(1907) Articles du Mercure de France, année 1907 « Tome LXV, numéro 229, 1er janvier 1907 »
/ 77
(1907) Articles du Mercure de France, année 1907 « Tome LXV, numéro 229, 1er janvier 1907 »

Tome LXV, numéro 229, 1er janvier 1907

Histoire.
G. Ferrero : Grandeur et Décadence de Rome, t. IV : Antoine et Cléopâtre ; Plon-Nourrit

Tome LXV, numéro 229, 1er janvier 1907, p. 123-129 [123-126].

En même temps qu’il faisait son Cours du Collège de France, M. Guglielmo Ferrero publiait le t. IV de son histoire romaine : Antoine et Cléopâtre. Il comprend les événements qui se succèdent depuis la fin de la guerre de Pérouse jusqu’à la chute d’Alexandrie. Aux dernières pages de son précédent volume, où il a donné toute son importance à la figure d’Antoine, M. Ferrero nous montrait celui-ci méditant la mise à exécution de la dernière grande pensée de César : la conquête de la Perse. Seul celui qui accomplirait cette conquête serait assez puissant pour dominer les événements, et faire sortir quelque chose de la dissolution où les guerres civiles et le gouvernement violent et stérile du triumvirat avaient jeté le monde romain. L’historien continue presque exclusivement de ce point de vue l’étude du rôle d’Antoine. Le roman d’amour avec Cléopâtre passe au second plan. Antoine avait avant tout besoin de l’énorme trésor des Lagides pour ses ambitieux projets en Perse. Il y eut d’abord entre le triumvir et la reine d’Égypte une association d’intérêts politiques.

On vient de voir en quoi ils consistaient pour Antoine. Du côté de Cléopâtre, il s’agissait d’affermir un trône doublement menacé, à l’extérieur par la domination romaine, à l’intérieur par de nombreux mécontentements. L’historien insiste sur ce dernier fait, qu’il rapporte d’après Dion Cassius, et qui lui paraît expliquer toute la conduite de Cléopâtre. Le « coup de foudre » initial, sur le Cydnus, est une belle chose ; mais M. Ferrero, qui a déjà écarté bien des explications simplistes, n’était pas homme à se contenter de celle-ci non plus, qui lui semble avoir été inventée « pour cacher une lutte beaucoup plus sérieuse d’intérêts politiques ». Du traité de Brindes jusqu’à l’accord de Tarente, période remplie par les premières phases de la lutte entre Octave et Antoine, celui-ci, constate M. Ferrero, « vécut trois années loin de Cléopâtre ». Il pouvait donc se passer d’elle. « Et il revenait à elle, qui était la reine du seul pays d’Orient que les guerres civiles n’eussent pas encore ruiné, au moment où il avait pour son entreprise un si grand besoin d’argent qu’il était obligé de céder une partie de sa flotte à son collègue. »

Les conséquences de ce retour furent essentiellement politiques. Elles apparaissent comme le développement d’un plan conçu par Antoine bien avant même sa première rencontre avec Cléopâtre ; d’un plan conçu, en tant qu’héritier politique de César, par un homme qui pouvait à bon droit s’attribuer cette qualité. Ce n’est point par passion seulement qu’Antoine alors épousa Cléopâtre et devint quelque chose comme un monarque asiatique. Maître des provinces orientales du domaine romain par le traité de Brindes (où est indiquée pour la première fois la division en empire d’Orient et en empire d’Occident), il voulait, en vue de sa future conquête de la Perse, reconstituer l’empire d’Alexandre, avec un royaume égyptien pour centre et avec Alexandrie, où se trouvait le trésor des Lagides, alors le plus vaste du monde ancien, pour capitale. Enfin le but dernier de tout cela était la prépondérance à Rome même. Les donations territoriales faites à Cléopâtre font partie de ce plan. Elles sont un pas vers le grand royaume égyptien. Et, chose significative, les donations datent du mariage d’Antoine avec la reine d’Égypte. (Voir là-dessus la note de la page 96.) M. Ferrero s’est appuyé, ici, sur l’autorité de Letronne, Égypte grecque et romaine, dont l’explication, complétée par les développements de Kromayer, lui paraît décisive, et « une des plus importantes découvertes concernant l’histoire de cette époque. Elle seule nous permet d’expliquer la grande énigme qu’est la bataille d’Actium ».

C’est, en effet, l’idée de cet empire égyptien, idée impliquant la possibilité de continuer là-bas la lutte contre Octave dans des conditions avantageuses, qui décida Antoine à la retraite sur l’Égypte, retraite d’où résulta la bataille d’Actium. Idée fausse sous le rapport stratégique, idée venue de Cléopâtre, qui, elle, était bien dans son rôle, tandis qu’Antoine n’y était pas du tout, ni, d’une façon générale, comme Romain, ni, dans l’événement même, comme général, dont les conceptions politiques influencèrent désastreusement la tactique. Il est probable, d’ailleurs, qu’une certaine part doit être faite, ici, dans cette dernière période de la lutte d’Antoine contre Octave, au côté passionnel, et que si l’amour n’eut assurément pas le premier mot, ni même l’avant-dernier, il eut le dernier. Car on ne peut expliquer que par les effets d’une passion dégénérée l’acceptation d’un plan de retraite qui, dans la situation nullement désespérée, avantageuse même, de l’armée d’Antoine sur le promontoire d’Actium, était une pure absurdité.

La Cléopâtre de M. Ferrero est une ambitieuse intelligente qui fait servir les séductions de la femme à la réalisation de ses projets. Antoine, digne d’ailleurs de l’immense situation que lui a faite le traité de Brindes, laisse grandir dans sa conduite la contradiction qui résulte pour lui de sa double situation de potentat oriental et de magistrat romain ; cela, jusqu’au jour où, faussant définitivement ses calculs, et d’ailleurs maître de ses sens aussi bien que de sa tête, l’orientalisme jette Antoine à l’incroyable défaillance d’Actium. Octave, mis en possession de l’héritage du monde, se trouve en présence d’un grand problème politique et social, dont M. Ferrero a indiqué les principales données dans son cours du Collège de France et qui sera l’objet de son prochain volume.

À l’exposé des faits, qui permet particulièrement d’apprécier la laborieuse érudition de l’historien, se mêlent, selon le procédé habituel de M. Ferrero, les tableaux de mœurs et surtout les évaluations d’éléments sociaux d’où cette nouvelle histoire romaine tire son intérêt le plus important et le plus nouveau.

Les Revues.
Poesia : Des vers de M. Henry Ghéon, le seul poète qui écrive avec une épingle

Tome LXV, numéro 229, 1er janvier 1907, p. 143-147 [146-147].

Poesia (juillet-août-septembre) publie parmi tant de poèmes excellents, meilleurs et pires, des Epigrammes de M. Henri Ghéon. On conte que Victor Hugo écrivait volontiers avec un bout d’allumette qu’il taillait. M. Henri Ghéon doit se servir d’une épingle pour écrire, à moins qu’il ne pense par points ou ne tende vers cet idéal : ton vers monosyllabique, ô Amédée Pommier ! Jusqu’à présent, le vers composé de deux syllabes formant un mot ou deux, attire singulièrement M. Henri Ghéon. Il mesure sa poésie essentielle au compte-gouttes. Le résultat étonne et attriste. C’est très japonais.

SUR UNE ROSE

Près d’un thuya dentelé
une rose violette.
Une seule rose,
sa ronce la berce.
Un pinson se pose,
pèse,
léger…
Le pliant rosier
baise
la terre…
… De la bouche de sa rose
parmi les fraises
pâmée…
Au thuya se perd
l’oiseau…
Il fait beau.
Et la fleur qui se redresse
le sait.

Musées et collections.
Luini au Musée Brera

Tome LXV, numéro 229, 1er janvier 1907, p. 161-166 [165].

Le Musée Brera à Milan va s’enrichir de seize nouvelles fresques de Luini qui ornaient le palais royal de Milan. Dans le but d’en faciliter l’étude, le roi d’Italie a décidé que ces peintures, provenant de la villa Pelucca, près de Monza, seraient transportées dans la galerie pour y être réunies aux autres fragments du même ensemble qu’elle possédait déjà. Alors que fréquemment ailleurs on se montre insensible à la mutilation et à l’éparpillement de l’œuvre d’un maître, cette décision est d’un heureux exemple.