(1772) De l’art de la comédie. Livre second. De ses différents genres (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE XXIII. De ce que nous entendons par caractere. » pp. 259-260
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(1772) De l’art de la comédie. Livre second. De ses différents genres (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE XXIII. De ce que nous entendons par caractere. » pp. 259-260

CHAPITRE XXIII.
De ce que nous entendons par caractere.

Avant d’entrer en matiere, je prie le Lecteur de voir avec moi ce qu’un Auteur qui a traité de l’Art de la Comédie, dit sur le mot caractere.

« Les anciens employoient un seul & même terme pour exprimer ce que nous entendons par mœurs & caracteres ; c’est de quoi on peut se convaincre en lisant les poétiques d’Aristote & d’Horace, & même les caracteres de Théophraste : en effet, bien que ce traité porte dans la langue originale le titre de caracteres, l’Auteur n’a point employé ce terme dans l’ouvrage même ; il se sert d’un mot qui semble mieux répondre à celui de mœurs en françois ».

« Ce n’est pas que les anciens aient confondu ces deux idées ; on ne sauroit se persuader au contraire qu’ils ne les aient pas distinguées : mais on peut du moins avancer, à la gloire des modernes, qu’ils ont mieux profité de cette distinction ; cependant c’est un des préceptes d’Aristote qui m’a fait sentir la raison qu’ils ont eue de l’établir ».

« Selon Aristote, les mœurs dans la tragédie, qui est une imitation des meilleurs, doivent être plus nobles & plus élevées que l’original ; & dans la comédie, qui est une imitation des plus méchants, les portraits doivent être plus chargés que les modeles, en sorte (dit ce grand maître) qu’elles nous donnent un exemple de la difformité qui fait rire. Or, n’est-ce pas là dire que dans la comédie il faut distinguer les mœurs ou caracteres, d’avec les mœurs ou passions générales, & que ces mœurs ou caracteres y doivent prédominer ? Et lorsqu’il ajoute qu’elles doivent être plus difformes que les originaux, ne nous fait-il pas entendre clairement qu’il faut charger les passions par des traits marqués, ainsi que les modernes l’ont pratiqué ? Voilà pourquoi il nous a fallu distinguer les passions d’avec les caracteres, par une dénomination particuliere ».

Riccoboni, Observations sur la Comédie, art. 3. du Caractere.

Je l’avoue, à ma honte peut-être, j’ai cherché pendant long-temps ce que signifioit la tirade que nous venons de citer ; à la fin je pense l’avoir deviné. L’Auteur a voulu dire, je crois, que nos modernes ont très bien fait de distinguer les mœurs, des caracteres & des passions, pour étudier les nuances qui les différencient, & les peindre avec plus ou moins de force sur nos théâtres.

Si les modernes méritent des louanges à raison des distinctions qu’ils ont faites, nous allons ne pas tarir sur leur éloge, puisqu’ils ont encore distingué des caracteres ou des mœurs, les vices du cœur, les vices de l’esprit, la coutume d’une nation, les travers, les foiblesses, les ridicules de l’homme. J’admire certainement beaucoup toutes ces subtilités, mais elles nous meneroient trop loin. Il nous restera d’ailleurs assez de distinctions à faire, ainsi nous appellerons tout uniment pieces à caractere, celles ou les mœurs, les passions, les coutumes, les vices, les ridicules, les travers, &c. &c. joueront le principal rôle. Un Auteur peut-il peindre les mœurs ou les coutumes d’une nation sans en peindre le caractere ? Celui qui aura tracé un portrait des travers, des ridicules, des foiblesses, des vices du cœur ou de l’esprit d’un homme, nous aura peint nécessairement le caractere de cet homme, du moins en partie. Quant aux coups de pinceau plus ou moins vigoureux qu’il faut employer en traçant des caracteres plus ou moins odieux, nous en parlerons quand il en sera temps.