(1772) De l’art de la comédie. Livre second. De ses différents genres (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE XXXVIII. De l’exposition des Caracteres. » pp. 433-447
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(1772) De l’art de la comédie. Livre second. De ses différents genres (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE XXXVIII. De l’exposition des Caracteres. » pp. 433-447

CHAPITRE XXXVIII.
De l’exposition des Caracteres.

Dans le premier volume de cet ouvrage, nous avons déja consacré un Chapitre aux diverses expositions nécessaires dans une piece : exposition du lieu de la scene, exposition des événements arrivés avant l’action, &c. &c. Si nous avons suffisamment fait voir l’utilité de ces différentes expositions, on concevra facilement combien il est nécessaire qu’un caractere sur lequel roulera toute la machine, soit annoncé précisément pour ce qu’il doit être, & avec toutes les précautions nécessaires.

Si le héros ouvre seul la scene, il faut qu’il expose lui-même son caractere ; ce qui n’est pas facile, parcequ’un homme, ne connoissant point ordinairement ses défauts, ses ridicules, ses vices, ou les voyant d’un œil indulgent, risque de ne pas se peindre avec toute la fidélité nécessaire en pareil cas, ou, ce qui est encore pis, de ne toucher presque point à son portrait qui est essentiel, & de faire celui de tout ce qui l’entoure, & qui nous intéresse moins. Destouches va nous fournir un exemple qu’il faut bien se garder de suivre.

LE PHILOSOPHE MARIÉ,
OU
LE MARI HONTEUX DE L’ÊTRE.

ACTE I. Scene I.

(Le théâtre représente un cabinet de livres. Ariste est assis vis-à-vis d’une table sur laquelle il y a une écritoire & des plumes, des livres, des instruments de mathématique, & une sphere.)

Ariste, seul, en robe de chambre.

Oui, tout m’attache ici : j’y goûte avec plaisir
Les charmes peu connus d’un innocent loisir :
J’y vis tranquille, heureux, à l’abri de l’envie.
La folle ambition n’y trouble point ma vie.
Content d’une fortune égale à mes souhaits,
J’y sens tous mes desirs pleinement satisfaits.
Je suis seul en ce lieu sans être solitaire,
Et toujours occupé sans avoir rien à faire.
D’un travail sérieux veux-je me délasser,
Les Muses aussi-tôt viennent me caresser.
Je ne contracte point, grace à leur badinage,
D’un savant orgueilleux l’air farouche & sauvage.
J’ai mille courtisans rangés autour de moi :
Ma retraite est mon Louvre, & j’y commande en roi.
Mais je n’use qu’ici de mon pouvoir suprême ;
Hors de mon cabinet, je ne suis plus le même.
Dans l’autre appartement toujours contrarié,
Ici, je suis garçon ; là, je suis marié.
Marié ! C’est en vain que l’on se fortifie,
Par le grave secours de la Philosophie,
Contre un sexe charmant que l’on voudroit braver ;
Au sein de la sagesse il sait nous captiver :
J’en ai fait, malgré moi, l’épreuve malheureuse.
Mais ma femme, après tout, est sage, vertueuse :
Plus amant que mari je possede son cœur :
Elle fait son plaisir de faire mon bonheur.
Pourquoi contre l’hymen est-ce que je déclame ?
Ma femme est toute aimable. Oui, mais elle est ma femme :
En elle j’apperçois des défauts chaque jour,
Qu’elle avoit avec art cachés à mon amour.
Sexe aimable & trompeur, c’est avec cette adresse
Que vous savez des cœurs surprendre la tendresse !
Insensé que j’étois ! ai-je dû présumer
Que le Ciel pour moi seul eût pris soin de former,
Ce qu’on ne vit jamais, une femme accomplie ?
Je l’ai cru cependant, & j’ai fait la folie.
C’est à moi, si je puis, d’éviter tous débats,
De prendre patience, & d’enrager tout bas.

Que nous apprend Ariste dans cette longue tirade ? Qu’il a un cabinet & des livres, qu’il cultive les Muses. Que nous importe, puisque son cabinet, ses livres, & les Muses, ne seront pour rien dans la piece ? Il nous parle de son mariage, mais d’une façon à nous persuader que les défauts de sa femme l’ont dégoûté de son hymen, tandis que, dans le courant de l’ouvrage, Mélite ne montre pas l’ombre d’une imperfection. Elle desire, à la vérité, d’être publiquement reconnue pour l’épouse d’Ariste, afin de ne pas compromettre sa réputation, & d’être délivrée des soupirants qui la recherchent ; mais elle ne commet pas la moindre indiscrétion sur le secret que son mari a la folie de vouloir garder. Enfin le Philosophe, non content de nous peindre ce qui est inutile, de nous faire un faux portrait de ce qui l’entoure, ne nous dit rien de positif sur son caractere. Il nous satisfera, dit-on, dans la seconde scene. C’est bien tard ! N’importe, voyons.

Scene II.

ARISTE, DAMON.

Ariste se met à lire, le coude appuyé sur la table, ensuite il dit par réflexion :

Me voilà justement : c’est la vive peinture
D’un sage désarmé, dompté par la nature.

N’ai-je point eu raison de dire qu’on se flatte toujours lorsqu’on se peint soi-même ? Un Sage que la nature a désarmé aussi honnêtement, n’a pas la sottise d’en rougir, & d’en être honteux. En vain notre prétendu Philosophe feint, durant toute la piece, de vouloir cacher son mariage par rapport à son pere, à son oncle ; il nous trompe & se trompe lui-même : c’est une mauvaise honte qui le guide. Comparons l’exposition qu’il fait de son caractere avec celle que le Malade imaginaire fait du sien.

ACTE I. Scene I.

Argan assis, ayant une table devant lui, comptant avec des jettons les parties de son Apothicaire.

Trois & deux font cinq & cinq font dix & dix font vingt.

« Plus, du vingt-quatrieme, un petit clystere insinuatif, préparatif & émollient, pour amollir, humecter & rafraîchir les entrailles de Monsieur ».

Ce qui me plaît de Monsieur Fleurant mon apothicaire, c’est que ses parties sont toujours fort civiles. Les entrailles de Monsieur, trente sous. Oui ; mais, Monsieur Fleurant, ce n’est pas tout que d’être civil, il faut être aussi raisonnable, & ne pas écorcher les malades. Trente sous un lavement ! je suis votre serviteur. Je vous l’ai déja dit, vous ne me les avez mis dans les autres parties qu’à vingt sous, & vingt sous en langage d’apothicaire, c’est-à-dire dix sous ; les voilà, dix sous.

« Plus, dudit jour, un bon clystere détersif, composé avec catholicum double, rhubarbe, miel rosat & autres, suivant l’ordonnance, pour balayer, laver & nettoyer le bas-ventre de Monsieur, trente sous ».

Je ne me plains pas de celui-là, car il me fit dormir. Dix, quinze, seize, & dix-sept sous six deniers.

« Plus, du vingt-cinquieme, une bonne médecine purgative & corroborative, composée de casse récente, avec séné levantin, & autres, suivant l’ordonnance de Monsieur Purgon, pour expulser & évacuer la bile de Monsieur, quatre livres ».

Ah ! Monsieur Fleurant, c’est se moquer ; il faut vivre avec les malades : mais Monsieur Purgon ne vous a pas ordonné de mettre quatre livres. . . . . . Ah ! Monsieur Fleurant, tout doux s’il vous plaît : si vous en usez comme cela, on ne voudra plus être malade.... . . . . . . . . . .

On ne voudra plus être malade ! voilà des mots très heureux & qui valent, à mon sentiment, la tirade du Philosophe marié.

Si bien donc que ce mois j’ai pris une, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, huit médecines & douze lavements ; & l’autre mois il y avoit douze médecines & vingt lavements. Je ne m’étonne pas si je ne me porte pas si bien ce mois-ci que l’autre. Je le dirai à Monsieur Purgon, afin qu’il mette ordre à cela. . . . . . .

Je ne rappellerai ni les beautés, ni les défauts des deux scenes ; si l’on retranche la premiere, il n’y paroîtra pas aux représentations de la piece. En feroit-on autant de celle-ci sans gâter l’ouvrage ? Toutes les expositions dans lesquelles le héros fait son portrait de dessein prémédité, sont mauvaises : il faut qu’il se peigne sans le vouloir.

Une exposition est beaucoup plus facile lorsque le premier personnage n’ouvre pas la scene tout seul. Si l’amour-propre, commun à tous les hommes, l’engage à se flatter, l’autre interlocuteur le redresse, & nous le peint au naturel. Ce que nous avons vu de la premiere scene du Misanthrope, en parlant des contrastes, peut nous servir ici de modele ; Alceste y veut ériger sa misanthropie en vertu, & Philinte lui prouve qu’il se rend ridicule en la poussant à l’excès.

Lorsque le héros ne paroît pas le premier, toutes les scenes qui précedent son arrivée doivent nécessairement nous le peindre, ou du moins nous entretenir de lui ; ce qui n’est pas fort aisé, sur-tout lorsque le héros ne paroît qu’au troisieme acte, comme dans le Tartufe : aussi fait-on quelques reproches à Moliere sur cet article. Voyons s’ils sont fondés.

ACTE I. Scene I. Madame Pernelle, après avoir apostrophé Elmire, Marianne, Cléante, Damis & Dorine, parle de Tartufe avec la plus grande vénération. C’est un homme de bien, dit-elle, qu’il faut que l’on écoute. Elle s’emporte contre Damis qui ose le quereller. Damis annonce qu’il en viendra à quelque éclat avec lui, parcequ’il ne peut souffrir qu’un cagot de critique usurpe un souverain pouvoir dans la maison. Dorine ajoute qu’on est scandalisé avec raison de voir un inconnu, un gueux, qui n’avoit pas de souliers lorsqu’il vint dans la maison, s’y impatroniser jusqu’au point d’y faire le maître. Elle le soupçonne d’être amoureux d’Elmire. Madame Pernelle prend feu, & le défend avec le plus grand zele. Je pense qu’il est assez question de lui dans cette scene.

Scene II. Dorine peint à Cléante le foible qu’Orgon a pour Tartufe.

Scene III. Scene de dix vers dans lesquels on dit à Cléante qu’il est bien heureux de n’avoir pas entendu les discours que Madame Pernelle a tenus à la porte.

Scene IV. Damis soupçonne que Tartufe s’oppose au mariage de Marianne avec Valere, & prie Cléante de parler à son pere de cet hymen.

Scene V. Orgon s’informe, en arrivant de la campagne, de ce qu’on fait dans sa maison. Dorine lui annonce que Madame a été malade ; il l’interrompt pour lui dire : Et Tartufe ? Dorine lui répond qu’il se porte bien, & veut continuer à parler de la maladie d’Elmire ; mais Orgon l’interrompt encore à plusieurs reprises, en lui disant : Et Tartufe ?

Scene VI. Cléante reproche au trop crédule Orgon la foiblesse qu’il a de préférer Tartufe à tout. Orgon fait l’éloge de Tartufe, de ses vertus, raconte la maniere dont il fit sa connoissance, vante les sentiments que ce dévot personnage lui inspire tous les jours, & se félicite de l’avoir retiré chez lui, parceque tout semble y prospérer depuis ce temps-là.

ACTE II. Scene I. Orgon demande à Marianne ce qu’elle pense de Tartufe, & lui dit de bien prendre garde à ce qu’elle répondra.

Scene II. Orgon annonce à sa fille qu’il veut lui donner Tartufe pour époux. Dorine feint de ne le pas croire assez fou pour marier Marianne avec un homme qui n’a rien. Orgon vante la naissance de Tartufe. Dorine persiste à dire de lui tout le mal possible, & à soutenir que sa jeune maîtresse n’est pas l’affaire d’un bigot.

Scene III. Dorine gronde Marianne de ce qu’elle n’a pas refusé tout net la main de Tartufe. Elle se moque d’elle, lui dit que puisqu’elle veut de Tartufe, elle en tâtera, qu’elle sera tartufiée. Elle lui peint malignement les plaisirs qu’elle goûtera quand elle sera la femme d’un époux si beau, qui a l’oreille rouge & le teint fleuri ; sur-tout lorsqu’elle ira par le coche voir les parents de son époux. Marianne la prie de lui sauver l’horreur de cette union.

Scene IV. Valere apprend que Marianne doit s’unir à Tartufe : il vole pour s’informer si la nouvelle est vraie : Marianne lui répond que son pere lui a nettement déclaré ses volontés sur ce mariage. Valere, troublé, lui demande à quoi elle se détermine ; elle, plus troublée encore, lui demande à son tour ce qu’il lui conseille : l’amant est piqué qu’elle ne soit pas déterminée à tout sacrifier pour lui : ils se brouillent, ils se raccommodent : l’amante finit par promettre qu’elle ne sera pas à d’autre qu’à Valere.

ACTE III. Scene I. Damis consent d’être écrasé par la foudre, & de passer pour un faquin, s’il n’arrête les complots de Tartufe. Il veut absolument dire deux mots à l’oreille de ce fat : Dorine le retient, l’exhorte à laisser agir sa belle-mere : elle vient de sa part demander un moment d’entretien à l’imposteur : elle l’a fait appeller ; il paroît.

Du moment où la toile se leve, jusqu’à l’arrivée du héros, il est question de lui dans toutes les scenes, si l’on excepte la troisieme du premier acte.

Elmire, à Cléante.

Vous êtes bienheureux de n’être pas venu
Au discours qu’à la porte elle nous a tenu.
Mais j’ai vu mon mari : comme il ne m’a point vue,
Je veux aller là-haut attendre sa venue.

Cléante.

Moi, je l’attends ici, pour moins d’amusement ;
Et je vais lui donner le bonjour seulement.

Ce n’est qu’une scene de liaison ; d’ailleurs il est à parier que Madame Pernelle n’a pas oublié Tartufe dans le discours qu’elle a tenu à la porte, & il eût été très facile à Moliere de nous le dire. On soutient que la brouillerie & le raccommodement de Valere avec Marianne font oublier Tartufe. Il est vrai que les beautés de cette scene fixent l’attention du spectateur sur les amants ; mais ces mêmes beautés sont amenées par la crainte où est Valere de voir passer celle qu’il aime dans les bras de Tartufe. Tartufe seul a donné lieu à la scene. Il n’a été question que de lui dans le commencement de la scene, & la scene finit par le serment que Marianne fait de n’être point à Tartufe. Convenons qu’il faut avoir de l’humeur pour faire des reproches pareils à Moliere. Voyons si Destouches est aussi exact dans le Glorieux.

ACTE I. Scene I.

Pasquin.

Lisette ne vient point ! Je crois que la fripponne
A voulu se moquer un peu de ma personne,
En me donnant tantôt un rendez-vous ici.
Pour le coup, je m’en vais. Ah ! ma foi, la voici.

Il n’est pas question du Glorieux dans ce bout de scene : comme elle n’est composée que de quatre vers très inutiles à la piece, elle ne mérite pas que nous y fassions grande attention.

Scene II. Lisette prie Pasquin de lui peindre le caractere de son maître, & dévoile en échange celui de sa maîtresse. Voilà qui va bien : j’aurois seulement desiré de voir le portrait du héros avant celui d’Isabelle.

Scene III. Excellente scene ! La Fleur, en se plaignant du Comte de Tufiere, qui ne daigne pas lui parler, donne un coup de pinceau bien énergique à son portrait.

Scene IV. Pasquin acheve de peindre son maître, & c’est au mieux. Je remarquerai seulement que dans cette scene le portrait de Philinte est aussi caractérisé, & marque autant que celui du Glorieux.

Pasquin.

Sa politique
Est d’être toujours grave avec un domestique :
S’il lui disoit un mot il croiroit s’abaisser.
Et qu’un valet lui parle, il se fera chasser.
Enfin, pour ébaucher en deux mots sa peinture,
C’est l’homme le plus vain qu’ait produit la nature :
Pour ses inférieurs plein d’un mépris choquant :
Avec ses égaux même il prend l’air important :
Si fier de ses aïeux, si fier de sa noblesse,
Qu’il croit être ici-bas le seul de son espece :
Persuadé d’ailleurs de son habileté,
Et décidant sur tout avec autorité ;
Se croyant en tout genre un mérite suprême ;
Dédaignant tout le monde, & s’admirant lui-même :
En un mot, des mortels le plus impérieux,
Et le plus suffisant, & le plus glorieux.

Lisette.

Ah ! que nous allons rire !

Pasquin.

Et de quoi donc ?

Lisette.

Son faste,
Sa fierté, ses hauteurs font un parfait contraste
Avec les qualités de son humble rival,
Qui n’oseroit parler, de peur de parler mal,
Qui, par timidité, rougit comme une fille,
Et qui, quoique fort riche, & de noble famille,
Toujours rampant, craintif, & toujours concerté,
Prodigue les excès de sa civilité :
Pour les moindres valets rempli de déférences,
Et ne parlant jamais que par ses révérences.

Pasquin.

Oui, ma foi, le contraste est tout des plus parfaits,
Et nous en pourrons voir d’assez plaisants effets.
Ce doucereux rival, c’est Philinte sans doute ?
Mon maître d’un regard doit le mettre en déroute.

Je demande si le portrait de Philinte, placé à côté de celui du Comte, & presque aussi bien frappé, ne semble pas annoncer que le premier jouera dans la piece un rôle presque aussi conséquent que son contraste parfait : il ne paroît cependant que dans deux scenes. Je ne fais cette objection qu’en passant. Continuons.

Scene V. Lisimon demande si le Comte de Tufiere boit sec : Pasquin répond que son maître est le plus fort buveur du Régiment ; d’après cet éloge, le Financier se décide à lui donner la préférence sur Philinte qui met les trois quarts d’eau dans son vin.

Scene VI. Lisimon veut entretenir Lisette, il offre de lui donner un carrosse, des habits, des bijoux brillants, une maison somptueuse, pour avoir le droit d’aller le soir souper chez elle ; Lisette refuse : il la presse si vivement qu’elle est obligée d’appeller au secours. L’un & l’autre ne songent point au héros de la piece.

Scene VII. Valere, fils de Lisimon, & amant de Lisette, accourt : il feint de croire son pere malade, & veut envoyer chercher le Médecin. Il n’est pas question du Comte.

Scene VIII. Lisette & Valere s’entretiennent des excès de Lisimon. Valere offre à Lisette de l’épouser en secret ; elle veut un mariage en forme. Ils ont oublié le Glorieux.

Scene IX. Licandre apprend à Lisette qu’elle est d’une illustre famille, qu’elle peut prétendre à la main de Valere. Il demande des nouvelles du Comte de Tufiere, promet de le corriger, & le rappelle par-là dans le souvenir du spectateur : il étoit temps.

ACTE II. Scene I. Lisette fait des réflexions sur ce que Licandre lui a dit. Elle craint de n’être pas de qualité comme il le lui a certifié ; elle appréhende qu’il n’ait voulu se moquer d’elle. Elle croira s’être endormie pour faire un beau songe. Voilà encore une fois le Glorieux oublié.

Scene II. Lisette, après quelques façons, demande le secret à Valere, & lui avoue qu’elle est, à ce que dit Licandre, d’une illustre famille. Valere est enchanté, & l’est trop pour penser au Glorieux, aussi-bien que Lisette.

Scene III. Valere s’empresse de dire à sa sœur qu’elle doit respecter Lisette, & ne pas la regarder comme une femme-de-chambre.

Scene IV. Isabelle veut pénétrer le secret de Lisette, lui fait un crime de lui cacher ce qu’elle a dans le cœur, tandis qu’elle lui montre le sien à découvert. A propos de cela, on parle du Comte de Tufiere ; mais il ne sera pas long-temps question de lui.

Scene V. Le timide Philinte vient ennuyer Isabelle. Elle feint d’avoir la migraine, & se retire avec Lisette, qui a la migraine aussi.

Scene VI. Philinte devine qu’il a donné la migraine à Isabelle par sa timidité ridicule, & voudroit avoir le babil des jeunes courtisans.

Scene VII. Un laquais apporte une lettre pour le Comte de Tufiere.

Scene VIII. Le laquais donne la lettre à Pasquin, qui copie son maître, & reçoit le laquais d’un air impertinent : celui-ci sort en se moquant de lui.

Scene IX. Pasquin avoue qu’il a tort de copier son maître, il sent qu’un Glorieux est un sot animal. Le Comte arrive.

Ces trois dernieres scenes sont précieuses, en ce qu’elles nous rappellent d’une façon comique le Glorieux ; mais depuis le commencement de la piece jusqu’à l’arrivée du héros, nous avons neuf scenes longues & conséquentes pour la plupart, où l’on ne fait seulement pas mention de lui, & c’est un grand défaut. Ces scenes sont belles, me dira-t-on. D’accord : elles font grand plaisir, je le sais bien ; je sais aussi qu’elles en feroient davantage si leurs beautés tenoient au sujet & au personnage que le titre nous promet.

Il est encore nécessaire que le héros, en paroissant, se caractérise tout de suite par quelque trait frappant qui fasse dire au public : le voilà bien tel qu’on nous l’a peint, ou tel que le titre nous l’annonce. Les bons Auteurs y manquent rarement.

Tartufe entre sur la scene, voit Dorine, se compose tout de suite & dit à son laquais :

ACTE III. Scene II.

Laurent, serrez ma haire avec ma discipline,
Et priez que toujours le Ciel vous illumine.
Si l’on vient pour me voir, je vais, aux prisonniers,
Des aumônes que j’ai, partager les deniers.

Je défie qu’en entendant ces vers, on ne dise pas : Ah ! le Tartufe ! L’Avare ne se peint pas ainsi tout de suite en se montrant sur le théâtre. Il met à la porte la Fleche, il l’accuse d’être un filou : mais nous ignorons si la Fleche mérite réellement cette épithete ; & c’est vers le milieu de la scene seulement que l’avarice d’Harpagon paroît à découvert. Le Dissipateur de Destouches se présente très avantageusement.

ACTE I. Scene V.

Cléon.

Qu’on dise de ma part à mon maître-d’hôtel
Que je ne trouve plus ma dépense assez forte ;
Que cela déshonore un homme de ma sorte ;
Que le ménage ici ne convient nullement.
. . . . . Parlez-lui très sérieusement.
Je prétends que chez moi tout soit en abondance.
. . . . . . . . .
. . . . . . . . . .
Oui, pour me faire honneur, je ne plains jamais rien ;
Et mon plus grand plaisir est d’exciter l’envie.
. . . . . . . . .
. . . . . . . . .
C’est à moi de fournir, à lui de dépenser.

Pasquin.

Il ne mérite pas cette mercuriale ;
Car il prodigue tout, & sans cesse il régale.

Cléon.

Tant mieux. . . . . . . .
. . . . . . . . . .
Cela me fait plaisir. Mais je vois cependant
Qu’on se relâche un peu.

Pasquin.

C’est Monsieur l’Intendant
Qu’il faut en accuser ; il dit que les fonds baissent.

Cléon.

Défaites-moi, mon cher, de ce malheureux-là.
. . . . . . . . .
. . . . . . . .

Pasquin.

. . . . Mais il manque d’argent.

Cléon.

Qu’il vende deux contrats qui lui restent.

Pasquin.

L’Agent
Dont il se sert toujours pour ce petit négoce,
Dit qu’ils perdent moitié.

Cléon.

Qu’importe ? Mon carrosse...

Si Cléon, qui s’annonce si bien, se soutenoit toujours sur le même ton, la piece seroit une des meilleures que nous ayons au théâtre ; mais bientôt, & dans la même scene, il se fait prier pour prêter à sa maîtresse une somme qu’elle a perdue au jeu : je ne reconnois plus là le Dissipateur. J’aurois dû réserver cette derniere réflexion pour le Chapitre suivant, elle y seroit plus à sa place ; mais les limites disparoissent presque lorsqu’elles ne séparent que des choses faites naturellement pour se suivre.