant à une grande réalisation historique. Mais dans une sorte d’identité de volonté littéraire, à travers l’inéluctable et nécessaire diversité des esprits, il y a une signification esthétique, dont la portée intéressera sans doute l’histoire littéraire des deux pays.

Giovanni Cena : Homo. Nuova Antologia. Rome

Le dernier volume de M. Giovanni Cena, Homo, constitue un large poème, conçu en une série de petits tableaux, réalisé en sonnets. Ici, ce sont les préoccupations abstraites de l’humanité ondoyante entre sa puissance de douleur et sa volonté de triomphe. Un double sentiment, le pessimisme présent et l’optimisme immanent, forme le rythme du Poème, qui met l’Homme dans ses âges, dans ses contingences, dans ses symboles. La vision anthropomorphe s’élève peu à peu, de l’individu à l’humanité et à l’univers. Souvent ces sonnets sont des hymnes d’une belle fierté humaine, souvent ils arrêtent l’âme du poète devant l’insupportable fatalité de la mort, ils demeurent purs et immobiles comme les tables de marbre d’un sépulcre clos depuis un temps immémorial. Dans un sonnet : Debout ! le Poète résume sa mélancolie et sa nostalgie. Il dit :

Lorsque l’homme se délivra de son effroi
et orna le monde de déités fraternelles,
ô combien beau il se mouvait avec les genoux
alternés, la tête tournée vers le firmament !
Mais entre celles-là, voici qu’il en voit une horrible :
Javeh, le dernier Dieu. Il tomba, le menton
dans la poussière, et dans cette attitude
l’éphémère se donna des peines éternelles.
Ô, qu’aujourd’hui sur ses membres beaux
l’homme se relève, et qu’il exalte sa terrestre
forme de vie que le soleil gouverne,
et que plus haute il la rende à ses fils,
avant qu’il se noye dans l’air serein
où surgissent et s’éteignent les étoiles !

L’athéisme de ce poète n’est que la révolte moderne contre l’éloignement de l’homme de sa mâle puissance que les siècles chrétiens ont assujettie aux désordres terrifiés de la vie intérieure. Contre l’image perpétuelle, tyrannique de la mort, contre le sens sceptique de la vie qui passe, il voudrait que les hommes se lèvent dans une confiance renouvelée de leur valeur, de leur force et de leur beauté. Le poète dit aussi : « La mort est partout. Une force insidieuse couve en nous. La violence brutale est sur nous. Tout instant est suprême. Ô Vie, brûle ! »

Plus que dans ce sentiment exaspéré de la vie qui passe, de la mort qui dure, l’art du poète est tout entier, et souvent tout vibrant de belle énergie, dans la vision de l’homme dans l’univers, de la femme dans l’humanité, de la terre dans l’immensité. Ce sens des relativités humaines, et de l’immensité du concevable, est si étroitement rythmé dans le courant double d’une grande mélancolie et d’un grand espoir, que tout le poème semble s’étendre dans une nuée claire, dans un voile de sérénité.

Francesco Chiesa : Calliope, poema. Egisto Cagnoni et Cie. Lugano

Un autre poète, M. Francesco Chiesa, publie un poème, Calliope, aussi en sonnets, mais dans une vision architecturale serrée et parfaite, qui en fait le premier poème de la plus récente poésie italienne, conçu avec l’unité d’idée et de réalisation particulière aux grands récits qui demeurent.

La vision de M. Francesco Chiesa est en tout remarquable. Elle est digne d’un grand poète. Se développant dans un tryptique : la Cathédrale, la Demeure des Rois, la Ville, elle synthétise la vie séculaire de l’Occident, depuis l’avènement chrétien jusqu’à celui, encore obscur, encore crépusculaire, de notre vie moderne : depuis le signe éternel d’angoisse et de joie laissé par l’homme dans ses cathédrales, jusqu’au brouillard animique de la Ville moderne, à travers les demeures des Rois de l’époque de fer, la Renaissance.

La vie moderne — dit le poète dans sa lumineuse préface — multiforme, tumultueuse, admirable surtout par son ampleur plutôt que par sa concentration, puissante pas autant par la divination de ses énergies singulières que par le concours de toutes les énergies dans un effort immense, trouve son image parfaite dans la Ville…

Et il écrit :

L’ombre d’un grand siècle aux chants
épiques, éclairée d’un étincellement d’or,
se soulève à nouveau avec son trésor
royal, devant moi, avec ses enseignes et ses armes.
Dans les voies sombres de l’histoire il me semble
qu’un vent plie contre moi, sonore,
les feuilles antiques qu’il agite et qu’élance un chœur
d’hommes, et de l’encens et de la poussière des marbres.
Des jeux, des batailles, des processions, des fêtes,
passent, en levant les symboles et les instruments,
les épées et les cierges ; et la Peste lève sa face…
Puis tout demeure comme en des entraves
de fer. Les armes, les croix, les hommes, les tempêtes
demeurent, ô Temple, et ils sont tes énormes pierres.

Le poème se déroule dans une triple et admirable chaîne de sonnets, où la forme antique est toute renouvelée par un sentiment rythmique en même temps solide et simple, par une science harmonique très sûre. La vérité historique est saisie dans son essence éternelle, dans sa puissance centrale et rayonnante. Et le poème, d’une si haute envergure est d’un symbolisme plein de clarté, traversé par des lueurs théistes, épiques et géorgiques, qui résument et révèlent dans une grande noblesse lyrique les trois cycles de notre âme occidentale classique et romantique, évoqués par le poète : le Moyen-Âge, la Renaissance et l’Âge d’aujourd’hui et de demain.

Guido Gozzano : La Via del Rifugio. R. Straglio, Turin

M. Guido Gozzano, dans son recueil La Via del Refugio, voit la vie avec un esprit d’une charmante indépendance, et d’une charmante ironie. Nous ne trouverons pas dans son œuvre les préoccupations de la pensée de M. Cena ou de M. Chiesa, ni le classicisme lyrique de M. F. Pastonchi, de M. Francesco Gaeta ou de M. Alfredo Catapano, ni le classicisme épique de M. Ceccardo Roccatagliata-Ceocardi, le poète de l’Ode a una nave di battaglia. Guido Gozzano chante sa vie extérieure, il évoque les choses simples d’un passé non lointain, la vie de ses aïeux, la mélancolie des choses simples, de la nature et des hommes. La critique italienne a salué avec des cris de joie ce jeune poète des choses simples. Les critiques d’esprit médiocre ont retrouvé dans ces rythmes quelque chose de leur navrante simplicité. Mais l’art de M. Guido Gozzano a une autre portée. Quoiqu’il rappelle trop Jules Laforgue et surtout Francis Jammes, il est très italien, et il représente toute une sensibilité, sinon toute une mentalité, qui, pour regarder la vie avec des yeux sceptiques, avec un égal sourire de tous les instants, ne se révèle pas moins assez souvent intéressante quoique trop pathétique. Ainsi, le sonnet Heure de grâce, où le poète voit la vie avec des yeux si étonnés qu’il croit la découvrir, la regarder pour la première fois, est le meilleur témoignage de l’état d’âme qui a inspiré ce livre très remarqué, et qui est celui d’une grande partie de la jeunesse fatiguée d’entendre et enfin anxieuse de voir.

La poésie à clichés est morte vraiment, malgré la complète diversité des esprits. Le sentiment central de l’œuvre de M. Guido Gozzano est identique à celui des poètes dont j’ai parlé plus haut. Un irrésistible besoin de renouveler nos visions et nos sensations pour aimer et pour reprendre la vie d’un amour nouveau, sincère, domine tous ces jeunes talents.

Enrico Cavacchioli : L’Incubo Velato. Éditions de « Poesia » Milan

De même, M. Enrico Cavacchioli, dont l’étrange et forte fantaisie a trouvé des rythmes parfaits pour s’extérioriser en beauté, montre la nouveauté de sa vision de la vie. Son œuvre, l’Incubo Velato, a été couronnée par la revue Poesia, qui l’a saluée triomphalement. Un amour sauvage de la nature, une compréhension farouche des rapports entre les hommes et les choses, une signification singulièrement ironique découverte dans chaque attitude de l’étre, forment le charme et l’envergure de ces poèmes.

Fausto Maria Martini : Panem nostrum. Cromo-Tip. Commerciale, Rome. — Domenico Trombetti : Eclogarium. « La Vita Letteraria » Rome. — Luigi Siciliani : Corona. W. Modes. Rome. — Amalia Guglielminetti : Virgini Folli. Soc. Tip. Ed. Nazionale. Turin

M. Fausto M. Martini, dans son recueil Panem Nostrum… M. Domenico Trombetta, dans Eclogarium, dévoilent de douces tristesses dans des rythmes tendres, dans une langue très pure. Ici, encore, c’est une volonté de rythmes adéquats à des visions nouvelles ; c’est une recherche qui aboutit souvent à une réalisation satisfaisante. De son côté, M. Luigi Siciliani publie Corona, où, au nom des Grands classiques méditerranéens, de la Grèce ou de Rome héroïque, il veut opposer à toutes les imitations, les adaptations, les assimilations de la poésie de ses compatriotes, et dans des hexamètres et des pentamètres bien tournés, il prend devant eux une attitude de critique impitoyable et d’épigrammiste farouche. Tandis qu’une femme, Mme Amalia Guglielminetti, dans ses Vergini Folli, chante librement l’amour de la vie, faisant à la jeune littérature italienne un apport féminin d’insouciance et de volonté joyeuse.

Memento

La jeunesse littéraire de Rome a perdu deux des siens, morts en pleine éclosion de leur talent. L’un est le poète Sergio Corazini, dont la sensibilité maladive et exquise, très moderne, cherchait ses rythmes adéquats, et confondait ses recherches avec celles, de plus en plus intéressantes, des jeunes poètes groupés par La Vita Letteraria de Rome. L’autre est M. Enrico Sacerdote, rédacteur à la Nuova mort subitement à vingt-cinq ans, qui laisse des études sur la littérature française contemporaine, et particulièrement sur Charles Baudelaire. Ce jeune homme, plein de talent et d’activité féconde, était le fils de M. Salvatore Sacerdote, l’auteur d’un volume récent, très remarquable, sur la Vie de Herbert Spencer et les « Premiers Principes » (S. Lattes, Turin). — M. Antonino Anile publie une nouvelle édition de son intéressant recueil des Sonetti dell’Anima (R. Ricciardi, Naples). — Orazio Bacci : Prosa e Prosatori, R. Sandron, Palerme. — Dott. E. Canestrini : Horror Vacui (E. Torricelli et Pascal), Stab. Tip. Prosperini. Padoue. — Aldo Foratti : Giovanni Buonconsigli Pittore Vicentino, Fr. Drucker. Vérone. — Av. Prof. G. Ruffoni : Beccaria, Parini-Manzoni, G. Bresciani. Ferrare. — P. Orano : Herbart, Roma, « I Diritti della Scuola ». Rome — Giuseppe Baracconi : Venere (orné de 43 reproductions), Soc. Tip. Ed. Nazionale. Turin. — Enrico Albanese : La ferita di Garibaldi a Aspromonte. Sandron. Palerme. — G. C. Abba : Cose Garibaldine, Soc. Tip. Ed. Nazionale. Turin — Gaetano Fazzari : Breve Storia della matematica, Sandron. Palerme — Settimio Aurelio Nappi : Scioperi e Leghe, Soc. Tip. Ed. Nazionale. Turin — C. Romano d’Azzi, Un vasto inganno (la Résurrection des maris. Étude critique), E. Voghera. Rome — G. P. Lucini : Ai mani gloriosi di G. Carducci, G. Botta. Varazze. — Antonio Fusco : La Filosofia dell’ Arte in G. Flaubert, P. Trinchera. Messine — G. Papini : Il Pilota cieco, Ricciardi. Naples — Comm. Dr. Diomede Carito : La Neurastenia nella vita e nel pensiero moderno (Étude clinique et sociale), Detken et Rocholl. Naples. — Antonino Anile : Sonetti dell’Anima, R. Ricciardi. Naples. — G. Gentile : Giordano Bruno nella storia della cultura, Sandron. Milan — Erminio Troilo : La Filosofia di Giordano Bruno, Fr. Bocca. Turin. — Camillo Trivero : Il Problema del Bene, C. Clausen. Turin.

Manzoni : Le Tragedie, gl’Inni Sacri, le Odi etc., Hoepli. Milan. — Carducci, Opere. Nouvelle édition (deux volumes). N. Zanichelli. Bologne. — La Divina Comedia de Dante. Petite édition. Hoepli. Milan.

Échos.
Une amoureuse de Nietzsche

Tome LXVIII, numéro 243, 1er août 1907, p. 572-576 [575-576].

Un journal italien donne des renseignements assez inattendus sur l’homme affectueux qui se cachait sous le farouche apôtre de l’individualisme que fut Nietzsche. On annonce la prochaine publication d’un livre d’une femme qui a été jusqu’ici et qui demeure inconnue, sur la vie de Nietzsche à Sorrente, où, comme Musset, Wagner, Ibsen et tant d’autres, le grand philosophe allait puiser des forces nouvelles pour sa santé chancelante.

L’inconnue, morte il y a quelques mois, signataire du livre qui va paraître, a une éloquence, paraît-il, plus grande et plus sûre que celle de Mme Elisabeth Fœrster-Nietzsche, la sœur dévouée. Elle évoque dans son volume tous ses souvenirs de Sorrente, ses entretiens avec Nietzsche, les attitudes du philosophe devant la nature merveilleuse des pays du soleil, de ces « pays méditerranéens », qu’il voulut chérir avant tous les autres. Ces pages auront une saveur toute particulière. Car l’inconnue, dont on ne connaît jusqu’ici que le chiffre Ph., avoue avoir été de bonne heure amoureuse du philosophe, et l’avoir ainsi suivi à Sorrente, après avoir assisté à ses cours de philologie en Allemagne.

C’est la fille de cette dame qui informe M. Angelo Flavio Guidi de l’apparition du prochain volume, et en donne quelques extraits, en révélant le secret de sa mère.

Wagner était à Sorrente en même temps que Nietzsche ; mais les deux anciens amis ne se voyaient plus. Nietzsche vivait volontiers dans sa solitude, où la femme amoureuse allait parfois le trouver pour l’entretenir des événements d’Allemagne et pour le voir pendant de longues heures regarder, ému, la mer infinie et étincelante.

Frédéric Nietzsche — dit un fragment du livre inédit — croyait, les premiers jours, que je ne connaissais pas son identité. Je le rencontrais souvent, mais il était presque toujours avec quelqu’un. Un jour je le trouvai seul, dans cette partie qui regarde la Marine Grande, sur la mer, assis sur un rocher à pic. C’était vers coucher du soleil. Il me rencontrait si souvent qu’il me reconnut tout de suite, et nous causâmes un peu. Il avait son regard toujours fixé sur la mer, et caressait sa moustache de la main gauche. Je lui demandai s’il pensait rester à Sorrente et il me répondit qu’il trouvait ce pays le plus beau qu’il eût jamais vu, et que l’air donnait à son physique, un peu déprimé, comme une force nouvelle. Il éprouvait cette légèreté que nous autres Allemands ressentons si bien en Italie. Quelques barques de pêcheurs se montraient à la pointe Santa Fortunata, toute rouge dans le coucher de soleil. Il dit : « Par là venaient les Sarrasins pour piller Sorrente ; c’est un “Sorrentinois” qui connait l’histoire de son pays, qui me l’a conté. » Puis il se leva, me salua et me laissa seule.

Un autre fragment nous apprend qu’un jour l’aimable interlocutrice rencontra Nietzsche à la Villa Communale ; Wagner venait de remporter un nouveau triomphe en Allemagne. Elle en parla avec Nietzsche.

Au début, dit-elle, il sembla ne pas comprendre s’il s’agissait d’un triomphe ou d’un insuccès. Il fronça les sourcils, et me regarda d’une manière curieuse, presque investigatrice, comme s’il voulait découvrir le pourquoi de mes paroles. Je rougis, et je terminai mon récit en donnant un peu d’enthousiasme à ma voix. Ah ! le triomphe de son « ennemi » ne lui déplut pas et il sourit en murmurant quelques mots.