(1772) De l’art de la comédie. Livre second. De ses différents genres (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE XXXIII. Examen de quelques Caracteres. » pp. 350-377
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(1772) De l’art de la comédie. Livre second. De ses différents genres (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE XXXIII. Examen de quelques Caracteres. » pp. 350-377

CHAPITRE XXXIII.
Examen de quelques Caracteres.

Nous venons de voir dans les derniers Chapitres quelles sont les qualités d’un caractere, quels sont ses défauts, ce qui le rend plus ou moins propre à la scene, & plus ou moins facile à traiter : ne nous laissons donc pas éblouir par des titres pompeux, & avant que de mettre un caractere au théâtre, sachons voir d’un coup d’œil le parti que nous pourrons en tirer. Tel frappe d’abord en grand, qui n’est propre bien souvent qu’à figurer dans une petite scene ; & tel n’en impose point au premier aspect, qui peut fournir une longue carriere.

Nous avons promis, en parlant du choix d’un sujet, d’analyser six caracteres que M. de Marmontel, dans sa Poétique, a indiqués aux Auteurs Comiques. Ces six caracteres sont, le Misanthrope par air, le Fat modeste, le Faux Magnifique, le Petit Seigneur, l’Ami de Cour, le Défiant. Voilà de quoi faire six pieces excellentes, divines, s’écrient d’abord les enthousiastes. Ils pensent qu’il n’y a plus qu’à prendre la plume, comme si M. de Marmontel leur eût assuré, leur eût prouvé que chacun des fonds qu’il leur donne peut fournir cinq actes. Il ne nous a pas dit cela ; il a trop d’esprit, de jugement ; il connoît trop bien le théâtre. Six caracteres se sont présentés à son imagination, il nous les propose ; c’est à nous à les décomposer, à voir le parti que nous en pourrons tirer. Tous sont bons, tous peuvent figurer sur la scene ; mais tous n’amenent pas des richesses aussi grandes, tous n’ont pas un fonds aussi fécond. Nous devons cependant des remerciements à l’Académicien célebre qui nous les a indiqués, parceque si nous savons peser leur juste valeur & les placer comme il faut, nous tirerons parti de tous.

LE MISANTHROPE PAR AIR.

Ce titre annonce un homme qui, frappé des paroles du Duc de Montausier (je voudrois bien ressembler au Misanthrope de Moliere), voudroit avoir l’air de lui ressembler aussi, & affecteroit de haïr les hommes qu’il aime dans le fond, & dont il approuve intérieurement toutes les foiblesses.

Nous avons assez parlé des caracteres composés pour connoître que celui-ci est du nombre. Ils sont plus ou moins bons, selon que le caractere simple, qui en est la principale branche, a été bien ou mal traité par un autre Auteur. On va s’écrier qu’en ce cas-là le Misanthrope par air ne peut être que mauvais, parceque le Misanthrope de Moliere passe pour le chef-d’œuvre de tous les théâtres. Je soutiendrai au contraire que de tous les caracteres composés, celui que M. de Marmontel indique ici est peut-être le plus riche, graces à Moliere, qui, encore novice dans l’art de mettre de grands caracteres sur la scene, a rétreci son sujet, en faisant de son Homme au ruban verd un personnage qui hait les hommes plus par humeur que par raison, en le resserrant dans un cercle fort étroit, & en ne le mettant aux prises qu’avec un bel esprit, des petits-maîtres, une fausse prude & sa maîtresse. Il a laissé par-là à l’Auteur qui traiteroit le Misanthrope par air, les grandes beautés que le caractere présente d’abord, & que les autres nations n’ont pas dédaignées quand elles ont peint leur Misanthrope haïssant le genre humain parcequ’il en avoit éprouvé des noirceurs, & distribuant un trésor à deux armées ennemies pour leur fournir le moyen de s’égorger61.

Il est cependant un écueil que je suis obligé de faire remarquer à ceux qui voudroient mettre le Misanthrope par air sur la scene. Les petites simagrées & les affectations d’un pareil original figureroient, je crois, très mal à côté des traits mâles & vigoureux que Moliere leur a abandonnés.

LE FAT MODESTE.

Voilà encore un titre qui annonce un caractere composé, & promet en même temps une piece dont le héros seroit intérieurement pêtri de fatuité & auroit l’extérieur d’un homme qui ne connoîtroit pas son mérite. Un tel caractere n’a malheureusement que trop d’originaux ; mais plus malheureusement encore l’Auteur, qui ne pourroit pas toujours montrer au spectateur le masque de son héros, qui seroit obligé de lui en peindre l’intérieur & la fatuité, trouveroit la matiere épuisée par ses prédécesseurs qui n’ont cessé de mettre la fatuité sur la scene. La fausse modestie du personnage la changeroit bien quant à la superficie, mais le fond seroit toujours égal ; &, comme nous l’avons déja dit plusieurs fois dans le cours de cet Ouvrage, ce ne sont point les superficies qui doivent frapper sur la scene.

LE FAUX MAGNIFIQUE.

Autre caractere composé. Je croyois d’abord renvoyer mes Lecteurs à l’article où nous avons discuté si l’on pourroit faire un nouvel Avare, en donnant à son héros un extérieur de magnificence ; mais un peu de réflexion m’a fait voir qu’il y a une différence assez grande entre un Avare qui veut passer pour magnifique, & un Faux Magnifique. L’un veut déguiser son avarice sous un extérieur de magnificence ; l’autre aspire à la gloire de passer pour magnifique, sans dépenser plus qu’un homme qui ne seroit ni avare ni prodigue. Il reste à savoir lequel de ces deux sujets seroit plus fécond. Est-ce le premier ? est-ce le dernier ? Hippocrate dit oui ; mais Galien dit non ; & la chose me paroît difficile à décider.

Si j’avois à peindre un avare qui voulût passer pour prodigue, le contraste qu’il y a entre le fond du caractere & le masque, pourroit me faire espérer du comique ; mais j’aurois à glaner sur les pas de Moliere, le moissonneur le plus cruel pour tous ceux qui viendront après lui.

Si d’un autre côté je voulois mettre sur le théâtre le Faux Magnifique 62, j’aurois, à la vérité, l’avantage de ne pas trouver le fond du caractere épuisé, parcequ’on a mis rarement la magnificence en action63 : mais la matiere est-elle bien comique, bien morale ? Les Auteurs doivent peser toutes ces choses.

LE PETIT SEIGNEUR.

Le peu de connoissance que les personnes superficielles ont du théâtre, est ce qui leur persuade qu’il y a encore une infinité de caracteres excellents à mettre sur la scene. Elles sont abonnées, ou elles ont une loge à l’année ; & parcequ’elles ont vu épuiser deux ou trois fois le répertoire borné que se sont fait les comédiens, elles pensent connoître tous les théâtres possibles. Il n’est pas douteux que si les Auteurs sont aussi peu instruits qu’elles, ils croiront bien souvent avoir trouvé un sujet neuf & fertile, tandis que leurs prédécesseurs auront, sous un autre titre, épuisé la matiere, ou n’en auront laissé que pour faire un acte tout au plus. Je ne sais pas comment M. de Marmontel a envisagé son Petit Seigneur, & s’il a cru faire présent aux jeunes comiques d’un caractere propre à fournir une petite ou une grande piece ; par conséquent je puis risquer mon sentiment.

Un jeune homme qui consacre ses veilles à la Muse Comique, lit la Poétique de M. de Marmontel, dévore les principes excellents dont l’article Comédie est plein, parvient à l’endroit qui nous occupe présentement : ce titre le frappe : le Petit Seigneur ! Le sujet le séduit d’autant plus aisément qu’il a un air de grand monde & de noblesse qui éblouit tous les jeunes gens. Il cherche des originaux ; il voit avec plaisir que la Cour & Paris en fourmillent. Il ramasse des matériaux exquis ; il commence d’abord à se représenter son héros dans cet âge où l’ambition dévore les hommes ; il lui donne une fortune très bornée & un grand desir d’en acquérir une plus grande ; il lui fait employer toutes sortes de ressorts pour cela, sur-tout auprès d’une riche héritiere, dans l’espoir d’obtenir son bien avec sa main. Il n’en fait qu’un bon Gentilhomme ; mais il lui donne la fatuité de vouloir passer pour le rejetton d’une maison titrée : enfin, son héros feint d’être un homme essentiel à la Cour, de disposer des Ministres ; c’est lui, si on veut l’en croire, qui fait donner tous les emplois, tous les bénéfices, qui envoie nos Résidents dans les Cours étrangeres, qui fait nommer tous les Colonels. Pour soutenir les grands airs qu’il prend & qui ne vont pas avec sa fortune, il érige son valet-de-chambre en Ecuyer ; il emprunte de tous côtés, & calme ses créanciers en leur promettant de faire bientôt un riche mariage. Il imite tous les travers des véritables Seigneurs, & ne possede aucune de leurs qualités : il finit par être démasqué ignominieusement.

Voilà, je crois, quel est l’aspect sous lequel tout homme raisonnable peut se peindre le Petit Seigneur. Aussi l’Auteur, content d’avoir ramassé ces différents traits, qui sont en même temps comiques & moraux, qui peuvent lui fournir cinq grands actes, s’empresse de les mettre à leur place. Il fait son plan en conséquence, travaille nuit & jour, finit sa piece, la lit à quelques amis qui l’admirent : l’Auteur triomphe ; mais, hélas ! il n’a pas long-temps à jouir. Les Comédiens François annoncent l’Important de Cour : il ne le connoît pas, il va le voir, & s’apperçoit avec chagrin que le héros de cette piece est exactement son Petit Seigneur. Pour le prouver, réunissons quelques morceaux de l’Important 64, & comparons-les aux matériaux que nous avons ramassés pour composer le Petit Seigneur.

L’IMPORTANT DE COUR,
Comédie en cinq actes, & en prose, de Brueys, attribuée à Palaprat.

ACTE I. Scene II.

. . . . . . . . . . . . . . . . . .

M. de Cornichon.

Mais, dis-moi : tu as donc fait fortune, à ce que je vois ?

La Branche.

Pardonnez-moi, Monsieur, je suis toujours au service de Monsieur votre neveu.

M. de Cornichon.

Il est donc devenu grand Seigneur ?

La Branche.

Pardonnez-moi, Monsieur.

M. de Cornichon.

Quoi ! un homme de sa condition habiller ainsi son valet !

La Branche.

Oh ! Monsieur, ce n’est plus comme de votre temps. Les gens des plus petits soi-disants gentilshommes sont aujourd’hui plus dorés que les Ducs & Pairs du temps passé. D’ailleurs, Monsieur, on portoit autrefois l’or & l’argent dans la bourse ; la mode a changé, on le porte sur les habits.

M. de Cornichon.

Cependant la terre de Clincan ne sauroit fournir à mon neveu...

La Branche.

Parlez bas, Monsieur, s’il vous plaît.

M. de Cornichon.

Eh ! pourquoi ?

La Branche.

Nous sommes ici dans l’appartement d’une Marquise, qui est à Paris pour un grand procès. Elle a une fille fort belle & fort riche... Mon maître songe à la croquer à cause de sa richesse ; car pour sa beauté, ce n’est pas ce qui le touche. Il ne seroit pas à propos qu’on entendît ce que vous venez de dire ici de lui.

M. de Cornichon.

Je comprends. C’est-à-dire que mon neveu fait le grand Seigneur auprès de la mere pour se faire donner la fille.

La Branche.

Vous l’avez dit, Monsieur. Depuis quelques mois il a érigé, de sa propre autorité, sa terre de Clincan en Comté, & il est Monsieur le Comte tout court.

Où sera donc né le Petit Seigneur, si ce n’est dans cet état intermédiaire entre le roturier & l’homme de qualité, qui lui permet de se faufiler dans le monde ? S’il est moins qu’un petit Gentilhomme, il n’en imposera pas long-temps ; s’il est davantage, il n’en impose plus.

Quelle fortune aura donc le Petit Seigneur, si ce n’est une petite terre qu’il puisse ériger en Comté, en Marquisat ? S’il est tout-à-fait sans bien, s’il usurpe un titre sans avoir de quoi l’étayer un peu, & bâtir une fable au moins vraisemblable, il est un escroc du plus bas étage.

Quel moyen de s’enrichir pourra-t-on faire tenter au Petit-Seigneur, s’il ne vise à un grand mariage ? Il est au dessous de lui de solliciter un emploi dans les Finances, il ne peut courir après un bénéfice ; les postes dans le militaire ne se donnent qu’à l’ancienneté ou bien au mérite ; il faut avoir réellement de l’argent pour acheter des charges ; il faut se procurer cet argent par quelque moyen : un riche établissement est le meilleur ; c’est le seul commerce où l’on puisse impunément être faux & frippon.

La Branche.

Pour moi, je suis, à Versailles, son secrétaire ; à l’auberge, son valet-de-chambre ; & céans, son écuyer. . .

. . . . . . . . . . .

M. de Cornichon.

Sur ce que tu viens de me dire, il doit être bien endetté.

La Branche.

Passablement, Monsieur : un certain Banquier à qui nous devons deux mille pistoles, nous talonne d’assez près.

M. de Cornichon.

Mais aussi, que fait-il depuis si long-temps à Paris ?

La Branche.

Rien, Monsieur. Il va souvent à Versailles.

M. de Cornichon.

A-t-il une charge chez le Roi ?

La Branche.

Non, Monsieur.

M. de Cornichon.

Est-il dans le Service ?

La Branche.

Non, Monsieur.

M. de Cornichon.

Est-il dans la Robe ?

La Branche.

Non, Monsieur... Il est... Vous m’embarrassez... Il est ce qu’on appelle... à la suite de la Cour.

M. de Cornichon.

Et que fait-il à la suite de la Cour, n’étant pas en place ?

La Branche.

Oh ! Monsieur, cela n’est pas nécessaire. Mais il faut vous expliquer ceci. Tenez, Monsieur, il y a dans ce pays une espece de gens qui, voyant qu’on ne leur fait pas l’honneur de les élever dans les charges & dans les emplois de distinction, trouvent le moyen, par leur propre industrie, de se faire valoir eux-mêmes.

M. de Cornichon.

Et comment cela ?

La Branche.

Ils vont à la Cour, chez les Princes, chez les Ministres : ils s’intriguent dans les Bureaux. Ils n’y ont pas véritablement grand crédit ; mais ils trouvent des gens à qui ils persuadent qu’ils en ont beaucoup. Cela leur donne un grand relief dans le monde ; & Monsieur votre neveu a embrassé cette profession-là.

M. de Cornichon.

Voilà une belle profession ! . . . . . . . . . . . . . . .

La Branche.

La profession amene quelquefois à de gros mariages : par exemple, la Dame de céans, qui songe à manquer de parole à Dorante pour donner sa fille à mon maître. . . . Vous n’êtes pas assez proprement mis pour vous dire l’oncle de M. le Comte, &c. . . . . . . . . . . . . . . .

De quoi sera composé le domestique du Petit Seigneur, si ce n’est d’un la Branche, très proprement vêtu, & qui sera le valet-de-chambre, le secrétaire & l’écuyer ?

Quel parti prendra le Petit Seigneur pour se donner un air de considération, & pour éblouir la famille avec laquelle il veut s’unir, s’il ne feint d’être bien chez les Princes, les Ministres, & d’avoir du crédit dans les Bureaux ? Continuons.

ACTE II. Scene II.

LE COMTE, LA BRANCHE, LA MARQUISE, UN LAQUAIS.

Le Comte, rêvant à part.

Est-ce là tout ? je pense qu’oui. Y a-t-il encore là quelqu’un ?

Le Laquais.

Il n’y a, Monsieur, que le commis du Banquier qui veut être...

Le Comte.

A demain, à demain.

Le Laquais.

Il dit, Monsieur. . . .

Le Comte.

Allez, allez ; je ne vois plus personne d’aujourd’hui. Madame, je suis votre serviteur. . . . . . Je quitte tout, Madame, pour me rendre chez vous.

La Marquise.

Que je vous suis obligée, Monsieur !

Le Comte, à la Branche.

Allez rendre ces dépêches... Enfin, Madame... N’oubliez pas de les donner en main propre.

La Branche.

Sans doute, Monsieur.

Le Comte.

Enfin, Madame, vous êtes aujourd’hui... Elles sont de conséquence.

La Branche.

Je le sais, Monsieur.

Le Comte.

Vous êtes aujourd’hui de noce ?

La Marquise.

Monsieur, je ne suis pas encore...

Le Comte, rappellant la Branche.

A propos, Monsieur... Mille pardons, Madame ; vous voulez bien que, pour être plus libre...

La Marquise.

Oh ! Monsieur...

Le Comte.

A-t-on donné ce brevet à ce petit Marquis ?

La Branche.

Oui, Monsieur, votre valet-de-chambre le lui donna hier dans votre appartement.

Le Comte.

Ces provisions à cet homme de Robe ?

La Branche.

Votre secrétaire l’expédia à Versailles.

Le Comte.

A Versailles ! Et la lettre de cachet ?

La Branche.

Votre écu... Je l’ai rendue, Monsieur, ce matin...

Le Comte.

Ce matin ! Voilà qui est bien. Allez à présent, & que d’aujourd’hui on ne me rompe plus la tête d’aucune affaire. Allez. Non, non, demeurez, Monsieur ; Madame le veut bien. Vous savez, Madame, que c’est un homme de condition. . . .

La Branche.

Oh ! Monsieur...

Le Comte.

Qui a bien voulu se donner à moi. . . . . . . . . . . . . . .

Si le Petit Seigneur n’a pas des dettes, comme l’Important de Cour, l’Auteur ne peindra ni un petit ni un grand Seigneur du siecle.

Si le Petit Seigneur n’érige pas son prétendu Ecuyer en homme de condition, & s’il ne feint pas de faire donner des emplois, expédier des brevets & des lettres de cachet, l’Auteur ne connoîtra pas le monde. Passons à la maniere dont l’Important tâche d’amener son mariage.

Le Comte.

Vous êtes donc de noce aujourd’hui, Madame ?

La Marquise.

En vérité, Monsieur, je ne sais pas encore trop bien ce que je dois faire..... Vous savez, Monsieur, qu’on veut me faire donner ma fille à Dorante..... C’est un riche gentilhomme.

Le Comte.

Et vous n’avez jamais porté vos vues plus haut qu’un simple gentilhomme ?

La Branche.

Ah ! ah !

La Marquise.

Monsieur, je ne manque pas d’ambition. Ma fille a de l’esprit, de la beauté..... Elle portera à son époux plus de vingt mille livres de rente en bonnes terres, outre deux cents mille livres d’argent comptant qu’on me garde ici pour sa dot.

Le Comte.

C’est quelque chose.

La Marquise.

Et je lui ferai encore de plus grands avantages, pourvu que je gagne mon procès.

Le Comte.

Oh ! pour cela, Madame, on peut, on peut, je crois, vous en répondre.

La Marquise.

Ainsi, Monsieur, vous croyez que je pourrois prétendre à quelque chose de mieux ?

Le Comte.

Oui, Madame.

La Marquise.

Cependant Monsieur de Vieusancour, le pere de Dorante, est Résident chez un Prince d’Italie.

Le Comte.

Vieusancour ! Ah ! il m’en souvient. Résident en Italie ! Il y est encore, n’est-ce pas ?... Monsieur, n’ai-je pas fait donner cette résidence ?

La Branche.

N’étoit-ce pas une ambassade, Monsieur ?

Le Comte.

Non, non... à cet homme-là... Diable ! Non... non : une résidence.

La Branche.

Ah ! oui, oui, Monsieur : c’étoit au moins quelque nom comme cela, qui finissoit en cour65. . . . . . . . . . . . . . .

La Marquise.

Quand on est, Monsieur, d’une aussi grosse considération...

Le Comte.

Oh ! oui, oui, Madame, grosse considération ! Voilà qui est bien, grosse considération ! Mais, parbleu ! cela est accablant ; on ne dit pas cela pour vous, Madame.... J’ai fait mettre votre Chevalier aux Cadets : j’ai un Régiment tout prêt pour votre aîné, & nous n’en demeurerons pas là.

La Marquise.

Ah ! Monsieur !

Le Comte.

Mais tout le monde se rue sur moi : une charge à l’un, un emploi à l’autre, une pension à celui-ci, un gouvernement à celui-là.... A la fin je quitterai tout & m’irai confiner dans quelqu’une de mes terres. Que j’envie, Madame, le sort d’un petit Gentilhomme de dix à douze mille livres de rente, qui vit tranquillement chez lui ! il est cent fois plus heureux que moi. . . . .

Si le Petit Seigneur ne file pas l’histoire de son mariage précisément comme l’Important, il se trouvera surement au-dessous de lui. Voyons comme il va se débarrasser d’un créancier qui pourroit nuire à son établissement.

Scene III.

LE COMMIS DU BANQUIER, les précédents.

Le Comte.

Pardon, Madame.... Qu’est-ce, mon petit ami ? Qu’est-ce ? Ne pouviez-vous pas bien m’attendre chez moi ? Parlez bas. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Le Commis.

En un mot, si les deux mille pistoles ne sont dans deux heures....

Le Comte.

Mais, mais, parlez donc plus bas : on ne rompt pas ainsi la tête à des gens de qualité pour ces bagatelles.

La Marquise.

Qu’est-ce donc, M. le Comte ?

Le Comte, bas.

C’est un maraud (Haut.) de Banquier (Bas.) qui me doit (Haut.) deux mille pistoles, (Bas.) & qui me fait demander (Haut.) deux heures. Entends-tu au moins ? dans deux heures.

Le Commis.

Il viendra lui-même, ou envoyez-y. (Il sort.) . . . . . . . . . . . . . .

Scene IV.

Le Comte, quand le Commis est sorti.

Il fera fort bien de n’y manquer pas : j’attends ce gueux-là depuis six mois ; mais la patience échappe, à la fin.

La Marquise.

Sans doute, Monsieur. . . . . . . . . . . . . . . .

Le Comte.

Ces deux mille pistoles me font souvenir que j’ai oublié de me trouver ce matin au petit lever.

La Marquise.

Au petit lever !

Le Comte.

Oui, Madame : je vais réparer cela ; vous le voulez bien. . . . (Bas.) Va-t’en dire à ce Banquier, bs, bs, bs.

La Branche.

Comment dites-vous, Monsieur ?

Le Comte, haut.

Va-t-en dire au Duc, (Bas.) au Banquier, bs, bs, bs.

La Marquise, à part.

Au Duc !... Si je pouvois lui donner ma fille !

La Branche.

Je n’entends pas.

Le Comte, bas.

J’enrage ! (Haut.) Si le Duc fait difficulté... (A l’oreille.) Le Banquier, bourreau ! le Banquier, bs, bs, bs.

La Marquise, à part.

Quelle différence de lui à Dorante !

La Branche.

Que diantre me dit-il ?

Le Comte, bas.

Ah ! le butor ! (Haut.) Vous irez trouver le Prince de... (A l’oreille.) bs, bs, bs.

La Marquise.

Le Prince !... Il faut que j’aille rompre le mariage de ma fille avec Dorante. . . . . . . . . . . . . . . . . .

Si le Petit Seigneur ne renvoie pas ses créanciers, & ne fait pas desirer son alliance avec autant d’adresse que l’Important, il aura eu tort de venir après ; & malheur à lui si on les compare. Il faut sans doute aussi que le Petit Seigneur ne réussisse pas dans ses projets. Voyons en partie la derniere scene de l’Important.

La Marquise, à un Banquier.

. . . . . . . . . .

Je veux être payée tout-à-l’heure : c’est pour la dot de ma fille. Je veux donner ce soir même cette somme à Monsieur.

Le Banquier.

Monsieur aura donc la bonté, Madame, de prendre des billets endossés par les gens de Paris les plus solvables ; sans cela je ne m’en serois pas chargé.

Le Comte.

Un homme comme moi n’a que faire d’aller courir après ces gens-là.

La Marquise.

Monsieur, allez querir de l’argent, puisque M. le Comte de Clincan...

Le Banquier.

Monsieur de Clincan ! Ah ! parbleu, Madame, cela ne pouvoit mieux venir ! Monsieur, vous ne refuserez pas de les prendre, quand vous saurez qu’il y en a pour plus de vingt mille écus des vôtres.

La Marquise.

Pour plus de vingt mille écus !

Le Comte.

Eh ! bon ! bon ! Madame, ce n’a été que pour faire plaisir à des gens qui... Il ne sait ce qu’il dit.

Le Banquier, en colere.

Monsieur votre oncle, dont je suis connu, sait si je dis la vérité : & puisque l’on me force de parler ; sachez, Madame, que Monsieur, à qui je vois que l’on donne la qualité de Comte, est à peine gentilhomme, & très mal dans ses affaires.

La Marquise.

Comment ! l’homme d’importance !

Le Comte, en reculant.

Oh ! çà, çà, Madame, point d’explication, s’il vous plaît ; je ne prétends pas vous donner davantage ici la comédie. Puisque vous prenez mal les choses, tant pis pour vous. Renouez, renouez avec vos gens. Je retire... ma parole... (En revenant.) Ne comptez pas sur moi ; je retire ma parole. Adieu, adieu.

Voilà quatre scenes qui doivent certainement mettre à l’étroit tout homme qui voudra faire une piece en cinq ou en trois actes du Petit Seigneur. Tous les traits avec lesquels nous l’avons caractérisé avant que d’extraire l’Important, servent encore dans la piece de Brueys.

L’on me dira qu’un Auteur moderne pourra peindre son héros avec plus de noblesse. Je ne vois pas s’il feroit mieux : n’avons-nous pas dans Paris bien des Comtes, des Barons, des Marquis qui ne sont pas Gentilshommes, & qui n’ont pas une Terre comme M. de Clincant ? N’avons-nous pas d’un autre côté bien des Nobles réels, qui, pour raccommoder leurs affaires, n’aspirent pas à une Marquise, & se bornent à tromper une simple roturiere ? Mais prêtons-nous aux idées nobles & relevées de l’Auteur. Alors son héros, au lieu d’en imposer à une Marquise de province, en imposera à une Femme de la Cour encore mieux titrée. Dès ce moment l’Auteur s’éloigne de la vraisemblance.

On me dira encore que le Petit Seigneur peut se croire de bonne foi un homme d’importance, & n’être pas un frippon comme M. de Clincant. En ce cas-là le héros ressemblera au Glorieux par la haute idée qu’il aura de lui, & il sera un modele du côté de la probité. Adieu ridicule, adieu plaisant ; par conséquent, adieu les ris, adieu la comédie.

Je conçois qu’on peut envisager le Petit Seigneur d’un autre côté, & c’est peut-être celui que le Lecteur oppose tout bas à mes raisonnements. On pourroit peindre ces têtes folles qui, jouissant dans leur province d’une fortune & d’un rang distingués, viennent se ruiner dans la capitale, pour se confondre parmi les Grands, & y mener leur train pendant quelques années. Ils font en effet les petits Seigneurs ; mais si l’on veut mettre sur la scene leurs travers, leurs ridicules, leurs folles dépenses, leurs prétentions, on refera le Bourgeois Gentilhomme, au seul titre près.

L’AMI DE COUR.

J’ai entendu disputer très souvent sur la différence qu’il y a entre un homme de Cour, & un homme de la Cour. J’ai vu prononcer qu’un homme de Cour est celui qui veut se donner l’air de tenir à la Cour ou d’y être nécessaire ; & un homme de la Cour, celui qui, par son rang, y tient réellement.

Je ne décide pas si la signification est bien ou mal déterminée. Dans le premier sens, l’Ami de Cour présenteroit le même sujet que l’Important de Cour, beaucoup plus encore que le Petit Seigneur : dans le dernier sens, l’Ami de Cour offre un caractere plus grand, plus magnifique à traiter. Mais songeons, avant que de l’entreprendre, qu’il n’est pas à la portée de tout le monde, & que le parterre, avec les trois quarts & demi du spectacle, sont composés de personnes qui fréquentent peu la Cour.

On peut, me dira-t-on, rabaisser ce sujet au niveau de tout le monde & de tous les états, par les accessoires, par les personnages subalternes. Oui, si la piece étoit seulement intitulée l’Homme de Cour ; mais l’Ami de Cour ne doit être entouré que de personnes assez assorties à sa qualité pour qu’il puisse se dire leur ami, & qu’elles puissent le croire avec quelque ombre de vraisemblance. D’ailleurs, les intrigues de la Cour ne sont plus du ressort de la comédie, pour peu qu’elles deviennent graves & mystérieuses. Moliere a bravé les partis des Beaux-Esprits, des Prudes, des Femmes Savantes, des Tartufes, tous réunis contre lui : il les a attaqués & combattus avec une noble audace, dont on ne sauroit assez le louer ; mais il se fût perdu s’il eût été au-delà du ridicule des Marquis. Thalie doit attaquer seulement les ennemis qu’elle peut terrasser, & non ceux qui ont droit de lui imposer silence. Tel Auteur qui n’osera pas se permettre une raillerie contre un Comédien qui l’aura fait attendre deux heures dans son antichambre, contre un Journaliste dont il craint la critique, contre le plus mince Bureau du bel esprit, croira follement se faire un nom en prenant le vol le plus audacieux. Heureusement pour lui ses ailes, semblables en tout à celles d’Icare, sont fondues avant qu’il puisse tomber de fort haut.

LE DÉFIANT.

Un homme qui se défie de tous les autres est certainement un original très propre à mettre sur la scene. Il peut fournir autant de comique que de moral : il a le mérite d’être à la portée de tous les rangs, de tous les états, de tous les âges, de toutes les nations ; cependant je ne craindrai point de dire que ce sujet est extrêmement difficile à traiter : premiérement, parceque le Défiant est un caractere qu’on peut lier à une infinité d’autres ; un jaloux est défiant ; une mere qui veut conserver l’honneur & la réputation de sa fille est défiante ; un philosophe qui connoît les hommes est défiant ; un méchant est défiant, parcequ’il redoute dans les autres les méchancetés qu’il est capable de faire, &c. &c.

J’entends la plupart de mes Lecteurs s’écrier « que ce que je dis pour persuader que le Défiant est très difficile à traiter, prouve tout le contraire, puisqu’on peut l’associer à une infinité de caracteres qui le rendront plus théâtral en redoublant ses forces ». C’est très bien raisonner ; mais comme nos prédécesseurs ont senti cet avantage avant nous, ils en ont profité ; ils nous ont prévenus, & voilà précisément pourquoi ce caractere si fécond à la premiere inspection, le devient moins à mesure qu’on veut l’approfondir.

Veut-on peindre la défiance d’un jaloux ? Destouches a pris les devants dans son Curieux impertinent, comédie en cinq actes & en vers, qu’il a prise de Don Quichotte. A-t-on envie de représenter la défiance d’un pere tendre qui craint de voir sa fille, son gendre, & leurs enfants ne pas répondre à ses soins paternels ? M. Collé l’a déja fait avec le plus grand succès. Voyons s’il nous a laissé quelque chose à dire après lui.

DUPUIS ET DESRONAIS,
Comédie en trois actes, & en vers libres.

ACTE I. Scene III.

Desronais.

Oui, je connois sa défiance...

Clénard.

  Mais bien ? la connoissez-vous bien ?
Jamais les jeunes gens n’approfondissent rien...
  Avez-vous eu la patience
De la bien observer ?...D’abord dans son maintien
Rien ne l’annonce... Il est d’une humeur libre & gaie,
  Mais je dis d’une gaieté vraie ;
Malin, railleur, aimant les traits plaisants.
  C’est sous ces dehors séduisants,
 C’est sous un air ouvert en apparence,
  Qu’il cache cette défiance...
L’espece de la sienne, à ce qu’il me paroît,
  Ne porte point sur l’intérêt,
Mais sur les sentiments... J’ai cru voir & je pense
D’abord... qu’il ne croit point à la reconnoissance...
 Et puis d’ailleurs, inquiet comme il est...

Desronais.

Quoi ! l’est-il sur les gens qu’il aime ?

Clénard.

 Précisément ; & c’est son ami même
 Qu’à soupçonner son cœur est toujours prêt...
 Je lui connois une ame si sensible,
 Si délicate, à tel point susceptible
  Sur l’article de l’amitié,
  Qu’il ne seroit pas impossible
Qu’il eût cru, de ses jours, n’être aimé qu’à moitié,
Ou point du tout... Aussi dit-il qu’il désespere
D’être jamais aimé comme il aime.

Desronais.

Eh ! Monsieur,
Doute-t-il que je l’aime & le respecte en pere ?
 La défiance dans un cœur
Peut-elle aller si loin ? & d’où peut-elle naître ?

Clénard.

 Bon ! il la pousse encor plus loin peut-être ;
Et je n’en serois point surpris... car les noirceurs
Qu’il essuya jadis de la part de ses sœurs,
De tous ses obligés l’ingratitude extrême,
  De ses ennemis les fureurs,
  La perfidie & les horreurs
 De ses amis... j’entends des gens qu’on aime,
Enfin des trahisons de toutes les couleurs...
  De sa défunte femme même,
Peuvent servir de reste à le justifier
De craindre les humains, & de s’en défier.

Desronais.

 Quoi ! vous pensez qu’il se défie
De moi-même, de moi ! . . . . .
. . . . . . . . .
Et sur quoi, je vous prie...
. . . . . . . . .
. . . . . . . . .

Clénard.

Cette galanterie
Que d’un œil indulgent il a vue en autrui,
 Peut très bien, sans pédanterie,
Dans son gendre futur le blesser aujourd’hui.
Son esprit défiant, son humeur soupçonneuse
Doit la croire en hymen beaucoup plus dangereuse
 Que vous ne vous l’imaginez...
Par elle il voit d’abord vos cœurs aliénés,
Le mari dérangé, la femme malheureuse,
 Et peut-être moins vertueuse...
Il voit tous vos devoirs ensuite abandonnés,
 Une conduite scandaleuse,
 L’exemple affreux que vous donnez
 A des enfants infortunés,
Et n’apperçoit pour tous qu’une fin douloureuse,
En les voyant, après, eux & vous ruinés
Et du mépris public couverts & consternés.
Voilà, Monsieur, voilà la peinture fidelle
Qu’il peut se faire, lui, des plaisirs effrénés,
Des vices qu’il traitoit presque de bagatelle,
Quand leurs tristes effets, quand leur suite cruelle
Contre lui-même encor ne s’étoient point tournés.

Voilà certainement plusieurs traits qui caractérisent bien la défiance, & qu’un Auteur ne pourroit que copier pour en faire un second portrait bien ressemblant. Voyons encore Dupuis peindre lui-même son caractere défiant.

Scene IX.

Dupuis, seul.

. . . . . . . . .
. . . . . . . . . .
 A cet hymen si je donnois les mains,
  Abandonné dans ma vieillesse,
Réduit à cet état dont j’ai cent fois frémi,
 Je vivrois seul, & mourrois de tristesse,
De perdre en même temps ma fille & mon ami...
  C’est cette juste défiance
  Que je renferme dans mon sein,
Dont j’épargne à leurs cœurs la triste connoissance,
 Qui ne feroit qu’augmenter leur chagrin...
  Et pour donner en apparence
  Quelques motifs à mes délais,
Sur ses exploits galants j’attaque Desronais.
. . . . . . . . .
. . . . . . . . .
Ma fille & Desronais
Auront beau m’accuser d’une injustice extrême,
 Je ne dois point, aux dépens de mon cœur,
  Pour faire plutôt leur bonheur,
  Me rendre malheureux moi-même66.

En voilà suffisamment pour prouver qu’un Auteur seroit extrêmement gêné en traitant le Défiant. Qu’on ne m’accuse pas d’opiniâtreté, en me voyant insister sur les larcins que nous ont fait nos predécesseurs : je le dois pour montrer aux personnes superficielles qu’il est moins facile qu’elles le pensent de faire aujourd’hui une bonne comédie à caractere, & pour engager les Auteurs à se familiariser avec tous les théâtres67 ; non pour les piller, à moins qu’ils ne soient d’une nation étrangere ; mais pour ne pas se rencontrer avec eux, soit dans les traits principaux qu’on veut donner à son héros, soit dans les ressorts qu’on a dessein d’employer pour le corriger ou pour le punir.

En second lieu, le Défiant est plus difficile qu’on ne pense à mettre sur la scene, parcequ’on doit nécessairement le rendre la dupe de son caractere ; ce qui n’est pas aisé, puisqu’on ne sauroit le faire trahir par un de ses confidents, comme l’on a fait dans mille autres pieces. Comment donc amener un dénouement ? Peu de temps après que M. de Marmontel eut donné sa Poétique, on lut aux François cinq Défiants, qui tous furent refusés, & le méritoient, parceque le héros qui, à la vérité, se méfioit de plusieurs personnes, se confioit à celles qu’il auroit dû redouter davantage, & qui le trahissoient, de sorte que le Défiant se trouvoit la victime de sa confiance. Le Défiant a beau se défier de cent personnes, s’il fait part de ses secrets à une seule, le caractere est manqué.

Malgré ce que je viens de dire, le Défiant seroit le caractere que je choisirois de préférence à tous ceux que nous avons analysés dans ce Chapitre : j’en ai dit la raison. Depuis le sceptre jusqu’à la houlette, tout homme à vingt ans, à cinquante, à quatre-vingts, peut être défiant ; & l’on a de grandes ressources avec des caracteres aussi généraux. Quant aux autres, quoiqu’ils ne soient pas autant à la portée de tout le monde, nous n’en sommes pas moins redevables, je le répete, à celui qui nous les a indiqués. Ceux qui par leur nature ne sauroient remplir une grande piece, ou y occuper la premiere place, peuvent cependant jouer un rôle essentiel entre les mains d’un habile homme. Moliere n’a traité que deux ou trois caracteres généraux ; toutes ses pieces fourmillent pourtant de caracteres. Apprenons de lui l’art d’en faire usage & de les placer selon leur juste valeur. Nous n’avons pour cela qu’à décomposer quelques-unes de ses comédies.