(1772) De l’art de la comédie. Livre second. De ses différents genres (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE VI. Des Pieces à scenes détachées, dans lesquelles une Divinité préside. » pp. 61-74
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(1772) De l’art de la comédie. Livre second. De ses différents genres (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE VI. Des Pieces à scenes détachées, dans lesquelles une Divinité préside. » pp. 61-74

CHAPITRE VI.
Des Pieces à scenes détachées, dans lesquelles une Divinité préside.

Les comédies de ce genre sont premiérement moins naturelles, moins vraisemblables que les pieces dans lesquelles on n’admet aucun être surnaturel ; en second lieu l’Auteur ne sauroit que très difficilement y ménager une intrigue : si à force d’art il y réussit, cette intrigue doit, de toute nécessité, être défectueuse, puisqu’elle ne peut jamais rouler sur le principal personnage. Le Héros enchaîné par le decorum de la divinité est sur la scene pour donner des conseils, recevoir des plaintes, débiter des moralités ou des épigrammes, & point du tout pour être de moitié dans aucune espece de rivalité avec de simples mortels. Mais en revanche les petites bagatelles de cette espece peuvent avoir beaucoup plus de piquant, de comique & un plus grand nombre de saillies, parcequ’une Divinité entourée de simples mortels a sur eux une supériorité qu’un Auteur ingénieux sait partager, & qui le met très fort à son aise.

Il faut bien se garder encore de confondre toutes les pieces à scenes détachées dans lesquelles une Divinité préside. Il en est de plusieurs especes, qui toutes ont séparément & des beautés & des défauts inséparables de leur nature, & plus ou moins frappants, selon l’art de l’Auteur. Nous les rangerons dans trois classes différentes.

Celles qui font simplement la critique des ouvrages, & qui n’en veulent qu’à l’esprit.

Celles qui attaquent les ridicules, les travers, les vices, & qui développent à nos yeux le cœur humain pour nous en faire voir la fausseté.

Celles enfin qui font en même temps la satyre des mœurs & des arts, de l’esprit & du cœur.

Je vais mettre trois exemples différents sous les yeux de mes Lecteurs.

Premiere Classe.
LA BARRIERE DU PARNASSE,
en un acte & en prose.

Apollon a fait mettre une barriere au sacré vallon ; il en confie la garde à la Muse chansonniere, avec ordre d’interdire l’entrée du Parnasse à tout ouvrage qui n’en sera pas digne. La Muse n’ignore pas la difficulté d’un pareil emploi ; mais elle se rassure en réfléchissant qu’elle peut se conformer au jugement du public.

Dardanus, tragédie lyrique de M. la Bruere, musique de Rameau, se présente avec sa parodie ; la Muse les congédie brusquement en leur disant :

Air : Réveillez-vous.

Dardanus & sa parodie
En naissant auroient dû périr :
Ils n’ont vécu que par magie,
Le sommeil les a fait mourir.

Le Marié sans le savoir de M. Fagan paroît ensuite, & dit que son papa l’estime fort. La Muse lui répond :

Air : Lon la.

 Cet Auteur, chez Apollon,
 Va toujours à reculon.
  Son esprit brillant,
  Qui promettoit tant,
 Refuse le service.
Menez donc le chétif enfant
 Loger à l’écrevisse,
  Lon la,
 Loger à l’écrevisse.

Edouard III, tragédie de M. Gresset, vient se plaindre de la Critique qui trouve dans son intrigue un double intérêt. La Critique a tort, répond la Muse, & l’intérêt ne peut être double où l’on n’en trouve point du tout. Edouard continue :

De plus, on blâme en moi des scenes applaudies,
Qui firent le succès de tant de tragédies.
Feuilletez avec soin tous nos Auteurs fameux ;
Mes traits les plus frappants sont tirés d’après eux.
Le Public, bonnement, dans son erreur extrême,
Pense que tous mes vers sont faits pour mon poëme.
Madame, en vérité, c’est juger de travers ;
Mon poëme n’est fait que pour coudre mes vers.

La Muse voit arriver une jeune fille qu’elle a bien de la peine à définir. Elle lui demande si elle est l’Agnès de l’Ecole des Femmes : Nenni, répond la jeune fille, je suis les Dehors trompeurs.

La Muse lui reproche son caractere niais & hors de saison : lorsqu’elle veut l’examiner de près, la jeune fille se recule. Oh dame, dit-elle, quand on me regarde de près, je parois moins jolie ; mais mon esprit plaît beaucoup.

La Muse.

A quoi sert-il ?

La Fille.

A rien.

La Muse.

Apollon vous refusera si vous n’êtes pas présentée par l’Esprit & conduite par le Bon-sens.

La Fille.

Oh ! l’Esprit a pris les devants.

La Muse.

Et le Bon-sens ?

La Fille.

Je l’ai laissé derriere. . . . . . . Au reste, a-t-on besoin de caractere ? Le Baron ou l’Homme du jour est-il plus décidé que moi ?

La Muse.

Cela répond mieux au titre des Dehors trompeurs.

Air.

Ce bel ouvrage d’esprit
 Bien écrit,
Où les plus beaux traits pétillent,
Est semblable au casaquin
 D’Arlequin,
Où toutes les couleurs brillent.

Dites à votre Héros,

Air : Branle de Metz.

Que plus d’un Censeur habile
Lui conseille prudemment
De renvoyer au Couvent
Sa grande sœur inutile,
Et de chasser pour son bien
Sa Soubrette bonne à rien.

La Fille.

Bon ! faut-il écouter la Critique ? Ne dit-elle pas que mon pere arrive de Bretagne pour piller le dénouement de l’Ecole des Maris ; que la folle Comtesse est une échappée du Philosophe marié. Mais je plais, il suffit.

La Muse.

Croyez-moi, on affichera peut-être bientôt chez votre Libraire :

Ci gît au magasin la plus belle des pieces8,
Toute vive enterrée à côté des deux nieces.

La Fille.

Je me moque de vos prédictions. Je vais continuer mon chemin. . . . . (Elle franchit la barriere.)

La Muse.

Doucement ! La petite étourdie a franchi la barriere ; elle est si vive, qu’on ne peut l’arrêter.

Le Superstitieux, comédie de Messieurs Boissi & Romagnesi, veut profiter de ce moment pour passer ; mais il tombe très rudement.

La Muse.

Hola, quelqu’un.

Portez-moi ce corps fracassé
Tout droit aux Incurables,
 Lon la,
Tout droit aux Incurables.

Le Superstitieux.

Tout le monde m’a prédit ce malheur.

Après plusieurs scenes dont je ne parle pas, Lucinde entre avec Charmant : la Muse quitte le ton critique pour faire l’éloge de la comédie de l’Oracle & de son auteur M. de Saint-Foix.

Cet exemple suffit pour faire voir que les pieces de son espece peuvent pétiller d’esprit & de gaieté si la critique est juste, si les épigrammes sont enfantées par une fine raillerie, & non par la noire malignité ; mais il ne faut pas se dissimuler qu’elles n’étendent pas bien loin la gloire de leur Auteur, puisqu’elles ne font que paroître & disparoître, puisqu’elles ne durent que pendant la nouveauté des pieces qu’elles critiquent.

Seconde Classe.
LA VÉRITÉ FABULISTE,
Comédie en un acte, jouée le 27 Décembre 1731, par M. de Launay. La scene est dans un bois consacré à la Vérité.

La Vérité dit à Mercure qu’elle ne veut plus rester dans cette solitude depuis qu’elle est instruite des désordres où les hommes sont livrés ; qu’elle veut encore se présenter à leurs yeux pour tâcher de les ramener. Mercure lui fait observer la difficulté, & peut-être l’inutilité de cette démarche. La Vérité lui répond qu’elle ne se présentera pas aux humains nue comme autrefois, qu’elle saura s’envelopper d’un voile, à travers lequel elle pourra leur faire voir leurs erreurs. Elle prétend que de cette maniere on peut offrir la vérité aux Monarques même les plus absolus, ce qu’elle prouve par la fable suivante.

Le Sultan & le Visir.

Un Sultan furieux portoit par-tout la guerre,
Et n’étoit pas content si les lointains climats
 Ne sentoient l’effort de son bras :
 Il ravageoit sa propre terre,
 Ruinoit ses propres Etats.
Son Visir déploroit le funeste ravage
 Sans oser lui rien témoigner ;
Et quand il l’auroit fait, qu’auroit-il pu gagner ?
 Il ne l’eût qu’aigri davantage.
 Il arriva pourtant un jour
 Que tous deux étant à la chasse,
 Et loin du reste de la Cour,
 Le Visir s’avisa d’un tour
 Qui sut colorer son audace.
Sire, je sais, dit-il, la langue des oiseaux,
 Rossignols, fauvettes, moineaux ;
 J’entends clairement leur langage :
Un habile Dervis, cabaliste & demi,
 Honnête homme & fort mon ami,
 M’a procuré cet avantage.
Si votre Majesté veut en voir des effets,
 Ses vœux vont être satisfaits.
 Le Sultan à cette merveille
 Prêtoit une attentive oreille.
Le soir en s’en allant ils virent deux hiboux
 Perchés sur un arbre en présence :
 Hé bien, Visir, nous direz-vous
De ces deux animaux quelle est la conférence ?
Le Visir s’approcha de l’arbre, & quelque temps
Fit semblant d’écouter ce qu’ils paroissoient dire,
 Puis rejoignant son maître : ah ! Sire,
Je ne redirai point ce que ces insolents
Sur votre Majesté viennent de faire entendre.
Parle, dit le Sultan, & ne me cache rien :
 Mot pour mot je veux tout apprendre.
Hé bien, dit le Visir, voici leur entretien :
 Ils parlent d’unir leur famille :
L’un est pere d’un fils, & l’autre d’une fille,
 Qu’ils veulent ensemble établir,
Et voici ce que l’un disoit à l’autre pere :
 Ecoutez, je prétends, mon frere,
Que nos enfants soient bien, qu’ils ne puissent faillir ;
Et pour que leur état soit durable & tranquille,
Je n’accorderai rien si vous ne leur donnez
 Trente villages ruinés,
 Item, quelque petite ville.
Oh ! frere, a répondu l’autre hibou, d’accord,
Cinq cents si vous voulez ; allez, je vous proteste
Que si le Sultan vit, nous en aurons de reste ;
Il est pour les hiboux d’un merveilleux rapport :
Que son regne soit long, nous aurons pour asyles
 Tous les villages & les villes.
 Le Sultan avoit de l’esprit ;
Il sentit bien le trait, & le mit à profit.

Mercure se rend aux raisons de la Vérité, & lui promet d’aller apprendre aux Mortels qu’elle a banni sa rigueur, & qu’ils trouveront dans la douceur de ses conseils des moyens infaillibles pour devenir heureux. Un Gentilhomme de province qui passoit sa vie à tourmenter ses vassaux, un ambitieux, une capricieuse, un fastueux, un faux politique viennent tour à tour parler à la Vérité, qui leur donne des conseils excellents : nous nous contenterons de rapporter les fables qu’elle débite à l’ambitieux qui veut quitter ses terres pour aller à la Cour, & à la capricieuse qui ne cesse de tourmenter son amant, & qui craint cependant de le perdre.

A l’Ambitieux.

La Vérité le compare à un oiseau qui après avoir passé des jours heureux & tranquilles dans un bois écarté, se laisse séduire par un esclavage brillant.

Le millet, le biscuit, rien ne fut épargné ;
Mais pour quelqu’un né libre, & qui même a regné,
 Qu’est-ce qu’une cage dorée ?
 Chaque esclave de la maison,
 Maint perroquet, mainte perruche
 Lui cherche querelle & l’épluche,
 Tous jaloux du nouveau mignon :
 Il eut même plus d’un lardon
 De la pie & de la guenuche.
 Est-ce tout ? un chat du complot,
 Un beau matin en fit pâture ;
A quoi le vieux matois donna telle tournure,
 Que le maître n’en sonna mot.
Êtes-vous curieux de pareille aventure ?

A la Capricieuse.

 Une corme brillante & fraîche
D’une jeune fillette avoit charmé les yeux ;
Mais ce fruit, qui sembloit un fruit délicieux,
 Au goût parut dur & revêche.
Quoi ! lui dit la fillette, un si beau coloris
 Cache une amertume effroyable,
 Et pour te trouver agréable,
Il faut que par le temps tes appas soient flétris !
 Que ton injustice est extrême,
Lui répondit la corme ! eh ! n’es-tu pas de même
 Par l’effet seul de ton humeur ?
 Te voilà jeune, fraîche, belle ;
 Ton amant est tendre & fidele :
 Et loin d’avoir cette douceur
Qu’annonce de tes traits la grace naturelle,
 Tu n’as qu’amertume & qu’aigreur.
Crois-moi, n’attends pas que les rides
 Amortissent ton âpreté ;
Les injures du temps ne sont que trop rapides :
C’est un cruel moyen de perdre sa fierté.

Les pieces de cette espece sont beaucoup plus morales, plus philosophiques, & peuvent être plus long-temps à la mode que celles de la premiere classe, puisqu’elles font la satyre des mœurs, des caracteres vicieux, qu’elles y joignent des leçons excellentes, & que le cœur de l’homme varie bien moins que son esprit ; mais elles sont nécessairement plus froides, plus monotones. La justesse, la vérité, la morale, la philosophie ne sont pas incompatibles avec l’ennui.

Troisieme Classe.

On doit y ranger toutes les pieces qui, comme la suivante, critiquent en même temps & le cœur & l’esprit, même les modes & les usages.

LES ÉTRENNES DE LA BAGATELLE,
Comédie en un acte & en vers libres, par M. de Boissi.
La Scene est dans la Galerie du Palais.

Janus ouvre la scene & invite la Bagatelle à profiter, ainsi que lui, des sottises des humains, & à leur bien vendre ses coquilles. Le Chevalier Colifichet aborde cette Déesse, l’embrasse, est reconnu pour un de ses plus chers favoris. Il lui débite beaucoup d’impertinences que son nom & son caractere autorisent, & après différents projets qu’il lui communique sur la parure des femmes & sur celle des hommes, il lui parle de cinq brochures qui portent les titres suivants :

Traité des riens, avec une Dissertation sur la babiole, dédié aux Dames. Par M. l’Abbé Bagatelle. Premier volume.

La Bagatelle.

Ce titre-là promet, la matiere est profonde.

Le Chevalier.

De tout ce qui se fait c’est la source féconde.
C’est un rien qui nous place, un rien qui nous détruit :
Un amant pour un rien révolte une maîtresse,
 Et par un rien un autre la séduit :
  Un rien fait tomber une piece,
  Un rien fait qu’elle réussit.

L’ABC du grand monde, ou l’art de soutenir la conversation à peu de frais. Second volume.

 Un bon jour dit de bonne grace,
 Deux ou trois compliments polis
 Qu’on se renvoie & qu’on repasse.
. . . . . . . . .
. . . . . . . .
  Mille tendres sornettes
Que l’on a soin d’orner de mots à double sens ;
 Parler éloquemment cornettes,
 Et prononcer sur des rubans ;
De tout ce qui paroît juger sans connoissance,
 Hors de propos prodiguer son encens,
 Et placer bien sa médisance :
 Voilà des aimables du temps
Ce qui fait le mérite & toute la science.

La Bagatelle.

Et souvent l’entretien des plus honnêtes gens.

Le Chevalier continue à lire.

La nouvelle Toilette des Dames, avec une liste détaillée de tout ce qui la compose ; ouvrage immense & digne de la curiosité publique. Troisieme volume.

La Toilette des hommes, revue, corrigée & augmentée des trois quarts, & qui n’est pas moins curieuse que celle des Dames. Quatrieme volume.

La science de coeffer les uns & les autres. Livre très utile pour mes jeunes Confreres qui entrent dans le monde, &c.

Le Marquis, le Comte, le Baron arrivent ensemble, & après avoir embrassé le Chevalier, ils lisent dans le nouvel Almanach des Théâtres différentes prédictions. La premiere regarde l’Opéra.

  L’an qu’Isis au jour paroîtra,
 Tremble, frémis, malheureux Opéra ;
 Elle sera pour toi la fatale comete
  Qui t’annoncera ta défaite :
De ses climats glacés tout se ressentira :
Dans le rôle d’Io 9, l’Amour s’enrhumera.
  Pour rendre ta perte complette,
 Un beau matin Zéphyr10 s’envolera.

Le Comte, qui protege l’Opéra, a souffert de l’article qu’on vient de lire ; mais il prend sa revanche sur la Comédie Italienne que le Baron chérit.

 L’an que chez toi Sigismond paroîtra11,
 Que je te plains, ô troupe d’Italie !
Jusqu’en ses fondements ton hôtel gèlera,
 Et dans ses doigts Arlequin soufflera
  Pour réchauffer la comédie.

Le Baron.

Ce pauvre Sigismond, j’en ai l’ame attendrie !
Qu’a-t-il donc fait aux Dieux pour être abandonné ?

Le Marquis.

Ils lui font expier le crime d’être né.

On lit ensuite une prédiction qui regarde le Théâtre François.

 L’an que Zaïre enchantera la terre,
O Théâtre François, quel sera ton bonheur !
  De sa voix le son séducteur12,
  Aidé du rare don de plaire,
 Attendrira Paris en sa faveur,
  Et fera passer sa douceur
  Jusqu’au fond de l’ame sévere
  Du plus inflexible censeur.

Le Marquis, grand partisan de la Comédie Françoise, l’interrompt pour laisser éclater sa joie ; mais les vers suivants la rabattent.

Le spectateur pour toi sera si débonnaire,
Que du froid complaisant 13 respectant la fadeur,
 Il entendra la piece entiere
 Sans exciter nulle rumeur,
 Et qu’il prendra son caractere.
 Le jeu brillant de chaque Acteur,
 A l’abri de quelque lueur,
Fera claquer sa morale ordinaire,
 Etonnera le connoisseur,
 Et le forcera de se taire,
 Et d’admirer, en dépit de son cœur,
 La complaisance du Parterre, &c.

On lit encore plusieurs autres critiques. Damon, vieux libertin, vient consulter le Chevalier sur des emplettes. Il veut acheter des almanachs, des curedents, des étuis pour un de ses anciens amis qui est fort pauvre, & qui ne lui est bon à rien ; mais il cherche un superbe cabinet de la Chine pour un homme nouvellement en faveur, sur la protection duquel il compte beaucoup. Il demande ensuite quelques éventails communs, des rubans unis pour sa femme, & les plus beaux bijoux pour une Actrice de l’Opéra qu’il entretient ; ce qui fait dire au Chevalier :

Du monde perverti tel est le caractere :
L’intérêt & l’orgueil prodiguent les écus,
Les plaisirs effrénés répandent encor plus ;
  Mais l’amitié ne donne guere.
 Elle ressemble à l’amour conjugal :
Le devoir est mesquin, la vertu ménagere,
  Le vice seul est libéral.

J’ai cité de préférence cette piece, non qu’elle soit parfaite dans son espece, puisque malgré le champ vaste qui se présentoit à l’Auteur, ses acteurs n’y font que lire des titres ou des almanachs, ce qui rend les épigrammes très monotones, & ennuyeuses par conséquent, puisque la Divinité qui est censée être l’héroïne de la piece, & qui pourroit dire les choses les plus fines, les plus ingénieuses, n’y dit rien ; puisqu’enfin la partie morale, qui devroit être excellente dans un siecle où les choses les plus sérieuses sont du ressort de la frivolité, se réduit à sept à huit vers, excellents à la vérité, mais ridicules dans la bouche du Chevalier avec le caractere duquel ils jurent. Comme M. de Boissi semble d’abord avoir voulu saisir tout ce que ce dernier genre a d’avantageux pour réunir l’utile à l’agréable, la morale la plus saine au comique le plus piquant & le plus varié, en critiquant alternativement les modes, les usages, l’esprit & le cœur ; comme, dis-je, l’Auteur semble n’avoir apperçu tous les ressorts de ce dernier genre que pour nous les indiquer & pour ne les employer que superficiellement ou avec gaucherie, sa piece aura pour nous le mérite d’un double exemple. Il faut bien qu’elle en ait un.

J’ai souvent entendu donner le titre de comédie allégorique à celles dans lesquelles une Divinité préside. Je ne suis pas du tout de cet avis : peut-être pourroit-on à la rigueur nommer ainsi celles où la Divinité répond par une allégorie ; encore la piece n’est-elle pour lors allégorique que par ses détails, & non par le fond. Essayons de donner une juste idée de la comédie vraiment allégorique.