(1772) De l’art de la comédie. Livre premier. De ses différentes parties (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE PREMIER. Du Choix d’un Sujet. » pp. 25-38
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(1772) De l’art de la comédie. Livre premier. De ses différentes parties (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE PREMIER. Du Choix d’un Sujet. » pp. 25-38

CHAPITRE PREMIER.
Du Choix d’un Sujet.

Tous les sujets sont bons entre les mains d’un habile homme : propos absurde, que j’ai souvent entendu tenir à ces petits tyrans du Parnasse, qui s’érigent en censeurs, parcequ’ils ont enfanté avec peine quelques vers insipides ; à des hommes du bel air, qui vont réguliérement tous les jours à la Comédie, mais qui n’en connoissent que les foyers & les actrices ; enfin à de jolies femmes qui, occupées pour la plupart de l’art de la toilette, n’ont jamais réfléchi sur aucun autre.

La façon de penser des beaux esprits & des élégants ne tire point à conséquence. Le jugement des premiers est suspect dans le monde ; les autres n’ont le droit de décider définitivement que sur les modes. Mais comme, dans ce siecle charmant, tout est soumis au tribunal des Dames, qu’elles font sur-tout le sort des ouvrages de génie, & qu’il importe beaucoup à la république des lettres que le plus grand nombre ait des idées vraies, justes & dignes de ce goût fin, délicat & naturel que le beau sexe a reçu en partage, je me contenterai de faire remarquer aux Dames qui seront en ceci d’un avis contraire au mien, qu’il faut bien moins d’adresse pour présider à la parure d’une femme jeune & jolie, qu’à celle d’une vieille : & elles se récrieront, sur-tout si elles sont parées des fleurs de la beauté & de la jeunesse ; il a raison : Madame une telle, par exemple, est un sujet ingrat, que l’art de trois Marthons des mieux stylées ne sauroit embellir ; elle est toujours d’une laideur amere : si ! c’est une horreur !

Un jeune homme, maîtrisé par la soif de la gloire, pressé du desir de travailler, saisit le premier sujet qui se présente à son imagination échauffée, & ne se couche qu’après avoir jetté sur le papier le premier acte de sa piece. A mesure qu’il travaille, la sécheresse, l’ingratitude de son sujet font naître mille difficultés, qu’il est besoin de vaincre ou d’écarter l’une après l’autre : de là ces scenes tout-à-fait décousues ou préparées avec effort ; de là ces expositions continuelles ; de là ces pieces monstrueuses, qui, quoique remplies de ces écarts de l’esprit, de ces traits de lumiere qui décelent de grands talents aux yeux des connoisseurs, déplaisent cependant au grand nombre, & se voient sacrifiées, avec quelque justice, à ces drames sans feu, sans imagination, & qui ne doivent tout leur mérite qu’au choix heureux d’un sujet pris dans un roman.

Persuadons-nous bien qu’il est beaucoup plus difficile de tirer un parti très médiocre d’un mauvais sujet, que de faire une excellente piece d’un sujet passable. Pour nous convaincre de cette grande vérité, supposons quelqu’un qui connoisse tout Moliere 6, excepté son Dépit Amoureux ; & mettons sous ses yeux les scenes les plus belles de cette comédie. Il seroit trop long de les rapporter en entier ; n’en donnons donc que l’extrait, de façon cependant à faire connoître tout leur piquant.

ACTE I. Scene III.

Eraste & Valere sont amoureux de Lucile. Eraste en est aimé ; Valere se flatte de l’être, parcequ’Ascagne, sœur de Lucile, que tout le monde croit un garçon, l’a épousé en secret dans l’obscurité, sous le nom de Lucile. Les deux rivaux se rencontrent, se raillent mutuellement ; chacun veut prouver à son adversaire qu’il est le favorisé. Eraste, pour prouver que c’est lui, montre un billet qu’il vient de recevoir. Il est conçu en ces termes :

 Vous m’avez dit que votre amour
 Etoit capable de tout faire :
Il se couronnera lui-même dans ce jour,
 S’il peut avoir l’aveu d’un pere.
Faites parler les droits qu’on a dessus mon cœur,
 Je vous en donne la licence ;
 Et, si c’est en votre faveur,
Je vous réponds de mon obéissance.

Eraste croit que son rival va se pendre ; point du tout. La fausse Lucile lui a fait promettre qu’il ne s’alarmeroit pas des feintes marques d’amitié qu’elle donneroit à Eraste ; aussi, loin d’être piqué du billet qu’on lui montre, il fait un grand éclat de rire, sort d’un air triomphant, & jette par là dans le plus grand désespoir celui qui vouloit le désespérer lui-même.

ACTE I. Scene IV.

Eraste & son valet Gros René apperçoivent Mascarille, domestique de Valere ; ils veulent apprendre de lui si son Maître a effectivement sujet d’être content de ses amours. Ils feignent, pour savoir la vérité, de renoncer, l’un à Lucile, l’autre à Marinette. Mascarille, dupe de l’artifice d’Ascagne, & de la fausse confidence d’Eraste, lui dit qu’il a très bien fait de se guérir de sa malheureuse passion.

Certes, vous me plaisez avec cette nouvelle.
Outre qu’en nos projets je vous craignois un peu,
Vous tirez sagement votre épingle du jeu.
Oui, vous avez bien fait de quitter une place
Où l’on vous caressoit pour la seule grimace ;
Et mille fois, sachant tout ce qui se passoit,
J’ai plaint le faux espoir dont on vous repaissoit.
On offense un brave homme alors que l’on l’abuse.
Mais d’où diantre, après tout, avez-vous su la ruse ?
Car cet engagement mutuel de leur foi
N’eut pour témoin, la nuit, que deux autres & moi ;
Et l’on croit jusqu’ici la chaîne fort secrete,
Qui rend de nos amants la flamme satisfaite.

Eraste, furieux, ne doute plus de son malheur. Il veut battre Mascarille, qui prend vîte la fuite en voyant que

 Sa langue, en cet endroit,
A fait un pas de clerc, dont elle s’apperçoit.

Scene VI.

Eraste est encore dans le trouble le plus grand en croyant sa maîtresse infidelle, quand Marinette vient lui donner, de sa part, un rendez-vous pour le soir même. Eraste, outré, déchire, aux yeux de la soubrette, l’écrit de la maîtresse, & sort : son valet le suit, en donnant toutes les femmes au diable ; & Marinette, surprise avec raison, s’écrie :

Ma pauvre Marinette, es-tu bien éveillée ?
De quel démon est donc leur ame travaillée ?
Quoi ! faire un tel accueil à nos soins obligeants !
O, que ceci chez nous va surprendre les gens !

On doit s’appercevoir comme ces scenes contrastent bien ensemble, comme elles s’enchaînent naturellement, comme elles se prêtent l’une à l’autre du comique, comme elles s’animent mutuellement. Passons à quelques autres.

ACTE II. Scene II.

Valere se trouve avec Ascagne, cette personne qu’il a épousée dans l’obscurité, en croyant s’unir avec Lucile. Elle lui dit que si elle étoit fille, son bonheur seroit de lui plaire. Valere rit du compliment, parcequ’il croit Ascagne un homme, & le prie de parler toujours en sa faveur à Lucile. Ascagne, embarrassée par une pareille commission, dit à son amant :

J’ai l’esprit délicat plus qu’on ne peut penser,
Et le moindre scrupule a de quoi m’offenser,
Quand il s’agit d’aimer ; enfin je suis sincere.
Je ne m’engage point, à vous servir, Valere,
Si vous ne m’assurez au moins, absolument,
Que vous avez pour moi le même sentiment ;
Que pareille chaleur d’amitié vous transporte,
Et que si j’étois fille, une flamme plus forte
N’outrageroit point celle où je vivrois pour vous.

Valere, étonné de ce scrupule jaloux, promet tout ce qu’Ascagne veut, & sort.

Scene III.

Ascagne est enchantée de la promesse de Valere, quand sa joie est troublée par l’arrivée de Lucile, qui, outrée des mauvais procédés d’Eraste, vient s’en plaindre à Ascagne, qu’elle croit toujours son frere, & lui apprend qu’elle veut désormais chérir Valere. On comprend dans quel trouble cette nouvelle résolution jette Ascagne, qui s’écrie :

Ah, ma sœur ! si sur vous je puis avoir crédit,
Si vous êtes sensible aux prieres d’un frere,
Quittez un tel dessein, & n’ôtez point Valere
Aux vœux d’un jeune objet dont l’intérêt m’est cher,
Et qui, sur ma parole, a droit de vous toucher.
La pauvre infortunée aime avec violence ;
A moi seul de ses feux elle fait confidence,
Et je vois dans son cœur des tendres mouvements
A dompter la fierté des plus durs sentiments.
Oui, vous auriez pitié de l’état de son ame,
Connoissant de quel coup vous menacez sa flamme ;
Et je ressens si bien la douleur qu’elle aura,
Que je suis assuré, ma sœur, qu’elle en mourra,
Si vous lui dérobez l’amant qui peut lui plaire.
Eraste est un parti qui peut vous satisfaire.

Lucile demande qu’on la laisse rêver à ce qu’elle doit faire ; Ascagne sort, la tristesse dans l’ame.

Scene VII.

Albert fait venir Métaphraste, précepteur d’Ascagne, pour lui demander quel est l’ennui secret de son éleve ; le pédant le désole en lui crachant sans cesse du latin, & en l’interrompant continuellement, sans lui donner le temps de dire deux mots de suite.

ACTE III.

Albert, en faisant élever, sous l’habit de garçon, Ascagne, qu’il croit un enfant supposé, frustre d’un bien considérable Polidore, pere de Valere. D’un autre côté Polidore, ayant appris que Valere avoit épousé secrètement la fille d’Albert, lui fait demander une entrevue. Albert frémit que ce ne soit pour lui reprocher sa fourberie. Les deux vieillards s’abordent en tremblant, en se demandant mutuellement pardon, en se priant de n’avoir aucun ressentiment de ce qui s’est passé, & de ne pas faire éclater la chose ; ils se mettent à genoux l’un devant l’autre, & filent le quiproquo le plus plaisant ; mais Albert sort d’un trouble pour tomber dans un plus grand, quand Polidore lui dit que Valere a séduit sa fille Lucile.

Scene IX.

Lucile, très innocente de la foiblesse dont on l’accuse, nie hardiment ; Valere demande à la confondre devant Albert. Elle est outrée qu’on ose seulement l’accuser, se récrie sur une pareille insolence. Mascarille augmente sa colere, en l’exhortant plaisamment à tout avouer.

 Hé, Madame, de grace !
A quoi bon maintenant toute cette grimace ?
Quelle est votre pensée ? & quel bourru transport
Contre vos propres vœux vous fait roidir si fort ?
Si Monsieur votre pere étoit homme farouche,
Passe : mais il permet que la raison le touche ;
Et lui-même m’a dit qu’une confession
Vous va tout obtenir de son affection.
Vous sentez, je crois bien, quelque petite honte
A faire un libre aveu de l’amour qui vous domte.
Mais, s’il vous a fait prendre un peu de liberté,
Par un bon mariage on voit tout rajusté ;
Et, quoi que l’on reproche au feu qui vous consomme,
Le mal n’est pas si grand que de tuer un homme.
On sait que la chair est fragile quelquefois,
Et qu’une fille enfin n’est ni caillou ni bois.
Vous n’avez pas été sans doute la premiere,
Et vous ne serez pas, que je crois, la derniere.

Lucile répond par un soufflet, & sort.

ACTE IV. Scene IV.

Enfin arrive cette scene divine, cette scene inimitable, qui mériteroit d’être rapportée ici mot à mot, si nous ne la réservions pour la comparer, quand il en sera temps, avec la scene italienne dont elle est imitée. Eraste & Lucile, piqués l’un contre l’autre, y jurent de n’écouter que leur dépit, & de rompre. Ils se rendent mutuellement les présents qu’ils se sont faits, déchirent les lettres qu’ils se sont écrites, promettent de ne plus se voir, finissent par se raccommoder, par s’aimer davantage : & toutes les personnes qui ont eu le cœur tendre s’écrient, en voyant exécuter cette scene, ou en la lisant, voilà comme on aime ! voilà la nature elle-même7 !

Le précis seul de ces scenes suffit pour en faire connoître la beauté, la force, la variété du comique. Ajoutons qu’il y a encore dans cette piece dix scenes qui, sans être de la même vigueur, sont cependant extrêmement plaisantes. Celle, par exemple, où Marinette & Gros René parodient le dépit & le raccommodement de leurs maîtres ; celle où le pédant, entraîné par la fureur de babiller, parle un quart d’heure tout seul pour déclamer contre le sort qui ne lui permet pas d’ouvrir la bouche, de desserrer les dents ; celle où Valere, cherchant à découvrir si Mascarille a révélé ses secrets à son pere, lui dit qu’il voudroit connoître l’honnête homme qui lui a rendu ce service, pour l’en récompenser ; celle encore où les vieillards, instruits du véritable sexe d’Ascagne, disent à Valere qu’il ne connoît pas la valeur d’un pareil adversaire, & feignent de trembler pour lui dans le combat singulier qu’ils doivent faire ensemble pour vuider leurs différends ; plusieurs autres enfin qu’il seroit trop long de rapporter. L’homme que nous avons supposé ne manquera pas de s’écrier que le Dépit Amoureux est une des plus belles pieces de Moliere, puisqu’il en est peu où l’on trouve un si grand nombre de beautés ; & il sera tout étonné quand on lui dira que c’est une des moins bonnes. Il sera aisé de le faire revenir de sa surprise, en le faisant réfléchir un peu sur le fond du sujet. J’ai eu soin d’extraire les premieres scenes, de façon à faire voir aisément combien il est vicieux, puisqu’il manque de vraisemblance.

Comment se peut-il que rien n’ait dévoilé le véritable sexe d’Ascagne aux yeux de sa sœur, de son précepteur, de son pere ? Comment Valere a-t-il pu épouser, en présence de trois témoins sur-tout, Ascagne pour Lucile ? Comment a-t-il pu s’y méprendre plusieurs nuits de suite ? L’Amour porte un bandeau, d’accord ; mais il sait lorgner à travers. D’ailleurs Valere est époux, & l’Hymen pese mieux les circonstances que son frere. De ce premier défaut sont nés tous ceux qu’on voit dans la piece, & qui feront toujours reprocher à l’Auteur d’avoir employé de si bons matériaux pour remplir un sujet ingrat, puisqu’il péchoit contre la premiere des regles, la vérité.

Il seroit bon qu’un sujet de comédie fût tout à la fois intéressant, comique & moral ; cependant il seroit ridicule de rejetter celui qui ne réuniroit pas ces trois qualités, comme nous le prouverons ailleurs ; mais il faut de toute nécessité qu’il soit vraisemblable. On a comparé les ouvrages dénués de vraisemblance, quelque brillants qu’ils paroissent d’abord, à ces nuages qui, vus de loin, imitent une longue chaîne de hautes montagnes, & ne sont de près qu’un amas de vapeurs. On a dit encore que le mensonge est dans les arts ce que les monstres sont dans la nature ; ils ne sauroient se perpétuer : rien n’est plus vrai. Mais si les monstres littéraires ne se perpétuent pas, il en naît très souvent ; cela n’est-il pas égal ?

Je me flatte d’avoir suffisamment prouvé, par le Dépit Amoureux, que si le pere du Tartufe n’a pu faire qu’une mauvaise piece d’un mauvais sujet, les jeunes Auteurs ne doivent pas avoir la vaine présomption de se croire plus adroits. Mettons donc tout notre soin, toute notre étude à chercher un sujet vrai & fécond par lui-même. Bien des personnes vous diront qu’il en est mille ; ne les croyez pas. Quelques autres vous assureront qu’il n’y en a plus ; n’en croyez rien encore. J’aimerois autant dire que la nature s’est épuisée sur la forme des visages. Nos prédécesseurs ont rendu les sujets très rares à la vérité ; ils se sont emparés des plus saillants ; mais nous ne devons pas nous décourager, graces à la folie des hommes qui paroît de temps en temps sous des formes nouvelles.

Fouillons dans les Nouvelles Espagnoles ; elles sont fécondes en intrigues. Lisons les Romans Anglois ; on y trouve des caracteres fortement dessinés. Pour mieux dire, voyons, s’il est possible, tout ce qui nous tombe sous la main. Un homme de génie apperçoit quelquefois des richesses comiques dans les livres qui, par leur nature, paroissent devoir en fournir le moins. D’Ancourt a pris son Mari retrouvé dans les Causes Célebres. Dufresny a puisé son Mariage fait & rompu dans la même source. La Chaussée a trouvé sa Mélanide dans un roman intitulé les Mémoires de Mademoiselle Bontems. Je le répete, lisons tout, excepté nos modernes Romanciers : depuis qu’ils se plaisent à s’égarer dans les tombeaux les plus noirs, Thalie ne fait pas fortune avec eux. Faisons jaser les femmes-de-chambre, les Chirurgiens, les Médecins, les... toutes les personnes enfin qui, par état, sont à portée de connoître l’intérieur des maisons, & les secrets soigneusement cachés au reste des hommes.

Saisissons avec empressement tout ce qui se présentera dans nos sociétés sous un aspect moral & comique ; mais gardons-nous bien d’imaginer que toute aventure qui nous a déridés en passant, doive également amuser le public. Sachons distinguer celles qui sont faites pour intéresser le général, d’avec celles qui, par leur nature, ou les circonstances, ne peuvent qu’affecter les personnes intéressées.

On est à la campagne : un plaisant fait une espiéglerie à quelqu’un de la compagnie ; les autres s’écrient : Ah ! que cela est comique ! Mais, mais, voilà qui est du dernier plaisant ! il y a de quoi pâmer. Savez-vous que cela pourroit faire une bonne comédie ? mais très bonne ! excellente ! délicieuse ! D’après cet oracle, le bel esprit de la société trace le plan, chacun y met quelque détail ; le précepteur de l’enfant de la maison transcrit ce qu’on appelle une piece, & s’admire : les auteurs la jouent ; vous jugez bien qu’ils la trouvent divine, c’est le mot, & digne de paroître sur le Théâtre François. On y cabale avec l’acteur qui doit jouer le beau rôle ; on réussit à l’y faire représenter ; les protecteurs louent des loges, rient beaucoup, & applaudissent encore davantage. Le public au contraire qui n’est pas du secret, & qui n’entend pas finesse à ce qu’on lui dit, commence par bâiller, & finit par huer. Les protecteurs & le public ont raison.

Consultons les hommes célebres de notre siecle. Plus ils auront de mérite, plus ils se feront un plaisir de nous communiquer leurs lumieres. Lisons avidement leurs écrits. M. de Marmontel nous indique, dans sa Poétique, six sujets de comédie : le Défiant, le Misanthrope par air, le Fat modeste, le petit Seigneur, le faux Magnifique, l’Ami de Cour. Voilà une grande découverte. Cependant, avant de vous déterminer sur le choix, voyez quel est celui de ces sujets qui peut vous fournir plus de richesses, dont vous pouvez tirer des situations plus frappantes ; pesez bien la portion comique & morale que vous pouvez puiser dans chacun d’eux. Comme ces six titres annoncent six pieces à caractere, nous ne les analyserons que lorsqu’il sera question du choix & de la distinction des caracteres.

Je le répete, du choix du sujet dépend la chûte ou le succès d’une piece. Que l’exemple de Moliere nous fasse trembler. Il est impossible de tirer de l’or d’une mine qui ne produit que du plomb ; encore le produit est-il plus ou moins avantageux, à raison de la richesse de la mine, & de la facilité avec laquelle on peut l’exploiter.

Après que l’Auteur s’est déterminé pour un sujet, qu’il a mesuré son étendue, qu’il a pesé sa juste valeur, il doit voir s’il peut se flatter de faire rire les hommes en les corrigeant, ou s’il est contraint de se borner à les faire rire. Il semble donc que nous devrions parler, à la suite de ce Chapitre, du but comique & moral ; mais nous réserverons cette matiere pour le volume où il sera question du genre des pieces. Occupons-nous présentement de l’état, de la fortune, de l’âge, du rang, du nom des personnages.