(1772) De l’art de la comédie. Livre second. De ses différents genres (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE XXXVII. Du titre des Pieces à caractere. » pp. 417-432
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(1772) De l’art de la comédie. Livre second. De ses différents genres (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE XXXVII. Du titre des Pieces à caractere. » pp. 417-432

CHAPITRE XXXVII.
Du titre des Pieces à caractere.

Les Auteurs frémiroient de la négligence qu’ils affectent pour les titres de leurs pieces, si, réfléchissant sur l’Histoire du Théâtre, si, étudiant la cause de la réussite ou de la chûte des pieces, ils daignoient voir que plusieurs bonnes comédies sont tombées, ou n’ont pas eu un grand succès, par la faute seule du titre. Tous les théâtres fourmillent d’exemples ; je n’en citerai qu’un, parceque nous avons déja traité cette matiere dans le premier volume, Chapitre IV, du choix d’un titre.

La piece que je présente pour exemple est l’Orpheline léguée, comédie en trois actes & en vers libres par M. Saurin 72, de l’Académie Françoise. L’Auteur laisse entrevoir dans sa Préface, qu’il auroit intitulé sa comédie l’Anglomane s’il n’avoit craint de lui donner un titre trop ambitieux. On voit peu d’Auteurs pécher faute d’être fastueux, & M. Saurin a sacrifié son succès au plaisir de faire par sa modestie la critique de presque tous ses confreres. Mes Lecteurs seront de mon avis après avoir lu la premiere scene & une courte analyse de l’Orpheline léguée ou de l’Anglomane : je les exhorte à retenir & à rapprocher ce qui convient à chacun de ces titres.

ACTE I. Scene I.

DAMIS, en habit à l’Angloise, avec une petite perruque ronde ; FINETTE, avec un petit chapeau à l’Angloise.

Finette, avec surprise.

C’est vous, Monsieur Damis ?

Damis.

Chut ! Blacmore est mon nom.
De plus, Anglois : souviens-t’en.

Finette.

Bon !
De ce déguisement que faut-il que j’augure ?

Damis.

 Tu le sauras. Mais par quelle aventure
  Te rencontré-je en ce logis ?
  Lorsque je quittai ce pays
  Pour faire un tour en Angleterre,
  Chez la Marquise d’Enneterre
Tu servois.

Finette.

Il est vrai. Mais avec de gros biens,
Prodigue par caprice, avare par nature,
 Elle est impérieuse & dure,
Ne hait que son époux, & n’aime que ses chiens.
Que sans cesse pour eux il fût maltraité ; passe,
C’est un mari : mais moi, j’en devins bientôt lasse.
Un beau jour je quittai Madame & ses gredins.
Enfin, je sers ici.

Damis.

Tant mieux. Pour mes desseins
Je t’y trouve à propos. J’espere que Finette
N’aura pas oublié que je suis libéral.

Finette.

Ma mémoire, Monsieur, n’est pas toujours bien nette :
C’est là, je l’avouerai, mon défaut capital.

Damis, lui présentant une bague.

Voici, pour t’en guérir, une sure recette.

Finette, avec une révérence.

On ne refuse point le remede à son mal.
Çà, pour bien m’acquitter, parlez : que faut-il faire ?

Damis.

Me mettre au fait d’Eraste & de son caractere :
 Je ne suis instruit qu’à demi.

Finette.

Lisimon cependant est son meilleur ami :
C’est votre oncle.

Damis.

S’il faut qu’Eraste lui ressemble,
 C’est un Philosophe parfait.
Mais lorsque l’amitié les a liés ensemble,
J’étois absent.

Finette.

Votre oncle est un sage en effet ;
(S’il est pourtant permis à quelque homme de l’être.)
Eraste l’est bien moins qu’il ne le veut paroître.
Lisimon a sur lui le plus fort ascendant,
Et l’a déja sauvé de plus d’une méprise.
Il condamne sur-tout, & sans ménagement,
La singularité dont son ame est éprise.

Damis.

Apprends-moi donc...

Finette.

Voyez d’abord le beau côté :
Eraste a le cœur noble & plein d’humanité.
 Nous l’aimons tous tant que nous sommes :
  Car, malgré l’inégalité,
  Ses valets sont pour lui des hommes.
Une chose sur-tout l’honore infiniment.

Damis.

Eh ! quelle est cette chose ?

Finette.

Un trait rare.

Damis.

Comment ?

Finette.

Sophie... (Elle s’arrête en regardant Damis.)

Damis, vivement.

Eh bien ! acheve donc. Sophie...

Finette.

Oh ! oh ! quel feu ! Je gagerois ma vie...

Damis.

Ne gage point, & finis promptement.
Tu disois donc que Sophie...

Finette.

Un moment.
Je disois que Sophie eut pour pere Pirante ;
 Que par le sang & l’amitié
Il fut avec Eraste étroitement lié ;
 Que d’une fortune brillante
 Dépouillé par un coup du sort,
 La douleur lui donna la mort.
 Sophie étoit lors en bas âge ;
 Et son pere, pour héritage,
N’avoit à lui laisser qu’un fonds très décrié,
L’amitié d’un parent. Qui s’y seroit fié ?
 Pirante osa compter sur elle ;
Et par un testament d’espece fort nouvelle
 Il fit l’honneur à ce parent,
Non de recommander à ses soins son enfant,
Mais de le subroger en sa place de pere :
En un mot, comme un don, imposant ce devoir,
De sa fille à nourrir, élever & pourvoir,
 Il fit Eraste légataire.

Damis.

 Qu’un tel acte est noble & touchant !
Il n’est qu’un cœur véritablement grand
 Qui soit capable de le faire.

Finette.

Eraste en étoit digne. A peine encor majeur,
Il accepta son legs comme un très grand honneur,
 Sans pourtant y mettre de faste.
Un couvent fut l’asyle où des soins assidus
 Ont formé Sophie aux vertus.
Elle comptoit seize ans, quand une sœur d’Eraste...

Ces deux couplets semblent vouloir tenir ce que promet le titre d’Orpheline léguée ; mais ce sont les seuls. Continuons.

Damis.

Quelle est cette sœur ?

Finette.

Entre nous,
C’est un composé rare, & qui par fois allie
Un bon sens étonnant à beaucoup de folie.
Veuve, graces au Ciel, de son troisieme époux,
Elle vint demeurer au logis de son frere :
Notre orpheline alors quitta son monastere.
 Un an depuis s’est écoulé ;
 En sorte que, tout calculé,
 La pauvre enfant se trouve âgée
 De dix-sept ans, & partagée
 De trésors qui s’en vont croissant
 Chaque jour, & l’embellissant.
. . . . . . . . . .
. . . . . . . . . .
 Vous l’aimez, Monsieur, tout est dit...
Comme sa propre fille Eraste la chérit ;
Et c’est à cet égard un homme incomparable.

Damis.

Je le trouve très respectable.

Finette.

 Voyez à présent les revers :
Il s’est fait singulier, pour être Philosophe.
 C’est la source de cent travers,
Qui de tout le public lui valent l’apostrophe
 Du plus grand fou de l’univers.
 Placé dans la Magistrature,
Où l’on vante, à bon droit, son savoir, sa droiture,
Il faut bien qu’à la ville il en porte l’habit :
Mais, dans cette campagne où d’ordinaire il vit,
On s’habille, on se coeffe & l’on toste à l’Angloise.
(J’estropiai long-temps ce mot encor nouveau.)
A son œil prévenu, sans un petit chapeau,
 Il n’est point de femme qui plaise.

Damis.

Je trouve qu’en effet il te sied assez bien :
Mais je crois qu’à Sophie...

Finette.

Oh ! sans doute... Il n’est rien
 Qui d’Eraste obtienne l’estime,
Si, venu d’Angleterre, il n’en porte le sceau.
 Chez ce peuple tout est sublime ;
Et chez nous il n’est rien d’utile ni de beau.

Damis.

Que cette nation libre, noble, éclairée,
 Par Eraste soit admirée,
 Est-ce donc un cas si nouveau ?
 Elle est respectable.

Finette.

Sans doute :
Mais exclusivement la vouloir estimer !
Tout admirer chez elle, & chez nous tout blâmer !
Soutenir qu’autre part personne ne voit goutte !...

Damis.

 Il a grand tort, à mon avis.
Tout peuple a ses défauts, & tout peuple a son prix.
Mais à des préjugés s’il faut que l’on se livre,
 Par préférence, un citoyen doit suivre
Ceux qui lui font aimer son Prince & son pays.

Finette.

Fort bien ! Mais c’est là sa manie.
Il prétend même que Sophie
Apprenne incessamment l’Anglois.

Damis.

Tu vois son maître.

Finette.

Vous ?

Damis.

Te voilà bien surprise.

Finette.

Aux belles, je le sais, vous parlez bon françois :
 Mais savez-vous l’anglois ?

Damis.

Sottise !
 Enseigner ce qu’on ne sait pas,
Est-ce chose, dis-moi, si rare dans le monde ?
Que de gens à Paris, bien vêtus, gros & gras,
Dont, sur ce beau secret, la cuisine se fonde !
 Des Anglois Eraste fait cas :
Mais, pour lui, m’a-t-on dit, leur langue est de l’arabe.
 Il n’en sait pas une syllabe.
Moi, j’en puis écorcher quelques mots au besoin.
O di dou, Miss ? Kiss-mi.

Finette.

Ce mot a de quoi plaire.

Damis, voulant l’embrasser.

Il faut te l’expliquer.

Finette.

Epargnez-vous ce soin.

Damis.

 Je suis muni d’une grammaire.
 Londres fut un temps mon séjour ;
Et puis j’aurai pour moi la fortune & l’amour.

Finette.

L’amour ! Vraiment, Eraste en condamne l’usage.
Avec ce regard tendre & ce joli visage,
 (Jugez combien cet homme est fou !)
De sa jeune pupille il prétend faire un sage,
 Qui, renonçant au mariage,
 Dans sa retraite de hibou,
Perde, à philosopher, le plus beau de son âge,
Et prenne, au lieu d’amour, de l’ennui tout son soul.

Damis.

Il faut m’aider à rompre un projet si blâmable.

Finette.

Mais Sophie à vos vœux est-elle favorable ?

Damis.

 Mon amour n’a point éclaté :
Mes regards seuls ont pu lui déclarer ma flamme.
Je croirois cependant avoir touché son ame,
 Si ses yeux ne m’ont pas flatté.

Finette.

 De son cœur ils sont la peinture.
La naïve Sophie, en sa simplicité,
 Est une glace encore pure,
  Qui réfléchit la nature
  Dans toute sa vérité.

Damis.

 Mais j’ai pu me tromper moi-même.
Sophie ignore encore à quel excès je l’aime ;
 Et cet amour fait tout mon prix.

Finette.

Si modeste à vingt ans ! tandis qu’en cheveux gris,
 Il est tant de fats honoraires !
Vous êtes un phénix ; & l’on ne voit plus gueres...
 Mais Eraste s’avance... Adieu.
Il est très important de prévenir Sophie :
Je m’en charge.

Damis.

A tes soins mon amour se confie.

Tout, dans cette exposition, ne promet-il pas la peinture d’un homme qui ne se contente pas d’admirer ce que les Anglois ont d’estimable, mais qui chérit jusqu’à leurs défauts, & qui a la manie de les estimer en tout. Il y a, à la vérité, comme nous l’avons remarqué, un couplet où il est question de Sophie léguée à Eraste ; mais ce n’est qu’en passant. Continuons.

Scene II.

Eraste marque, dans cette scene, à Damis qu’il croit un maître Anglois, son enthousiasme pour l’Angleterre & pour tout ce qui lui appartient. Il dit avec vivacité : Ah ! si dans ce pays j’avois un coin de terre ! Il cite avec vénération Locke. Pas un mot qui ait rapport au legs de l’Orpheline.

Scene III.

Eraste présente à Sophie le prétendu maître. Il exhorte Bélise à apprendre l’anglois ; il vante la coutume où il est de prendre tous les matins du thé à l’angloise, & il n’est pas question du legs.

Scene IV.

L’Olive porte une lettre de Milord Cobbam, écrite en anglois. Comme Eraste n’entend pas cette langue, il la donne à lire au prétendu maître, qui l’entend aussi peu qu’Eraste, & qui, par conséquent, est très embarrassé. Après bien des quiproquo très plaisants, il imagine de lire que celui qui écrit va marier son fils. Eraste, satisfait, jure de par Newton qu’il voyagera en Angleterre, & qu’il verra Londres, la patrie de tous les Précepteurs du monde. Pas la plus petite mention du legs.

Scene V.

L’Olive revient pour annoncer l’arrivée d’un cheval anglois. Voilà Eraste enchanté ; il ne se possede pas de joie ; il vole pour voir ce précieux cheval, & voudroit emmener tout le monde avec lui.

ACTE II.

Sophie & Damis font une scene amoureuse ; Eraste surprend Damis aux genoux de sa pupille : grand trouble des amants ! la manie du tuteur les aide à sortir d’embarras. On sera charmé de voir la scene.

Scene VII.

SOPHIE, DAMIS, ERASTE au fond du théâtre, FINETTE.

Finette, à Damis.

Prenez garde : on vient de ce côté.
Eraste... Il pourroit vous entendre.

Damis, bas.

(Haut, à Sophie.)
Laisse-moi faire. Eh bien ! jugez, par cet essai,
Si nos Auteurs n’ont pas cette expression tendre...
(A Eraste, qui s’avance.)
Je lui disois, Monsieur, un beau morceau d’Othouai.
 Mademoiselle s’imagine
 Qu’il n’a rien d’égal à Racine.

Eraste.

Oh !

Sophie.

Mais exprime-t-il un sentiment bien vrai ?
Je crains.

Damis.

C’est la nature même.
Mon Auteur est sans art, & ne sait que sentir.

Eraste.

Avant tout autre, il en est un que j’aime ;
C’est Shakespear.

Damis.

Nous prononçons Chespir.

Eraste.

Chespir, soit. Mais en tout j’admire sa maniere.
J’aime des fossoyeurs, qui, dans un cimetiere,
Moralisent gaiement sur des têtes de morts.
Nous n’avons rien chez nous de si philosophique :
Nos esprits pour cela ne sont pas assez forts...
  Othouai, dit-on, est pathétique.
 Je voudrois bien entendre ce morceau
Que tout-à-l’heure...

Damis.

Oui... Mais...

Eraste.

Quoi donc ?

Damis.

Seroit-il beau
 Qu’un sage, en matiere pareille ?...
C’est de l’amour... L’amour offense votre oreille.

Eraste.

C’est de l’amour anglois... Je saurai me prêter.
Voyons.

Damis.

Il faut vous contenter.

Eraste.

A quoi rêvez-vous donc ?

Damis.

Je cherche à vous bien rendre
Ce que l’Auteur fait dire à l’amant le plus tendre.
 « Abjurez une triste erreur :
 « Le Ciel à l’humaine nature
 « Donna la beauté pour parure,
 « Et l’amour pour consolateur.
 « Dans le calice de la vie,
 « C’est une goutte d’ambroisie
 « Qu’y versa la bonté des Dieux.
« On vous a peint l’amour de rayons odieux.
« Voyez-le tel qu’il est : il s’est peint dans mes yeux :
 « Ils vous disent : Je vous adore :
 « Mon cœur vous le dit encor mieux... »

Eraste.

  Savez-vous bien, Monsieur Blacmore,
 Que vous seriez comédien parfait ?
  Ma foi, si je n’étois au fait,
Je croirois voir en vous un amant véritable.

Damis.

Et le morceau ?

Eraste.

Charmant, grace à nos traducteurs,
 Je connois un peu vos Auteurs.
Les nôtres n’ont plus rien qui me soit supportable.
Avons-nous un poëte à Pope comparable ?
Depuis qu’il a prouvé qu’ici-bas tout est bien,
 Je verrois tout aller au diable,
 Que je croirois qu’il n’en est rien.
 Tout en sortant de sa lecture,
J’eus la goutte ; mon corps étoit à la torture...

Finette.

 Eh ! mais, Monsieur, je m’en souviens :
Vous poussiez de grand cris.

Eraste.

Je criois... Tout est bien.

Finette.

Par ma foi, vous faisiez une laide figure.

Eraste, à Sophie.

 Sentez-vous bien votre bonheur ?
 Incessamment vous pourrez lire
 En original cet Auteur.
Oh ! çà, Monsieur, daignez me dire :
Lui trouvez-vous des dispositions ?
Sera-t-elle bientôt habile ?

Damis.

Il le faut espérer, pourvu qu’à mes leçons
 Mademoiselle soit docile.

Eraste.

 Comptez là-dessus, j’en réponds...
 Comment ! vous nous quittez, Sophie !

Sophie.

Oui, je vais au jardin.

Finette.

Nous avons à rêver :
Ce qu’enseigne Monsieur, il faut qu’on l’étudie.

Eraste.

Fort bien ! dans votre esprit tâchez de le graver.
Mon cher Blacmore, allez, faites-leur compagnie :
Tout en se promenant elle prendra leçon.
(A Sophie.)
Ne le voulez-vous pas ?

Finette.

Oui, Monsieur a raison :
Ce qu’on apprend ainsi, s’apprend toujours sans peine.

Eraste, à Damis.

 Si cependant cela vous gêne...
Vous pourriez aimer mieux causer avec moi.

Damis.

Non.
Franchement, je préfere à tout mes écolieres.

Eraste est enchanté des leçons du jeune maître ; il est bien certain que Sophie profitera entre ses mains : il proteste qu’il seroit impossible de trouver dans un jeune François toutes les connoissances que le faux Anglois réunit. Il parle de son amour pour sa pupille, & ne sait trop s’il doit l’épouser, parceque Newton ne s’est pas marié.

Bélise, sœur d’Eraste, paroît la larme à l’œil & le désespoir dans le cœur ; un homme qui venoit l’épouser est arrêté en route par une maladie très dangereuse. Eraste, toujours plein de cette philosophie qui aide à caractériser sa manie, dit qu’il ne faut s’affliger de rien. Dans le temps qu’il prêche cette belle morale, on vient lui annoncer que son cheval anglois s’est noyé ; il en est furieux, & veut étrangler le valet qui, par son imprudence, l’a privé d’un coureur dont la race jadis, à New-Market, gagna plus d’un pari.

ACTE III.

Eraste veut vendre sa charge pour se livrer à la philosophie. Lisimon son ami, homme sensé, l’en dissuade, & l’exhorte à se marier. Eraste avoue qu’il a projetté d’épouser sa pupille ; Lisimon approuve ce mariage, quoiqu’il fût venu dans le dessein de lui demander Sophie pour son neveu. Eraste dit à son ami qu’il a reçu une lettre de Milord Cobbam, qui lui apprend le mariage de son fils. Lisimon surpris lui dit qu’il a reçu une lettre du même, qui lui marque la mort de ce fils. Comme il sait l’anglois, il prend la lettre des mains d’Eraste, & lit.

« Mon cher ami, c’est le plus malheureux des peres qui vous écrit ; j’ai perdu mon fils en deux jours. Sa mort, &c. » Eraste voit qu’il est la dupe du prétendu maître ; il le fait appeller. Damis paroît & reconnoît son oncle Lisimon : il avoue son amour. Le tuteur voit que Damis est aimé, & lui donne sa pupille.

Le public, qui, avant la réflexion, juge toujours d’après ce qu’on lui promet, & non d’après ce qu’on auroit dû lui promettre, n’écouta pas sans murmurer, à la premiere réprésentation, des scenes, une action, un dialogue où il ne trouvoit rien de ce qu’il avoit espéré. J’ose parier que si le titre lui eût promis un Anglomane, il auroit été aussi satisfait qu’il étoit mécontent : il me l’a prouvé lui-même. Voici comment.

Le premier jour on condamne la piece ; on raisonne ensuite sur le drame ; on est surpris que certaines scenes, certaines situations aient déplu ; on en cherche la cause, on la trouve ; on revient à cette même piece dans l’idée qu’elle doit être intitulée l’Anglomane : on écarte le premier titre pour ne se souvenir que du second ; la piece, malgré les premiers coups, qui sont toujours mortels, se releve, & a plusieurs représentations. Ai-je tort de dire que le public a prouvé ce que j’ai avancé, & que le sort d’une piece dépend souvent du titre ?