(1772) De l’art de la comédie. Livre premier. De ses différentes parties (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE X. De la Diction. » pp. 178-203
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(1772) De l’art de la comédie. Livre premier. De ses différentes parties (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE X. De la Diction. » pp. 178-203

CHAPITRE X.
De la Diction.

Il faut que la diction d’une comédie soit, comme toutes ses autres parties, assujettie aux regles de la nature & de la vraisemblance, qui, devant régler & conduire l’action d’une fable, sans perdre un instant de vue l’intrigue, les caracteres, le dénouement, &c. ne doivent pas moins présider l’une & l’autre à la diction.

Le discours le plus familier est celui qui convient le plus à la comédie, & le seul que les bons Auteurs de tous les siecles & de toutes les nations aient employé.

Diction des Anciens.

La comédie Grecque n’a jamais, & dans aucun sujet, employé d’autre style que le familier. Prenons un exemple dans Aristophane 26.

LES NUÉES.

ACTE III.

Strépsiade sort de l’Ecole des Philosophes, il veut engager Phidippide son fils à devenir leur disciple. Le fils jure par Jupiter : ce serment choque le pere, qui lui dit que cela étoit bon autrefois, mais que depuis Socrate il n’y a plus de Jupiter.

Phidippide.

Qui dit de pareilles impiétés ?

Strepsiade.

Qui ? Socrate, Diagoras le Mélien, & Chairephon qui sait calculer les sauts des puces.

Phidippide.

Quoi ! mon pere, êtes-vous assez insensé pour croire ces bourrus atrabilaires ?

Strepsiade.

Doucement, mon fils, s’il vous plaît : ne dites point de mal de ces Sages qui ont tant de lumieres, & qui portent l’épargne jusqu’à ne connoître ni barbier, ni parfumeur, ni baigneur, tandis que tu me dévores les entrailles comme si j’étois mort. Mais il ne s’agit plus de cela : va les trouver, & deviens leur disciple à ma place.

Phidippide.

Et que peut-on apprendre de bon avec ces animaux-là ?

Strepsiade.

Tout : les connoissances les plus estimées, la vérité même : par exemple, que tu n’es qu’une bête, & qu’un sot. Attends un moment, je reviens.

Phidippide, seul.

Mon pere a perdu l’esprit. Quel parti dois-je prendre ? Dois-je le faire déclarer fou en justice, ou le livrer aux bourreaux de Médecins, comme un homme à mettre en terre en peu de jours ?

Rien assurément n’est plus simple, plus naturel, que cette diction. Passons aux Latins.

La comédie Latine n’a jamais franchi les limites du discours naturel. Ouvrons un tome de Plaute, & lisons. Je tombe sur la troisieme scene du premier acte du Rudens. Palestre vient de faire naufrage ; elle se plaint de la rigueur du destin qui l’a jettée sur une terre inconnue, sans bien, sans ressource ; & de l’injustice des Dieux, qui n’ont aucun égard à l’innocence de son cœur, & l’exposent à toutes sortes de malheurs. Nos Modernes auroient là un champ bien vaste pour faire des déclamations pompeuses. Voyons avec quelle force, & en même temps avec quelle simplicité, Palestre se plaint.

Palestre.

Tout ce qu’on publie de la rigueur & de la cruauté impitoyable du destin, n’est rien en comparaison de ce qu’on en éprouve. Se peut-il que Dieu dirige une telle barbarie, & qu’il y prenne plaisir ? Dans l’équipage où je suis, toute tremblante de peur, je serai jettée en des pays inconnus ! Les Dieux m’ont-ils donc fait naître pour souffrir ces affreuses calamités ? Est-ce ainsi que l’être prétendu souverainement juste, récompense cette pitié naturelle dont je fais singuliérement profession, & que je pratique autant qu’il m’est possible ?

Je me soumettrai patiemment & sans murmurer à cette horrible disgrace ; je ne la trouverai pas même trop rude, si j’ai commis des impiétés envers le ciel, ou envers mes parents. Mais si, au contraire, j’ai toujours été sur mes gardes pour ne point pécher contre ces devoirs essentiels, Dieux ! je ne puis m’empêcher de vous le dire dans le fort de mon juste ressentiment, il est honteux à vous de me faire passer par ces aventures mortelles, & on ne peut, en cela, vous excuser d’injustice & de passion déréglée. Fi ! que cela est vilain ! que cela est honteux à des intelligences qui se piquent de perfection, & qui se font adorer comme n’étant sujettes à aucun de nos défauts !

Si vous n’avez ni égard, ni considération, ni justice pour l’innocence ; si vous exercez contre les bons tant de rigueur & de dureté ; enfin si vous prenez plaisir, si vous trouvez des délices dans les peines, dans les malheurs des ames pures & qui détestent l’iniquité, comment punirez-vous les impies, les infames, & les scélérats ? &c.

Térence est plus recherché que Plaute dans sa diction. Il n’est pas surprenant que, moins ingénieux & moins fécond, il ait appellé le travail & l’esprit à son secours, pour combattre le génie de son rival. Les Romains cependant reconnurent mal ses soins, & blâmerent son affectation à ne parler que le langage des Grands. Il étoit réservé à un siecle aussi futile, aussi léger, aussi inconséquent que le nôtre, de préférer la double intrigue des six comédies de Térence, leur monotonie dans l’exposition, dans la marche, dans les dénouements, & leur froide symmétrie, au comique inconcevable & varié qui regne dans les vingt comédies de Plaute ; & cela seulement parceque le premier est plus châtié, plus élégant. Il n’est pas question de faire voir ici que le génie doit l’emporter sur l’esprit de détail. Malheur à ceux qui balancent. Il est question de prouver que ce même Térence, si poli, si recherché, est infiniment plus naturel que nos Modernes. Prenons, pour le prouver, le moment intéressant où Pamphile, amoureux de l’Andrienne, peint les chagrins que lui a causé son pere, en lui ordonnant de se préparer à épouser une autre femme.

ACTE I. Scene VI.

Pamphile.

Et que puis-je dire de mon pere ? Quoi ! faire une chose de cette importance si négligemment. Tantôt, comme il passoit à la place, il m’a dit : Pamphile, il faut aujourd’hui vous marier, allez au logis, & préparez-vous. Il m’a semblé qu’il me disoit : allez vous pendre bien vîte. Je suis demeuré immobile. Croyez-vous que j’aie pu lui répondre le moindre mot, ou que j’aie eu quelque raison à lui alléguer, bonne ou mauvaise ? J’ai été muet : au lieu que si j’avois su ce qu’il avoit à me dire.... Mais si quelqu’un me demandoit ce que j’aurois fait quand je l’aurois su ? J’aurois fait quelque chose pour ne pas faire ce qu’on veut que je fasse. Présentement à quoi me puis-je déterminer ? Je suis troublé par tant de chagrins qui partagent mon esprit ! d’un côté l’amour, la compassion, la violence que l’on me fait pour ce mariage : d’un autre côté, la considération d’un pere qui m’a toujours traité avec tant de douceur, & qui a eu pour moi toutes les condescendances qu’on peut avoir pour un fils. Faut-il après cela que je lui désobéisse ? Que je suis malheureux ! Je ne sais quel parti prendre.

Diction des François.

Toutes les nations se sont imposé la loi des Anciens : les Anglois, les Allemands sont simples dans leur diction : les Italiens, les Espagnols même ne se sont pas oubliés, & n’ont parlé le langage des romans dans la comédie, que dans les descriptions d’un bois, d’un palais, d’un jardin. Les seuls François, toujours inconstants pour tout, ont saisi avec avidité, & approuvé successivement, les différentes dictions qu’il a plu à chaque Auteur d’employer. Nos premiers peres ont fait parler le langage le plus populaire à Dieu, aux Saints, & ont été applaudis.

BAPTÊME DE JESUS.

Dialogue V.

Jesus s’approche de S. Jean, à qui il demande le baptême ; ce dernier s’en défend d’abord par humilité.

Saint Jean.

Pas requérir ne me devez,
Car, mon cher Seigneur, vous savez
Qu’il n’affiert pas à ma nature.
 Je suis créature,
 Et pure facture
 De simple stature :
 Humble viateur,
 Ce seroit laidure,
 Et chose trop dure,
 Laver en eau pure
 Mon haut créateur.
 Tu es précepteur.
 Je suis serviteur :
 Tu es le pasteur,
 Ton ouaille suis :
 Tu es le docteur,
 Je suis l’auditeur :
 Tu es le ducteur,
 Moi consécuteur,
 Sans qui rien ne puis.

Jesus ordonne, & S. Jean obéit. Dieu le Pere paroît.

Dieu le Pere.

Celui-ci c’est mon fils aimé Jesus,
Qui bien me plaît, ma plaisance est en lui.

Les Scudéri, les Desmarets ont fait passer sur notre Théâtre l’emphase ridicule des mauvais Auteurs Italiens & Espagnols, & on les a admirés : grands Dieux ! Mettons sous les yeux du Lecteur un exemple qui prouve le mauvais goût des auteurs de ce temps-là, & du spectateur qui les applaudissoit.

LES VISIONNAIRES,
Comédie en vers, en cinq actes, de Desmarets.

ACTE III. Scene VI.

Alcidon.

De toutes vos maisons, quelle est la principale ?

Phalante.

C’est un lieu de plaisir, séjour de mes aïeux,
A mon gré le plus beau qui soit dessous les cieux.
Si vous le desirez, je vous le vais décrire.

Alcidon.

Vous me ferez plaisir, c’est ce que je desire.

Phalante.

Ce lieu se peut nommer séjour des voluptés,
Où l’art & la nature étalent leurs beautés.
On rencontre à l’abord une longue avenue
D’arbres à quatre rangs qui voisinent la nue :
Deux prés des deux côtés font voir cent mille fleurs,
Qui parent leur tapis de cent vives couleurs,
Où cent petits ruisseaux coulent d’un doux murmure,
Qui d’un œil plus riant font briller la verdure.

Alcidon.

L’abord est agréable.

Lisandre.

On peut, avec raison,
Se promettre de là quelque belle maison.

Phalante.

De loin on apperçoit un portail magnifique ;
De près l’ordre est Toscan, & l’ouvrage rustique :
Ce portail donne entrée en une grande cour,
Ceinte de grands ormeaux, & d’un ruisseau qui court.
Là mille beaux pigeons, & mille paons superbes
Marchent d’un grave pas sur la pointe des herbes.
Une fontaine au centre a son jet élancé
Par le cornet retors d’un Triton renversé :
Cette eau frappe le ciel, puis retombe & se joue
Sur le nez du Triton, & lui lave la joue.
La cour, des deux côtés, tient à deux vastes cours,
De qui le grand château tire tout son secours.
En l’une est le manege, offices, écuries ;
L’autre est pour le labour, & pour les bergeries.
Au fond de cette cour paroît cette maison
Qu’Armide eût pu choisir pour l’heureuse prison
Où fussent en repos son Renaud & ses armes,
Sans qu’elle eût eu besoin du pouvoir de ses charmes.
Au bord d’une terrasse un grand fossé plein d’eau,
Net, profond, poissonneux, entoure le château,
Pour rendre ce lieu sûr contre les escalades ;
Et l’appui d’alentour ce sont des balustrades.

Desmarets décrit avec la même emphase des ponts-levis, des portes de porphyre & de jaspe, des arcs de triomphe, des cours, des pavillons, des colonnes, des fontaines, des planchers, des lambris, des galeries, des meubles, des jardins, des palissades, des nymphes, des dieux, des sirenes, des canaux, des montagnes, des bois, des rivieres, des arbres, des tapis, des ruisseaux, des cascades, des promenoirs, des étangs. Il emploie à cette description, aussi pompeuse que froide & minutieuse, près de cent vers, sur lesquels je passe pour conduire bien vîte le Lecteur à la derniere tirade.

Alcidon.

Que tous ces beaux jardins ont des charmants appas !

Phalante.

Ensuite est un grand lieu large de mille pas :
Dans les quatre côtés sont vingt grottes humides,
Et l’on voit au milieu le lac des Danaïdes.
Ses bords sont balustrés, & cent légers bateaux,
Peints de blanc & d’azur, voltigent sur les eaux,
Où, sans craindre le sort qui mene aux funérailles,
Se donnent quelquefois d’innocentes batailles.
Un grand rocher s’éleve au milieu de l’étang,
Où les cinquante sœurs, faites de marbre blanc,
Portent incessamment les peines méritées
D’avoir en leurs maris leurs mains ensanglantées ;
Et souffrant un travail qui ne sauroit finir,
Semblent incessamment aller & revenir.
Au haut, trois de ces sœurs, à cruche renversée,
Font choir trois gros torrents dans la tonne percée.
La tonne répand l’eau par mille trous divers ;
Le roc qui la reçoit en a les flancs couverts.
Au bas, l’une des sœurs puise à tête courbée,
L’autre montre & se plaint que sa cruche est tombée.
L’une monte chargée ; & l’autre, qui descend,
Semble aider à sa sœur sur le degré glissant :
L’une est prête à verser, l’autre reprend haleine :
L’œil même qui les voit prend sa part de leur peine.
L’eau, que ce vain travail tourmente tant de fois,
Semble accuser des Dieux les inégales loix,
Et redire, en tombant, d’une voix gémissante,
Pourquoi souffré-je tant, moi qui suis innocente ?
Ce bruit & ce travail charment tant les esprits,
Qu’on perd tout souvenir, tant l’on en est épris.

Alcidon.

O Dieux ! n’en dites plus, je suis plein de merveilles.

Ce dernier vers seroit excellent, & vaudroit toute la piece, si on y eût changé un seul mot, & si Alcidon, moins fade admirateur, se fût écrié :

O Dieux ! n’en dites plus, je suis las de merveilles.

Je conçois que Desmarets, bien pensionné par le Cardinal, a voulu faire sa cour, en plaçant dans sa comédie la description d’une des maisons de campagne de son Protecteur ; mais je ne conçois pas que les spectateurs, qui tous n’étoient pas pensionnaires du Ministre, aient pu ne pas siffler des impertinences aussi maussadement pompeuses.

Le grand Corneille est tombé dans le défaut de Desmarets ; mais, fort heureusement pour lui & pour ses lecteurs, il ne l’imite pas long-temps.

LE MENTEUR.

ACTE II. Scene V.

Géronte.

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. . . . . . . . .
. . . . . . . . .
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Dorante, arrêtons nous ; le trop de promenade
Me mettroit hors d’haleine, & me rendroit malade.
Que l’ordre est rare & beau de ces grands bâtiments !

Dorante.

Paris semble à mes yeux un pays de romans.
J’y croyois, ce matin, voir une isle enchantée :
Je la croyois déserte, & la trouve habitée.
Quelque Amphion nouveau, sans l’aide des maçons,
En superbes palais a changé ces buissons.

Géronte.

Paris voit tous les jours de ces métamorphoses,
Dans tout le pré aux Clercs tu verras mêmes choses :
Et l’univers entier ne peut voir rien d’égal
Au superbe dehors du palais cardinal.
Toute une ville entiere, avec pompe bâtie,
Semble d’un vieux fossé par miracle sortie,
Et nous fait présumer, à ses superbes toits,
Que tous ses habitants sont des Dieux ou des Rois.

Ces vers sont beaux pour la plupart : on y reconnoît le grand Corneille ; mais ils sont aussi mal placés dans une comédie, qu’ils le seroient bien dans une inscription. Je soupçonne même l’Auteur d’avoir pris son idée dans l’inscription de la ville de Venise, par Sannazar.

Scarron, en donnant un ton burlesque à sa diction, en a imposé jusqu’au point de faire rire les honnêtes gens.

JODELET, DUELLISTE.

ACTE V. Scene I.

Jodelet qui a reçu un soufflet veut se venger, il est en chaussons, & prêt à se battre.

Oui, tout homme vaillant doit être pitoyable,
Et j’ai pitié de toi, souffleteur misérable,
Puisque pour le soufflet que tu m’as appliqué,
Tu dois être de moi mortellement piqué.
C’est la premiere fois qu’il m’avoit, que je sache,
L’impertinent qu’il est, donné sur la moustache.
De la façon pourtant qu’il s’en est acquitté,
Je le tiens en cela très expérimenté :
Je crois que de sa vie il n’a fait autre chose ;
Et nonobstant les maux que telle action cause,
Tout pauvre que je suis, je lui donnerois bien,
Pour souffleter ainsi, la moitié de mon bien.
Mais n’est-ce pas à l’homme une grande sottise
De s’aller battre armé de sa seule chemise,
Si tant d’endroits en nous peuvent être percés,
Par où l’on peut aller parmi les trépassés ?
Le moindre coup au cœur est une sure voie
Pour aller chez les morts : il est ainsi du foie :
Le rognon n’est pas sain quand il est entre-ouvert :
Le poumon n’agit point quand il est découvert :
Une artere coupée, Dieux ! ce penser me tue,
J’aimerois bien autant boire de la ciguë :
Un œil crevé, mon Dieu ! que viens-je faire ici ?
Que je suis un franc sot de m’hasarder ainsi !
Je n’aime point la mort parcequ’elle est camuse,
Et que sans regarder qui la veut ou refuse,
L’indiscrete qu’elle est, grippe, veut-il ou non,
Pauvre, riche, poltron, vaillant, mauvais & bon.
Mais je suis trop avant pour reculer arriere ;
C’est affaire en tout cas à rendre la rapiere.
Doncque bien loin de moi la peur & ses glaçons,
Je veux être de ceux qu’on dit mauvais garçons.
Mon cartel est reçu, je n’en fais point de doute :
Mon homme ne vient point, peut-être il me redoute.
Hélas ! plaise au Seigneur qu’il soit sot à tel point,
Qu’il me tienne mauvais, & ne se batte point !
Mais les raisonnements sont tout-à-fait frivoles
Où l’on a plus besoin d’effets que de paroles.
Animons notre cœur un peu trop retenu.
Çà, je pose le cas que mon homme est venu :
Nous avons dégaîné, nous sommes en présence,
Tâchons de lui donner au milieu de la panse.
Bon pied, bon œil, & flic, & flac, tiens, c’est pour toi.
Zest, j’ai paré ton coup. Courage ! il est à moi.
Tu recules, poltron ! Pare cette venue.
Plus bas, plus bas, coquin ; j’ai défendu la vue.
Hai ! hai ! j’ai l’œil crevé. Non, je me suis trompé.
La peste ! le grand coup dont je suis échappé !
Mais tu me payeras la peur que tu m’as faite.
(Il faut réciter ces vers-là vîte, avec toute l’ardeur & la prestesse d’un homme qui se bat.)
Bon, ce coup-là sans doute a percé sa jaquette :
Bon, le voilà perdu : bon, me voilà sauvé,
Car de ce premier coup son œil droit est crevé.
Mais il en faut avoir l’une & l’autre prunelle.
Que ferai-je sans yeux ? Tu prendras une vielle.
Ah ! pardon, Jodelet ! Non, non ; il faut mourir.
Ah ! de grace, pardon ! Meurs sans plus discourir.

Est-il naturel qu’un homme qui va se battre, & un poltron sur-tout, cherche des expressions bouffonnes ?

Enfin parut le grand Moliere. Guidé par la nature, le goût, le discernement, il connut qu’un poëte dramatique, loin de se faire une diction à lui, ne doit avoir que celle que le caractere de ses pieces ou de ses personnages amene naturellement. Voilà pourquoi il a mieux aimé se donner un style conforme à la nature, en perfectionnant ceux de Plaute & de Térence, & en les employant à propos, que de s’en former un nouveau. Le style de Plaute, plus simple, moins recherché que celui de Térence, lui sert à exprimer les idées du bourgeois. Entendons parler Monsieur & Madame Jourdain & Cléonte.

LE BOURGEOIS GENTILHOMME.

ACTE III. Scene XII.

Cléonte.

Monsieur, je n’ai voulu prendre personne pour vous faire une demande que je médite depuis long-temps. Elle me touche assez pour m’en charger moi-même ; & sans autre docteur, je vous dirai que l’honneur d’être votre gendre est une faveur glorieuse que je vous prie de m’accorder.

M. Jourdain.

Avant que de vous répondre, Monsieur, je vous prie de me dire si vous êtes gentilhomme.

Cléonte.

Monsieur, la plupart des gens, sur cette question, n’hésitent pas beaucoup : on tranche le mot aisément. Ce nom ne fait aucun scrupule à prendre, & l’usage aujourd’hui semble en autoriser le vol. Pour moi, je vous l’avoue, j’ai les sentiments, sur cette matiere, un peu plus délicats. Je trouve que toute imposture est indigne d’un honnête homme, & qu’il y a de la lâcheté à déguiser ce que le ciel nous a fait naître, à se parer aux yeux du monde d’un titre dérobé, à se vouloir donner pour ce qu’on n’est pas. Je suis né de parents, sans doute, qui ont tenu des charges honorables ; je me suis acquis dans les armes l’honneur de six ans de service, & je me trouve assez de bien pour tenir dans le monde un rang assez passable : mais, avec tout cela, je ne veux point me donner un nom où d’autres, en ma place, croiroient pouvoir prétendre ; & je vous dirai franchement que je ne suis pas gentilhomme.

M. Jourdain.

Touchez là, Monsieur ; ma fille n’est pas pour vous.

Cléonte.

Comment ?

M. Jourdain.

Vous n’êtes pas gentilhomme, vous n’aurez point ma fille.

Madame Jourdain.

Que voulez-vous donc dire avec votre gentilhomme ? Est-ce que nous sommes, nous autres, de la côte de saint Louis ?

M. Jourdain.

Taisez-vous, ma femme ; je vous vois venir.

Mad. Jourdain.

Descendons-nous tous deux que de bonne bourgeoisie ?

M. Jourdain.

Voilà pas le coup de langue ?

Mad. Jourdain.

Et votre pere, n’étoit-il pas marchand, aussi-bien que le mien ?

M. Jourdain.

Peste soit de la femme ! elle n’y a jamais manqué. Si votre pere étoit marchand, tant pis pour lui ; mais pour le mien, ce sont des mal avisés qui disent cela. Tout ce que j’ai à vous dire, moi, c’est que je veux avoir un gendre gentilhomme.

Mad. Jourdain.

Il faut à votre fille un mari qui lui soit propre ; & il vaut mieux pour elle un honnête homme riche & bien fait, qu’un gentilhomme gueux & mal bâti.

Nicole.

Cela est vrai. Nous avons le fils du gentilhomme de notre village, qui est le plus grand malitorne & le plus sot dadais que j’aie jamais vu, &c.

Cette diction simple nuit-elle au ridicule de M. Jourdain, au bon sens de sa femme, à l’honnêteté de Cléonte ? non sans doute : le premier n’en paroît que plus sot, & les autres plus sensés & plus justes.

Le style de Térence, toujours naturel, mais plus élégant, plus recherché, plus relevé que celui de Plaute, plus conforme à l’éducation des personnages distingués, sert à Moliere pour les peindre. Voyez cette tirade du Misanthrope.

ACTE IV. Scene III.

Alceste.

Ha ! ne plaisantez point, il n’est pas temps de rire.
Rougissez bien plutôt, vous en avez raison ;
Et j’ai de surs témoins de votre trahison.
Voilà ce que marquoient les troubles de mon ame ;
Ce n’étoit pas en vain que s’alarmoit ma flamme :
Par ces fréquents soupçons, qu’on trouvoit odieux,
Je cherchois le malheur qu’ont rencontré mes yeux ;
Et malgré tous vos soins & votre adresse à feindre,
Mon astre me disoit ce que j’avois à craindre.
Mais ne présumez pas que, sans être vengé,
Je souffre le dépit de me voir outragé.
Je sais que sur les vœux on n’a point de puissance,
Que l’amour veut par-tout naître sans dépendance,
Que jamais, par la force, on n’entra dans un cœur,
Et que toute ame est libre à nommer son vainqueur.
Aussi ne trouverois-je aucun sujet de plainte,
Si pour moi votre bouche avoit parlé sans feinte ;
Et, rejettant mes vœux dès le premier abord,
Mon cœur n’auroit eu droit de s’en prendre qu’au sort.
Mais d’un aveu trompeur voir ma flamme applaudie,
C’est une trahison, c’est une perfidie,
Qui ne sauroit trouver de trop grands châtiments ;
Et je puis tout permettre à mes ressentiments.
Oui, oui, redoutez tout : après un tel outrage,
Je ne suis plus à moi, je suis tout à la rage.
Percé du coup mortel dont vous m’assassinez,
Mes sens par la raison ne sont plus gouvernés ;
Je cede aux mouvements d’une juste colere,
Et je ne réponds pas de ce que je puis faire.

La diction de cette tirade, quoique digne de la tragédie, & bien différente de la premiere, est cependant aussi naturelle. Pourquoi ? parcequ’elle n’a rien de forcé, & que tout homme de la condition d’Alceste auroit précisément parlé comme lui, s’il s’étoit trouvé dans sa situation.

Pourquoi les Auteurs qui ont succédé à Moliere s’écartent-ils de la véritable route que les maîtres de l’art leur ont frayée ? Pourquoi dédaignent-ils aujourd’hui ce beau simple, cet élégant naturel, qui, mis à côté de leur clinquant, fait leur critique & celle de leurs partisans ? Pourquoi leurs différents genres sont-ils tous traités du même style ?

Nos Auteurs modernes ne se sont pas contentés d’employer la même diction pour toutes leurs pieces sans distinction ; ils ont poussé la chose jusqu’au point de faire parler tous leurs personnages sur le même ton. Tout le monde connoît le ridicule de Marivaux là-dessus. Tous ses personnages se souhaitent le bon jour & le bon soir avec un esprit à perte de vue. Mais qu’on me permette de puiser un exemple dans la meilleure comédie que nous ayons vue depuis Moliere ; je veux parler de la Métromanie. Je n’offense pas M. Piron en le traitant comme Moliere. Ecoutons Lisette parler à Dorante de sa maîtresse.

ACTE I. Scene II.

Lisette.

Hé ! non, vous dis-je, non ; vous auriez tout gâté :
L’indifférence incline à la sévérité.
Il a fallu d’abord préparer toutes choses,
De l’empire amoureux lui déplier les roses,
L’induire à se vouloir baisser pour en cueillir.
D’aise, en lisant vos vers, je la vois tressaillir,
Sur-tout quand un amour qui n’est plus guere en vogue
Y brille sous le titre ou d’Idylle ou d’Eglogue.
Elle n’a plus l’esprit maintenant occupé
Que des bords du Lignon, des vallons de Tempé,
De bergers figurant quelques danses légeres,
Ou tout le jour assis aux pieds de leurs bergeres,
Et couronnés de fleurs, au son du chalumeau,
Le soir, à pas comptés, regagnant le hameau.

Parlons franchement ; cette soubrette devroit-elle parler sur ce ton ? Que dit de plus poétique le Métromane ? La soubrette du Tartufe a bien autant d’esprit ; elle s’exprime avec bien plus de force & d’énergie ; elle dit naturellement de belles choses, sans que son ton jure jamais avec son état & son éducation. Entendons-la repousser la médisance d’une vieille prude.

ACTE I. Scene I.

Dorine.

L’exemple est admirable, & cette Dame est bonne :
Il est vrai qu’elle vit en austere personne ;
Mais l’âge, dans son ame, a mis ce zele ardent,
Et l’on sait qu’elle est prude à son corps défendant.
Tant qu’elle a pu des cœurs attirer les hommages,
Elle a fort bien joui de tous ses avantages.
Mais, voyant de ses yeux tous les brillants baisser,
Au monde, qui la quitte, elle veut renoncer,
Et, du voile pompeux d’une haute sagesse,
De ses attraits usés déguiser la foiblesse.
Ce sont là les retours des coquettes du temps :
Il leur est dur de voir déserter les galants.
Dans un tel abandon, leur sombre inquiétude
Ne voit d’autre recours que le métier de prude ;
Et la sévérité de ces femmes de bien
Censure toute chose, & ne pardonne rien.
Hautement d’un chacun elles blâment la vie,
Non point par charité, mais par un trait d’envie
Qui ne sauroit souffrir qu’un autre ait les plaisirs
Dont le penchant de l’âge a sevré leurs desirs.

On dira à cela que, dans une maison entichée de la manie des vers, tout le monde y doit prendre un ton poétique ; d’accord : mais chacun sur un ton conforme à son état & aux connoissances qu’il peut avoir naturellement. Si M. Piron a semé du ridicule sur le ton poétique de Francaleu, quelle nuance différente ne devoit-il pas mettre entre celui de M. de l’Empirée & celui de Lisette !

M. Piron a surement senti mieux que moi ce que je fais remarquer à mes lecteurs. Je me suis trouvé à côté de lui à une représentation de son chef-d’œuvre, & je l’ai vu murmurer des applaudissements prodigués au clinquant de certains morceaux. Mais il ne pensoit pas ainsi lorsqu’il composoit. Peu d’Auteurs ont la force de lutter contre le goût du siecle ; & voilà le mal. Ils savent qu’on ne veut, qu’on ne demande plus que de l’esprit ; ils en mettent par-tout. Rien n’est plus simple & plus aisé. Examinons un peu comment cette maladie s’est introduite parmi nous. Je suis persuadé que le goût d’expression qui regne aujourd’hui, vient moins d’une imagination heureuse que de la stérilité des Auteurs : la moindre réflexion suffit pour le prouver.

Diction d’esprit.

Les Auteurs qui sont venus après le pere de la vraie comédie, ont, je n’en doute point, tenté de marcher sur les traces de ce grand homme, & de présenter leurs idées avec des expressions naturelles, comiques, intelligibles aux spectateurs les moins éclairés : mais la nature a épuisé ses dons en faveur de Moliere, & s’est montrée avare pour ses successeurs, qui n’ayant pas un génie capable d’imaginer des fables nouvelles, d’imiter heureusement celles des Anciens, ou de profiter des idées des nations voisines ; ne pouvant enfanter que des pieces dont l’action & le mouvement suffisent à peine pour soutenir un seul acte, & ne voulant pas ressembler à Poisson, qui se nommoit plaisamment un cinquieme d’Auteur, parcequ’il n’avoit fait que de petites pieces, imaginerent d’amuser le spectateur & de l’éblouir par des pensées brillantes.

La Nation Françoise, naturellement portée à ce genre d’esprit, s’y prêta d’abord par nécessité ; peu à peu elle le goûta, & lui donna enfin, par son approbation, le moyen de s’emparer en peu de temps de la scene. C’est le même genre d’écrire qui a passé parmi nous sous ce titre de style du bon ton & de la bonne compagnie : comme si un homme qui la voit, cette bonne compagnie, n’étoit pas obligé de parler naturellement, & s’il devoit ignorer la critique sanglante que Gresset a faite de ses comédies dans un seul vers.

L’esprit qu’on veut avoir gâte celui qu’on a27.

Graces au mauvais goût, la mode préside à la diction comme à la coeffure ; mais la diction à la mode révolte ceux qui ont su se préserver de la contagion. Les esprits justes, les esprits vrais ne souffrent qu’avec peine que l’on préfere aujourd’hui des comédies composées de saillies & d’épigrammes ou de déclarations amoureuses, aux bonnes comédies, qui ne sont parées que d’une action simple & naturelle.

Un Roi, aussi grand par lui-même que par son rang, a dit dans ses ouvrages, qu’il aimeroit mieux se voir jouer dans une comédie bien faite & dans le bon genre, que d’assister seulement à l’une de nos pieces modernes. C’est à mes lecteurs à peser cette pensée, à juger combien de goût, de force d’esprit, de philosophie, de grandeur d’ame, elle décele, & sur-tout dans un Roi. Les grands hommes le sont en tout.

Le même Prince voyoit jouer le ** par ses comédiens ; les beaux esprits qui l’entouroient sourioient à tous les traits fins, délicats, à toutes les épigrammes dont cette piece fourmille. Leur bienfaiteur, surpris de n’éprouver pas la même sensation, leur en demanda la cause : Sire, lui répondirent-ils, il faudroit, pour bien sentir toutes les finesses de cette piece, que Votre Majesté connût Paris comme nous. Oui ! dit le Prince. Ah ! je comprends : mais je n’ai pas besoin de me transporter à Paris pour goûter la beautés du Misanthrope, du Tartufe : la connoissance du cœur humain me suffit. Depuis ce temps-là le ** n’a plus paru sur le théâtre du Prince.

Il faut, comme l’enseigne Aristote, que la diction soit ornée ; d’accord : mais on ne doit pas se permettre des expressions forcées, parcequ’elles blessent à la fois le simple & le vrai qu’exige la comédie. Ce qu’on appelle trait d’esprit, défigure les caracteres, en affoiblit le ridicule, & substitue à des traits naturels, si essentiels pourtant, des bons mots, des pensées brillantes, qui fixent l’attention du spectateur à tout autre objet que l’action de la comédie ; aussi les Auteurs se dispensent-ils d’en mettre.

Bernardino Pino da Cagliari, qui vivoit dans le seizieme siecle, nomma Ragionamenti, & non Comedia ou Favola, une piece dans laquelle il avoit mis plusieurs scenes de réflexions philosophiques. On devroit donc intituler dialogues, romans, recueil d’épigrammes ou de bons mots les comédies de nos jours ; peut-être sous ce titre seroient-elles lues & estimées de la postérité : mais en les donnant pour des comédies, je doute que, si dès-à-présent elles ne plaisent pas aux personnes de goût, elles puissent dans la suite avoir un succès plus favorable.

Le desir de passer pour auteurs de la bonne compagnie, a conduit bien plus loin nos jeunes poëtes. Sortis à peine du college, ils saisissent en l’air le jargon, les mots favoris de quelques élégants, de quelques petites-maîtresses ; & tout fiers ensuite de leur rare découverte, ils en embellissent leur diction. Qu’arrive-t-il ? Les badauds, les gens qui admirent tout, s’écrient : l’Auteur connoît le monde. Les connoisseurs disent en riant : Ah ! le petit frippon ! il a écouté aux portes.

Moliere, me dira-t-on, votre oracle, votre héros, a bien employé le ton, le jargon, & jusqu’aux mots favoris de tous les états, de toutes les passions, de tous les vices, de tous les ridicules qu’il a joués, témoin son Chasseur des Fâcheux, dans la bouche duquel il met tous les mots consacrés à la chasse.

ACTE II. Scene VII.

Dorante.

Dieu préserve, en chassant, toute sage personne
D’un porteur de huchet, qui mal-à-propos sonne ;
De ces gens qui, suivis de dix hourets galeux,
Disent, ma meute, & font les chasseurs merveilleux.
Sa demande reçue, & ses vertus prisées,
Nous avons tous été frapper à nos brisées.
A trois longueurs de trait, tayaut ; voilà d’abord
Le cerf donné aux chiens. J’appuie & sonne fort.
Mon cerf débuche, & passe une assez longue plaine,
Et mes chiens après lui, mais si bien en haleine,
Qu’on les auroit couverts tous d’un seul justaucorps.
Il vient à la forêt : nous lui donnons alors
La vieille meute ; & moi, je prends en diligence
Mon cheval alezan. Tu l’as vu ?

Témoins encore ses apothicaires, ses médecins, qui n’oublient pas un seul terme de leur art. Cela est vrai : Tartufe parle, je l’écoute, j’entends :

J’aurai toujours pour vous, ô suave merveille !
Une dévotion à nulle autre pareille.

Et je connois, à ces seuls mots, que Tartufe est un faux dévot.

Une femme veut que sa servante s’exprime congrument. Elle lui parle de récidive, de négative : ces termes seuls me font décider que Belise est une savante.

Chaque personnage de Moliere se peint par sa diction, chacun de ses mots décele au spectateur ce qu’il est ; mais Moliere savoit bien que tant qu’il y auroit des faux dévots, des chasseurs, des médecins, des apothicaires, des femmes savantes, ils parleroient sur le même ton, & s’exprimeroient dans les mêmes termes. Il s’est bien gardé de saisir des mots que le caprice enfante & fait disparoître dans un jour.

Si les Auteurs ont le plus grand tort du monde de mettre, dans leurs pieces, des choses qui ne tiennent qu’au caprice d’un lieu ou d’un moment, comment peuvent-ils, sans frémir, employer des mots, des expressions qui, bien souvent, ne sont de mode que vingt-quatre heures, & dans une seule ville. La piece est applaudie à Paris dans sa nouveauté ; d’accord : mais la province, qui a le malheur de prendre le style de bon ton pour un entortillage insupportable, pour un jargon ridicule, prend la liberté de siffler la piece, en attendant qu’on la méprise à Paris ; ce qui ne peut tarder d’arriver. La raison en est toute simple ; la voici : ce qu’on appelle filles à Paris, est continuellement à l’affût pour saisir le ton, les grimaces, les propos des petites-maîtresses du haut rang, & s’empare bien vîte des expressions qui leur sont familieres, & de leurs mots favoris : celles-ci, indignées contre ces filles pour plus d’une raison, les leur abandonnent, & en créent de nouveaux : par conséquent, un ouvrage qui a aujourd’hui le prétendu ton de la bonne compagnie, & qui fait croire que celui qui l’a composé en est l’ornement & l’aigle, aura dans six mois le ton de la plus mauvaise, & fera soupçonner que l’Auteur n’en fréquente pas d’autre. N’est-il pas bien payé de ses soins ?

La plupart des Auteurs, oubliant que la diction n’est faite simplement que pour expliquer l’action, pensent au contraire que cette derniere partie, si essentielle & la plus nécessaire sans contredit, est tout-à-fait subordonnée à la premiere. Ils semblent n’imaginer à la hâte une petite intrigue que pour avoir le droit de ramasser beaucoup de monde & de faire débiter sur les planches une diction qu’ils se piquent d’avoir à eux.

Mettons nos personnages en situation ; faisons-leur dire tout simplement, & en termes propres, ce que tout homme diroit à leur place, la diction sera toujours excellente.

Il résulte de tout ce que je viens de dire dans ce chapitre, qu’un poëte comique doit parler la langue de toutes les nations, & savoir prendre à propos le ton du bourgeois, de l’homme de Cour, du savant, de l’ignorant ; & malheur à tout Auteur dramatique, de qui la diction fait perdre de vue l’action & ses personnages, pour nous montrer l’Auteur dans son cabinet.