(1772) De l’art de la comédie. Livre premier. De ses différentes parties (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE XII. Des Scenes. » pp. 223-249
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(1772) De l’art de la comédie. Livre premier. De ses différentes parties (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE XII. Des Scenes. » pp. 223-249

CHAPITRE XII.
Des Scenes.

L’art de filer une scene m’a toujours paru si difficile, & de si grande conséquence, que j’aurois cru trouver des réflexions très étendues sur une partie aussi essentielle, chez tous ceux qui ont traité avant moi de l’art dramatique : j’ai été bien frustré dans mon attente ; & l’Abbé d’Aubignac lui-même, qui a eu soin de répéter tout ce qu’on a dit avant lui, & qui a consacré le septieme chapitre de sa Pratique du Théâtre aux scenes, se borne à nous instruire de l’étymologie de leur nom.

Il nous apprend que le mot de scene, en sa propre signification, ne veut dire qu’un couvert de branchage fait par artifice, d’où même la fête des Tabernacles des Juifs a pris son nom de Scenopegia ; & encore certain peuple d’Arabie celui de Scenites. Il ajoute que quelquefois le mot Scene signifie un ombrage naturel de quelque antre, ou quelque autre lieu sombre & solitaire, comme Virgile le prend dans l’Enéide, l. 1.

                                                                Tum silvis scena coruscis
Desuper, horrentique atrum nemus imminet umbrâ.

L’Abbé d’Aubignac part de là pour nous apprendre que les premiers comédiens ayant autrefois joué sous la ramée, le nom de scene fut donné à tous les lieux où l’on représentoit la comédie. Toutes ces recherches sont très savantes ; mais tâchons de dire quelque chose qui ait rapport aux scenes mêmes, & non à leur nom.

Tous les connoisseurs regardent chaque scene d’une comédie comme autant de petites pieces qui, liées & réunies ensemble, composent un poëme dramatique en un ou plusieurs actes. D’après cela, il est aisé de conclure que chaque scene un peu essentielle doit, pour être bonne, avoir, comme la piece entiere, son commencement, son milieu & sa fin.

Personne n’est, je crois, assez ignorant pour penser que j’entends par le commencement d’une scene sa premiere ligne, par la fin, sa derniere, & par le milieu, celle qui est à égale distance de la premiere & de la derniere. Si la scene n’avoit pas des regles plus difficiles, les Auteurs brilleroient à peu de frais, & il leur seroit aussi impossible d’en faire de mauvaises, qu’il est rare d’en produire de bonnes. J’ai voulu dire que toute scene, pour être bien faite, doit avoir, comme une comédie entiere, son exposition, son intrigue, son dénouement. Appliquons à cette maxime un exemple pris dans Moliere, & choisissons une scene qui, peu fameuse par elle-même, ne laisse pas imaginer qu’un très petit nombre seulement ont les qualités dont je viens de parler.

Je donne la préférence à la cinquieme scene du premier acte de l’Ecole des Maris.

Valere.

Ergaste, le voilà cet argus que j’abhorre,
Le sévere tuteur de celle que j’adore.
. . . . . . . . .
. . . . . . . . .
Je voudrois l’accoster, s’il est en ma puissance,
Et tâcher de lier avec lui connoissance.
  . . . . . . . .
 Il faut chez lui tâcher de m’introduire.

Voilà l’exposition faite. Nous savons quels sont les projets de l’amant, quelles sont ses vues dans la scene qu’il aura avec Sganarelle, & nous sommes bien aises de voir d’abord comment il s’y prendra pour venir à bout de ses desseins. Passons à l’intrigue.

Sganarelle, entendant quelque bruit.

(Se croyant seul.)
Hé ! j’ai cru qu’on parloit. Aux champs, graces aux cieux,
Les sottises du temps ne blessent point mes yeux.

Ergaste, à Valere.

Abordez-le.

Sganarelle, entendant encore du bruit.

Plaît-il ?
(N’entendant plus rien.)
Les oreilles me cornent.
(Se croyant seul.)
Là, tous les passe-temps de nos filles se bornent....
(Il apperçoit Valere qui le salue.)
Est-ce à nous ?

Ergaste, à Valere.

Approchez.

Sganarelle, sans prendre garde à Valere.

Là, nul godelureau....

Voilà l’intrigue que le Poëte commence à filer, & elle intéresse davantage le spectateur. Les soins que Sganarelle prend pour se débarrasser des godelureaux, font craindre pour Valere. Voyons s’il réussira : suivons-le pas à pas.

(Valere le salue encore).
Ne vient.... Que diable !....
Il se tourne, & voit Ergaste qui le salue de l’autre côté.)
Encore ! que de coups de chapeau !

Valere.

Monsieur, un tel abord vous interrompt peut-être ?

Sganarelle.

Cela se peut.

Valere.

Mais, quoi ! l’honneur de vous connoître
M’est un si grand bonheur, m’est un si doux plaisir,
Que de vous saluer j’avois un grand desir.

Sganarelle.

Soit.

Valere.

Et de vous venir, mais sans nul artifice,
Assurer que je suis tout à votre service.

Sganarelle.

Je le crois.

Valere.

J’ai le bien d’être de vos voisins,
Et j’en dois rendre grace à mes heureux destins.

Sganarelle.

C’est bien fait.

Valere.

Mais, Monsieur, savez-vous les nouvelles
Que l’on dit à la cour, & qu’on tient pour fidelles ?

Sganarelle.

Que m’importe ?

Valere.

Il est vrai ; mais pour les nouveautés
On peut avoir par fois des curiosités.
Vous irez voir, Monsieur, cette magnificence
Que de notre Dauphin prépare la naissance ?

Sganarelle.

Si je veux.

Valere.

Avouons que Paris nous fait part
De cent plaisirs charmants qu’on n’a point autre part :
Les provinces auprès sont des lieux solitaires.
A quoi donc passez-vous le temps ?

Sganarelle.

A mes affaires.

Valere.

L’esprit veut du relâche, & succombe par fois,
Par trop d’attachement aux sérieux emplois.
Que faites-vous les soirs avant qu’on se retire ?

Sganarelle.

Ce qui me plaît.

L’intrigue est dans sa crise. Nous admirons l’adresse de Valere, nous nous intéressons à lui ; mais les réparties brusques de Sganarelle nous alarment. Le coup décisif va se porter : poursuivons.

Valere.

Sans doute on ne peut pas mieux dire.
Cette réponse est juste : & le bons sens paroît
A ne vouloir jamais faire que ce qui plaît.
Si je ne vous croyois l’ame trop occupée,
J’irois par fois chez vous passer l’après-soupée.

Sganarelle.

Serviteur.

Valere nous a fait voir, dans l’exposition, qu’il avoit dessein de s’introduire chez Sganarelle ; l’intrigue ne nous a pas écartés de cette idée, & nous a intéressés au succès. Dès que le vieux bourru s’apperçoit du dessein de son rival, il le quitte brusquement, en lui disant, serviteur. Ce seul mot dénoue la scene, puisqu’il ne laisse plus rien à espérer pour Valere de ce côté.

Il y a, à dire vrai, des scenes excellentes qui, lues séparément, n’offrent au Lecteur ni exposition, ni dénouement ; mais elles n’ont pas moins l’une & l’autre de ces parties essentielles. La cinquieme scene du quatrieme acte de l’Imposteur est dans ce cas. Elmire engage Tartufe à se démasquer, tandis qu’Orgon est caché sous la table ; mais elle nous a exposé son dessein dans la scene précédente, en disant :

Je vais, par des douceurs, puisque j’y suis réduite,
Faire poser le masque à cette ame hypocrite,
Flatter de son amour les desirs effrontés,
Et donner un champ libre à ses témérités.

Le dénouement de cette scene n’est que dans la septieme, lorsque Tartufe, voulant couronner son ingratitude envers son bienfaiteur, l’embrasse au lieu d’embrasser sa femme. J’aurai occasion de rapporter cette scene dans la suite ; & c’est par économie que je differe.

Les scenes de cette derniere espece ont un grand avantage : elles servent à faire desirer au spectateur celles qu’elles annoncent, & celles qui doivent les dénouer. Il en est cependant qui servent encore davantage au drame, puisqu’elles donnent plus de rapidité, plus de ressort, plus de mouvement à l’action. Ce sont celles qui, dénouant une scene précédente, ont ensuite elles-mêmes une petite exposition, une légere intrigue, & se dénouent en exposant & en faisant desirer d’autres scenes. Telle est celle que je viens de citer, & que j’ai promis de rapporter lorsque j’aurois multiplié les raisons pour cela.

ACTE IV. Scene VII.

Tartufe, sans voir Orgon.

Tout conspire, Madame, à mon contentement.
J’ai visité de l’œil tout cet appartement :
Personne ne s’y trouve ; & mon ame ravie....
(Dans le temps qu’il s’avance, les bras ouverts, pour embrasser Elmire, elle se retire : il apperçoit Orgon.)

Orgon, arrêtant Tartufe.

Tout doux, vous suivez trop votre amoureuse envie,
Et vous ne devez pas vous tant passionner.
Ah ! ah ! l’homme de bien, vous m’en vouliez donner !
Comme aux tentations s’abandonne votre ame !
Vous épousiez ma fille, & convoitiez ma femme !
J’ai douté fort long-temps que ce fût tout de bon,
Et je croyois toujours qu’on changeroit de ton ;
Mais c’est assez avant pousser le témoignage,
Je m’y tiens, & n’en veux, pour moi, pas davantage.

Elmire, à Tartufe.

C’est contre mon humeur que j’ai fait tout ceci ;
Mais on m’a mise au point de vous traiter ainsi.

Voilà les scenes précédentes dénouées, puisqu’Elmire est venue à bout de démasquer Tartufe aux yeux de son époux, comme elle l’avoit projetté. Tartufe parle ; écoutons.

Tartufe, à Orgon.

Quoi ! vous croyez...

Tartufe veut tenter de se justifier. Y réussiroit-il encore ? Nous n’en savons rien : nous brûlons de le voir. Voilà une petite intrigue qui commence à se lier, qui sera moins filée que celles que j’ai déja citées, parcequ’il le faut, par des raisons que je dirai bientôt, mais qui ne laisse pas d’en être une.

Orgon.

Allons, point de bruit, je vous prie ;
Dénichons de céans, & sans cérémonie.

Tartufe.

Mon dessein....

Orgon.

Ces discours ne sont plus de saison.
Il faut tout sur le champ sortir de la maison.

Nous voilà rassurés : Orgon a tranché court à l’intrigue, & Tartufe ne pourra pas réussir dans le projet qu’il avoit annoncé. Il va nous alarmer encore ; écoutons-le.

Tartufe.

C’est à vous d’en sortir, vous qui parlez en maître :
La maison m’appartient, je le ferai connoître,
Et vous montrerai bien qu’en vain on a recours,
Pour me chercher querelle, à ces lâches détours ;
Qu’on n’est pas où l’on pense, en me faisant injure ;
Que j’ai de quoi confondre & punir l’imposture,
Venger le ciel qu’on blesse, & faire repentir
Ceux qui parlent ici de me faire sortir.

Ai-je tort de dire que cette scene dénoue les précédentes, qu’elle a même une petite exposition, une légere intrigue, un dénouement, & qu’elle prépare encore à d’autres scenes. Ces huit derniers vers n’annoncent-ils pas des choses très intéressantes ? Le public, à peine satisfait sur un incident, en voit naître d’autres qui augmentent ses desirs & son impatience. Voilà comme les grands hommes tiennent souvent en suspens l’esprit du spectateur.

Après avoir parlé des qualités essentielles à une scene, il est, je crois, très à propos de parler de ce qui doit constituer chacune de ces mêmes qualités.

L’exposition doit annoncer clairement au spectateur le dessein de la scene. Dans le premier exemple que j’ai cité, Valere reconnoît le sévere tuteur de sa maîtresse ; il nous fait voir clairement ce qu’il a dessein de faire dans la scene.

Valere.

Je voudrois l’accoster, s’il est en ma puissance.
. . Il faut chez lui tâcher de m’introduire.

On ne peut pas s’expliquer plus nettement, & c’est notre faute si nous ne nous trouvons pas suffisamment instruits.

L’intrigue doit rouler sur ce que l’exposition annonce. Valere veut s’introduire chez Sganarelle ; en conséquence il cherche à le prévenir par mille civilités, qu’il termine en lui proposant d’aller passer chez lui les après-soupés. On ne peut pas mieux suivre un projet annoncé.

Il faut encore que la petite intrigue puisse faire partie de l’intrigue générale, & concourir avec elle au dénouement. Puisque l’intrigue générale roule sur le dessein que Valere a d’enlever Isabelle à Sganarelle, il est tout simple qu’il cherche à s’introduire chez lui ; & quoique l’entrevue n’ait pas été fort utile à l’amant, elle sert beaucoup à la piece.

L’intrigue d’une scene doit encore être plus ou moins filée ; elle doit avoir plus ou moins d’action & d’imbroglio, selon la situation des personnages. Dans le second exemple que j’ai cité, il n’est pas naturel qu’Orgon soit encore la dupe de Tartufe ; aussi Orgon dénoue-t-il bien vîte l’intrigue, & ne permet pas à Tartufe de la filer. Dans le premier exemple, Valere a besoin de s’insinuer dans l’esprit de Sganarelle avant de lui faire la proposition d’aller chez lui ; d’un autre côté Sganarelle ne devinant pas où veut en venir le godelureau, la scene qu’ils ont ensemble doit tenir en suspens les spectateurs beaucoup plus long temps que celle d’Orgon & de Tartufe.

Je le répete, la situation des personnages doit seule étendre ou resserrer l’intrigue de leur scene. Voilà pourquoi, dans toutes les scenes de dépit que Moliere fait jouer à ses amants, il file des intrigues où il y a une action & un imbroglio inconcevables. Il est dans la nature que deux amants piqués expriment sur le théâtre tous les différents mouvements que leur passion fait éprouver à leur cœur.

Enfin le dénouement d’une scene doit dénouer positivement la petite intrigue que l’exposition a annoncée. Sganarelle voit le dessein de Valere ; il voit la raison qui l’a engagé à lui faire des compliments, & il coupe court à tout, en lui disant brusquement, pour toute réponse, serviteur.

Toute scene dont la fin ne répond pas au milieu & au commencement ; disons mieux, toute scene dont une de ces parties ne répond pas aux deux autres, ou dont l’intrigue particuliere ne fait pas marcher l’intrigue générale, est mal faite. Elle a beau être remplie de beautés qui en imposent dans le moment, la réflexion d’un homme éclairé saura toujours l’apprécier. Pour ne pas multiplier les exemples, tâchons de trouver une scene qui peche en même temps par l’exposition, l’intrigue, le dénouement, & qui éblouisse cependant le spectateur. Je cherche dans ma tête, & je m’arrête à une scene du Misanthrope.

A une scene du Misanthrope ! vont s’écrier les personnes qui, ne jugeant que sur parole, croient le Misanthrope sans défaut, & le mettent au-dessus de toutes les pieces de Moliere, parceque Boileau a dit :

Dans ce sac ridicule où Scapin s’enveloppe,
Je ne reconnois plus l’Auteur du Misanthrope.

C’est pourtant sur une scene du Misanthrope que j’ose porter un jugement qui aura peut-être le malheur de déplaire ; mais avant que de me condamner, qu’on daigne m’entendre, & lire avec moi la scene suivante.

ACTE II. Scene V.

ELIANTE, PHILINTE, ACASTE, CLITANDRE, ALCESTE, CÉLIMENE, BASQUE.

Éliante, à Célimene.

Voici les deux Marquis qui montent avec nous.
Vous l’est-on venu dire ?

Célimene.

(A Basque).
Oui. Des sieges pour tous.
(A Alceste.)
Vous n’êtes pas sorti ?

Alceste.

Non ; mais je veux, Madame,
Ou pour eux, ou pour moi, faire expliquer votre ame.

Célimene.

Taisez-vous.

Alceste.

Aujourd’hui, vous vous expliquerez.

Célimene.

Vous perdez le sens.

Alceste.

Point. Vous vous déclarerez.

Célimene.

Ah !

Alceste.

Vous prendrez parti.

Célimene.

Vous vous moquez, je pense.

Alceste.

Non. Mais vous choisirez ; c’est trop de patience.

Alceste expose clairement qu’il veut, dans cette scene, faire expliquer Célimene entre lui & ses rivaux. S’il tient parole, l’exposition est excellente ; s’il n’en fait rien, l’exposition est défectueuse. Lisons, & nous déciderons après.

Clitandre.

Parbleu, je viens du Louvre, où Cléonte, au levé,
Madame, a bien paru ridicule achevé.
N’a-t-il pas quelque ami qui pût, sur ses manieres,
D’un charitable avis lui prêter les lumieres ?

Célimene.

Dans le monde, à vrai dire, il se barbouille fort :
Par-tout il porte un air qui saute aux yeux d’abord ;
Et lorsqu’on le revoit après un peu d’absence,
On le retrouve encor plus plein d’extravagance.

Acaste.

Parbleu, s’il faut parler des gens extravagants,
Je viens d’en essuyer un des plus fatigants ;
Damon, le raisonneur, qui m’a, ne vous déplaise,
Une heure, au grand soleil, tenu hors de ma chaise.

Célimene.

C’est un parleur étrange, & qui trouve toujours
L’art de ne vous rien dire avec de grands discours :
Dans les propos qu’il tient on ne voit jamais goutte ;
Et ce n’est que du bruit que tout ce qu’on écoute.

Eliante, à Philinte.

Ce début n’est pas mal ; & contre le prochain
La conversation prend un assez bon train.

Clitandre.

Timante, encor, Madame, est un bon caractere.

Célimene.

C’est de la tête aux pieds un homme tout mystere,
Qui vous jette, en passant, un coup d’œil égaré,
Et, sans aucune affaire, est toujours affairé.
Tout ce qu’il vous débite en grimaces abonde ;
A force de façons, il assomme le monde ;
Sans cesse il a, tout bas, pour rompre l’entretien,
Un secret à vous dire, & ce secret n’est rien ;
De la moindre vétille il fait une merveille,
Et, jusques au bon jour, il dit tout à l’oreille.

Acaste.

Et Géralde, Madame ?

Célimene.

Ah ! l’ennuyeux conteur !
Jamais on ne le voit sortir du grand Seigneur.
Dans le brillant commerce il se mêle sans cesse,
Et ne cite jamais que Duc, Prince, ou Princesse.
La qualité l’entête, & tous ses entretiens
Ne sont que de chevaux, d’équipage & de chiens ;
Il tutoie en parlant ceux du plus haut étage,
Et le nom de Monsieur est chez lui hors d’usage.

Clitandre.

On dit qu’avec Bélise il est du dernier bien.

Célimene.

Le pauvre esprit de femme, & le sec entretien !
Lorsqu’elle vient me voir je souffre le martyre,
Il faut suer sans cesse à chercher que lui dire ;
Et la stérilité de son expression
Fait mourir à tout coup la conversation.
En vain, pour attaquer son stupide silence,
De tous les lieux communs vous prenez l’assistance ;
Le beau temps, & la pluie, & le froid & le chaud,
Sont des fonds qu’avec elle on épuise bientôt.
Cependant sa visite assez insupportable
Traîne en une longueur encore épouvantable ;
Et l’on demande l’heure, & l’on bâille vingt fois,
Qu’elle se meut autant qu’une piece de bois.

Acaste.

Que vous semble d’Adraste ?

Célimene.

Ah ! quel orgueil extrême ?
C’est un homme gonflé de l’amour de soi-même :
Son mérite jamais n’est content de la cour,
Contre elle il fait métier de pester chaque jour ;
Et l’on ne donne emploi, charge, ni bénéfice,
Qu’à tout ce qu’il se croit on ne fasse injustice.

Clitandre.

Mais le jeune Cléon, chez qui vont aujourd’hui
Nos plus honnêtes gens, que dites-vous de lui ?

Célimene.

Que de son cuisinier il s’est fait un mérite,
Et que c’est à sa table à qui l’on rend visite.

Éliante.

Il prend soin d’y servir des mets fort délicats.

Célimene.

Oui ; mais je voudrois bien qu’il ne s’y servît pas ;
C’est un fort méchant plat que sa sotte personne,
Et qui gâte, à mon goût, tous les repas qu’il donne.

Philinte.

On fait assez de cas de son oncle Damis :
Qu’en dites-vous, Madame ?

Célimene.

Il est de mes amis.

Philinte.

Je le trouve honnête homme, & d’un air assez sage.

Célimene.

Oui ; mais il veut avoir trop d’esprit, dont j’enrage.
Il est guindé sans cesse ; & dans tous ses propos
On voit qu’il se travaille à dire de bons mots.
Depuis que dans la tête il s’est mis d’être habile,
Rien ne touche son goût, tant il est difficile :
Il veut voir des défauts à tout ce qu’on écrit,
Et pense que louer n’est pas d’un bel esprit ;
Que c’est être savant que trouver à redire ;
Qu’il n’appartient qu’aux sots d’admirer & de rire,
Et qu’en n’approuvant rien des ouvrages du temps,
Il se met au-dessus de tous les autres gens :
Aux conversations même il trouve à reprendre ;
Ce sont propos trop bas pour y daigner descendre,
Et les deux bras croisés, du haut de son esprit,
Il regarde en pitié tout ce que chacun dit.

Acaste.

Dieu me damne, voilà son portrait véritable.

Clitandre, à Célimene.

Pour bien peindre les gens vous êtes admirable.

Nous avons passé le milieu de la scene, & cependant nous n’avons encore rien vu qui ait rapport à ce qu’Alceste avoit d’abord annoncé. Nous ne voyons point qu’il cherche à effectuer ses desseins. D’ailleurs il n’y a point dans la scene la moindre gradation ; elle ne concourt pas avec la machine générale, puisqu’on pourroit la retrancher sans nuire à la marche du drame. On y promene le spectateur dans une galerie de portraits, faits, à la vérité, de main de maître, mais qui peuvent se transporter, se retrancher même au gré de l’acteur, & qui nous peignent des personnes avec lesquelles il est très inutile de lier connoissance, puisque la plupart ne doivent entrer pour rien dans la piece. Continuons, & voyons si la fin répondra mieux au commencement, que le milieu.

Alceste.

Allons, ferme, poussez, mes bons amis de cour,
Vous n’en épargnez point, & chacun a son tour :
Cependant aucun d’eux à vos yeux ne se montre,
Qu’on ne vous voie en hâte aller à sa rencontre,
Lui présenter la main, &, d’un baiser flatteur,
Appuyer le serment d’être son serviteur.

Clitandre.

Pourquoi s’en prendre à nous ? si ce qu’on dit vous blesse,
Il faut que le reproche à Madame s’adresse.

Alceste.

Non, morbleu, c’est à vous, & vos ris complaisants
Tirent de son esprit tous ces traits médisants.
Son humeur satyrique est sans cesse nourrie
Par le coupable encens de votre flatterie ;
Et son cœur à railler trouveroit moins d’appas,
S’il avoit observé qu’on ne l’applaudît pas.
C’est ainsi qu’aux flatteurs on doit par-tout se prendre
Des vices où l’on voit les humains se répandre.

Philinte.

Mais pourquoi pour ces gens un intérêt si grand,
Vous qui condamneriez ce qu’en eux on reprend ?

Célimene.

Et ne faut-il pas bien que Monsieur contredise ?
A la commune voix veut-on qu’il se réduise,
Et qu’il ne fasse pas éclater en tous lieux
L’esprit contrariant qu’il a reçu des cieux ?
Le sentiment d’autrui n’est jamais pour lui plaire ;
Il prend toujours en main l’opinion contraire,
Et penseroit paroître un homme du commun,
Si l’on voyoit qu’il fût de l’avis de quelqu’un.
L’honneur de contredire a pour lui tant de charmes,
Qu’il prend contre lui-même assez souvent les armes ;
Et ses vrais sentiments sont combattus par lui,
Aussi-tôt qu’il les voit dans la bouche d’autrui.

Alceste.

Les rieurs sont pour vous, Madame ; c’est tout dire,
Et vous pouvez pousser contre moi la satyre.

Philinte.

Mais il est véritable aussi que votre esprit
Se gendarme toujours contre tout ce qu’on dit,
Et que, par un chagrin que lui-même il avoue,
Il ne sauroit souffrir qu’on blâme ni qu’on loue.

Alceste.

C’est que jamais, morbleu, les hommes n’ont raison ;
Que le chagrin contre eux est toujours de saison,
Et que je vois qu’ils sont, sur toutes les affaires,
Loueurs impertinents, ou censeurs téméraires.

Célimene.

Mais....

Alceste.

Non, Madame, non ; quand je devrois mourir,
Vous avez des plaisirs que je ne puis souffrir ;
Et l’on a tort ici de nourrir dans votre ame
Ce grand attachement aux défauts qu’on y blâme.

Clitandre.

Pour moi, je ne sais pas ; mais j’avouerai tout haut
Que j’ai cru jusqu’ici Madame sans défaut.

Acaste.

De graces & d’attraits je vois qu’elle est pourvue ;
Mais les défauts qu’elle a ne frappent point ma vue.

Alceste.

Ils frappent tous la mienne ; &, loin de m’en cacher,
Elle sait que j’ai soin de les lui reprocher.
Plus on aime quelqu’un, moins il faut qu’on le flatte :
A ne rien pardonner le pur amour éclate ;
Et je bannirois, moi, tous ces lâches amants
Que je verrois soumis à tous mes sentiments,
Et dont, à tous propos, les molles complaisances
Donneroient de l’encens à mes extravagances.

Célimene.

Enfin, s’il faut qu’à vous s’en rapportent les cœurs,
On doit, pour bien aimer, renoncer aux douceurs,
Et du parfait amour mettre l’honneur suprême
A bien injurier les personnes qu’on aime.

Éliante.

L’amour, pour l’ordinaire, est peu fait à ces loix,
Et l’on voit les amants vanter toujours leur choix :
Jamais leur passion n’y voit rien de blâmable,
Et, dans l’objet aimé, tout leur devient aimable29.
. . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . .

Alceste.

Et moi, je soutiens, moi....

Célimene.

Brisons là ce discours,
Et dans la galerie allons faire deux tours.
Quoi ! vous vous en allez, Messieurs ?

Clitandre, Acaste.

Non pas, Madame.

Alceste.

La peur de leur départ occupe fort votre ame.
Sortez, quand vous voudrez, Messieurs ; mais j’avertis
Que je ne sors qu’après que vous serez sortis.

Acaste.

A moins de voir Madame en être importunée,
Rien ne m’appelle ailleurs de toute la journée.

Clitandre.

Moi, pourvu que je puisse être au petit couché,
Je n’ai point d’autre affaire où je sois attaché.

Célimene, à Alceste.

C’est pour rire, je crois.

Alceste.

Non, en aucune sorte.
Nous verrons si c’est moi que vous voudrez qui sorte.

La scene est finie : Alceste, dans deux ou trois couplets, a dévoilé, à la vérité, la droiture de son caractere, en apostrophant la satyrique Célimene & ses fades adulateurs ; mais il n’a rien fait de ce que j’attendois sur sa parole. Patience, me répondra-t-on ; il dit, deux scenes après, quand il est obligé d’aller chez les maréchaux :

Alceste.

 J’y vais, Madame, & sur mes pas
Je reviens en ce lieu pour vuider nos débats.

Peut-être viendra-t-il en effet pour faire décider Célimene entre lui & les deux Marquis, comme il nous l’a promis. Point du tout ; ne vous y attendez pas. Nous ne sommes qu’au second acte ; & lorsque, dans le cinquieme, Célimene se verra contrainte de nommer son vainqueur, ce sera l’homme au sonnet qui commencera à l’en presser.

ACTE V. Scene II.

CELIMENE, ORONTE, ALCESTE.

Oronte.

Oui, c’est à vous de voir si, par des nœuds si doux,
Madame, vous voulez m’attacher tout à vous.
Il me faut de votre ame une pleine assurance,
Un amant là-dessus n’aime point qu’on balance :
Si l’ardeur de mes feux a pu vous émouvoir,
Vous ne devez point feindre à me le faire voir ;
Et la preuve, après tout, que je vous en demande,
C’est de ne plus souffrir qu’Alceste à vous prétende,
De le sacrifier, Madame, à mon amour,
Et, de chez vous, enfin, le bannir dès ce jour.

Célimene.

Mais quel sujet si grand contre lui vous irrite,
Vous à qui j’ai tant vu parler de son mérite ?

Oronte.

Madame, il ne faut point ces éclaircissements ;
Il s’agit de savoir quels sont vos sentiments.
Choisissez, s’il vous plaît, de garder l’un ou l’autre :
Ma résolution n’attend rien que la vôtre.

Alors Alceste presse en effet Célimene de faire un choix ; mais il n’est nullement question, dans cette scene, des deux Marquis.

Je demande bien des pardons aux fanatiques du Misanthrope, si j’ai pris la liberté de toucher à l’objet de leur idolâtrie. Je connois très bien les beautés inestimables de cette piece ; & s’il étoit question d’en faire l’éloge, je saurois peut-être dire avec emphase, comme tout autre, qu’elle est l’ouvrage le plus parfait de tous les Théâtres ; que Moliere a eu pour objet la critique universelle du genre humain ; qu’on ne perd jamais de vue le Misanthrope, & qu’il est le centre d’où partent les rayons de lumiere qui éclairent tous les autres personnages : mais je parle à des jeunes gens, & je dois les exhorter à ne pas se laisser éblouir par un ouvrage qui cache continuellement, sous les plus grandes beautés, les défauts de la grande machine. Loin d’être enhardis par l’exemple, qu’ils songent à quel point il faut être un grand homme pour savoir masquer de grandes fautes.

On raconte que Boileau 30 admira beaucoup le Misanthrope à la premiere lecture que Moliere lui en fit, & que ce dernier s’écria : Ah ! mon ami, vous verrez bien autre chose ! On part de là pour prouver que toutes les pieces devroient être faites comme le Misanthrope ; & que si Moliere avoit vécu davantage, il n’auroit travaillé que dans ce genre. Quelle absurdité ! Je la passerois si le Misanthrope étoit la derniere bonne piece de notre Auteur ; mais il a fait après elle les Femmes savantes, l’Avare, le Tartufe : & je conclus de là, avec toutes les personnes sensées, que l’exclamation de Moliere, Ah ! mon ami, vous verrez bien autre chose ! signifioit je parviendrai à lier fortement toutes les parties de mes drames à l’action principale, à rendre tous mes personnages si nécessaires, qu’on ne puisse pas les accuser d’être épisodiques, & de n’être amenés sur la scene que pour faire briller le principal ; à unir si bien mes plus petits ressorts au ressort principal, qu’ils concourent ensemble à un dénouement qui satisfasse le spectateur sur le sort des principaux personnages, & non sur celui des subalternes : enfin je parviendrai à faire des pieces plus propres à être jouées sur un Théâtre qu’à être lues dans une Académie. Il a tenu parole, bien en prend à sa réputation, & à la gloire du Théâtre François.

Les Législateurs du Théâtre, tant anciens que modernes, nous apprennent qu’une scene est imparfaite si, lorsqu’elle commence, ou qu’elle finit, l’acteur qui entre ou qui sort ne nous en dit pas la raison. Il est des occasions où la situation exige que les autres interlocuteurs nous la disent pour lui. Par exemple, dans George Dandin, le héros appelle son valet.

ACTE III. Scene III.

George Dandin.

Hola, Colin.

Colin, à la fenêtre.

Monsieur.

George Dandin.

Allons vîte, ici bas.

Colin, sautant par la fenêtre.

M’y voilà on ne peut pas plus vîte.

Colin vient parcequ’on l’appelle : c’est là sa raison. Il ignore ce qu’il vient faire ; il ne peut pas nous le dire : c’est à son maître à nous l’apprendre ; s’il ne le faisoit pas, ce seroit un défaut dans la piece. Aussi George Dandin n’y manque-t-il point.

George Dandin.

Va-t’en chez mon beau-pere & ma belle-mere, & dis que je les prie très instamment de venir tout à l’heure ici.

Il en est de même des personnages qu’un acteur conduit sur la scene ; ils y viennent parcequ’on les y amene. Dans l’Avare, Cléante, Elise, Valere, Dame Claude, Maître Jacques, la Merluche, Brin-d’avoine, paroissent, parceque leur Maître le leur ordonne. Ils n’ont pas d’autre raison à nous donner.

ACTE III. Scene I.

Harpagon.

Allons, venez çà tous.

Harpagon va nous dire présentement pourquoi il a fait venir tout son monde ; pour leur donner des ordres dictés par son avarice.

Harpagon, à Dame Claude.

Approchez, Dame Claude, commençons par vous. Bon, vous voilà les armes à la main. Je vous commets au soin de nettoyer par-tout ; & sur tout prenez garde de ne point frotter les meubles trop fort de peur de les user. Outre cela, je vous constitue pendant le souper au gouvernement des bouteilles, & s’il s’en écarte quelqu’une, ou qu’il se casse quelque chose, je m’en prendrai à vous, & le rabattrai sur vos gages.

(A Brin-d’avoine & à la Merluche.)

Vous, Brin-d’avoine, & vous, la Merluche, je vous établis dans la charge de rincer les verres, & de donner à boire, mais seulement lorsqu’on aura soif, & non pas, selon la coutume de certains impertinents laquais, qui viennent provoquer les gens, & les faire aviser de boire lorsqu’on n’y songe pas. Attendez qu’on vous en demande plus d’une fois, & vous ressouvenez de porter toujours beaucoup d’eau. . . . . . . . . . . . . . . . . .

(A Elise.)

Pour vous, ma fille, vous aurez l’œil sur ce qu’on desservira, & prenez garde qu’il ne s’en fasse aucun dégât ; cela sied bien aux filles.

(A Cléante.)

Et vous, mon fils le damoiseau, à qui j’ai la bonté de pardonner l’histoire de tantôt, ne vous allez pas aviser de faire mauvais visage à ma future. . . . . . . . . . . . . . . .

Enfin Harpagon nous apprend qu’il a fait venir son Intendant pour l’aider à ordonner un repas ; & Maître Jacques, son cuisinier & son cocher, pour lui ordonner de lui faire bonne chere avec peu d’argent, de nettoyer son carrosse, & de tenir ses chevaux prêts pour aller à la Foire. S’il eût manqué de donner des ordres à un seul des personnages qu’il a conduits devant nous, ce seroit un défaut dans la piece.

Lorsqu’un personnage qui a du pouvoir sur un autre lui ordonne de se retirer, celui qui sort n’a pas besoin de nous dire pourquoi il quitte la scene.

L’AVARE.

ACTE II. Scene IV.

Harpagon, à son fils.

Ote-toi de mes yeux, coquin : ôte-toi de mes yeux.

Cléante.

Qui est plus criminel, à votre avis, ou celui qui achete un argent dont il a besoin, ou bien celui qui vole un argent dont il n’a que faire ?

Harpagon.

Retire-toi, te dis-je, & ne m’échauffe pas les oreilles.

Cléante se retire en effet sans nous dire qu’il sort, parceque son pere le chasse : nous le savons bien.

Un homme annonce, en quittant la scene, qu’il va revenir ; il peut aussi, il doit même, ne pas nous dire, en rentrant, ce qu’il vient faire : nous le savons.

L’AVARE.

ACTE I. Scene VII.

Harpagon.

Ouais ! il me semble que j’entends un chien qui aboie ; n’est-ce point qu’on en voudroit à mon argent ? (A Valere & à Elise.) Ne bougez, je reviens tout à l’heure.

Scene IX.

Harpagon, dans le fond du théâtre.

Ce n’est rien, Dieu merci.

Harpagon se dispense, avec raison, de nous dire ce qui le ramene à nos yeux ; il vient y continuer ce qu’il y faisoit auparavant.

Enfin, quand un personnage se trouve tout à-coup dans un embarras imprévu, & qu’il ne peut se tirer d’affaires qu’en fuyant, il n’est nullement nécessaire qu’il nous apprenne la cause de sa fuite. L’Avare va encore nous fournir un exemple. C’est lorsque le fils & le pere se reconnoissent réciproquement pour le prêteur & l’emprunteur.

ACTE II. Scene II.

M. Simon, montrant Cléante.

Monsieur est la personne qui veut vous emprunter les quinze mille livres dont je vous ai parlé.

Harpagon.

Comment, pendard ! c’est toi qui t’abandonnes à ces coupables extrémités !

Cléante.

Comment, mon pere ! c’est vous qui vous portez à ces honteuses actions !

Il est clair que Simon & la Fleche, présents à l’explication, doivent être très fâchés ; la Fleche d’avoir si mal adressé son maître, & le Courtier d’avoir en même temps trahi le secret du pere & du fils : aussi prennent-ils la fuite. Moliere n’a pas jugé à propos de leur faire dire en partant pourquoi ils s’enfuyoient, & il a très bien fait, parceque la situation le dit assez. Moliere a mis seulement en note, M. Simon s’enfuit, & la Fleche va se cacher. J’ai vu des comédiens qui, en jouant les rôles de la Fleche & de Maître Simon, ne croyoient pas apparemment la cause de leur fuite assez bien marquée par l’Auteur, & qui répétoient en fuyant, pendard ! son pere ! Je crois qu’ils pourroient s’en dispenser, leur situation est assez bien marquée. C’est à eux à la peindre sur leur visage, & à motiver par-là leur départ précipité.

Ajoutons à ce que je viens de dire une remarque bien judicieuse de M. de Voltaire.

« Les personnages importants doivent toujours avoir une raison d’entrer & de sortir ; & quand cette raison n’est pas déterminée, il faut qu’ils se donnent bien de garde de dire je sors, de peur que le spectateur, trop averti de la faute, ne dise : Pourquoi sortez-vous ? »

J’ai déja dit, je crois, qu’il falloit travailler avec autant de soin le plan d’une seule scene que celui d’une piece entiere ; &, je le répete, parceque c’est une vérité très essentielle, si, comme le dit le Pere Brumoi, l’intrigue d’une piece est un labyrinthe qui va & revient sur lui-même, dans lequel on aime à se perdre en cherchant à en sortir, le plus petit de ses détours doit, à mon avis, avoir une entrée agréable, & nous conduire, par un sentier fleuri, vers une issue qui nous rejette dans le centre.