(1772) De l’art de la comédie. Livre second. De ses différents genres (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE XV. Pieces intriguées par une ressemblance. » pp. 176-191
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(1772) De l’art de la comédie. Livre second. De ses différents genres (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE XV. Pieces intriguées par une ressemblance. » pp. 176-191

CHAPITRE XV.
Pieces intriguées par une ressemblance.

Quoique les pieces intriguées par une ressemblance ne soient pas les meilleures, on a cependant grand tort de vouloir les bannir de la scene. Le comique qu’une ressemblance bien annoncée & bien ménagée fournit à un Auteur ingénieux, mérite quelque indulgence. D’ailleurs nous pouvons journellement nous convaincre qu’il est des personnes qui se ressemblent parfaitement. Puisque la Nature se plaît à faire des ressemblances parfaites, pourquoi ne nous amuserions-nous pas de ses jeux ? pourquoi ne les admettrions-nous pas sur le théâtre ? cependant avec des ménagements & des précautions.

Un Auteur doit s’appliquer à prouver au spectateur que la ressemblance qu’il va mettre en jeu pour l’amuser, peut être possible. Il est plus naturel, par exemple, que les Ménechmes se ressemblent, puisqu’ils sont jumeaux, qu’il ne l’est, dans le Mariage fait & rompu, que le frere de l’Hôtesse ressemble à Damis, dont il n’est seulement point parent. Aussi le public se prêteroit-il bien moins à l’illusion dans la derniere piece que dans la premiere, si Dufresny, en homme d’esprit, n’avoit supposé le véritable Damis mort. Il a tout réparé par ce coup d’adresse. Le public ne pouvant juger les deux personnages par comparaison, n’a pas besoin de monter son imagination pour trouver de la ressemblance entre deux acteurs, dont l’un est quelquefois petit & laid, l’autre grand, bien fait & beau.

J’entends dire depuis long-temps qu’il y auroit une façon très simple d’admettre deux personnages tout-à-fait ressemblants dans une piece, sans blesser les yeux du spectateur ; & l’expédient divin qu’on voudroit employer pour cela, seroit de faire représenter les deux rôles par le même acteur. On a souvent voulu engager le fameux Préville à jouer le rôle des deux Ménechmes dans la piece de Regnard. On n’auroit pu le faire sans changer le dénouement, puisque les deux jumeaux sont ensemble sur la scene.

ACTE V. Scene derniere.

LE CHEVALIER, MÉNECHME, DÉMOPHON, ARAMINTE, ISABELLE, ROBERTIN, VALENTIN, FINETTE.

Le Chevalier.

Ma présence, je crois, est ici nécessaire,
Pour découvrir le fond d’un surprenant mystere.

Démophon.

Qu’est-ce donc que je vois ?

Robertin.

Quel prodige en ces lieux !

Araminte.

Quelle aventure, ô Ciel ! Dois-je en croire mes yeux ?

Finette.

Madame, je ne sais si j’ai le regard trouble,
Si c’est quelque vapeur : mais enfin je vois double.

Ménechme.

Quel objet se présente, & que me fait-on voir ?
C’est mon portrait qui marche, ou bien c’est mon miroir.

Le Chevalier.

Pourquoi prendre, Monsieur, mon nom & ma figure ?
Je m’appelle Ménechme, & c’est me faire injure.

Ménechme, à part.

Voilà, sur ma parole, encor quelque frippon !
(Haut.)
Et de quel droit, Monsieur, me volez-vous mon nom ?
Je ne m’avise point d’aller prendre le vôtre.

Le Chevalier.

Pour moi, dès le berceau, je n’en ai point eu d’autre.

Ménechme.

Mon pere, en son vivant, se fit nommer ainsi.

Le Chevalier.

Le mien, tant qu’il vécut, porta ce nom aussi.

Ménechme.

En accouchant de moi l’on vit mourir ma mere.

Le Chevalier.

La mienne est morte aussi de la même maniere.

Ménechme.

Je suis de Picardie.

Le Chevalier.

Et moi pareillement.

Ménechme.

J’avois un certain frere, un mauvais garnement,
Et dont, depuis quinze ans, je n’ai nouvelle aucune.

Le Chevalier.

Du mien, depuis ce temps, j’ignore la fortune.

Ménechme.

Ce frere, étant jumeau, dans tout me ressembloit.

Le Chevalier.

Le mien est mon image ; & qui me voit, le voit.

Ménechme.

Mais vous qui me parlez, n’êtes vous point ce frere ?

Le Chevalier.

C’est vous qui l’avez dit : voilà tout le mystere.

Ménechme.

Est-il possible ? ô Ciel !

Le Chevalier.

Que cet embrassement
Vous témoigne ma joie & mon ravissement.
Mon frere, est-ce bien vous ? Quelle heureuse rencontre !

Ménechme.

Mon frere, en vérité... je m’en réjouis fort ;
Mais j’avois cependant compté sur votre mort.
. . . . . . . . .
. . . . . . . . .

En voilà suffisamment pour faire voir que le Ménechme civilisé & le Ménechme brutal doivent, de toute nécessité, se trouver ensemble ; sans quoi la piece ne peut se dénouer, à moins qu’on ne change toute la derniere scene.

J’ai toujours tâché d’aller à la source de toutes les nouveautés que je vois introduire sur le théâtre, ou qu’on voudroit y admettre ; j’ai cherché d’où pouvoit naître celle-ci, & je crois l’avoir deviné. On aura vu jouer à Carlin deux rôles dans une piece Italienne, intitulée gli due Gemelli, les deux Jumeaux, on sera parti de là pour dire : « D’où vient que Préville ne joue point les deux Ménechmes aux François ? il seroit bien plaisant ». Je ne doute pas qu’il n’y fût, en effet, très comique ; mais la premiere personne qui a fait cette belle découverte, n’a pas certainement pris la peine de réfléchir, de voir si l’exécution en seroit facile sur notre Théâtre, & en second lieu, si elle contribueroit à sa gloire, ou à sa chûte. Nous allons opposer les deux Jumeaux Italiens aux deux Jumeaux François ; prouver que l’Auteur Italien, en composant sa piece, a pris soin de tramer l’intrigue, de la dénouer, & d’arranger les incidents de façon que les deux freres ne fussent jamais ensemble sur la scene, & qu’un seul pût remplir les deux rôles ; ensuite il nous sera facile de faire remarquer que ce qui est une beauté sur le théâtre Italien, seroit un défaut sur le nôtre.

LES DEUX JUMEAUX,
Comédie en cinq actes.

ACTE I.

Arlequin, que nous nommerons le Napolitain, s’est absenté pendant quinze jours de Naples pour aller voir un frere jumeau qui réside à Barcelone ; mais il ne le trouve point. A son retour, Pantalon le presse d’épouser sa fille Rosaura. Camille, amoureuse d’Arlequin, entend ce que Pantalon dit, & querelle son amant. Celio les remplace ; il est à la poursuite d’un coquin nommé Arlequin, qui, étant à son service, lui a volé un habit & de l’argent ; il va le faire chercher dans la ville. Arlequin l’étranger paroît avec l’habit volé sur le corps. Il prie Nicolo de le vendre, & de lui apporter l’argent dans un cabaret qu’il lui indique. Camille prend Arlequin l’étranger pour son perfide, l’accable de reproches. Silvio, amoureux de Rosaura, le menace de le tuer s’il ne lui cede sa maîtresse. Arlequin l’étranger les traite tous de fous, ne comprend rien à ce qu’on veut lui dire, & s’enferme dans le cabaret.

ACTE II.

Arlequin le Napolitain est fâché d’épouser Rosaura ; il aimeroit mieux s’unir à Camille. Pantalon arrive de la ville avec un habit magnifique qu’il vient d’acheter ; il en fait présent à son gendre prétendu, afin qu’il se présente plus décemment devant la future. Il lui dit d’aller l’attendre dans sa maison. Arlequin obéit, & se met à la fenêtre. Celio survient, voit l’habit qu’on lui a volé, croit reconnoître le voleur, l’accable de reproches, & quitte la scene pour aller chercher main-forte. Un instant après, Arlequin l’étranger se met à la fenêtre du cabaret ; Pantalon lui demande ce qu’il a fait de son bel habit. Il répond qu’il l’a envoyé vendre. Pantalon lui présente sa fille ; il n’en veut point. Camille lui dit qu’il fait bien, parcequ’il ne peut avoir deux femmes. Enfin on l’impatiente si fort, qu’il jette des pierres à ces importuns. Le Docteur qui passe, en reçoit une sur la tête.

ACTE III.

Pantalon surprend Arlequin l’étranger hors du cabaret, & le menace de le faire mettre en prison, puisqu’il ne veut pas épouser sa fille. Le Docteur & Celio lui font la même menace ; l’un, pour le punir de lui avoir cassé la tête ; l’autre, de l’avoir volé. Il se sauve ; on court après lui. Arlequin le Napolitain est pris à sa place par ordre de Celio. Pantalon lui promet de le faire sortir s’il veut épouser Rosaura. Arlequin donne sa parole. Un instant après, Celio, qui est subitement devenu amoureux de Rosaura, lui fait la même promesse, à condition qu’il n’épousera pas Rosaura. Arlequin donne encore sa parole.

ACTE IV.

Silvio, toujours amoureux de Rosaura, poursuit Arlequin l’étranger, & le menace de le tuer s’il persiste à vouloir épouser Rosaura. Arlequin lui répond que Pantalon le veut absolument. Silvio lui conseille d’accepter la main de Rosaura, pour la lui céder ensuite. Camille, armée d’un pistolet, vient pour tuer celui qu’elle croit son perfide : heureusement le pistolet ne prend pas. Pantalon accourt, & somme Arlequin l’étranger de tenir la parole qu’il lui a donnée en sortant de prison ; il lui présente Rosaura, qui se trouve mal : on l’emporte dans la maison. Arlequin le Napolitain paroît en se félicitant de n’être plus en prison. Pantalon sort de sa maison pour lui dire que Rosaura est revenue à elle, & qu’il peut l’épouser. Il fait le possédé, & tout le monde prend la fuite.

ACTE V.

Arlequin l’étranger est désespéré de n’avoir point de nouvelles de son habit. Pantalon le voit, a peur, & ne veut plus lui donner sa fille, parcequ’il est, dit-il, possédé. Arlequin rit, fait des grimaces ; Pantalon veut le conjurer : dans ce temps-là Camille l’embrasse, & l’emmene chez elle.

Arlequin le Napolitain arrive ; Pantalon se rassure en le voyant plus tranquille, & lui confie Rosaura pour la conduire chez elle.

Arlequin l’étranger sort de chez Camille. On lui reproche d’être chez cette femme, tandis qu’il devoit ne pas quitter sa future. Camille le ramene chez elle, en disant qu’il est son époux.

Pantalon est outré contre Arlequin ; il frappe : Arlequin le Napolitain ouvre la porte. Pantalon, surpris, lui demande comment il peut être en même temps là & chez Camille. On découvre qu’il y a deux Arlequins. Dans le temps qu’Arlequin le Napolitain a quitté la scene pour aller embrasser son frere, Arlequin l’étranger arrive, poursuivi par Celio. Camille promet de payer pour lui. On abandonne le théâtre pour aller réunir les deux freres, & marier l’un à Camille, l’autre à Rosaura.

On voit clairement, à travers tout le fatras de cette piece, qu’elle a été composée pour faire briller un seul acteur, & que cet acteur, pour jouer deux rôles, n’a qu’à passer bien vîte d’une coulisse à l’autre. De telles comédies sont fort bonnes sur un théâtre où tout est sacrifié au personnage burlesque, qui seul attire le monde, où les lazzis & les tours de passe-passe sont comptés pour autant de beautés : mais sur un théâtre où les bons Auteurs ne cherchent pas à faire briller un personnage aux dépens des autres, où il faut des choses & non des mines, des situations bien marquées & non des grimaces ; sur un tel théâtre, dis-je, toute comédie, dans laquelle un seul acteur jouera, sans nécessité, deux rôles, sera jugée très mauvaise, à moins qu’on ne lui fasse la grace de la regarder comme une farce, ou bien comme une comédie épisodique.

Je suppose pour un moment qu’on détermine Préville à jouer les deux Ménechmes, qu’on fasse, avec adresse, à la piece les changements nécessaires pour cela, & que l’acteur, se livrant à tout l’art dont il est capable, nuance supérieurement les deux rôles : quel bien en résultera-t-il ? Les yeux du spectateur seront plus satisfaits, à la vérité, parceque Préville ne peut que ressembler parfaitement à Préville ; mais son esprit le sera moins, parcequ’il ne pourra point se faire illusion aussi facilement, & qu’il ne s’interessera plus aux embarras que Préville pourra causer à Préville. Il est même à parier que si la piece est nouvelle, l’auditeur confondra malgré lui le personnage qui veut profiter de la ressemblance avec celui qui doit en être la victime, & que la piece tombera. C’est ici qu’un exemple me devient très nécessaire. Heureusement, je l’ai tout prêt. M. Palissot 35 donna le 7 Juin 1762 une comédie intitulée le Rival par ressemblance, ou les Méprises. « Le héros est un provincial, tout prêt à reprendre le chemin de sa petite ville. Il se promene au Palais Royal ; plusieurs personnes l’abordent d’un air familier, quoiqu’il ne les connoisse pas. Il reçoit un message amoureux sous un autre nom que le sien ; il conclut de là qu’il ressemble à quelque heureux mortel. Il projette de mettre à profit la méprise, lorsque son rival arrive ». Tout alloit bien jusques-là, quand Bellecour, chargé de représenter les deux rivaux, troqua un habit rouge avec un verd, & sa bourse avec une cadenette. Le spectateur crut toujours voir le même personnage qui s’étoit mis en habit de voyage pour regagner sa province ; on ne suivit plus l’intrigue, & la piece tomba. Les mauvais plaisants soutinrent que l’Auteur avoit bien rempli le titre de sa piece, puisqu’en la composant il avoit fait une rude Méprise. Pour moi, qui n’oserois me permettre la moindre raillerie, sur-tout contre le redoutable Auteur de la Dunciade, je me contenterai de dire que les méprises continuelles du Public sur les deux Rivaux causerent seules la chûte de l’ouvrage.

Le Théâtre Italien a quantité de pieces intriguées par une ressemblance, dans lesquelles un seul acteur ne joue pas deux rôles : dans les deux Arlequins, piece calquée sur les Ménechmes de Plaute, il faut nécessairement deux Arlequins. Alors leurs pieces peuvent encore être beaucoup plus séduisantes que les nôtres, parceque le masque d’Arlequin a le même avantage que les masques des Anciens, & que sans rendre la ressemblance des deux personnages trop parfaite, il peut cependant les faire ressembler assez pour favoriser l’illusion. Mais quand les Italiens ne mettent pas la ressemblance sur le compte de leurs personnages masqués, leurs pieces ont le même défaut, la même invraisemblance que les Françoises, & leurs spectateurs ont autant besoin de bonne volonté que les nôtres pour se prêter à la fiction. Je vais donner en peu de mots l’extrait d’une piece Italienne qui est dans ce dernier cas, & qui paroît avoir fourni à M. Palissot l’idée de son Rival par ressemblance ou de ses Méprises.

L’IMPOSTEUR PAR RESSEMBLANCE.

Lélio s’est battu à Genes avec un jeune homme qu’il a surpris dans l’appartement de sa sœur. Pour éviter les suites de ce combat, il se retire à Milan, où il devient amoureux de Flaminia. Cassandre le voit, le prend pour son fils Mario, & veut le forcer à loger chez lui. Arlequin, valet de Lélio, est désespéré que son maître ne seconde pas une méprise d’autant plus favorable qu’ils manquent d’argent : il fait croire à Cassandre qu’une maladie a totalement fait perdre la mémoire à son fils. Lélio apprend que Flaminia est fille de Cassandre, alors il se félicite de la méprise de Cassandre, & prend un appartement chez lui, où il joue moins le rôle de frere de Flaminia, que celui de son amant. Il s’oppose à tous les mariages qu’on propose à Flaminia, & la demande pour lui-même. Ses extravagances sont mises par Arlequin sur le compte du manque de mémoire, ce qui amene des situations très comiques. Le véritable Mario revient à Milan avec la sœur de Lélio qui la lui accorde, à condition qu’il épousera Flaminia ; & leur querelle de Genes ne sert qu’à les rendre meilleurs amis.

On conçoit aisément que le spectateur voyant Lélio & Mario l’un à côté de l’autre, & pouvant comparer leurs traits, leur taille, il lui est très difficile de les trouver ressemblants, au point surtout de faire méprendre un pere & une sœur. Tout cela prouve que les pieces intriguées par une ressemblance demandent le plus grand art. Le meilleur moyen pour tirer parti d’une ressemblance sur le théâtre, est de faire comme Plaute dans son Soldat fanfaron.

Le soldat Pirgopolinia a une concubine nommée Philocomasie. Un rival favorisé voit très souvent la belle par le secours d’une fausse porte qui conduit de l’appartement de Philocomasie dans une maison voisine. Sceledre, esclave du soldat, cherche un singe sur les toits & voit la maîtresse de son patron en tête-à-tête amoureux dans le jardin voisin ; il raconte ce qu’il a vu à Palestrion son compagnon de servitude, & confident des amants, qui, comptant sur la fausse porte, invente sur-le-champ un stratagême adroit pour persuader à son camarade qu’il s’est trompé.

ACTE II. Scene III.

. . . . . . . . . .

Palestrion.

Tu veux donc absolument que la concubine de notre maître soit dans cette maison-là ?

Sceledre.

Je le veux, & je l’affirme sans en démordre ; je l’ai vue embrassant un homme.

. . . . . . . . .

Palestrion.

Eh bien, si Philocomasie est au logis, & que je te la fasse voir sortant de notre porte, n’est-il pas vrai que tu mérites d’être traité à coups de verge ou de bâton ?

Sceledre.

En ce cas-là je m’y soumets.

Palestrion.

Fixe donc bien les yeux sur cette porte, crainte que Philicomasie, voyant que tu n’es pas sur tes gardes, ne sorte tout doucement de la maison voisine.

Sceledre.

C’est précisément mon dessein.

. . . . . . . . . .

Scene IV.

Palestrion, à Philocomasie qui sort par la fausse porte.

Faites votre possible pour ne rien oublier de ce que je vous ai dit.

Sceledre, surpris.

Cela est tout-à-fait surprenant. Par où a-t-elle pu sortir de la maison voisine & rentrer dans la nôtre ? Il n’y a point de terrasse, toutes nos fenêtres sont grillées. Je vous ai pourtant vue chez le voisin ; j’en suis aussi certain que je suis assuré d’être moi quand je me tâte.

Palestrion.

Quoi ! scélérat ! tu continues encore à l’accuser !

Philocomasie.

Par Castor ! mon songe de la nuit derniere pourroit bien se vérifier.

Palestrion.

Qu’avez-vous rêvé ?

Philocomasie.

Il m’a semblé en dormant que ma sœur jumelle étoit venue d’Athenes à Ephese avec un amant, & qu’ils étoient logés chez notre plus proche voisin. . . .

. . . . . . . . .

Palestrion.

Dis-moi, Sceledre, n’admires-tu pas le rapport qu’il y a entre le songe qu’elle nous a rapporté & ce que tu crois avoir vu ?

. . . . . . . . .

Scene V.

Philocomasie, sortant par la porte de la maison voisine.

Qu’on ait soin de mettre du feu sur l’Autel, afin qu’après le bain je sacrifie à la grande Diane des Ephésiens ; que j’embaume sa Divinité des plus doux parfums de l’Arabie. Je ne puis marquer assez de reconnoissance pour cette bonne Déesse ; c’est elle qui m’a conservée sur l’Empire de Neptune où j’ai été furieusement tourmentée par les flots & les tempêtes.

Sceledre.

Palestrion ! hola, Palestrion !

Palestrion.

Sceledre ! hola, Sceledre ! que veux-tu ?

Sceledre.

Cette femme qui sort de cette maison-là, est-ce Philocomasie la Courtisanne de mon Maître, ou ne l’est-ce pas ?

Palestrion.

Je crois, ma foi, que c’est elle ; du moins cela me paroît de même. Mais cela est admirable ! par où a-t-elle pu passer ? supposé pourtant que ce soit elle.

Sceledre.

Est-ce que tu peux en douter ?

Palestrion.

Il me paroît que c’est elle : que veux-tu que je te dise ? Abordons-la, & parlons-lui.

Sceledre.

Oh ! oh ! qu’est-ce donc, belle Philocomasie ? Vous est-il dû quelque chose dans cette maison ? quelle affaire vous y amene si souvent ? Mais pourquoi ne répondez-vous point ? êtes-vous devenue muette ? C’est à vous que je parle. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Philocomasie.

Qui es-tu ? ou quelle affaire avons-nous ensemble ?

Sceledre.

Quoi ! vous pouvez me demander qui je suis ?

Philocomasie.

Est-ce donc un crime de demander ce qu’on ne sait point ? . . . . . . . . . .

Palestrion.

Vous cherchez quelque malheur. C’est à vous que je parle ; entendez-vous, Philocomasie ?

Philocomasie.

De quelle fureur es-tu possédé, toi qui me donnes faussement un nom si entortillé ?

Palestrion.

Oh ! oh ! quel est donc votre nom, ne vous en déplaise ?

Philocomasie.

Mon nom est Glycere.

Sceledre.

Cela n’est point raisonnable. Vous voulez, Philocomasie, qu’on vous appelle d’un autre nom que le vôtre ; la bienséance ne le permet pas : d’ailleurs, c’est faire affront à mon maître.

Philocomasie.

Moi ! je fais un affront à ton maître ?

Sceledre.

Vous-même.

Philocomasie.

Moi, qui ne suis arrivée d’Athenes à Ephese que d’hier au soir, & cela en la compagnie de mon amant, qui est un jeune Athénien ?

Palestrion.

Permettez-moi de vous demander ce qui vous amene à Ephese ; &, si je ne suis pas trop curieux, y avez-vous quelque affaire ?

Philocomasie.

Ayant appris que ma sœur jumelle étoit ici, je suis venue tout exprès pour la chercher. . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Enfin Philocomasie rentre chez le voisin, passe par la fausse porte, va se jetter sur son lit, où Sceledre la trouve. Cela acheve de le confondre, & il croit réellement s’être trompé.

Lorsque les ressemblances sont préparées, ménagées comme celle de Philocomasie & de Glycere, le public ne s’avise point de chicaner sur la ressemblance, puisqu’il ne peut voir si elle est imparfaite, & il n’a pas besoin de la moindre complaisance pour se prêter à l’illusion. Le public sachant encore que Philocomasie va profiter de la fausse porte pour jouer deux rôles, ne risque plus de faire une méprise, & rit à son aise du tour qu’elle joue à Sceledre : d’ailleurs on n’a pas besoin du secours d’aucun masque. On peut même, je crois, tirer d’une ressemblance ainsi annoncée, un meilleur parti que Plaute. Il n’y a qu’à supposer entre les deux jumeaux, ou les deux personnes qui se ressemblent, un son de voix différent, une démarche, une façon de se mettre, un caractere même tout-à-fait opposé ; de cette façon l’Acteur qui joue les deux rôles peut les varier, y mettre infiniment plus de comique, & jouer sa dupe avec beaucoup plus de vraisemblance36.