(1772) De l’art de la comédie. Livre second. De ses différents genres (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE XXXIX. De l’action dans les Pieces à caractere. » pp. 448-468
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(1772) De l’art de la comédie. Livre second. De ses différents genres (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE XXXIX. De l’action dans les Pieces à caractere. » pp. 448-468

CHAPITRE XXXIX.
De l’action dans les Pieces à caractere.

Si, dans une piece à caractere, il est nécessaire que depuis l’exposition jusqu’à l’arrivée du héros, tout le peigne, tout nous parle de lui ; par une suite de cette regle dictée par la raison, & autorisée par l’exemple des meilleurs maîtres, il est clair qu’une piece à caractere est défectueuse, si, après qu’on nous a fait le portrait du premier personnage, après qu’il a paru lui-même à nos yeux, nous ne voyons pas toute l’action rouler par lui, sur lui, ou pour lui ; c’est-à-dire, s’il n’est pas la cause directe ou indirecte de tout ce qui se passe sur la scene ; si tout ne part pas de lui, ou ne rejaillit pas sur lui ; si enfin la scene est un seul moment sans qu’il y soit question de lui.

Dans la Métromanie, ouvrage qui immortalisera son Auteur, on est enchanté lorsqu’on voit le héros emprunter jusqu’à son nom de la manie qui le domine.

ACTE I. Scene VI.

Damis.

De mes admirateurs tout cet enclos fourmille.
Mais tu m’as demandé par mon nom de famille ?

Mondor.

Sans doute. Comment donc aurois-je interrogé ?

Damis.

Je n’ai plus ce nom-là.

Mondor.

Vous en avez changé ?

Damis.

Oui, j’ai depuis huit jours imité mes confreres.
Sous leur nom véritable ils ne s’illustrent gueres ;
Et, parmi ces Messieurs, c’est l’usage commun
De prendre un nom de terre, ou de s’en forger un.

Mondor.

Votre nom maintenant, c’est donc ?...

Damis.

De l’Empyrée ;
Et j’en oserois bien garantir la durée.

Mondor.

De l’Empyrée ! oui dà ! n’ayant sur l’horizon
Ni feu ni lieu qui puisse alonger votre nom,
Et ne possédant rien sous la voûte céleste,
Le nom de l’enveloppe est tout ce qui vous reste.
Voilà donc votre esprit devenu grand terrien.
L’espace est vaste ; aussi s’y promene-t-il bien.

On est enchanté encore des arrangements que prend le Poëte pour payer ses dettes.

Damis.

Arrangeons-nous déja sur ce que nous devons.
. . . . . . . . .
Au répétiteur ?

Mondor.

Trente ou quarante pistoles.

Damis.

A la lingere, à l’hôte, au perruquier ?

Mondor.

Autant.

Damis.

Au tailleur ?

Mondor.

Quatre-vingts.

Damis.

A l’aubergiste ?

Mondor.

Cent.

Damis.

A toi ?

Mondor.

Monsieur...

Damis.

Combien ?

Mondor.

Monsieur...

Damis.

Parle.

Mondor.

J’abuse...

Damis.

De ma patience !

Mondor.

Oui : je vous demande excuse.
Il est vrai que... le zele... a manqué... de respect :
Mais le passé rendoit l’avenir très suspect.

Damis.

Cent écus, supposons... plus ou moins ; il n’importe.
Çà partageons les prix que dans peu je remporte.

Mondor.

Les prix !

Damis.

Oui, de l’argent, de l’or qu’en lieux divers
La France distribue à qui fait mieux les vers.
. . . . . . . . .
Le Théâtre François donne aujourd’hui ma piece.
. . . . . . . . .
Ma foi, tu n’es pas sage. Eh ! quoi ! tu te révoltes
A la veille... que dis-je ? au moment des récoltes !
Car enfin rassemblons, puisqu’il faut avec toi
Descendre à des détails si peu dignes de moi,
Rassemblons en un point de précision sure
L’état de ma fortune & présente & future.
De tes gages déja le paiement est certain :
Ce soir une partie, & l’autre après-demain.
Je réussis. J’épouse une femme savante.
Vois le bel avenir qui de là se présente !
Vois naître tour à tour de nos feux triomphants,
Des pieces de théâtre & de rares enfants !
Les aiglons généreux & dignes de leurs races,
A peine encore éclos, voleront sur nos traces.
Ayons-en trois. Léguons le comique au premier,
Le tragique au second, le lyrique au dernier.
Par eux seuls en tous lieux la scene est occupée.
Qu’à l’envi cependant, donnant dans l’épopée,
Et mon épouse & moi nous ne lâchions par an,
Moi, qu’un demi-poëme, elle, que son roman :
Vers nous, de tous côtés, nous attirons la foule :
Voilà, dans la maison, l’or & l’argent qui roule,
Et notre esprit qui met, grace à notre union,
Le théâtre & la presse à contribution.

Comme tout cela est beau ! comme tout cela tient bien au caractere du héros & répond bien au titre de la piece ! On est dans le même enchantement lorsqu’on voit M. de l’Empyrée amoureux d’une beauté imaginaire qui l’a charmé par les vers ingénieux qu’elle met dans le Mercure ; lorsqu’il croit les Muses attristées parcequ’il a perdu ses tablettes ; lorsqu’il se déclare malgré lui pour l’Auteur de la piece nouvelle ; sur-tout lorsqu’il seche dans l’impatience d’apprendre le succès de son ouvrage.

ACTE V. Scene I.

Damis, seul.

Je ne me connois plus aux transports qui m’agitent ;
En tous lieux, sans dessein, mes pas se précipitent.
Le noir pressentiment, le repentir, l’effroi,
Les présages fâcheux volent autour de moi.
Je ne suis plus le même enfin depuis deux heures.
Ma piece auparavant me sembloit des meilleures ;
Maintenant je n’y vois que d’horribles défauts,
Du foible, du clinquant, de l’obscur & du faux ;
De là plus d’une image annonçant l’infamie !
La critique éveillée, une loge endormie ;
Le reste de fatigue & d’ennui harassé,
Le souffleur étourdi, l’acteur embarrassé,
Le théâtre distrait, le parterre en balance,
Tantôt bruyant, tantôt dans un profond silence :
Mille autres visions, qui toutes dans mon cœur
Font naître également le trouble & la terreur.
(Regardant à sa montre.)
Voici l’heure fatale où l’arrêt se prononce !
Je seche ! je me meurs ! Quel métier ! j’y renonce !
Quelque flatteur que soit l’honneur que je poursuis,
Est-ce un équivalent à l’angoisse où je suis ?
Il n’est force, courage, ardeur qui n’y succombe.
Car enfin c’en est fait, je péris, si je tombe.
Où me cacher ? où fuir ? & par où désarmer
L’honnête oncle qui vient pour me faire enfermer ?
Quelle égide opposer aux traits de la satyre ?
Comment paroître aux yeux de celle à qui j’aspire ?
De quel front, à quel titre oserois-je m’offrir,
Moi, misérable Auteur, qu’on viendroit de flétrir ?
(Après quelques moments de silence & d’agitation.)
Mais mon incertitude est mon plus grand supplice :
Je supporterai tout, pourvu qu’elle finisse.
Chaque instant qui s’écoule, empoisonnant son cours,
Abrege au moins d’un an le nombre de mes jours.

Que de force & de vérité dans ce monologue ! Le spectateur ressent le plaisir le plus vif en voyant Francaleu, enchanté de sa tragédie, s’accrocher au premier qu’il rencontre pour la lire ; avouer qu’il avoit cinquante ans lorsqu’il s’avisa de son talent pour la poésie ; n’en vouloir à un homme qui plaide contre lui que parcequ’il l’a empêché d’être Poëte cinq à six ans plutôt ; en le voyant enfin s’avouer pour la Muse originale dont M. de l’Empyrée est amoureux & qu’il veut absolument épouser.

Les scenes de Baliveau sont aussi de la derniere beauté, parceque toutes celles qu’il a, soit avec Francaleu ou Damis, ne sont amenées, filées & dénouées que par la Métromanie annoncée dans le titre. Les différentes beautés que nous venons d’indiquer ont beau être accumulées, elles ne font certainement pas longueur : il n’en est pas de même des scenes amoureuses. Pourquoi cela ? Parceque l’amour pétulant de Dorante & la tendresse indolente de Lucile n’ont rien qui nous rappelle la Métromanie, & qui fournisse à ses développements. « La Métromanie, me dira-t-on, fait naître les scenes amoureuses entre Dorante & Lucile, puisque cette derniere a un tic de famille, qu’elle aime les vers avec passion, & que si Dorante lui plaît, c’est par le secours des vers qu’il emprunte de M. de l’Empyrée. » D’accord : mais tant que ces scenes durent, elles n’ont point le moindre rapport avec la manie des vers. Loin de se sentir de leur source, & de la rappeller au spectateur, elles la font totalement oublier : la Métromanie leur a donné naissance ; mais l’indolence & l’indocilité de Lucile, avec la pétulance de Dorante, les filent & les animent par l’adresse de Lisette qui conseille à Francaleu d’exclure ce même Dorante.

ACTE II. Scene III.

Lisette.

Je vous en avertis, il est fort amoureux.
Pour ne pas vous jetter dans un cas dangereux,
Très positivement songez donc à l’exclure.

Francaleu.

J’y cours tout de ce pas, tu peux en être sure,
Et vais, à la douceur joignant l’autorité,
Laisser un libre choix, ce jeune homme excepté.

Scene IV.

DORANTE, LISETTE.

Dorante, se présentant devant Lisette.

Je ne t’interromps point.

Lisette.

Bien malgré vous, je gage.

Dorante.

Non, j’écoute, j’admire, & je me tais. Courage !

Lisette.

Vous vous trouverez bien de n’avoir point parlé.

Dorante.

En effet, me voilà joliment installé.

Lisette.

Installé tout des mieux ! j’en réponds.

Dorante.

Quelle audace !
Quoi ! tu peux sans rougir me regarder en face !

Lisette.

Pourquoi donc, s’il vous plaît, baisserois-je les yeux ?

Dorante.

Après l’exclusion qu’on me donne en ces lieux !

Lisette.

Eh ! c’est le coup de maître.
. . . . . . . . .
Tel est le cœur humain, sur-tout celui des femmes.
Un ascendant mutin fait naître dans nos ames,
Pour ce qu’on nous permet, un dégoût triomphant,
Et le goût le plus vif pour ce qu’on nous défend.

Dorante.

Mais si cet ascendant se taisoit dans Lucile !

Lisette.

Oh ! que non. L’indolence est toujours indocile.
Et telle qu’est la sienne, à ce que j’en puis voir,
La contrariété seule peut l’émouvoir.
Ce n’est pas même assez des défenses d’un pere,
Si je ne la seconde en duegne sévere.
. . . . . . . . .
. . . . . . . . .

En voilà, je pense, assez pour nous faire voir que ce nouveau projet de Lisette va désormais animer la partie amoureuse de la piece, & qu’elle n’aura plus aucun rapport avec la Métromanie.

Il en est ainsi des deux charmantes scenes du quatrieme acte, lorsque Dorante, prenant Lisette pour Lucile, l’accable de reproches, & tombe à ses pieds pour lui demander pardon, au moment où Lucile elle-même arrive & n’est pas médiocrement surprise de voir son amant à genoux devant sa femme-de-chambre. Ces deux scenes, ainsi que celles dont nous venons de parler, ont pris naissance de la manie poétique, puisque c’est pour représenter une piece de Francaleu que Lisette s’est déguisée, & que par une suite de ce déguisement elle a causé la méprise de Dorante ; mais en voyant, ou en lisant ces deux scenes, je perds de vue les Poëtes qui sont les héros de la piece, & je vois seulement le Poëte qui l’a faite. Qu’on examine, aux représentations de cette comédie, si toutes les parties qui ont quelque rapport avec la manie annoncée, ne sont pas plus animées que celles qui s’en écartent : vues séparément, les dernieres ont cependant autant de beautés, & peut-être davantage, preuve incontestable que dans un drame les plus petites choses doivent être liées très fortement les unes aux autres, & qu’elles tiennent de là leur plus grand mérite. On peut voir aisément ; par les pieces à caractere de Moliere, la différence qu’il y a d’une comédie qui laisse perdre de vue le héros ou le sujet promis, avec celles qui, dans chaque scene, développent aux yeux du spectateur le travers, le vice ou le ridicule annoncé par le titre. Je citerai, à la fin de ce Chapitre, l’exemple que j’ai en vue : il me servira à prouver plus d’une vérité.

Si toutes les personnes qui ont devancé le héros sur la scene doivent nous entretenir de lui ; si, après l’avoir vu, tout ce qui l’entoure & ce qui se fait autour de lui doit nous le rappeller ; il est bien plus essentiel que le caractere, une fois sur le théâtre, ne dise & ne fasse que des choses propres à continuer de le peindre. Le Glorieux entre sur la scene, d’un air fier, la tête haute ; c’est très bien : écoutons-le.

ACTE II. Scene X.

(Le Comte entre en marchant à grands pas & la tête levée : ses six laquais se rangent au fond du théâtre, d’un air respectueux : Pasquin est un peu avancé.)

Le Comte.

L’impertinent !

Pasquin.

Monsieur ?

Le Comte.

Le fat !

Pasquin.

Monsieur ?

Le Comte.

Tais-toi.
Un petit campagnard s’emporter devant moi !
Me manquer de respect pour quatre cents pistoles !

Pasquin.

Il a tort.

Le Comte.

Hem ! A qui s’adressent ces paroles ?

Pasquin.

Au petit campagnard.

Le Comte.

Soit ; mais d’un ton plus bas,
S’il vous plaît : vos propos ne m’intéressent pas.

Jusques-là le Comte de Tufiere soutient on ne peut pas mieux, par ce ton, ce qu’on nous a dit de lui. Lisons encore quelques vers.

Le Comte, lui donnant une grosse bourse.

Tenez, serrez cela.

Pasquin.

Peste, qu’elle est dodue !
A ce charmant objet je me sens l’ame émue.
(Il ouvre la bourse & en tire quelques pieces.)

Le Comte, le surprenant.

Que fais-tu là ?

Pasquin.

Je veux voir si cet or est de poids.

Le Comte, lui reprenant la bourse.

Vous êtes curieux.

Que veut dire ce petit mauvais lazzis entre le Comte & Pasquin ? Y a-t-il rien là qui sente un Glorieux qui ne parle pas à ses gens, & qui peigne la timidité de ses domestiques qui n’osent pas respirer devant lui ? A peine le héros paroît-il, nous le perdons de vue.

Ce n’est pas tout ; il faut que les discours & les actions du héros le peignent précisément tel qu’on l’a annoncé, ou qu’il s’est annoncé lui-même. Par exemple, je suppose qu’on affiche pour la premiere fois le Glorieux. Ce titre imposant nous frappe ; nous volons au spectacle. En route, nous nous demandons ce que c’est qu’un Glorieux ; nous disons : C’est un homme qui, fier des avantages dont la nature l’a doué, ne se permet pas la moindre bassesse qui puisse les ternir. La toile se leve, & nous voyons tantôt un glorieux, tantôt un suffisant, un impertinent, un présomptueux. Ces mots sont synonymes, me répondra-t-on. Point du tout. Il n’est pas question de décider ici si nous avons de vrais synonymes dans notre langue : mais je soutiendrai qu’un suffisant, un impertinent, un présomptueux, ne ressemblent pas du tout à un glorieux. Le dernier est fier d’un avantage qu’il possede réellement, & qu’il met au-dessus de tout ; les premiers, d’un avantage qu’ils croient posséder, & qui leur fait tout oser : l’un le soutient avec une fierté noble qui lui sied ; les autres, avec une impertinence qui ajoute un ridicule à leurs prétentions.

Un véritable glorieux préfere une naissance illustre à tout. Il aime mieux se passer de fortune & ne pas se mésallier ; ou si la misere le contraint à déroger, il n’a pas la bassesse de mentir aussi indignement que le Comte, & d’obliger son domestique à soutenir le mensonge.

Je vais, dans le discours,
Leur donner à penser que mon pere est toujours
Dans cet état brillant, superbe & magnifique,
Qui soutint si long-temps notre noblesse antique,
Et leur persuader que par rapport au bien
Qui fait tout leur orgueil, je ne leur cede en rien.

Pasquin.

Mais ne pourront-ils point découvrir le contraire ?
Car un vieux serviteur de Monsieur votre pere
Autrefois m’a conté les cruels accidents
Qui lui sont arrivés, & peut-être...

Le Comte.

Le temps
Les a fait oublier : d’ailleurs notre province,
Où mon pere autrefois tenoit l’état de Prince,
Est si loin de Paris, qu’à coup sûr ces gens-ci
De nos adversités n’ont rien su jusqu’ici,
Si ta discrétion...

Pasquin.

Croyez...

Le Comte.

Point de harangue ;
Les effets parleront.

Pasquin.

Disposez de ma langue :
Je la gouvernerai tout comme il vous plaira.

Le Comte.

Sur l’état de mes biens on t’interrogera.
Sans entrer en détail, réponds en assurance,
Que ma fortune au moins égale ma naissance.
A Lisette sur-tout persuade-le bien :
Pour établir ce fait, c’est le plus sûr moyen ;
Car elle a du crédit sur toute la famille.

Je ne reconnois pas là un glorieux. Si, comme je l’ai dit, il est contraint, pour vivre, à s’unir avec la fille d’un roturier, il croira que son alliance vaut les biens que sa future doit lui apporter, & loin de dérober à tous les yeux son pere, parcequ’il a un mauvais habit, il le croira assez paré de ses titres, sur-tout pour paroître devant de petits bourgeois. Enfin il ne se permettra aucune des impertinences que le Comte dit à son rival, à sa future, à son beau-pere, à tout le monde.

Offrons présentement pour modele une piece dans laquelle toutes les scenes nous rappellent le héros, & dans laquelle en même temps le héros ne sorte jamais du caractere annoncé. Je choisis l’Avare de Moliere, & je vais prouver que j’ai fait un bon choix. Comme il n’est question dans ce Chapitre que de l’action de la piece, depuis l’arrivée du premier personnage jusqu’au dénouement exclusivement, nous passons tout de suite à la troisieme scene du premier acte.

Harpagon met à la porte la Fleche, parceque ses yeux furetent par-tout pour voir s’il y a quelque chose à voler : il lui ordonne de montrer ses deux mains, ensuite les autres ; il le fouille, & le congédie en mettant sur sa conscience ce qu’il lui a pris.

Scene IV. Harpagon, seul, dit que ce n’est pas une petite peine de garder chez soi une grande somme d’argent, & qu’on n’est pas peu embarrassé pour trouver une cache fidelle. Il ne se fie pas aux coffres-forts, parcequ’ils sont une franche amorce à voleurs.

Scene V. Il craint que sa fille & son fils ne se fassent signe de le voler. Il veut épouser la maîtresse de son fils, pourvu qu’il y trouve quelque bien. Cléante se trouve mal ; il lui conseille d’aller boire un verre d’eau.

Scene VI. Harpagon a fait choix pour sa fille d’un homme mûr, qui n’a pas plus de cinquante ans, & veut la forcer à l’épouser, parcequ’on vante ses grands biens.

Scene VII. Harpagon prend pour juge, entre Elise & lui, Valere, qui est précisément en secret l’amant de sa fille. Valere lui dit qu’il a raison, parcequ’il ne sauroit avoir tort ; mais qu’on ne doit point précipiter les choses, qu’il ne faut point forcer les inclinations des jeunes personnes, &c. L’unique réponse de l’Avare est que le Seigneur Anselme prend Elise sans dot. Il entend un chien, craint qu’on n’en veuille à son argent, & sort vîte.

Scene VIII. Elise dit à Valere qu’il ne la défend pas avec assez de vivacité : son amant lui prouve que c’est pour ne pas heurter de front le sentiment de son pere, qui ne consulte que son avarice seule dans l’établissement projetté. Il espere le ramener peu-à-peu, en feignant d’être de son avis.

Scene IX. Valere voit Harpagon qui revient, & s’écrie :

Oui, il faut qu’une fille obéisse à son pere ; il ne faut point qu’elle regarde comme un mari est fait ; & lorsque la grande raison de sans dot s’y rencontre, elle doit être prête à prendre tout ce qu’on lui donne.

Harpagon, enchanté de ce qu’il vient d’entendre, ordonne à sa fille de faire tout ce que Valere lui dira.

Scene X. Valere persuade à Harpagon qu’il va suivre Elise pour lui continuer sa leçon : Harpagon l’en prie, & Valere, adressant la parole à Elise, qui est déja loin, & en s’en allant du côté par où elle est sortie, lui dit :

Oui, l’argent est plus précieux que toutes les choses du monde, & vous devez rendre graces au Ciel de l’honnête homme de pere qu’il vous a donné. Il sait ce que c’est que de vivre. Lorsqu’on s’offre de prendre une fille sans dot, on ne doit pas regarder plus avant. Tout est renfermé là-dedans ; & sans dot tient lieu de beauté, de jeunesse, de naissance, d’honneur, de sagesse & de probité.

Harpagon s’écrie : Ah ! le brave garçon ! voilà parler comme un oracle. S’est-il démenti un moment ? & l’avons-nous perdu nous-mêmes un seul instant de vue ?

ACTE II. Scene I. Cléante demande à la Fleche s’il a trouvé l’argent qu’il est forcé d’emprunter par l’avarice de son pere. La Fleche lui fait part des conditions des usuriers, lui lit la liste des meubles qu’il sera obligé de prendre pour parfaire la somme qu’il emprunte, & le plaint de passer par les mains des Juifs, des Arabes.

Scene II. Maître Simon, courtier d’usure, vient parler à Harpagon d’un jeune homme qui a besoin d’argent, & qui en passera par tout ce qu’il voudra. L’Avare est déterminé à lui prêter à gros intérêt, pourvu qu’il n’y ait rien à péricliter.

Scene III. Le pere & le fils se reconnoissent pour l’emprunteur & le prêteur ; ils s’accablent de reproches.

Scene IV. Frosine vient parler à l’Avare de ses amours ; il la quitte pour aller faire un tour à l’endroit où il a caché son argent.

Scene V. Frosine, chargée des négociations amoureuses d’Harpagon, espere en être récompensée. La Fleche lui déclare qu’elle y compte en vain, & lui fait le portrait de l’Avare & de ses lésines.

Scene VI. Frosine a beau flatter Harpagon, en vantant sa fraîcheur, ses manieres, en lui peignant les charmes de sa maîtresse, l’amour qu’elle a pour lui, les avantages qu’il en retirera en l’épousant : tout cela est inutile ; elle ne peut en obtenir le moindre petit secours. Il prend un air sévere toutes les fois qu’elle lui en fait la proposition, & la quitte en feignant d’aller joindre quelqu’un qui l’appelle.

ACTE III. Scene I. Harpagon, obligé de donner à souper à sa maîtresse, recommande à Dame Claude de ne pas frotter les meubles trop fort, crainte de les user, & lui promet de rabattre sur ses gages toutes les bouteilles qui se casseront.

Scene II. Il établit Brindavoine & la Merluche dans la charge de donner à boire, les avertit de n’en porter que lorsqu’on en aura demandé plusieurs fois, & de servir beaucoup d’eau. Il leur apprend le secret de cacher les taches & les trous qu’ils ont à leurs habits.

Scene III. Il dit à sa fille d’avoir l’œil sur ce qu’on desservira, & de prendre garde qu’il ne s’en fasse aucun dégât.

Scene IV. Il a, dit-il, la bonté de pardonner à son fils l’emprunt qu’il vouloit faire. Il l’exhorte à regarder de bon œil sa belle-mere.

Scene V. Harpagon appelle Maître Jacques, qui est son cuisinier & son cocher, lui ordonne de préparer son carrosse & un repas. Maître Jacques ne veut pas atteler les chevaux, crainte qu’ils ne meurent en chemin, tant ils sont exténués. Harpagon ordonne encore à Maître Jacques de préparer à souper, & de faire grand’chere avec peu d’argent. Il s’écrie qu’il est ruiné au second plat que son cuisinier nomme. Valere veut flatter l’Avare, & rappelle la sentence d’un ancien : il faut manger pour vivre, & non pas vivre pour manger. Maître Jacques rapporte à son maître ce qu’on dit de lui & de son avarice dans le quartier. Harpagon lui donne des coups de bâton.

Scene VI. Valere rit des coups de bâton qu’a reçu Maître Jacques : celui-ci se pique. Valere le bat encore : Maître Jacques jure de se venger. Il se console aisément des coups que lui a donné son maître ; mais ceux de l’Intendant le piquent au vif.

Scene VII. Frosine demande à Maître Jacques si Harpagon est au logis. Eh ! vraiement oui, dit-il en se frottant les reins, il y est ; je ne le sais que trop.

Scene VIII. Marianne peint à Frosine la peine qu’elle a d’abandonner un jeune homme charmant, dont elle est éprise, pour Harpagon.

Scene IX. Harpagon paroît. Marianne ne répond rien à ses compliments. Frosine dit que c’est par pudeur.

Scene X. Elise vient saluer Marianne : Harpagon la lui présente. Marianne dit tout bas à Frosine qu’Harpagon est bien déplaisant, qu’il est un animal. Il demande ce qu’a dit la belle ; on lui persuade qu’elle s’est récriée sur ses agréments : il la remercie de l’honneur qu’elle lui fait, & des bons sentiments qu’elle a pour lui.

Scene XI. Cléante paroît, & Marianne le reconnoît pour l’amant qu’elle aime. Harpagon demande excuse à Marianne de n’avoir pas songé à lui donner une petite collation Cléante s’écrie qu’il y a pourvu, & qu’il a fait apporter de sa part des bassins d’oranges de la Chine, des citrons doux, des confitures. L’Avare enrage.

Scene XII. Cléante fait admirer à Marianne le diamant que son pere porte au doigt, & l’oblige à le garder, malgré le désespoir d’Harpagon.

Scene XIII. On vient dire au héros qu’un étranger veut lui parler ; il répond qu’il n’a pas le temps de l’écouter. On ajoute que cet homme lui apporte de l’argent ; il y court si vîte qu’il tombe.

Scene XIV. Il accuse son laquais d’avoir reçu de l’argent de ses débiteurs pour lui faire rompre le cou.

Scene XV. Il recommande à Valere de sauver les restes de la collation pour les renvoyer au marchand, & sort en se plaignant de son fils, qui a, dit-il, envie de le ruiner.

ACTE IV. Scene I. Cléante, Marianne, Elise & Frosine s’assemblent pour chercher les moyens de faire renoncer Harpagon à ses prétentions sur la main de Marianne, & pour la conserver à Cléante.

Scene II. L’Avare voit son fils de loin qui baise la main de Marianne ; il dit à la derniere que le carrosse est prêt, qu’elle peut partir pour la foire, & retient Cléante qui veut l’accompagner.

Scene III. Harpagon demande à son fils comment il trouve Marianne. Cléante répond froidement qu’il n’en est pas émerveillé. Tant pis, continue Harpagon ! sans l’aversion que tu as pour elle, je te l’aurois donnée. Cléante lui dit qu’il l’épousera par complaisance. Il avoue ensuite l’amour qu’il a pour cette belle : son pere lui ordonne alors de ne plus songer à elle, & de la lui céder. Le fils jure de ne pas obéir : Harpagon demande un bâton.

Scene IV. Maître Jacques feint de vouloir raccommoder le pere & le fils. Il leur fait des mensonges à chacun en particulier ; & lorsqu’ils pensent être d’accord, ils s’apperçoivent qu’ils sont toujours rivaux. Harpagon sort, en donnant sa malédiction à Cléante.

Scene V. La Fleche a volé le trésor de l’Avare : il traverse le théâtre avec sa proie, avertit son maître de sa bonne fortune, & tous deux prennent la fuite entendant les cris d’Harpagon.

Scene VI. Harpagon court après son voleur, sans le connoître. On l’a privé de la vie en lui volant sont cher trésor. Il veut faire emprisonner la ville & les fauxbourgs : il se pendra lui-même s’il ne retrouve son argent.

ACTE V. Scene I. Harpagon vient avec un commissaire, & promet de demander justice de la Justice, si on ne lui fait retrouver son argent.

Scene II. Maître Jacques, qu’on interroge le premier, qui veut se venger des coups que lui a donné Valere, dépose contre lui, & l’accuse d’avoir fait le vol.

Scene III. Valere paroît. On lui dit d’avouer son action infame. Comme il a épousé en secret Elise, il croit que son mariage n’est plus caché, & le découvre lui-même, après le quiproquo le plus plaisant.

Scene IV. Harpagon reproche à Elise son amour pour un voleur qu’il va faire pendre.

Scene V. Anselme reconnoît Valere & Marianne pour ses enfants. Harpagon le prend à partie pour dix mille francs que Valere lui a, dit-il, volés.

Nous touchons au dénouement ; &, comme je l’avois dit, Harpagon a toujours été sur la scene, ou bien il y a toujours été question de lui. Dans tout ce qu’il a fait, dans tout ce qu’il a dit, nous lui avons toujours vu peindre l’avarice. Il n’a pas été distrait là-dessus un seul moment, même par son amour. Il a été autant avare avec sa maîtresse, & plus, qu’avec tous les autres personnages : & c’est son avarice seule qui, durant toute la piece, a vivifié l’action. Plusieurs personnes soutiennent qu’il ne faut presque point d’action dans une comédie de caractere. Il vaut mieux sans contredit n’en pas mettre, que de l’animer par le secours de personnages subalternes, comme dans le Dissipateur, dans le Philosophe marié, le Glorieux, &c. ou par des traits qui n’appartiennent pas du tout au caractere annoncé : mais lorsqu’on aura l’art de faire naître toutes les scenes, tous les incidents, toutes les situations du caractere promis par le titre, qu’on ne craigne point de trop compliquer une action ; ce seroit craindre de mettre trop de beautés dans un ouvrage. Souvenons-nous sur-tout que tout en faisant filer une action par le personnage principal, il faut lui ménager les moyens de dénouer cette même action avec éclat, & par un trait qui le caractérise bien.