(1907) Articles du Mercure de France, année 1907 « Tome LXIX, numéro 248, 15 octobre 1907 — Fin du tour d’Italie en 1811 — Dernière partie du « Journal » — Second séjour à Milan — Chapitre LXXI »
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(1907) Articles du Mercure de France, année 1907 « Tome LXIX, numéro 248, 15 octobre 1907 — Fin du tour d’Italie en 1811 — Dernière partie du « Journal » — Second séjour à Milan — Chapitre LXXI »

Chapitre LXXI

J’arrive à Milan le 22 octobre 1811 à la nuit tombante, ayant mis moins d’un mois à voir toute l’Italie : je ne touchais pas les pavés en marchant dans les rues. Milanese avait peur d’être assassiné en venant de Lodi. Je revois enfin la Porta Romana. [À mesure que mon voyage devient bon, mon journal devient mauvais. Souvent, pour moi, décrire le bonheur c’est l’affaiblir. C’est une plante trop délicate qu’il ne faut pas toucher. Voici quelques fragments décrivant des instants de mon second séjour à Milan.] (Mais rien ne peut rendre le délice continuel où j’étais alors et la vivacité folle qui ne me quittait ni jour ni nuit. 1813.) [Hier, 23, croyant suivre les conseils d’une politique sage et plein d’un transport d’amour qui agitait mon âme et me laissait la froideur et le coulant d’un homme qui veut parvenir à une chose difficile, je suis parti de Milan à 2 h. 1/2 pour Varèse. Je suis arrivé à Varèse à 8 h. 1/2. Je n’avais jamais lu Ossian, j’ai lu Fingal pour la première fois dans le voiturin. J’ai eu aujourd’hui les aventures et un temps ossianiques.

Je suis parti à cheval à 6 h. 1/4 pour la Madona del Monte. Je suis parvenu à ce lieu élevé et singulier, en parcourant des coteaux aussi beaux que ceux que je me suis figurés pendant toute ma jeunesse. L’aspect du village formé autour de l’église de la Madone est singulier. Les montagnes grandioses. Il y a 4 milles de Varèse au village. Après 2 milles, on aperçoit le lac de Varèse et un mille plus haut celui d’Arona, le lac Majeur. Le soleil se levait environné de vapeurs. Les coteaux inférieurs paraissaient des îles au milieu d’une mer de nuées blanches. Je ne songeais guère à m’arrêter à toutes ces beautés. J’ai pensé seulement que si jamais je voulais vivre quelques mois au sein de la nature il fallait venir m’établir à Saint-Ambroise, à un mille au-delà de Varèse, qui est une petite ville, tandis que Saint-Ambroise est un village.

Aux 2/3 du chemin, j’étais descendu de cheval parce qu’il glissait et je voulais arriver plus vite. J’aperçois M. (il marito), qui descend. Il me reçoit bien. Je monte plus vite encore, enfin je suis dans le village. On me dit de monter un escalier pour arriver à l’auberge. J’arrive à une église très ornée où on chantait l’office. Je redescends. Je demande le logement de Mme P. Je la vois enfin. Je n’ai pas le temps de décrire ce qui s’est passé dans mon cœur. Qu’on se rappelle que pour elle j’avais quitté Naples et Rome avec joie. Je ne lui ai pas dit les choses tendres et charmantes que je pensais en courant la poste, de Rome à Foligno. J’étais tout troublé. J’allais l’embrasser ; elle m’a dit de me souvenir que ce n’était pas l’usage du pays.

Elle m’a demandé si je savais tout ce qui s’était passé. Comme quoi elle s’est horriblement compromise, qu’on savait le rendez-vous du bain d’Alamani, que sa petite coquine de femme de chambre, qui était le noble objet des feux de M. Turenne, l’avait trahie, etc., etc. Si j’avais reçu sa lettre ? Elle avait ensuite une querelle à me faire. Elle avait ouvert, comme je l’en avais priée, les lettres de Faure et avait cru y voir que d’avance j’avais formé le projet de la mettre sur ma liste en passant à Milan. Je viens de lire attentivement les lettres de Félix, elles ne prouvent que mon amour pour Mme P.. Il y a une seule phrase qui a pu paraître ambiguë à l’aimable Angela. Mais je compte la lui faire relire et lui faire avouer que cette phrase ne prouve encore que mon amour pour elle. Je ne savais pas trop ce que je faisais. J’ai pris le chocolat avec elle, nous nous sommes allés promener. Pas un bois sur cette montagne.

En venant, la nuit, de Rome à Foligno, je faisais le dialogue de notre première entrevue. Je lui disais des choses si tendres et si gracieuses, peignant si bien ce que je sens pour elle, que les larmes m’en venaient aux yeux. Aujourd’hui tout troublé, cherchant à tout prévoir et à convenir de tout pendant l’absence de the husband, j’ai dû lui paraître dur et pédantesque. Je sentais que je ne paraissais pas aussi tendre que je l’étais. Mais la crainte de voir entrer à chaque instant M. P. me tenait dans un trouble continuel. J’avais à la persuader de revenir bien vite à Milan. Je craignais toujours d’oublier quelque chose. Enfin, je n’ai pas été aimable et je crains que ça n’ait diminué son amour.] (Je crois que je fus plusieurs fois inintelligible for her ; chez une femme accoutumée à comprendre ceux qui lui parlent au premier mot, cela dut produire froideur. 1813.)