(1772) De l’art de la comédie. Livre second. De ses différents genres (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE XL. Du dénouement des Pieces à caractere. » pp. 469-474
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(1772) De l’art de la comédie. Livre second. De ses différents genres (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE XL. Du dénouement des Pieces à caractere. » pp. 469-474

CHAPITRE XL.
Du dénouement des Pieces à caractere.

Si le caractere principal doit soutenir l’action d’une piece, il est indubitable qu’il doit la dénouer. Nous l’avons presque prouvé dans le premier volume, en faisant voir le ridicule des comédies où un intrigant, après avoir joué un rôle essentiel, après avoir fait mouvoir lui seul tous les ressorts d’une machine, laisse son ouvrage imparfait, & ne contribue point au dénouement. Nous avons même un peu touché aux pieces à caractere, en remarquant que dans le Distrait de Regnard, une distraction du héros auroit dû amener la catastrophe, & non un mensonge de son valet. Il ne nous reste donc que bien peu de chose à dire sur les dénouements. Remarquons seulement que si le personnage à caractere doit, dans le courant de l’action, se peindre précisément tel qu’il est annoncé, il ne doit pas se démentir en terminant cette même action. Dans la derniere scene de l’Avare, Harpagon renonce à sa tendresse, & couronne celle de ses enfants, pour avoir sa chere cassette. Tout le monde s’écrie : Voilà qui est bien d’un avare ! Quoique l’on applaudisse à la derniere scene de la Métromanie, & que M. de l’Empyrée fasse le dénouement, il s’en faut bien qu’en lisant la lettre qui prouve sa générosité & qui dénoue la piece, on s’écrie : Voilà bien le trait d’un poëte ! Voyons quelle sensation nous éprouverons.

Scene derniere.

Dorante, se jettant aux genoux de Francaleu.

Ecoutez-moi, Monsieur, ou je meurs à vos pieds.
Après avoir percé le cœur de ce perfide,
Il est temps que je rompe un silence timide.
J’adore votre fille. Arbitre de mon sort,
Vous tenez en vos mains & ma vie & ma mort.
Prononcez, & souffrez cependant que j’espere.
Un malheureux procès vous brouille avec mon pere :
Mais vous fûtes amis : il m’aime tendrement ;
Le procès finiroit par son désistement.
Je cours donc me jetter à ses pieds comme aux vôtres,
Faire à vos intérêts immoler tous les nôtres,
Vous réunir tous deux, tous deux vous émouvoir,
Ou me laisser aller à tout mon désespoir.
(A Damis.)
D’une ou d’autre façon tu n’auras pas la gloire,
Traître ! de couronner ta méchanceté noire,
Qui croit avoir ici disposé tout pour toi,
Et qui t’a fait écrire à Paris contre moi.

Damis.

Enfin l’on s’entendra, malgré votre colere.
J’ai véritablement écrit à votre pere,
Dorante ; mais je crois avoir fait ce qu’il faut.
Monsieur tient la réponse & peut lire tout haut.

Francaleu lit.

« Aux traits dont vous peignez la charmante Lucile,
« Je ne suis pas surpris de l’amour de mon fils.
« Par son médiateur il est des mieux servis,
« Et vous plaidez sa cause en orateur habile.
« La rigueur, il est vrai, seroit très inutile ;
 « Et je défere à votre avis.
« Reste à lui faire avoir cette beauté qu’il aime.
 « Il n’aura que trop mon aveu.
 « Celui de Monsieur Francaleu
 « Puisse-t-il s’obtenir de même !
« Parlez, pressez, priez. Je desire à l’excès
« Que sa fille aujourd’hui termine nos procès,
« Et que le don d’un fils qu’un tel ami protege,
« Entre votre hôte & moi renouvelle à jamais
 « La vieille amitié de college ».

Métrophile.

Maîtresse, amis, parents, puisque tout est pour vous,
Aimez donc bien Lucile, & soyez son époux.

Dorante.

Ah, Monsieur ! ô mon pere !... Enfin je vous possede !

Damis.

Sans en moins estimer l’ami qui vous la cede ?
. . . . . . . . .
. . . . . . . . .

La lecture de cette scene confirme ce que j’ai avancé. La générosité de Damis ou de M. de l’Empyrée ne tient pas davantage à la Métromanie qu’à tout autre passion ; à un poëte qu’à un orateur, un peintre, &c. Les personnes qui veulent excuser M. Piron, comme si sa piece n’avoit point assez de beautés pour le consoler, disent : « Ce n’est point là le vrai moment du dénouement, c’est lorsque M. de l’Empyrée refuse Lucile pour la Bretonne ». Ce n’est certainement pas bien voir les choses, puisque Francaleu prouve à l’Empyrée qu’il ne doit pas compter sur la belle de Quimper.

ACTE V. Scene VI.

. . . . . . . . .
. . . . . . . . .

Francaleu.

 Vous comptez en vain faire ce mariage.

Damis.

Ah ! vous aurez beau dire !

Francaleu.

Et vous, beau protester !

Damis.

Je l’ai mis dans ma tête.

Francaleu.

Il faudra l’en ôter.

Damis.

Parbleu, non !

Francaleu.

Parbleu, si ! Parions.

Damis.

Bagatelle !

Francaleu.

La personne pourroit, par exemple, être telle...

Damis.

Telle qu’il vous plaira : suffit qu’elle ait un nom.

Francaleu.

Mais laissez dire un mot, & vous verrez que non.

Damis.

Rien ! rien !

Francaleu.

Sans la chercher si loin...

Damis.

J’irois à Rome.

Francaleu.

Quoi faire ?

Damis.

L’épouser. Je l’ai promis.

Francaleu.

Quel homme !

Damis.

Et tout en vous quittant j’y vais tout disposer.

Francaleu.

Oh ! disposez-vous donc, Monsieur, à m’épouser ;
A m’épouser, vous dis-je ! oui, moi ! moi ! C’est moi-même
Qui suis le bel objet de votre amour extrême.

Damis.

Vous ne plaisantez point ?

Francaleu.

Non ; mais, en vérité,
J’ai bien, à vos dépens, jusqu’ici plaisanté,
Quand, sous le masque heureux qui vous donnoit le change,
Je vous faisois chanter des vers à ma louange.
Voilà de vos arrêts, Messieurs les gens de goût !
L’ouvrage est peu de chose, & le seul nom fait tout.
Oh çà, laissons donc là ce burlesque hyménée.
Je vous remets la foi que vous m’aviez donnée.
Ne songeons désormais qu’à vous dédommager
De la faute où ce jeu vient de vous engager.
. . . . . . . . .
Pour cela je persiste à vous nommer mon gendre.
Ma fille, en cas pareil, me vaudra bien, je crois,
Et n’est pas un parti moins sortable que moi.

Il est clair que la piece n’est pas encore dénouée. D’ailleurs, ce seroit vouloir excuser un défaut par un autre plus grand, puisqu’un dénouement est très défectueux quand il laisse après lui quatre scenes à faire.

Nous avons dit, dans le Chapitre de l’exposition des caracteres, que le héros de la piece devoit toujours débuter par un trait bien marqué ; nous ajouterons ici qu’il doit en faire autant en quittant le théâtre, afin de laisser son caractere gravé dans la mémoire du spectateur. Les bons Auteurs y ont rarement manqué. Le Métromane en finissant la piece, dit :

Vous, à qui cependant j’ai consacré mes jours,
Muses, tenez-moi lieu de fortune & d’amours.

Harpagon, dans l’Avare.

Allons revoir ma chere cassette.

Alceste, dans le Misanthrope.

Trahi de toutes parts, accablé d’injustices,
Je vais sortir d’un gouffre où triomphent les vices,
Et chercher sur la terre un endroit écarté,
Où d’être homme d’honneur on ait la liberté.

Valere, dans le Joueur.

Va, va, consolons-nous, Hector ; & quelque jour
Le jeu m’acquittera des pertes de l’amour.

Léandre, dans le Distrait.

Toi, Carlin, à l’instant prépare ce qu’il faut
Pour aller voir mon oncle, & partir au plutôt.

Carlin.

Laissez votre oncle en paix. Quel diantre de langage ?
Vous devez cette nuit faire un autre voyage.
Vous n’y songez donc plus ? Vous êtes marié.

Léandre.

Tu m’en fais souvenir ; je l’avois oublié.

Lorsque le héros est corrigé à la fin de la piece, il doit, en quittant la scene, se rappeler le caractere qu’il avoit, parler du changement qui s’est fait en lui, & donner à tout cela un petit vernis de morale, comme le Comte de Tufiere dans le Glorieux.

Non, je n’aspire plus qu’à triompher de moi :
Du respect, de l’amour je veux suivre la loi.
Ils m’ont ouvert les yeux : qu’ils m’aident à me vaincre.
Il faut se faire aimer, on vient de m’en convaincre ;
Et je sens que la gloire & la présomption
N’attirent que la haine & l’indignation.

Les Auteurs seroient forcés malgré eux de s’ingénier pour faire naître l’action & son dénouement du caractere de leur héros, s’ils ne l’entouroient pas d’une infinité d’autres caracteres qui, comme nous l’avons dit plus haut, usurpent tous ses droits, & s’emparent de l’attention du public. « Il faut, me dira-t-on, des épisodes dans une piece pour lui donner un juste embonpoint ». D’accord. Mais voulez-vous donner à votre ouvrage un embonpoint qui ne lui soit pas contraire, mariez vos épisodes à votre caractere principal. Ceci mérite un Chapitre à part.