(1907) Articles du Mercure de France, année 1907 « Tome LXVII, numéro 239, 1er juin 1907 »
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(1907) Articles du Mercure de France, année 1907 « Tome LXVII, numéro 239, 1er juin 1907 »

Tome LXVII, numéro 239, 1er juin 1907

La question religieuse. Enquête internationale [IV]

Tome LXVII, numéro 239, 1er juin 1907, p. 421-452 [434-435].

M. Cesare Lombroso. Professeur de psychiatrie à l’Université de Turin

Pour qui a étudié sérieusement l’histoire des religions, il n’y a aucun doute : elles s’appuient sur une série d’erreurs qui viennent de quelques besoins humains, spécialement du besoin d’être protégés contre des forces, vis-à-vis desquelles nous nous sentons impuissants, comme les météores, les épidémies ; et, s’il se peut qu’une institution sortie d’une erreur puisse évoluer, elle finit toujours par tomber dans une autre erreur.

Ainsi, la religion qui est la création d’un vrai et grand philosophe — celle de Bouddha — a fini dans les rites et les formules presque vaticanesques du Tibet. Une évolution véritable serait sa chute et épargnerait aux peuples de semblables mésaventures. Pourtant, c’est un fait certain, n’importe quelle religion — même la religion catholique, qui est empêchée d’évoluer par ses dogmes (sint ut sunt, aut non sint, c’est la maxime des Jésuites) — est contrainte de s’adapter à la culture des peuples auprès desquels elle est en honneur ; de s’adapter par fragments, mais de s’adapter. Et c’en est un symptôme que ce jésuite anglais excommunié il est vrai par l’Église, mais pourtant jésuite jusqu’à la fin des temps, qui ne désavoue pas Darwin.

Histoire.
Memento [extrait]

Tome LXVII, numéro 239, 1er juin 1907, p. 502-506 [506].

D’une étude historique et doctrinale sur le Procès de Galilée, par M. Gaston Sortais (Bloud), nous citons cette conclusion, qui indique très nettement les points sur lesquels ont portée l’examen et les appréciations de l’auteur : « Les congrégations romaines et les papes Paul V et Urbain VIII se sont trompés en condamnant Galilée. » (Conclusion générale, mais voici le point de vue spécial :) « Qu’importe, cependant, au point de vue doctrinal, le seul qui nous préoccupe actuellement, puisque les sentences des congrégations sont réformables et que, dans l’espèce, les papes Paul V et Urbain VIII n’ont pas parlé ex-cathedrâ, c’est-à-dire n’ont point imposé une doctrine à la croyance de l’Église universelle. L’infaillibilité pontificale est donc hors de cause. »

[…]

Lettres allemandes

Tome LXVII, numéro 239, 1er juin 1907, p. 543-547 [544-547].

Annette Kolb : Die Briefe der Heiligen Catarina von Sienna ; Leipzig, Julius Zeitler, M. 4

Nous devrions posséder en français un recueil de lettres de Catherine de Sienne aussi parfait que ce choix dont Mme Annette Kolb a eu l’heureuse idée. L’aménagement du texte, toutes les dispositions typographiques sont d’une sobriété que nous pourrions envier à l’éditeur Zeitler, de Leipzig. La traductrice a fait précéder son ouvrage d’une préface qui nous donne de Catherine le portrait le plus attachant.

Elle ne possède ni la veine d’un François d’Assise, ni l’envolée d’un Ekkehard, ni les visions lumineuses d’un Jacob Boehme. Dans la contemplation pure elle ne se montre pas d’une sensibilité extrême ni d’une imagination abondante. Pour les problèmes les plus profonds elle se contente des lumières du catéchisme ; le sens énigmatique, multiple et secret d’une parole n’existe pas pour elle, car le sentiment véritable de cette extatique est porté vers le réel. Elle possédait un talent d’homme d’État, qui se révèle dans la forte logique, dans la magnifique construction de ses lettres. Peut-être que ce qu’il y a de non spéculatif dans sa forte intelligence se rencontre avec ses dons politiques, comme ce fut le cas, en une plus grande mesure, chez le Dante. C’est pourquoi ses lettres sont d’un intérêt supérieur à ses autres écrits, car elles nous révèlent mieux ce qu’il y a de plus attachant chez Catherine, c’est-à-dire sa personnalité.

En étudiant l’influence que Catherine de Sienne a exercée sur Grégoire XI et sur Urbain VI, Mme Kolb croit pouvoir insinuer que, si la sainte avait vécu cent ans plus tard, la Réforme eût pu être évitée.

Faute de pouvoir hasarder un jugement, nous ne dirons rien du choix des lettres. Elles sont d’une lecture des plus attachantes. Un portrait de Catherine de Sienne d’après Sodoma sert de frontispice au volume.

Jacob Burckhardt : La Civilisation en Italie au temps de la Renaissance, trad. M. Schmitt, 2 vol. Paris, Plon, 7 fr.

On sait en quelle estime Frédéric Nietzsche tenait le savant professeur bâlois, auteur de la Civilisation en Italie au temps de la Renaissance. Dans la solitude de sa pensée, alors que personne en Allemagne ne daignait même essayer de le comprendre, le sentiment de posséder à Bâle un ami qui avait saisi la portée de ses travaux suffisait souvent à réconforter le philosophe de Zarathoustra. Déjà malade, Nietzsche parlait encore parfois de Jacob Burckhardt, comme s’il avait besoin d’un témoin pour attester sa valeur.

On ne lit pas assez Burckhardt en France. Cet admirateur de la civilisation latine ne paraît sans doute pas assez germanique à nos intellectuels épris de théories nébuleuses. Il faut donc féliciter la maison Plon d’avoir mis à la portée de tout le monde, par une réédition portative, les deux volumes de l’excellente traduction de la Cultur im Zeitalter der Renaissance que M. Schmitt, professeur au lycée Condorcet, a entreprise il y a une quinzaine d’années déjà.

Memento [extrait]

[…]

Das literarische Echo (1er mai) fait connaître à ses lecteurs, par la plume de Mme Hélène Zimmern, l’écrivain italien E. A. Butti, dont elle reproduit un fort bon portrait. […]

Lettres italiennes

Tome LXVII, numéro 239, 1er juin 1907, p. 547-553.

Giulio Orsini (Domenico Gnoli) : Poesie edite ed inedite. Soc. Tip. Ed. Nazionale. Turin-Rome

M. Domenico Gnoli était parmi les plus sérieux poetæ minores de l’Italie, lorsque l’art du poète-politicien Carducci dominait tous les cénacles et en imposait partout par la vigueur de la prosodie qu’il renouvelait, et souvent par les fortes qualités de sa langue. Depuis quelques années, M. Domenico Gnoli, sous le nom de Giulio Orsini, a cessé d’être un poète de second ordre.

Plus souple que d’Annunzio, plus nerveux et plus inspiré que Pascoli, tout en précédant par son âge ces deux poètes, il est plus jeune qu’eux dans son art. Car dans le creuset de son étrange lyrisme il jette à pleines mains ces trésors d’élégances pensives, ces flamboyantes pierreries de la volonté philosophique, qui semblent être le caractère essentiel de notre plus jeune génération de poètes.

L’art de Giulio Orsini plane au-dessus des tendances contemporaines, confirmées et acceptées, de la littérature italienne. Il plane au-dessus de l’art social à grande envergure d’un poète généralement très méconnu, M. Mario Rapisardi, et de l’art épique de M. G. Marradi. Par des qualités profondément émotives, et d’émotion profondément évocatrice, la poésie de Giulio Orsini est celle du dernier romantique, ou plutôt du premier grand néo-romantique, que la littérature méditerranéenne, italienne ou française, nous ait donné ces derniers temps.

Le romantisme de Giulio Orsini est fait d’un subjectivisme passionné et absolu. Étant très moderne, il se complique d’un sentiment panthéiste très spontané, qui vibre harmonieusement avec toute la vie de la nature, et s’émeut au centre même de la vie, devant les visions isochrones de l’âme humaine, de l’âme de la terre, de l’âme des astres perdus dans l’espace. Le sentiment panthéiste de Giulio Orsini a ainsi très souvent les caractères d’une véritable « intelligence panthéiste », dont les représentations esthétiques, qui semblent à la fois impulsives et réfléchies, ne s’égarent jamais dans l’évocation minutieuse et lente des objets de la nature, ainsi que nous l’observons dans la poésie de Pascoli ou de Francis Jammes, ou dans celle de Mme de Noailles, qui en général n’est plus qu’une mièvre parodie de l’esthétique panthéiste. M. Giulio Orsini s’exprime au contraire dans une prosodie rapide, libre, vigoureuse, où la vie humaine et la vie végétale se fondent joyeusement dans la vision de la vie universelle.

Le volume des Poesie edite e inedite contient toute l’œuvre de cet étrange grand artiste. Elle apparaît d’abord sous la signature vague de Dario Gaddi. Puis ce fut le tour des Odi Tiberine, signées du vrai nom du poète, où je ne sais pourquoi la critique s’obstine à ne pas reconnaître la plupart des qualités de souplesse idéale et expressive qui éclatent dans les dernières publications de l’écrivain.

Ensuite, Eros, paru sous un nom féminin : Gina d’Arco, contient des poèmes simples, tendrement amoureux, qui semblent écrits vraisemblablement par une femme dont la nostalgie sensuelle serait cultivée par de belles lectures. Enfin, voici l’apparition d’Entre la Terre et les Astres, dont la critique fut tant impressionnée, et tant intriguée par le mystère qui entourait le poète. Cette partie du volume, celle qui porte le nom de Giulio Orsini, est chronologiquement la dernière de l’activité poétique de M. Domenico Gnoli ; elle est la première du volume qui vient de paraître.

C’est dans Fra Terra ed Astri qu’on retrouve l’éclosion impétueuse du poète et la large mesure de son romantisme. Le caractère principal de ce romantisme, loin d’être dans l’opulence logique, dans le geste seigneurial des grands romantiques français du siècle dernier, est tout entier dans la pensée trop aiguë et par cela même trop inquiète de l’artiste. Ici il n’y a pas d’affirmations trop grandes sur la solennité de la vie, ni de négations trop radicales sur la vanité des efforts humains. Un aspect d’âme, que je retrouve déjà dans les Odi Tiberine, se révèle constamment par une « interrogation ». Presque toujours l’élan lyrique est brisé par une interrogation, et il se renouvelle ainsi plusieurs fois dans le cours d’un poème, donnant une impression de violente originalité rythmique, à laquelle l’attention du lecteur est perpétuellement enchaînée, et par laquelle elle est irrésistiblement émue. Cette interrogation constante scande le rythme d’un poème d’une manière toujours inattendue, résonne souvent comme les éclats d’un grand rire sceptique ; elle témoigne de l’âme neuve de ce poète dominée par la vision précise des contrastes, des analogies, des innombrables parallélismes de la vie, qui à nos esprits de transition, nouvellement ouverts à toutes les plus disparates compréhensions, font sembler trop grossier, trop unilatéral, tout engouement, et forment ainsi notre inquiétude moderne en multipliant sans cesse nos sensations, nos émotions, nos pensées.

Non. C’est lady Macbeth. Le poète
parle de Macbeth et de Duncan,
histoires d’un temps lointain.
Et quoi ? était-il donc prophète ?
…………………………………
Mais il y a toujours cette exécrable
tache ! (le docteur écoute et note)
toujours, toujours cette odeur
de sang ! Il n’y a pas de lavande
qui suffise, oh ! ils seraient vains
les parfums d’Arabie, la mer
ne suffirait pas à laver
ma petite main.
Une, deux, trois. C’est l’heure
d’agir. Quoi ! l’adieu gémissant
du hibou. Serre avec fermeté
le poignard, Kitchener, sois ferme !
Qui a dit Kitchener ? Le poète
parle de Macbeth et de Duncan,
histoires d’un temps lointain.
Et quoi, était-il donc prophète ?
…………………………………
« Mais toujours du sang ! Oh il ne semble pas possible
que ce damné-là eût pleines
de tant de sang les veines,
vieux boër damné ! »
Qui a dit boër ? Le poète
parle de Banquo et de Duncan,
histoires d’un temps lointain.
Et quoi, était-il donc prophète ?
Voici le fantôme blanc. Il baisse
la voix. Il a la lampe, ne la vois-tu pas ?
et il frotte la tache. C’est lady,
c’est lady qui passe.
Ne regarde pas le corbeau qui croasse.
Si à lady ne suffit pas une mer,
Angleterre en a beaucoup pour laver
les mains sales de n’importe quelle tache.

Je signalerai volontiers comme la plus belle et la plus poignante composition du poète, l’évocation de Jacovella, la jeune femme de la Renaissance, qui joua du luth devant Raphaël, et que le poète aime et va chercher dans la petite maison, encore debout, de cette lointaine beauté.

Jacovella, tu es morte,
Depuis longtemps tu es morte, et moi je vis.
Vivants ou morts, que nous importe ?
Jusqu’à toi, le long des siècles, j’arrive.
Jacovella, une proposition
Je veux te faire ; approche-toi.
Donne-moi la main ; voulons-nous
Nous aimer, Jacovella ?

Et Jacovella répond :

Oui, poète, je veux t’aimer.
Tu as fait un si long chemin
Pour venir me trouver
Tu as visité la chambre
Ou seule seule
Je chantais sur la viole
J’ai perdu ma chevelure abondante,
J’ai perdu ma douce prunelle
Et ma joue de rose ;
Je suis morte, et tu es venu !
…………………………………

Ce grand romantique est vraiment à l’avant-garde des jeunes poètes, de tous ceux qu’il a voulu rallier en écrivant le poème : Ouvrons les vitres, qui peut être une voix d’appel pour tous les poètes de notre race :

La Muse gît anémique
Sur la couche des vieux ancêtres ;
À nous, jeunes, ouvrons les vitres,
Renouvelons l’air enfermé !
L’esprit antique ? Il est mort.
Il est dans le suaire de l’histoire,
Dans le mausolée de la gloire :
Et Lazare seul a resurgi.
Paix aux choses ensevelies !
Et toi aussi tu es morte : le vent
De l’art ne gonfle pas deux fois
Ta voile, ô Renaissance ;
Le vent qui maintenant caresse
La chevelure fumante des machines,
La chevelure longue et noire
De la nouvelle jeunesse.
…………………………………
Ô pères ! vous fûtes vous-mêmes,
Bénie soit votre
Mémoire ! À nous, fils, maintenant
Notre vie : nous voulons être nous-mêmes !

Annibale Pastore : G. M. Guyau e la genesi dell’idea di tempo. « Coenobium ». Lugano

À la présentation d’un poète fortement nouveau, il me plaît de faire suivre l’image d’un penseur qui reste comme un des plus grands précurseurs de notre évolution philosophique : M. Guyau. L’étude que M. Annibale Pastore lui consacre : Giovanni Maria Guyau e la genesi dell’idea di tempo, parue d’abord dans une double importance. Elle résume nettement la pensée de Guyau sur les conceptions de temps et d’espace, et surtout sur la précédence de l’idée de l’espace à celle du temps. En outre, M. Annibale Pastore se révèle non seulement un exégète aigu, et en tous points digne de l’apôtre de la vie « la plus intensive et la plus extensive », mais savamment et courageusement il se range avec les nouveaux philosophes qui voient dans la fusion de la poésie et de la philosophie l’avenir éclatant des nouvelles affirmations de notre pensée.

M. Annibale Pastore affirme que l’œuvre de Guyau « tombe vraiment sur le point d’intersection de deux lignes, dans le cœur même de la philosophie. Car la philosophie doit vivre deux vies : la vie du sentiment et la vie de la raison. Avec Guyau devait commencer une révélation de la pensée vraiment lumineuse et vigoureuse. Un âge nouveau : protestation contre la philosophie déracinée de l’art, protestation contre l’art incompatible avec la philosophie… ». Novalis avait déjà affirmé que « la poésie est le réel absolu ; plus une chose est réelle plus elle est poétique » et que « la séparation des philosophes et des poètes n’est qu’apparente et a lieu au détriment des deux ; c’est le signe d’une maladie et d’une constitution maladive ».

La critique de la Genèse de l’idée du temps de Guyau, faite par M. Annibale Pastore, porte surtout sur la démonstration de l’idée empirique du temps. M. A. Pastore en montre l’évidence et l’éloquence, tout en faisant quelque réserve sur les dernières conséquences où Guyau poussa naturellement l’étendue de sa théorie, c’est-à-dire sur la substitution de l’idée du temps au temps.

L’année même de la mort de Guyau, en 1888, M. Bergson publiait ses aperçus sur l’intensité des états psychologiques qui demeurent comme une des œuvres les plus profondes de la philosophie contemporaine. Guyau révélait sa puissance de précurseur. L’étude de M. Annibale Pastore nous montre combien sa pensée est encore féconde.

G. G. F. Hegel : Enciclopedia delle Scienze Filosofiche. B. Croce tr. G. Laterza, Bari. — E. Kant, Critica del Giudizio. Alfredo Gargiulo, G. Laterza. Bari. — Giordano Bruno : Dialoghi Metafisici. Giovanni Gentile. G. Laterza. Bari

Il y a en Italie quelques maisons d’éditions particulièrement consacrées à la savante vulgarisation des œuvres de culture générales. La maison Laterza, de Bari, fondée bien après celle de Hoepli, de Milan, de Bocca, de Turin, et de Sandron, de Palerme, est arrivée en peu d’années à s’affirmer digne de la plus grande reconnaissance de la part des intellectuels italiens aussi bien qu’étrangers.

Un caractère des éditions italiennes est en général l’élégance et la variété typographique. C’est dans des volumes très élégants, presque luxueux, vendus à un prix ordinaire, que l’éditeur Laterza fait paraître les œuvres de sa Collection des philosophes classiques modernes. Cette collection est publiée avec les soins de MM. B. Croce et G. Gentile. Elle comprend déjà trois volumes, dont l’Encyclopédie des Sciences Philosophiques de Hegel, précédée d’une préface particulièrement importante de M. B. Croce. M. Alfredo Gargiulo a traduit et préfacé la Critique du Jugement de Kant. M. Giovanni Gentile a préfacé et annoté le premier volume des œuvres en italien de Giordano Bruno, qui comprend les Dialogues métaphysiques du grand penseur hérésiarque.

La publication de cette œuvre de Giordano Bruno est vraiment de la plus haute importance. Car Bruno et Vico sont sans nul doute les seuls grands philosophes, les seuls créateurs de systèmes, de l’Italie. Ils sont tous les deux des méridionaux, de cette race des Italiens da Midi chez lesquels on a voulu voir les expressions réelles d’une race germanique, à cause des Longobards et des Normands qui les fécondèrent si longtemps.

L’Italie, tout comme Rome, n’a eu que des penseurs, de grands penseurs même en tous les temps. Elle n’a pas eu de philosophes, car, ai-je eu l’occasion d’écrire autrefois, la différence entre un philosophe et un penseur consiste en ceci, que le premier compose un système, basé sur une ou quelques données très simples, d’où s’élève toute une vision métaphysique, esthétique et morale de la vie, tandis que l’autre, le penseur, n’est pas un créateur de système, mais simplement un critique contingent. Bruno et Vico font une incomparable exception à la fatalité aphilosophique des Italiens. Bruno est même, — quoique encore assez mal connu, — un des plus grands métaphysiciens de l’Occident.

La publication de M. Giovanni Gentile contribuera sans doute largement à en faire étudier et apprécier la profondeur.

Giovanni Calò : Il problema della libertà, nel pensiero contemporaneo. R. Sandron : Milan. — Paolo Savj Lopez : Trovatori e Poeti. R. Sandron. Milan

L’éditeur Sandron poursuit de son côté l’intéressante publication de sa Bibliothèque de Sciences et Lettres. Dans cette collection, a paru dernièrement le Problème de la liberté dans la pensée contemporaine de M. Giovanni Calò, qui étudie la formation et l’évolution des dernières écoles philosophiques, celle de la Contingence et l’école Pragmatiste, pour aboutir à une solution vaste et profonde du problème de la liberté de la volonté, dans un sens à la fois hautement spiritualiste et sévèrement rationnaliste. M. Paolo Savj-Lopez publie dans la même collection quelques études de lyrique ancienne, sous le titre Trovatori e Poeti.

Éditions de la Vita Letteraria

Un groupe de jeunes écrivains, critiques et poètes, pleins de hardiesse innovatrice, réunis autour du périodique romain la Vita Letteraria, publie des volumes de vers et de prose, où la pensée la plus jeune semble chercher éperdument ses rythmes adéquats, afin de former et de révéler une école poétique jeune et forte, digne de concentrer dans quelque grand effort si possible les esprits dispersés de la littérature nouvelle.

Parmi les publications de la Vita Letteraria, il faut citer : Anime vive e anime morte, de M. G. Darchini, Liriche, de M. A. Onofri, Canto delle Stagioni, de M. Ridolfo Peruzzi, Canto d’Autunno, de M. Francesco Margaritis, le Ore Mattutine, de M. Salvatore Giuliano, Ali in cielo, de M. Francesco Biondolillo.

Memento

M. Leo G. Sera réunit ses très importants essais sur Nietzsche, l’Origine de la Société, l’Amour, l’Aristocratique, Stendhal, la Morale, etc., sous le titre : Sulle traccie della vita, B. Lux éditeur, Rome. — La maison Ars Regia, de Milan, fait paraître la traduction italienne de l’œuvre si remarquable de W. Williamson, admirablement traduite par M. E. Ferraris : la Legge Suprema. — M. Guglielmo Policastro : Lo Stato d’anima de l’Italia contemporeana. Battiato, Catane. — B. Croce : Materialismo storico ed Economia Marxista. R. Sandron, Palerme. — G. Tarozzi : La Varietà infinita dei fatti e la libertà morale. R. Sandron, Milan. — R. Bracco : Teatro, vol. II. R. Sandron, Palerme. — Vincenzo Morello : La Flotta degli Emigranti. Soc. Tip. Ed. Nazionale, Turin. — Térésah : L’Altra riva, drame. Soc. tip. Ed. Nazionale. Turin. — Prof. A. Santi : Il Canzoniere di Dante, vol. II. E. Lœscher, Rome. — Luigi Grilli : Il Monito (pour la séparation de l’Église et de l’État en France). G. Donnini, Pérouse. — Fausto Salvatori : Terra Promessa. Fr. Treves, Milan. — Avv. Antonino Russo Ajello : Il Duello (secondo i prìncipi, la dottrina e la legislazione). S. Lapi, Città-di-Castello. — Antonio Favaro : Galileo e l’Inquisizione (Documents inédits). G. Barbera, Florence.

Échos.
La Mort de Pétrarque

Tome LXVII, numéro 239, 1er juin 1907 p. 573-576 [574-575].

La vieille légende très romantique qui entourait la mort de Pétrarque, et qui a perpétué, de siècle en siècle, la vision du poète mort dans la solitude de son cabinet de travail, la tête sur un volume d’Homère, vient d’être détruite par la critique scientifique moderne.

On a cru découvrir tout d’abord que si la tête du poète était tombée sur un livre, ce livre ne pouvait nullement être un poème d’Homère, mais qu’il s’agissait d’un manuscrit des Lettres de Cicéron. M. Léon Dorez pense en effet que Pétrarque est mort en travaillant à sa Vie de Cicéron, qui devait faire partie des Vies des Illustres. Une pièce de la Bibliothèque Nationale, et qui est précisément le manuscrit inachevé de la Vita Cæsaris, s’arrête sur un rappel du livre VIII des Lettres de Cicéron à Atticus. M. Léon Dorez est d’avis que « seul le manuscrit des Lettres de Cicéron que Pétrarque avait ouvert, ou qu’il s’apprêtait à ouvrir pour y chercher le livre VIII des Lettres à Atticus et continuer la rédaction définitive de la biographie du grand homme romain, pourrait, si on le retrouvait, disputer ce funèbre honneur au volume de la Bibliothèque nationale ».

Quelques critiques italiens nous affirment maintenant qu’on ne pourra jamais savoir sur quel livre est mort Pétrarque, car l’histoire de sa mort pendant le travail, dans son cabinet, où on ne le trouva que le lendemain, est, paraît-il, une pure légende.

M. E. Sicardi déclare que cette légende a été répandue, et peut-être inventée, par Messer Giovanni Manzini della Motta, chancelier de Galeas Visconti, et admirateur posthume de Pétrarque. M. Sicardi cite une lettre, publiée pour la première fois par M. A. Zardo, écrite par Dondi, le médecin et l’ami de Pétrarque, le lendemain de la mort du poète. On sait que Pétrarque, vieux et fatigué, souffrait d’une épilepsie avec des formes accentuées de catalepsie. Le médecin Dondi fait allusion à ce mal, en écrivant à un de ses collègues, à la date du 19 juillet 1374 : « La nuit malheureuse qui vient de passer, précédant le jour où je t’écris cette lettre, nous a enlevé l’illustre et admirable Francesco Petrarca, accablé, après quelques heures, par le genre de maladie par laquelle, si tu te souviens, nous le vîmes frappé il y a quelques années…, etc. »

Pétrarque, assisté probablement par son ami Dondi et par d’autres, n’a pu de toute façon mourir dans la solitude et au milieu du travail, quelques heures après avoir été nouvellement frappé par son terrible mal. Ainsi la légende funèbre séculaire du grand poète est détruite par l’histoire.