(1772) De l’art de la comédie. Livre second. De ses différents genres (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE XXIX. Des Caracteres propres aux personnes d’un certain rang seulement. » pp. 312-327
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(1772) De l’art de la comédie. Livre second. De ses différents genres (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE XXIX. Des Caracteres propres aux personnes d’un certain rang seulement. » pp. 312-327

CHAPITRE XXIX.
Des Caracteres propres aux personnes d’un certain rang seulement.

J’ai dit ailleurs que nombre d’Auteurs, entraînés par la vanité de prouver ou de faire croire qu’ils vivent dans le grand monde, craindroient de passer pour des roturiers s’ils ne puisoient leurs sujets & leurs caracteres chez nos demi-Dieux. Quelquefois même pénetrent-ils jusqu’au fond de l’Olympe : témoin le Favori de Madame de Villedieu, & l’Ambitieux de Destouches. Comment veulent-ils, ces Auteurs si enorgueillis de la qualité de leurs personnages, comment veulent-ils qu’un marchand, un procureur, un notaire, une petite-maîtresse subalterne, puissent s’intéresser à une intrigue de Cour, qu’ils s’amusent du caractere d’un courtisan placé si loin du leur, dont ils n’ont aucune connoissance ? On raconte qu’un savetier chantoit un jour ce refrain qu’il répétoit sans cesse, Un jour le Roi dit à la Reine, un jour la Reine dit au Roi, & que sa femme impatientée lui demanda avec humeur : Eh bien, enfin, que dit ce Roi à cette Reine, & cette Reine à ce Roi ? Alors le savetier indigné imposa silence à sa femme en lui donnant quelques coups de tire-pied, & en lui disant gravement, Impertinente, c’est bien à vous à vous mêler des affaires de la Cour ! Un bourgeois sensé qui vient à la comédie pour se délasser en y riant du ridicule de ses semblables, & à qui l’on donne une piece qui roule sur les intrigues des grands, ne seroit-il pas tenté de répéter à l’Auteur ce que le savetier disoit à sa femme ?

« Destouches, me dira-t-on, connoissoit la Cour ; il avoit été chargé des affaires du Roi, chez des Princes étrangers ». Je le sais bien ; mais il auroit dû garder la science & l’air de dignité qu’il avoit puisés dans ses négociations pour ses opérations politiques seulement, & se montrer moins digne, moins froid, moins guindé, dans ses pieces ; il n’auroit tenu qu’à lui : il suffit de voir son triple Mariage pour s’en convaincre. Cependant la fureur que nous lui reprochons de titrer tous ses personnages, est plus excusable chez lui que chez mille Auteurs qui connoissent les grands par leur nom seulement, & pensent avoir assez vu la Cour quand ils ont assisté au grand couvert.

Je me garde bien de penser qu’il faille avilir notre scene par la peinture des mœurs de la vile canaille ; mettre sur notre théâtre, comme sur celui d’Italie, tous les caracteres sur le compte d’un personnage bas, & nous amuser ou croire nous amuser, pendant cinq actes, avec les fripponneries de deux coquins, comme dans une de leurs pieces intitulée les grands Voleurs. Ces farces dont le sujet éternel est le train de vie des gens de mauvaises mœurs, sont autant contre les regles que contre les bienséances. Il n’est qu’un certain nombre de personnes qui aient assez fréquenté les originaux dont on expose les copies, pour juger si les caracteres & les événements sont traités dans la vraisemblance. On se lasse de la mauvaise compagnie sur le théâtre comme dans le monde, & l’on dit des Auteurs qui font de pareilles pieces, ce que Despréaux dit du satyrique Regnier.

Heureux ! si ses discours, craints du chaste lecteur,
Ne se sentoient des lieux où fréquentoit l’Auteur54.

Il y a entre la crapule de la canaille & les nobles travers des grands, des ridicules roturiers dignes de l’œil du philosophe, & qui méritent d’occuper le premier rang dans une piece. Il en est même de fort dangereux, & un comique rend de très grands services à un Etat s’il parvient à l’en purger.

Il est, par exemple, dans tous les pays, des gens de rien, de petits artisans, qui n’ont pas reçu la moindre éducation, qui n’ont pas la moindre notion des choses les plus ordinaires, & qui se mêlent cependant de faire les politiques ; qui négligent totalement leurs affaires domestiques pour songer à celles de tous les Princes du monde : des sots qui n’approuvent jamais ce que font les ministres, & qui puisent dans leur ignorance la vanité de croire que les affaires prendroient entre leurs mains une meilleure tournure. Les clabauderies perpétuelles de ces politiques subalternes, leurs impertinentes réflexions, peuvent s’accréditer peu-à-peu dans l’esprit du peuple, & devenir dangereuses. Qu’on propose un pareil ridicule à nos comiques de la bonne compagnie, ils croiroient déroger en le traitant. Louis Halberg, Auteur de plusieurs Pieces Danoises, ne l’a pas trouvé indigne de ses soins ; il en a fait une piece très plaisante, très morale, très philosophique, dans laquelle il verse non seulement des flots de ridicule sur les originaux qu’il attaque ; il y prouve encore aux gens en place, que, loin de s’affecter sérieusement des propos de leurs imbécilles censeurs & d’avoir recours à des châtiments qui peuvent faire crier à la tyrannie, il doivent rire de leur extravagance & les livrer à tout le ridicule qu’ils méritent ; c’est le châtiment des sots. Le Lecteur sera surement bien aise de connoître la piece Danoise55.

LE POTIER D’ÉTAIN POLITIQUE,
OU
L’HOMME D’ÉTAT IMAGINAIRE.

Principaux Personnages.

Me. Herman de Breme, Potier d’étain.

Madelaine, sa femme.

Angélique, leur fille.

Me. Antoine, amant d’Angélique.

Crispin, valet de Me. Herman.

Annette, servante de Me. Herman.

Le College Politique.

Abraham, Echevin de la ville.

Sanderus, autre Echevin.

La Scene est à Hambourg.

ACTE I. Scene I.

Maître Antoine est amoureux d’Angélique, fille du potier ; il va la lui demander en mariage ; il rencontre Crispin, valet de Maître Herman, qui est le potier : ils ont la scene suivante.

Scene II.

CRISPIN, ANTOINE.

Crispin, mordant dans une beurrée.

Serviteur, Maître Antoine. A qui en voulez-vous ?

Antoine.

Je souhaiterois parler à Maître Herman, s’il étoit seul.

Crispin.

Il est bien seul ; mais il est occupé à la lecture.

Antoine.

Il est donc plus dévot que moi.

Crispin.

S’il venoit une ordonnance qui fît de l’Hercule 56 un livre évangélique, je crois que mon maître pourroit devenir un grand prédicateur.

Antoine.

Son travail lui laisse-t-il assez de loisir pour lire de pareils livres ?

Crispin.

Oh ! il faut savoir que mon maître a deux professions. Il est en même temps potier d’étain & politique.

Antoine.

Ces deux professions ne s’accordent pourtant guere.

Crispin.

L’expérience ne nous l’a que trop appris ; car lorsqu’il fait tant que de travailler, ce qui lui arrive assez rarement, son ouvrage sent si fort la politique, que nous sommes obligés de le refondre. Cependant si vous voulez lui parler, vous n’avez qu’à passer dans la chambre commune.

Antoine.

Il faut que tu saches, Crispin, que je dois l’entretenir d’une affaire de conséquence. J’ai envie de lui demander sa fille. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Il y va effectivement. Maître Herman & lui reviennent sur la scene.

Scene IV.

Me. HERMAN DE BREME, ANTOINE.

Herman.

Je vous ai beaucoup d’obligation, Monsieur Antoine. Votre proposition me fait honneur. Vous êtes un joli & honnête garçon. Je crois que ma fille ne seroit pas mal avec vous. Mais je desirerois fort avoir pour gendre un homme qui auroit fait son cours de Politique.

Antoine.

Eh ! Maître Herman de Breme, peut-on entretenir une femme & des enfants avec cela ?

Herman.

Pourquoi non ? Vous imaginez-vous que j’aie envie de mourir potier d’étain ? Vous le verrez avant qu’il soit six mois. Je me flatte qu’après que j’aurai parcouru le Héraut de l’Europe 57, on me forcera d’accepter une place dans la Magistrature. Pour le Politique après le repas 58, je le sais déja sur le bout du doigt : je vous le prêterai. . . . . . . . . . . . . . .

Antoine.

Fort bien, Monsieur : mais si je me donne à la lecture, je négligerai mon ouvrage.... d’ailleurs je suis trop grand pour retourner à l’école.

Herman.

Vous n’êtes donc pas fait pour être mon gendre.

Maître Herman sort ; Antoine raconte son malheur à Madelaine, femme du potier : ils pestent ensemble contre la politique. La bonne femme est occupée à calmer les pratiques que son mari néglige pour ses affaires politiques.

Scene V.

Madelaine demande à Crispin où est son maître. Crispin lui demande le secret à son tour, & lui dit que son mari est sorti pour assembler le College politique, qui doit se tenir chez lui, & qui est composé de douze personnes.

Madelaine.

Connois-tu quelqu’un d’entre eux ?

Crispin.

Oh que oui : je les connois tous. Attendez : mon maître & le cabaretier sont deux ; François, le perruquier.... Christophe, le peintre... Gilbert, le tapissier... Cristian, le teinturier... Girard, le pelletier... Jérôme, le brasseur... Léandre, le visiteur de la Douane... Nicolas, le maître d’écriture... David, le maître d’école... Richard, le faiseur de vergettes... Ils détrônent les Empereurs, les Rois, les Electeurs : ils en mettent ensuite d’autres à leur place... Ne me décelez pas. Qui diantre voudroit avoir affaire avec des gens qui dépossedent les Rois, les Princes & même les Bourg-mestres ? . . . . . .

Madelaine.

Mon mari t’a-t-il apperçu ? . . . . . .

Crispin.

Dès qu’un homme devient membre de quelque College, il lui tombe une taie sur les yeux, de sorte qu’il ne reconnoît plus même ses meilleurs amis. . . . .

ACTE II. Scene I.

Le College politique s’assemble : après mille projets extravagants & autant de déclamations contre ceux qui gouvernent, l’un des membres voudroit faire assiéger Paris par mer. Un autre soutient que Paris ne fut jamais une ville maritime. On fait apporter une carte.

Herman.

Voici où est l’Allemagne.

Léandre.

Cela est juste. Je le puis connoître par le Danube qui court là. (En appuyant sur la table, il renverse une cruche à biere59.)

Le Cabaretier.

Ce Danube coule un peu trop fort.

Scene II.

Madelaine vient troubler le College, dire des injures aux membres, & sur-tout à son mari ; mais il a lu dans un livre de politique qu’on doit compter jusqu’à vingt lorsqu’on se sent en colere ; & il fait offrir un verre de biere à sa femme.

Madelaine.

Ah ! méchant que tu es ! penses-tu que je sois venue ici pour boire ?

Herman.

1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13. Ma colere est présentement passée. Ecoute, ma petite femme, tu ne dois pas parler si rudement à ton mari ; cela a l’air trop commun.

Madelaine.

Est-ce donc du grand air de mendier son pain ? Chaque femme n’a-t-elle pas sujet de crier lorsqu’elle a un mari qui perd son temps, qui néglige sa maison, & qui laisse souffrir sa femme & ses enfants ?

Herman.

Crispin, donne à ma femme un verre de brandevin, car elle est altérée de s’être mise en colere.

Madelaine.

Crispin, donne à mon mari, à ce méchant homme, une paire de soufflets.

Crispin.

Cela vous regarde, Madame : je vous remercie de la commission.

Madelaine.

Je le ferai donc moi-même.

Elle les donne en effet : son mari compte gravement jusqu’à vingt. On met Madelaine à la porte : elle vomit mille injures à travers la serrure. . . . . . . .

ACTE III.

Les Echevins de la ville paroissent, disent entre eux qu’on vouloit d’abord punir sévérement Maître Herman ; mais on a décidé qu’en arrêtant un pareil fou, on exciteroit des troubles parmi la populace, & qu’on rendroit sa folie plus illustre. On a résolu de se moquer de lui, de lui envoyer des Députés pour le féliciter de sa nomination à la charge de Bourg-mestre, & de lui faire voir par lui-même quelle différence il y a entre raisonner d’une charge ou l’exercer. Les Echevins font effectivement leur députation d’un air fort grave. Le Potier en est la dupe, se rengorge, appelle sa femme pour l’instruire de son bonheur ; il l’exhorte à prendre un ton conforme à sa nouvelle dignité, à porter sur-tout un chien sous le bras. Il raisonne avec Crispin sur les ennemis que sa charge va lui attirer, & sur la harangue qu’il doit faire au Sénat.

ACTE IV.

Crispin réfléchit sur les raisons qui ont pu déterminer le Sénat à nommer son maître Bourg-mestre.

La fille du Potier, qui craint que sa qualité ne l’empêche d’épouser Antoine, pleure. Les femmes des Echevins viennent complimenter l’épouse du nouveau Bourg-mestre, se moquent tout bas de son embarras & de son air gauche. La femme d’un Serrurier qui étoit bonne amie de Madelaine, & qui lui avoit souvent prêté de l’argent, arrive pour la féliciter ; Madelaine ne la reconnoît plus & la fait mettre à la porte.

ACTE V.

Crispin s’arrange pour tirer parti de sa nouvelle dignité, il fait financer deux Avocats qui veulent parler à son maître : les Avocats plaident leurs causes devant le nouveau Bourg-mestre qui ne sait que répondre, & qui déja est fort ennuyé de sa charge, comme on le verra dans la scene suivante.

Scene III.

BREMENFELD, CRISPIN.

Bremenfeld.

Crispin, tu seras battu si tu fais entrer dorénavant des vieilles femmes ou des avocats ; car chacun d’eux me tue à sa mode. S’il se présente d’autres personnes qui veuillent me parler, tu leur diras qu’elles doivent prendre garde à ne point parler latin, parceque, pour certaines raisons, j’ai juré de ne point écouter cette langue.

Crispin.

J’ai aussi fait un semblable serment pour la même raison.

Bremenfeld.

Tu pourrois dire que je ne veux parler que grec.

(On frappe derechef ; Crispin va à la porte, & revient avec un gros paquet de papiers.)

Crispin.

Voici, Monsieur, une grande quantité de papiers que le Syndic vous envoie, pour que vous les examiniez, & que vous donniez votre sentiment dessus.

Bremenfeld s’assied près d’une table & feuillete les papiers.

Être Bourg-mestre, Crispin, n’est pas une chose aussi aisée que je me l’étois imaginé. J’ai reçu ici quelques affaires à examiner, & le diable, je pense, ne s’en débarrasseroit pas. (Il commence à écrire ; il se leve aussi-tôt, essuie la sueur de son visage, se remet sur son siege, efface ce qu’il avoit écrit, & dit :) Crispin.

Crispin.

Seigneur Bourg-mestre ?

Bremenfeld.

Quel bruit fais-tu là ? Ne veux-tu pas te tenir en repos ?

Crispin.

Eh ! je ne branle pas de ma place, Seigneur Bourg-mestre.

Bremenfeld se releve, essuie la sueur de son visage & jette sa perruque par terre, pour pouvoir mieux méditer avec la tête nue. En se promenant il marche sur sa perruque, & la pousse à côté. Enfin il se remet sur son siege pour écrire, & crie :

Crispin.

Crispin.

Seigneur Bourg-mestre ?

Bremenfeld.

Tu as le diable au corps. Ne peux-tu pas te tenir tranquille ? C’est la seconde fois que tu m’interromps dans mes pensées.

Crispin.

Je ne fais, ma foi, rien autre chose qu’accommoder ma chemise, & mesurer à mes jambes de combien mon habit de livrée m’est trop long.

Bremenfeld se releve encore, & frappe sur son front avec la main, afin de mieux concevoir ce qu’il médite, & crie :

Crispin.

Crispin.

Seigneur Bourg-mestre ?

Bremenfeld.

Sors, & dis à ces femmes qui crient des huîtres, qu’elles ne doivent pas crier dans la rue où je demeure, parceque cela me trouble dans mes affaires.

Crispin crie par trois fois à la porte.

Ecoutez, vous, vendeuses d’huîtres ! vous, canailles ! vous, carognes ! vous, femmes de mauvaise vie ! vous, prostituées à des gens mariés ! c’est une honte d’oser ainsi crier dans la rue d’un Bourg-mestre, & de l’interrompre lorsqu’il travaille.

Bremenfeld.

Crispin.

Crispin.

Seigneur Bourg-mestre ?

Bremenfeld.

Tais-toi donc derechef, grosse bête !

Crispin.

Cela ne sert aussi de rien que je crie davantage ; car la ville est remplie de semblables gens. Dès que l’une est passée, une autre lui succede. Car si...

Bremenfeld.

Ne souffle pas : demeure en repos, & retiens ta langue. (Il s’assied encore, efface ce qu’il avoit écrit, récrit de nouveau, se releve ensuite, frappe le pavé, & appelle :) Crispin.

Crispin.

Seigneur Bourg-mestre ?

Bremenfeld.

Je serois ravi que cette charge de Bourg-mestre fût au diable. Veux-tu être Bourg-mestre en ma place ?

Crispin.

Le diable emporte celui qui le veut, (A part.) & celui qui le demande.

Bremenfeld veut s’asseoir pour écrire derechef ; mais, par distraction, il manque la chaise, tombe par terre, & crie :

Crispin.

Crispin.

Seigneur Bourg-mestre ?

Bremenfeld.

Je suis sur le pavé.

Crispin.

Je le vois bien.

Bremenfeld.

Approche, & aide-moi à me relever.

Crispin.

Mais, Seigneur Bourg-mestre, vous m’avez défendu de branler de ma place.

Bremenfeld.

Voilà un impertinent garçon !

Un Résident d’une Puissance étrangere demande à parler au Bourg-mestre ; celui-ci qui a la tête cassée, qui ne sait plus où il en est, lui fait refuser la porte. Les Echevins qui sont venus le nommer Bourg-mestre, reviennent pour se plaindre de ce qu’il a eu la témérité de renvoyer le Résident, & vont au Sénat pour savoir ce qu’il décidera de lui après une faute qui met la ville dans un grand danger. Le Boug-mestre maudit sa charge, les livres où il a puisé sa manie ; & ne sachant plus où donner de la tête, il va se pendre, quand Antoine vient lui annoncer qu’on n’a feint de l’élire Bourg-mestre que pour se moquer de lui : il en est enchanté, & reconnoît sa folie.

Le héros de la piece Danoise est un très petit Monsieur : opposons-le à quelqu’un des nobles personnages qui embellissent notre scene, à l’Ambitieux de Destouches, par exemple.

Don Fernand, sujet du Roi de Castille, non content d’être le favori de son maître, de voir son frere premier Ministre, d’avoir obtenu pour son pere la dignité de Grand de la premiere classe, forme encore le projet téméraire de s’allier à son Souverain, de partager avec lui l’autorité, de tenir sa grandeur moins de ses faveurs que de la nécessité, & de se préparer par là des moyens surs de pouvoir être ingrat sans danger.

Les premiers personnages de la piece Danoise sont des Artisans, ceux de la seconde sont de grands Seigneurs : il reste à savoir lequel des deux Drames est plus utile à l’humanité. Que le Lecteur décide ; mais qu’il songe auparavant, qu’il y a dans tous les pays dix mille fous qui s’avisent de crier à tort & à travers contre les Ministres, & qu’il n’y a pas dans toutes les Cours du monde deux sujets qui soient assez extravagants pour vouloir s’allier à leur maître.

C’est le fond & non l’écorce qu’un Poëte comique doit peindre. Par conséquent que ses regards ne s’arrêtent presque point sur les superficies, & qu’il ne leur donne point la préférence : qu’il soit indifféremment de tous les états ; qu’il vive dans tous ; sur-tout, qu’il ne se fasse point illusion sur la différence des avantages qu’il en retirera.

Il puisera dans le grand monde un goût fin, beaucoup de délicatesse, une façon aisée d’exprimer ses idées ; mais comme tous ceux qui le composent ont à-peu-près reçu la même éducation, que cette éducation leur apprend à paroître tout ce qu’ils ne sont pas, ils ne lui laisseront entrevoir que des nuances. S’il peut saisir quelques-uns de leurs ridicules, les portraits qu’il en fera ne produiront aucun effet dans un siecle où ils sont érigés en agréments. Si à travers les nuages épais de la dissimulation il parvient à découvrir des vices, on ne lui permettra pas de les peindre au naturel.

Vive la Bourgeoisie ! la nature s’y découvre toute nue & sans fard aux regards de ses Peintres. Moliere étudioit la Cour, mais il ne négligeoit pas la Ville.