(1772) De l’art de la comédie. Livre troisième. De l’imitation (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE VIII. » pp. 144-179
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(1772) De l’art de la comédie. Livre troisième. De l’imitation (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE VIII. » pp. 144-179

CHAPITRE VIII.

L’Ecole des Femmes, Comédie en vers & en cinq actes, comparée pour le fond & les détails avec l’Histoire de Nérin & de Jeanneton, Fable IV de la quatrieme Nuit du Seigneur Straparole ; le Maître en Droit, Conte de la Fontaine ; la Précaution inutile, Nouvelle de Scarron ; la Précaution inutile, ou l’Ecole des Cocus, Comédie de Dorimon.

Cette piece parut sur le théâtre du Palais Royal, le 26 Décembre 1662. Moliere a fait encore voir dans cette comédie l’art avec lequel il savoit prendre l’esprit de plusieurs ouvrages pour en composer un seul. Avant que de rapprocher les originaux de la copie, il est bon d’avoir sous les yeux les principaux traits du drame avec lesquels ils ont quelque rapport.

Extrait de l’Ecole des Femmes.

Arnolphe, connu depuis peu sous le nom de M. de la Souche, s’amuse beaucoup des disgraces qui arrivent aux pauvres maris : mais il craint leur sort ; &, pour l’éviter, il fait élever dans la plus grande ignorance celle qu’il destine à l’honneur de sa couche, malgré Chrisalde qui lui dit très prudemment :

Mais comment voulez-vous, après tout, qu’une bête
Puisse jamais savoir ce que c’est qu’être honnête ?
Outre qu’il est assez ennuyeux, que je crois,
D’avoir toute sa vie une bête avec soi,
Pensez-vous le bien prendre, & que sur votre idée
La sureté d’un front puisse être bien fondée ?
Une femme d’esprit peut trahir son devoir,
Mais il faut pour le moins qu’elle ose le vouloir ;
Et la stupide au sien peut manquer d’ordinaire,
Sans en avoir l’envie, & sans penser le faire.

Arnolphe n’écoute point les conseils de son ami. Aussi a-t-il bientôt lieu de s’en repentir, puisqu’Agnès, sa belle innocente, reçoit favorablement les vœux d’un jeune homme qui s’est introduit chez elle par le secours d’une vieille intrigante. La Souche rencontre ce galant, dont il n’est connu que sous le nom d’Arnolphe ; il le trouve de taille à faire des Cocus ; il brûle d’apprendre de lui quelque conte gaillard pour mettre sur ses tablettes : il lui demande s’il a eu déja quelque aventure dans la ville. Le jeune homme lui raconte toute son histoire avec Agnès, & vient ensuite très exactement lui faire confidence de tout ce qui lui arrive avec elle. Le jaloux prend là-dessus des mesures qu’il croit infaillibles ; mais la jeune & simple Agnès, instruite par l’amour seul, les rend toutes inutiles.

Le plaisant de cette piece doit naître nécessairement des confidences multipliées que l’amant fait à son rival, du caractere d’Arnolphe qui rit des malheurs arrivés aux maris, qui craint cependant pour lui, & doit la disgrace qu’il redoute si fort, précisément aux précautions qu’il prend pour l’éviter. Le comique naît encore de la simplicité de l’héroïne, qui blesse mortellement son jaloux sans penser faire le moindre mal, & le lui avoue avec l’ingénuité la plus piquante. Voilà sans contredit les traits les plus saillants de la piece, & ceux que Moliere a puisés chez Straparole, chez la Fontaine & chez Scarron. Fouillons tour-à-tour & par ordre dans chacune de ces sources, & voyons avec quelle adresse Moliere a su épurer les richesses qu’il en a tirées.

Straparole, Nuit quatrieme, Fable quatrieme du premier volume.

Je vais rapidement extraire tout ce qui n’a pas servi à Moliere. Nérin, fils de Galois Roi de Portugal, n’avoit jamais vu d’autre femme que sa mere, lorsqu’il partit pour faire ses études à Padoue. Il y trouva toutes les femmes bien inférieures à celle qui lui avoit donné le jour. Raimon, maître de physique du Prince, fut piqué de son injustice. Il avoit une très belle femme ; il lui ordonne de se parer, & d’aller à la messe dans une Eglise où son écolier alloit ordinairement. Il réussit dans ses projets. Le Prince cessa de donner la pomme à sa mere ; mais en l’accordant à la femme de Raimon, il résolut de faire un autre présent au mari de la belle. Il eut l’art de s’introduire chez la dame, sans savoir qu’elle étoit l’épouse de son maître : il eut l’art de lui plaire : il eut l’art enfin de pousser l’aventure bien loin. Staparole va la continuer.

Etant ainsi ces deux amants conjoints d’un amour réciproque, cependant qu’ils étoient en ces propos amoureux, voici venir Maître Raimon, qui frappe à la porte. Jeanneton, entendant que c’étoit son mari, fit coucher son amant sur le lit, & ayant abattu les courtines, le fit demeurer jusqu’à tant que son mari fût parti. Si-tôt que Maître Raimon fut arrivé, il prit quelques petites drogues qui lui étoient lors nécessaires, puis s’en alla sans appercevoir aucune chose. Autant en fit Nérin, car il ne se douta oncques que Maître Raimon fût le mari de cette femme. Le jour suivant, ainsi que Nérin se promenoit par la place, par fortune, Maître Raimon vint à passer, & Nérin lui fit signe qu’il vouloit un peu lui parler ; & s’étant approché de lui : « Mon Maître, dit-il, il y a bien des nouvelles. Et quoi, répondit Maître Raimon ? Que diriez-vous, dit Nérin, que je sais bien où se tient cette belle Dame ? & qu’ainsi soit j’ai devisé longuement avec elle ? mais parceque son mari arriva, elle me cacha sur le lit & tira les courtines de peur qu’il ne me vît, & tout incontinent après il se partit. Est-il possible ? répondit Maître Raimon. S’il est possible ! repartit Nérin : je vous dis qu’il n’y a rien plus vrai, & ne vis oncques plus gracieuse ni plus plaisante Dame qu’elle. Je vous supplie, Monsieur mon ami, me faire ce bien, que vous me recommandiez à elle si vous la voyez, en la priant de ma part qu’elle me maintienne toujours en sa bonne grace ». Ce que Maître Raimon lui promit de faire, & se partit bien fâché contre lui. Toutefois, avant que prendre congé de lui, il lui dit : « Monsieur, y retournerez-vous plus ? En doutez-vous ? dit Nérin ». Alors Maître Raimon s’en alla au logis, & ne voulut dire mot à sa femme, mais épier le temps qu’ils fussent ensemble. Le jour ensuivant venu, Nérin retourna vers Jeanneton : cependant qu’ils étoient en plaisirs amoureux & propos gracieux, le mari arriva. Au moyen de quoi elle cacha incontinent Nérin dedans un coffre, & mit au-devant plusieurs robes qu’elle avoit secouées de peur que les tignes ne les gâtassent. Le mari, feignant de chercher quelques besognes, renversa quasi toute la maison, & regarda jusques dedans le lit ; mais voyant qu’il n’y avoit rien, se partit un peu plus content qu’il n’étoit venu, & s’en alla en pratique. Nérin pareillement se partit bientôt après, & ayant trouvé Maître Raimon, lui dit : « Ecoutez, Monsieur le Docteur, que diriez-vous que je suis retourné vers cette Dame ? mais la mauvaise & envieuse fortune m’a rompu tous mes plaisirs, parceque le mari est survenu & a gâté tout le mystere. Comme donc avez-vous fait à vous sauver, répondit Maître Raimon ? Je me suis, dit-il, caché dedans un coffre ; &, de peur que le mari ne me trouvât, la femme mit au-devant beaucoup de vêtements qu’elle avoit tirés hors du coffre, de peur qu’ils ne fussent mangés de la vermine ; tellement que le mari ayant renversé tout ce qui étoit dans la maison, jusques au lit, & ne trouvant aucune chose, se partit ». Vous pouvez penser, mêmement ceux qui ont expérimenté amour, combien tous ces discours étoient agréables à Maître Raimon. Or Nérin avoit donné à Jeanneton un beau & riche diamant, où sa tête & son nom étoient gravés à l’entour de l’enchassure. Si-tôt que Maître Raimon fut allé en pratique, Nérin fut mandé par la Dame. Comme ils passoient leurs temps en plaisirs & propos amoureux, le mari retourna au logis, tellement que Jeanneton, se voyant ainsi surprise, ouvrit incontinent une garde-robe qui étoit assez grande, & qui étoit dans sa chambre, & cacha dedans Nérin. Maître Raimon ne fut pas plutôt entré au logis, feignant de chercher je ne sais quoi, qu’il retourna & brouilla quasi tout ce qui étoit en la chambre ; & ne trouvant aucune chose ni au lit, ni aux coffres, comme étourdi & hors de sens, prit du feu & le mit aux quatre coins de la chambre, délibérant de la brûler & tout ce qui étoit dedans. Le ménage de bois commençoit déja à brûler, quand Jeanneton se tourna vers le mari, & lui dit : « Que voulez-vous faire ? êtes-vous hors de sens ? Puisque vous voulez brûler la maison, faites ce qui vous plaira ; mais je ne veux pas que vous brûliez la garde-robe, où sont les écritures & les instruments de mon mariage ». Et ayant fait appeller quatre porte-faix puissants, leur fit sauver la garde-robe, & la fit mettre au logis de la vieille ma...., & l’ayant secrètement ouverte, sans que nul s’en apperçût, s’en retourna au logis. Le seul Maître Raimon attendoit cependant s’il ne sortiroit point quelqu’un, mais il ne put rien voir sortir sinon la fumée & le feu ardent qui brûloit la maison. Tous les voisins étoient déja accourus pour éteindre le feu, & firent tant qu’ils y donnerent ordre. Le jour ensuivant, ainsi que Nérin s’en alloit aux champs, il vint, par fortune, à rencontrer Maître Raimon, & lui dit, en le saluant : « Bon jour, Maître Raimon : je vous veux raconter une chose qui vous plaira grandement. Et quoi ? répondit Maître Raimon. J’ai échappé, dit Nérin, le plus extrême danger que fit jamais homme vivant. Je m’en allai où loge la Dame que vous savez ; & ainsi que j’étois en propos amoureux avec elle, le mari survint ; lequel, après avoir cherché & tracé par toute la maison, a mis le feu aux quatre coins de la chambre, & a brûlé tout ce qui étoit dedans. Et vous, dit Maître Raimon, où étiez-vous ? J’étois caché, dit Nérin, dedans une garde-robe que la Dame jetta hors du logis, &c17 ».

Nérin enleve Jeanneton, & le reste du conte n’a plus rien de semblable à la piece. On voit bien que les confidences multipliées de Nérin à Raimon ont fait imaginer celles qu’Horace fait à M. de la Souche. Mais les premieres sont-elles amenées & filées avec vraisemblance ? Est-il naturel que le Prince ne sût pas où logeoit son maître de physique, & que, le sachant, il n’eût pas reconnu sa maison ? Est-il naturel qu’il ait été plusieurs fois en bonne fortune chez une femme sans s’informer du nom & de la qualité de son époux ? Moliere a su mettre ordre à tous ces inconvénients ; il a rendu sa fable vraisemblable, &, sur-tout, beaucoup plus piquante, en donnant un double nom au Seigneur Arnolphe, & en le faisant assez jaloux pour cacher sa maîtresse dans une maison éloignée de la sienne, crainte que les gens qu’il est obligé de recevoir chez lui ne voient Agnès & ne deviennent ses rivaux. Voilà Moliere au-dessus de Straparole. Comparons-le maintenant avec la Fontaine ; le rival est plus digne de lui. Deux grands hommes sont faits pour lutter ensemble.

Le Maitre en Droit, Conte.

. . . . . . . . .
. . . . . . . . .
 Rome eut naguere un maître dans cet art
Qui du tien & du mien tire son origine,
Homme qui hors de là faisoit le goguenard ;
  Tout passoit par son étamine :
  Aux dépens du tiers & du quart
Il se divertissoit. Avint que le Légiste,
Parmi ses écoliers, dont il avoit toujours
   Longue liste,
Eut un François moins propre à faire en Droit un cours
   Qu’en Amours.
Le Docteur un beau jour, le voyant sombre & triste,
Lui dit : Notre féal, vous voilà de relais ;
Car vous avez la mine, étant hors de l’école,
   De ne lire jamais
    Bartole.
Que ne vous poussez-vous ? Un François être ainsi
  Sans intrigue & sans amourettes !
Vous avez des talents, nous avons des coquettes,
  Non pas pour une, Dieu merci.
L’étudiant reprit : Je suis nouveau dans Rome ;
Et puis, hors les beautés qui font plaisir aux gens
   Pour la somme,
  Je ne vois pas que les galants
  Trouvent ici beaucoup à faire.
  Toute maison est monastere :
Double porte, verroux, une matrone austere,
Un mari, des Argus : qu’irai-je, à votre avis,
  Chercher en de pareils logis ?
Prendre la lune aux dents seroit moins difficile.
Ha, ha, la lune aux dents, repartit le Docteur !
  Vous nous faites beaucoup d’honneur.
J’ai pitié des gens neufs comme vous : notre ville
Ne vous est pas connue, autant que je puis voir :
  Vous croyez donc qu’il faille avoir
Beaucoup de peine à Rome en fait que d’aventures ?
Sachez que nous avons ici des créatures
  Qui feront leurs maris cocus
  Sous la moustache des Argus.
  La chose est chez nous très commune.
Témoignez seulement que vous cherchez fortune :
Placez-vous dans l’église, auprès du bénitier.
Présenter sur le doigt aux dames l’eau sacrée,
  C’est d’amourettes les prier.
Si l’air du suppliant à quelque dame agrée,
  Celle-là, sachant son métier,
  Vous enverra faire un message.
. . . . . . . . .
. . . . . . . . .
Les avis du Docteur furent bons. Le jeune homme
Se campe en une église où venoit tous les jours
  La fleur & l’élite de Rome,
Des Graces, des Vénus, avec un grand concours
    D’Amours.
. . . . . . . . .
. . . . . . . . .
Il offroit l’eau lustrale. Un ange entre les autres
En prit de bonne grace : alors l’étudiant
  Dit en son cœur, elle est des nôtres.
Il retourne au logis : vieille vient ; rendez-vous.
D’en conter le détail, vous vous en doutez tous.
  Il s’y fit nombre de folies :
  La Dame étoit des plus jolies,
  Le passe-temps fut des plus doux.
Il le conte au Docteur. Discrétion Françoise
Est chose outre nature & d’un trop grand effort.
  Dissimuler un tel transport,
  Cela sent son humeur bourgeoise.
Du fruit de son conseil le Docteur s’applaudit,
Rit en Jurisconsulte, & des maris se raille.
  Pauvres gens, qui n’ont pas l’esprit
  De garder du loup leur ouaille !
Un berger en a cent : des hommes ne sauront
  Garder la seule qu’ils auront !
Bien lui sembloit ce soin chose un peu mal-aisée,
Mais non pas impossible ; &, sans qu’il eût cent yeux,
  Il défioit, graces aux Cieux,
  Sa femme, encor que trop rusée.
  A ce discours, ami Lecteur,
Vous ne croiriez jamais, sans avoir quelque honte,
  Que l’héroïne de ce conte
  Fût propre femme du Docteur ?
Elle l’étoit pourtant. . . . . .
. . . . . . . . .

C’est à la Fontaine, comme on vient de le voir, que Moliere doit l’humeur goguenarde de cet Arnolphe qui rit des malheurs arrivés aux maris, & qui se trouve ensuite au rang des infortunés. Le Maître en Droit est peut-être plus plaisant qu’Arnolphe, en ce qu’il dicte lui-même à son rival le moyen dont il doit se servir pour séduire les Romaines, & qu’il l’avertit d’aller au but dès qu’il aura obtenu le premier rendez-vous. D’un autre côté, Moliere a un trait impayable & qu’il ne doit à personne. Arnolphe prête de l’argent à son rival pour l’aider à triompher de sa maîtresse. Horace le lui avoue ensuite d’une façon très ingénieuse, & très piquante pour le public.

ACTE I. Scene VI.

ARNOLPHE, HORACE.

Arnolphe, après avoir lu une lettre qu’Horace lui a remise de la part de son pere.

Il faut, pour des amis, des lettres moins civiles ;
Et tous ces compliments sont choses inutiles.
Sans qu’il prît le souci de m’en écrire rien,
Vous pouvez librement disposer de mon bien.

Horace.

Je suis homme à saisir les gens par leurs paroles,
Et j’ai présentement besoin de cent pistoles.

Arnolphe.

Ma foi, c’est m’obliger que d’en user ainsi,
Et je me réjouis de les avoir ici.
Gardez aussi la bourse.

Horace.

Il faut....

Arnolphe.

Laissons ce style.
Hé bien, comment encor trouvez-vous cette ville ?

Horace.

Nombreuse en citoyens, superbe en bâtiments,
Et j’en crois merveilleux les divertissements.

Arnolphe.

Chacun a ses plaisirs, qu’il se fait à sa guise :
Mais pour ceux que du nom de galants on baptise,
Ils ont en ce pays de quoi se contenter ;
Car les femmes y sont faites à coqueter :
On trouve d’humeur douce & la brune & la blonde,
Et des maris aussi les plus bénins du monde :
C’est un plaisir de Prince ; &, des tours que je vois,
Je me donne souvent la comédie à moi.
Peut-être en avez-vous déja féru quelqu’une ?
Vous est-il point encore arrivé de fortune ?
Les gens faits comme vous font plus que les écus,
Et vous êtes de taille à faire des cocus.

Horace.

A ne vous rien cacher de la vérité pure,
J’ai d’amour en ces lieux eu certaine aventure ;
Et l’amitié m’oblige à vous en faire part.

Arnolphe.

Bon ! voici de nouveau quelque conte gaillard,
Et ce sera de quoi mettre sur mes tablettes.

Horace.

Mais, de grace, qu’au moins ces choses soient secretes.

Arnolphe.

Oh !

Horace.

Vous n’ignorez pas qu’en ces occasions,
Un secret éventé rompt nos prétentions.
Je vous avouerai donc, avec pleine franchise,
Qu’ici d’une beauté mon ame s’est éprise.
Mes petits soins d’abord ont eu tant de succès,
Que je me suis chez elle ouvert un libre accès ;
Et, sans trop me vanter, ni lui faire une injure,
Mes affaires y sont en fort bonne posture.

Arnolphe, en riant.

Et c’est ?...

Horace, lui montrant le logis d’Agnès.

Un jeune objet qui loge en ce logis,
Dont vous voyez d’ici que les murs sont rougis :
Simple à la vérité, par l’erreur sans seconde
D’un homme qui la cache au commerce du monde ;
Mais qui, dans l’ignorance où l’on veut l’asservir,
Fait briller des attraits capables de ravir :
Un air tout engageant, je ne sais quoi de tendre,
Dont il n’est point de cœur qui se puisse défendre.
Mais peut-être il n’est point que vous n’ayez bien vu
Ce jeune astre d’amour de tant d’attraits pourvu ;
C’est Agnès qu’on l’appelle.

Arnolphe, à part.

Ah ! je creve !

Horace.

Pour l’homme,
C’est, je crois, de la Sousse, ou Source qu’on le nomme :
Je ne me suis pas fort arrêté sur le nom :
Riche, à ce qu’on m’a dit ; mais des plus sensés, non ;
Et l’on m’en a parlé comme d’un ridicule.
Le connoissez-vous point ?

Arnolphe, à part.

La fâcheuse pilule !

Horace.

Hé ! vous ne dites mot !

Arnolphe.

Hé ! oui, je le connois.

Horace.

C’est un fou, n’est-ce pas ?

Arnolphe.

Hé !...

Horace.

Qu’en dites-vous ? quoi ?
Hé ! c’est-à-dire, oui. Jaloux à faire rire ?
Sot ? Je vois qu’il en est ce que l’on m’a pu dire.
Enfin l’aimable Agnès a su m’assujettir.
C’est un joli bijoux, pour ne vous point mentir ;
Et ce seroit péché qu’une beauté si rare
Fût laissée au pouvoir d’un homme si bizarre.
Pour moi, tous mes efforts, tous mes vœux les plus doux
Vont à m’en rendre maître, en dépit du jaloux ;
Et l’argent que de vous j’emprunte avec franchise,
N’est que pour mettre à bout cette juste entreprise.
Vous savez mieux que moi, quels que soient nos efforts,
Que l’argent est la clef de tous les grands ressorts,
Et que ce doux métal qui frappe tant de têtes,
En amour comme en guerre avance les conquêtes.
. . . . . . . . .
. . . . . . . . .

Voilà deux rivaux que Moliere laissé derriere lui. Vraisemblablement Scarron ne lui disputera pas la victoire. Nous allons voir ce que Moliere lui doit, & comment il en a fait usage.

La Précaution inutile, Nouvelle, tome I des dernieres Œuvres de Scarron.

Un Gentilhomme de Grenade, qu’il plaît à Scarron de nommer Don Pedre, parcequ’il ignore son vrai nom, éprouve mille aventures que nous supprimerons, & qui lui donnent très mauvaise opinion des femmes. Il prend cependant la résolution d’épouser une jeune innocente qu’il a fait élever dans un couvent. L’Auteur va nous dire s’il eut lieu de s’en féliciter ou de s’en repentir.

Toutes les personnes de condition de la ville assisterent aux noces, & furent autant satisfaites de la beauté de Laure, qu’elles le furent peu de son esprit. La noce finit de bonne heure, & les nouveaux mariés demeurerent seuls. Don Pedre fit coucher ses valets, & ayant fait retirer les servantes de sa femme après qu’elles l’eurent déshabillée, s’enferma avec elle dans sa chambre ; & là Don Pedre, par un raffinement de prudence qui étoit la plus grande folie du monde, exécuta le plus capricieux dessein que pouvoit jamais former un homme qui avoit passé toute sa vie pour un homme d’esprit. Plus sot encore que sa femme, il voulut voir jusqu’où pouvoit aller sa simplicité. Il se mit dans une chaise, fit tenir sa femme debout, & lui dit ces paroles, ou d’autres encore plus impertinentes : « Vous êtes ma femme, dont j’espere que j’aurai sujet de louer Dieu tant que nous vivrons ensemble. Mettez-vous bien dans l’esprit ce que je m’en vais vous dire, & l’observez exactement tant que vous vivrez, de peur d’offenser Dieu, & de peur de me déplaire ». A toutes ces paroles dorées, l’innocente Laure faisoit de grandes révérences, à propos ou non, & regardoit son mari entre deux yeux, aussi timidement qu’un écolier nouveau fait un pédant impérieux.

Moliere fait mettre comme Scarron son héros dans un fauteuil, & lui donne un ton de pédant. Il place aussi devant lui l’héroïne, qui, se tenant debout, le regarde entre deux yeux, & fait la révérence lorsqu’Arnolphe lui parle de l’honneur qu’il lui fait en l’épousant, & du courroux du ciel lorsqu’on trompe son mari. Enfin, l’on voit clairement que le discours de Don Pedre a fourni l’idée de celui d’Arnolphe. Mais quelle différence malgré cela de l’un à l’autre ! Nous l’avons rapporté ailleurs, nous ne le répéterons point ici : il est assez généralement connu. Scarron va continuer.

« Savez-vous, poursuivit Don Pedre, la vie que doivent mener les personnes mariées ? Je ne le sais pas, poursuivit Laure, faisant une révérence plus basse que toutes les autres ; mais apprenez-le-moi, & je le retiendrai comme mon Ave, Maria ». Et puis autre révérence. Don Pedre étoit l’homme le plus satisfait du monde de trouver dans sa femme encore plus de simplicité qu’il n’en eût osé espérer. Il tira de l’armoire une paire d’armes fort riches & fort légeres qui lui avoient autrefois servi en une magnifique réception que la ville avoit faite au Roi d’Espagne ; il en arma son idiote. Il lui couvrit la tête d’un petit morion doré, couvert de plumes, lui ceignit une épée, & lui ayant mis une lance à la main, lui dit « que la vie des femmes mariées qui vouloient être estimées vertueuses, étoit de veiller leurs maris pendant leur sommeil, armées de toutes pieces comme elle étoit ». Elle lui répondit par deux ou trois révérences ordinaires qui ne finirent que lorsqu’il lui fit faire deux ou trois tours de chambre ; ce qu’elle fit par hasard de si bon air, sa beauté naturelle & son air de Pallas y contribuant beaucoup, que le trop fin Grenadin en demeura charmé. Il se coucha, & Laure demeura en faction jusqu’à cinq heures du matin. Le plus prudent & le plus avisé de tous les maris du monde, ou du moins se croyant tel, se leva, s’habilla, désarma sa femme, l’aida à se déshabiller, & l’ayant fait coucher dans le lit qu’il venoit de quitter, en pleurant de joie d’avoir trouvé, à son avis, ce qu’il cherchoit, il lui ordonna de dormir bien tard ; & ayant recommandé à ses servantes de ne la point réveiller, il s’en alla à la Messe & à ses affaires.

Moliere fait dire par son héros à la belle Agnès que les femmes mariées ont des devoirs très rigides ; mais nous devons lui savoir gré d’avoir substitué à l’exercice burlesque d’une femme armée de pied en cap, les prudentes leçons que nous allons lire.

ACTE III. Scene II.

Les Maximes du mariage, ou les devoirs de la femme mariée, avec son exercice journalier.

Maxime I.

  Celle qu’un lien honnête
  Fait entrer au lit d’autrui,
  Doit se mettre dans la tête,
  Malgré le train d’aujourd’hui,
Que l’homme qui la prend, ne la prend que pour lui.

Maxime II.

  Elle ne doit se parer
  Qu’autant que peut desirer
  Le mari qui la possede.
C’est lui que touche seul le soin de sa beauté,
  Et pour rien doit être compté
  Que les autres la trouvent laide.

Maxime III.

  Loin ces études d’œillades,
  Ces eaux, ces blancs, ces pommades,
Et mille ingrédients qui font des teints fleuris :
A l’honneur tous les jours ce sont drogues mortelles,
  Et les soins de paroître belles
  Se prennent peu pour les maris.

Maxime IV.

Sous sa coeffe, en sortant, comme l’honneur l’ordonne,
Il faut que de ses yeux elle étouffe les coups ;
  Car, pour bien plaire à son époux,
  Elle ne doit plaire à personne.

Maxime V.

Hors ceux dont au mari la visite se rend,
  La bonne regle défend
  De recevoir aucune ame.
  Ceux qui, de galante humeur,
  N’ont affaire qu’à Madame,
  N’accommodent point Monsieur.

Maxime VI.

  Il faut des présents des hommes
  Qu’elle se défende bien ;
  Car dans le siecle où nous sommes,
  On ne donne rien pour rien.

Maxime VII.

Dans ses meubles, dût-elle en avoir de l’ennui,
Il ne faut écritoire, encre, papier, ni plumes.
 Le mari doit, dans les bonnes coutumes,
 Ecrire tout ce qui s’écrit chez lui.

Maxime VIII.

  Ces sociétés déréglées,
  Qu’on nomme belles assemblées,
Des femmes tous les jours corrompent les esprits :
En bonne politique, on les doit interdire ;
   Car c’est là que l’on conspire
   Contre les pauvres maris.

Maxime IX.

Toute femme qui veut à l’honneur se vouer,
  Doit se défendre de jouer,
  Comme d’une chose funeste :
   Car le jeu, fort décevant,
   Pousse une femme souvent
   A jouer de tout son reste.

Maxime X.

   Des promenades du temps,
   Ou repas qu’on donne aux champs,
   Il ne faut pas qu’elle essaie.
   Selon les prudents cerveaux,
   Le mari, dans ces cadeaux,
   Est toujours celui qui paie.

Je pense que les gens de goût ne balanceront pas pour prononcer entre les deux exercices. Continuons à fouiller chez Scarron.

La premiere nuit des noces se passa donc de la maniere que je vous viens de dire, & le mari fut assez sot pour n’employer pas mieux la seconde. Le Ciel l’en punit ; il arriva une affaire pour laquelle il fallut nécessairement qu’il prît la poste le jour même, & qu’il allât à la Cour. Il n’eut le temps que de changer d’habit, & de dire adieu à sa femme, lui ordonnant, sous peine d’offenser Dieu, & de lui déplaire, d’observer exactement, en son absence, la vie des personnes mariées. Ceux qui ont des affaires à la Cour ne peuvent savoir en combien de temps elles seront terminées. Don Pedre ne pensoit y être que cinq à six jours, il y fut cinq à six mois. Cependant l’imbécille Laure ne manquoit pas de passer les nuits armée de toutes pieces, & de passer les jours auprès d’un ouvrage qu’elle avoit appris à faire au couvent. Un gentilhomme de Cordoue vint en ce temps-là pour suivre un procès à Grenade : il n’étoit pas sot, & étoit bien fait. Il vit souvent Laure à son balcon, la trouva fort belle, passa & repassa souvent devant ses fenêtres, à la mode d’Espagne ; & Laure le laissa passer & repasser sans savoir ce que cela vouloit dire, & sans même avoir envie de le savoir. Une bourgeoise, femme de médiocre condition, qui demeuroit vis-à-vis de la maison de Don Pedre, charitable de son naturel, & prenant grande part aux peines de son prochain, s’apperçut bientôt & de l’amour de l’étranger, & du peu de progrès qu’il faisoit auprès de sa belle voisine. Elle étoit femme d’intrigue, & sa principale profession étoit d’être conciliatrice des volontés, possédant éminemment toutes les conditions requises à celles qui s’en veulent acquitter, comme d’être perruquiere, revendeuse, distillatrice, d’avoir quantité de secrets pour l’embellissement du corps humain ; & sur-tout elle étoit un peu soupçonnée d’être sorciere. Elle saluoit si exactement le gentilhomme de Cordoue toutes les fois qu’il passoit devant les fenêtres de Laure, qu’il crut que ce n’étoit pas sans dessein. Il l’accosta tout d’un temps, fit connoissance & amitié avec elle ; il lui découvrit son amour, & lui promit de faire pour le moins sa fortune, si elle le servoit auprès de sa voisine. La vieille damnée ne perdit point de temps, se fit introduire par les sottes servantes auprès de leur sotte maîtresse, sous prétexte de lui faire voir des hardes à vendre ; loua sa beauté, la plaignit d’être si-tôt séparée de son mari, &, aussi-tôt qu’elle se vit seule avec elle, lui parla du beau gentilhomme qui passoit si souvent devant ses fenêtres. Elle lui dit qu’il l’aimoit plus que la vie, & qu’il avoit une forte passion de la servir, si elle le trouvoit bon. « En vérité, je lui en suis fort obligée, répondit l’innocente Laure, & j’aurois son service fort agréable ; mais la maison est pleine de valets, & jusqu’à tant que quelqu’un d’eux s’en aille, je ne l’oserois recevoir en l’absence de mon mari : je lui en écrirai, si ce gentilhomme le souhaite, & je ne doute point que je n’en obtienne tout ce que je lui demanderai ». Il n’en falloit pas tant à la rusée entremetteuse pour lui faire reconnoître que Laure étoit la simplicité même. Elle lui fit donc entendre, le mieux qu’elle put, de quelle façon ce gentilhomme la vouloit servir ; lui dit qu’il étoit aussi riche que son mari, &, si elle en vouloit voir les preuves, qu’elle lui apporteroit, de sa part, des pierreries de grand prix, & des hardes aussi riches qu’elle les pourroit souhaiter. « Ha ! Madame, lui dit Laure, j’ai tant de ce que vous dites, que je ne sais où le mettre. Puisque cela est ainsi, répondit l’ambassadrice de Satan, & que vous ne vous souciez pas qu’il vous régale, souffrez au moins qu’il vous visite. Qu’il le fasse, à la bonne heure, dit Laure, personne ne l’en empêche. Voilà qui est fort bien, répondit la vieille ; mais il seroit encore mieux que vos valets & vos servantes n’en sussent rien. Il est fort aisé, répondit Laure, car mes servantes ne couchent point dans ma chambre, & je me mets au lit sans leur aide & fort tard. Prenez cette clef, qui ouvre toutes les portes de la maison, & sur les onze heures du soir il pourra entrer par la porte du jardin où donne un petit escalier qui conduit à ma chambre ». La vieille lui prit les mains & les lui baisa cent fois, lui disant qu’elle alloit redonner la vie à ce pauvre gentilhomme qu’elle avoit laissé demi-mort. « Eh ! pourquoi, s’écria Laure toute effrayée ? C’est vous qui l’avez tué, lui dit alors la fausse vieille ». Laure devint pâle comme si on l’eût convaincue d’un meurtre, & alloit protester de son innocence, si la méchante femme, qui ne jugea pas à propos d’éprouver davantage son ignorance, ne se fût séparée d’elle, lui jetant les bras au cou, & l’assurant que le malade n’en mourroit pas.

Interrompons un instant le Seigneur Scarron, qui a déja beaucoup parlé, pour voir comment Moliere a su tirer parti de la bêtise de Laure, des discours que lui tient la vieille sorciere, même de l’assiduité de son galant à passer sous ses balcons.

ACTE II. Scene VI.

ARNOLPHE, AGNÈS.

. . . . . . . . . .
. . . . . . . . .

Arnolphe.

Le monde, chere Agnès, est une étrange chose.
Voyez la médisance, & comme chacun cause !
Quelques voisins m’ont dit qu’un jeune homme inconnu
Etoit en mon absence à la maison venu,
Que vous aviez souffert sa vue & ses harangues ;
Mais je n’ai point pris foi sur ces méchantes langues,
Et j’ai voulu gager que c’étoit faussement.

Agnès.

Mon Dieu ! ne gagez pas ; vous perdriez, vraiment.

Arnolphe.

Quoi ! c’est la vérité qu’un homme...

Agnès.

Chose sure,
Il n’a presque bougé de chez nous, je vous jure.

Arnolphe, bas.

Cet aveu qu’elle fait avec sincérité,
Me marque pour le moins son ingénuité.
(Haut.)
Mais il me semble, Agnès, si ma mémoire est bonne,
Que j’avois défendu que vous vissiez personne.

Agnès.

Oui, mais quand je l’ai vu, vous ignorez pourquoi,
Et vous en auriez fait sans doute autant que moi.

Arnolphe.

Peut-être. Mais enfin contez-moi cette histoire.

Agnès.

Elle est fort étonnante & difficile à croire.
J’étois sur le balcon à travailler au frais,
Lorsque j’ai vu passer, sous les arbres d’auprès,
Un jeune homme bien fait, qui, rencontrant ma vue,
D’une humble révérence aussi-tôt me salue.
Moi, pour ne point manquer à la civilité,
Je fais la révérence aussi de mon côté.
Soudain il me refait une autre révérence :
Moi, j’en refais de même une autre en diligence ;
Et lui d’une troisieme aussi-tôt repartant,
D’une troisieme aussi j’y repars à l’instant.
Il passe, vient, repasse, & toujours de plus belle,
Me fait à chaque fois révérence nouvelle :
Et moi, qui tous ses tours fixement regardois,
Nouvelle révérence aussi je lui rendois :
Tant que si sur ce point la nuit ne fût venue,
Toujours comme cela je me serois tenue,
Ne voulant point céder ni recevoir l’ennui
Qu’il me pût estimer moins civile que lui.

Arnolphe.

Fort bien.

Agnès.

Le lendemain, étant sur notre porte,
Une vieille m’aborde, en parlant de la sorte :
« Mon enfant, le bon Dieu puisse-t-il vous bénir,
« Et dans tous vos attraits long-temps vous maintenir !
« Il ne vous a pas fait une belle personne
« Afin de mal user des choses qu’il vous donne ;
« Et vous devez savoir que vous avez blessé
« Un cœur qui de s’en plaindre est maintenant forcé. »

Arnolphe, à part.

Ah ! suppôt de satan ! exécrable damnée !

Agnès.

Moi ! j’ai blessé quelqu’un ? fis-je toute étonnée.
« Oui, dit-elle, blessé ; mais blessé tout de bon ;
« Et c’est l’homme qu’hier vous vîtes du balcon. »
Hélas ! qui pourroit, dis-je, en avoir été cause ?
Sur lui, sans y penser, fis-je choir quelque chose ?
« Non, dit-elle, vos yeux ont fait ce coup fatal,
« Et c’est de leurs regards qu’est venu tout le mal ».
Hé, mon Dieu ! ma surprise est, fis-je, sans seconde.
Mes yeux ont-ils du mal pour en donner au monde ?
« Oui, fit-elle, vos yeux, pour causer le trépas,
« Ma fille, ont un venin que vous ne savez pas.
« En un mot, il languit, le pauvre misérable ;
« Et s’il faut, poursuivit la vieille charitable,
« Que votre cruauté lui refuse un secours,
« C’est un homme à porter en terre dans deux jours. »
Mon Dieu, j’en aurois, dis-je, une douleur bien grande.
Mais, pour le secourir, qu’est-ce qu’il me demande ?
« Mon enfant, me dit-elle, il ne veut obtenir
« Que le bien de vous voir & vous entretenir.
« Vos yeux peuvent eux seuls empêcher sa ruine,
« Et du mal qu’ils ont fait être la médecine. »
Hélas ! volontiers, dis-je ; &, puisqu’il est ainsi,
Il peut tant qu’il voudra me venir voir ici.

Arnolphe, à part.

Ah ! sorciere maudite, empoisonneuse d’ames !
Puisse l’enfer payer tes charitables trames !

Agnès.

Voilà comme il me vit & reçut guérison.
Vous-même, à votre avis, n’ai-je pas eu raison ?
Et pouvois-je, après tout, avoir la conscience
De le laisser mourir faute d’une assistance,
Moi, qui compatis tant aux gens qu’on fait souffrir,
Et ne puis, sans pleurer, voir un poulet mourir ?

Ne nous amusons pas à louer présentement la façon dont Moliere a imité Scarron ; il suffit dans cette occasion de placer l’un à côté de l’autre. Le dernier va reprendre le fil de sa nouvelle.

La vieille alla trouver son impatient amoureux, & lui rendit compte de ce qu’elle avoit avancé, elle souriant d’un souris d’enfer, & lui sautant de joie. Il la récompensa en homme libéral, & attendit la nuit avec impatience. La nuit vint, il entra dans le jardin, & monta le plus doucement qu’il put jusqu’à la chambre de Laure, dans le temps que la stupide se promenoit à grands pas dans sa chambre, armée de toutes pieces, & la lance dans la main, suivant les salutaires instructions de son extravagant mari. Il n’y avoit qu’une lumiere en un endroit éloigné de la chambre, & la porte en étoit ouverte, sans doute pour recevoir le galant de Cordoue. Mais lui, qui entrevit une personne armée, ne douta point qu’on ne le voulût attraper. Sa peur alors domina sur son amour, tout violent qu’il étoit, & il s’enfuit plus vîte qu’il n’étoit venu, s’imaginant qu’il ne pouvoit assez tôt gagner la rue. Il alla chez sa médiatrice, & lui fit part du danger qu’il avoit couru. Elle alla, toute scandalisée, trouver Laure, qui lui demanda d’abord pourquoi le gentilhomme n’étoit pas venu, & s’il étoit malade. Il n’est pas malade, dit la vieille, & il n’a pas manqué d’y venir ; mais il trouva un homme armé dans votre chambre. Laure fit un long éclat de rire, & ensuite deux ou trois de pareille étendue, à quoi la vieille ne comprenoit rien. Enfin quand la grande envie qu’elle avoit de rire fut assez satisfaite, & lui laissa la liberté de parler, elle dit à la vieille qu’il falloit bien que ce gentilhomme n’eût jamais été marié, & que c’étoit elle qui se promenoit dans sa chambre, toute armée. La vieille ne comprenoit rien à ce que lui disoit Laure, & la crut long-temps tout-à-fait folle ; mais à force de questions & de réponses, elle apprit ce qu’elle n’eût jamais pu croire, tant de la simplicité d’une fille de quinze ans, qui devoit tout savoir à cet âge, que de l’extravagante précaution dont son mari se servoit pour s’assurer de l’honneur de sa femme. Elle voulut laisser Laure dans son erreur, & au lieu de se montrer surprise de la nouveauté de la chose autant qu’elle l’étoit, elle se mit à rire avec Laure de la frayeur qu’avoit eu le galant. La partie fut remise à la nuit suivante. La vieille rassura le galant, & admira avec lui la sottise du mari & de la femme. La nuit vint, il entra dans le jardin, monta le petit escalier, & trouva encore sa Dame qui s’acquittoit de son devoir. Il l’embrassa toute armée de fer qu’elle étoit, & elle le reçut comme si elle l’eût vu toute sa vie. Enfin il lui demanda ce qu’elle vouloit faire de ces armes. Elle lui répondit en riant, qu’elle ne pouvoit les quitter ni passer la nuit dans un autre équipage, & lui apprit, puisqu’il ne le savoit pas, que c’étoit faire un gros péché que d’y manquer. Le madré Cordouois eut toutes les peines du monde à la désabuser & à lui persuader qu’elle étoit trompée, & que la vie des personnes mariées étoit toute autre. Enfin il la fit condescendre à se désarmer, & à vouloir bien apprendre une autre façon d’exercer le mariage, plus commode & plus plaisante que celle que lui faisoit pratiquer son mari, que Laure lui avoua être de grande fatigue. Il ne fut pas paresseux à la désarmer ; il aida aussi à la déshabiller. . . . . . . Enfin elle reçut une lettre de son mari, qui lui apprit qu’il la revenoit trouver, & que ses affaires à la Cour étoient faites. Et celle du Cordouan l’étant aussi de Grenade, le drôle s’en retourna dans Cordoue sans prendre congé de Laure : & je crois que ce fut aussi sans la regretter, rien n’étant si fragile que l’amour que l’on a pour une sotte. Laure ne le trouva point à redire, & reçut son mari avec autant de joie & aussi peu de ressentiment de la perte de son galant que si elle ne l’eût jamais vu. Don Pedre & sa femme souperent ensemble avec grande satisfaction l’un de l’autre. L’heure du coucher arriva : Don Pedre se mit au lit selon sa coutume, & fut bien étonné de voir sa femme en chemise qui se vint coucher auprès de lui. Il lui demanda, tout troublé, pourquoi elle n’étoit point armée ? Ha ! vraiment, lui dit-elle, je sais bien une autre façon de passer la nuit avec son mari, que m’a enseigné un autre mari. Vous avez un autre mari, lui répliqua Don Pedre ? Oui, lui dit-elle ; mais si beau & si bien fait, que vous serez ravi de le voir : je ne sais pourtant quand nous le verrons, car depuis la derniere lettre que vous m’avez écrite, il n’est pas venu me voir. . . . Le malheureux Don Pedre feignit d’être malade, & se représentant qu’il avoit choisi une femme idiote, qui non seulement l’avoit offensé en son honneur, mais encore qui ne croyoit pas s’en devoir cacher, il se ressouvint des bons avis de la Duchesse, détesta son erreur, & reconnut, mais trop tard, qu’une honnête femme sait garder les loix de l’honneur, & que si, par fragilité, elle y manque, elle sait du moins cacher sa faute. . . . .

Avouons que Moliere a de grandes obligations au burlesque Scarron. Il lui doit, comme nous l’avons vu, la matrone & ses discours : il lui doit l’opposition sublime d’une fille simple avec un Jaloux qui se croit fort rusé : il lui doit la morale amenée naturellement par les malheurs que le héros éprouve en préférant une sotte à une femme d’esprit. Convenons aussi que nous devons de grands éloges à Moliere pour s’être servi de la matrone sans la mettre sur le théâtre. Les propos qu’elle a tenus à la jeune Agnès deviennent plaisants dans une bouche innocente ; ils seroient révoltants dans celle de la vieille sorciere. Moliere n’a-t-il pas bien fait encore d’abandonner à Scarron sa bête brute & dégoûtante, qui croit vaquer aux devoirs du mariage en se promenant dans sa chambre par l’ordre d’un extravagant avec une armure sur le corps & la lance à la main, qui prodigue des faveurs à un inconnu par instinct seulement ? Moliere, dis-je, n’a-t-il pas bien fait de nous offrir à la place une jeune innocente qui, à travers la simplicité à laquelle son éducation l’a forcée, fait voir de l’esprit à mesure qu’elle est éclairée par le sentiment ? Enfin, les couleurs qui nous peignent le caractere de M. de la Souche, ne sont-elles pas plus vraies, plus naturelles que celles qui caractérisent les folies de Don Pedre ?

Il faut sur-tout remarquer que Straparole, la Fontaine, Scarron, ont pour héroïnes des femmes mariées, dont plusieurs personnes ne sauroient voir les succès amoureux avec plaisir ; & que Moliere, ami des bienséances, intéresse les ames honnêtes à une passion pure & délicate, que la vertu même approuve, & qui n’est pas couronnée de la main du vice.

Moliere a pris encore l’idée d’une petite scene dans une piece italienne intitulée Pantalon jaloux. Pantalon veut interdire l’entrée de sa maison au Docteur. Il ordonne à ses domestiques de lui fermer la porte au nez quand il viendra, &, s’il résiste, de lui donner des coups de bâton. Ensuite, pour exercer ses gens à bien faire ce qu’il leur ordonne, il leur dit de supposer qu’il est le Docteur. Il se présente, prie qu’on le laisse entrer ; on lui refuse : il prie encore ; on lui donne des coups de bâton : il s’écrie que cela est bien, & s’en va fort content. Voyons la même scene transportée par Moliere sur le théâtre françois. Arnolphe recommande à Georgette & à Alain de repousser Horace lorsqu’il viendra.

ACTE IV. Scene IV.

ARNOLPHE, ALAIN, GEORGETTE.

. . . . . . . . .
. . . . . . . . . .

Georgette.

Vous nous avez tantôt montré notre leçon.

Arnolphe.

Mais à ses beaux discours gardez-vous de vous rendre.

Alain.

Oh ! vraiment.

Georgette.

Nous savons comme il faut s’en défendre.

Arnolphe.

S’il venoit doucement : « Alain, mon pauvre cœur,
« Par un peu de secours soulage ma langueur.

Alain.

Vous êtes un sot.

Arnolphe.

Bon !... « Georgette, ma mignonne,
« Tu me parois si douce & si bonne personne !

Georgette.

Vous êtes un nigaud.

Arnolphe.

Bon !... « Quel mal trouves-tu
« Dans un dessein honnête & tout plein de vertu ?

Alain.

Vous êtes un frippon.

Arnolphe.

Fort bien !... « Ma mort est sure
« Si tu ne prends pitié des peines que j’endure.

Georgette.

Vous êtes un benêt, un impudent.

Arnolphe.

Fort bien !
« Je ne suis pas un homme à vouloir rien pour rien :
« Je sais, quand on me sert, en garder la mémoire.
« Cependant, par avance, Alain, voilà pour boire ;
« Et voilà pour t’avoir, Georgette, un cotillon.
(Ils tendent tous deux la main & prennent l’argent.)
« Ce n’est de mes bienfaits qu’un foible échantillon.
« Toute la courtoisie enfin dont je vous presse,
« C’est que je puisse voir votre belle maîtresse. »

Georgette, le poussant.

A d’autres.

Arnolphe.

Bon cela !

Alain.

Hors d’ici.

Arnolphe.

Bon !

Georgette.

Mais tôt.

Arnolphe.

Bon ! holà, c’est assez.

Georgette.

Fais-je pas comme il faut ?

Alain.

Est-ce de la façon que vous voulez l’entendre ?

Arnolphe.

Oui, fort bien ; hors l’argent qu’il ne falloit pas prendre.

Georgette.

Nous ne nous sommes pas souvenus de ce point.

Alain.

Voulez-vous qu’à l’instant nous recommençions ?

Arnolphe.

Point.
Suffit, rentrez tous deux.

Alain.

Vous n’avez rien qu’à dire.

Arnolphe.

Non, vous dis-je, rentrez, puisque je le desire.
Je vous laisse l’argent. Allez, je vous rejoins :
Ayez bien l’œil à tout, & secondez mes soins.

Moliere a conservé tout le plaisant de la scene italienne, sans nous faire voir un maître qui, pour exercer ses gens à maltraiter un de ses anciens amis, s’avilit jusqu’à recevoir des coups de bâton de la main même de ses domestiques. Rien n’eût paru plus révoltant sur notre théâtre.

J’entends plusieurs de mes Lecteurs se dire intérieurement qu’il est bien aisé de composer des pieces quand on a sous la main d’aussi bons matériaux. Ils pensent, je gage, que Moliere n’a pas eu grand mérite à faire les changements que nous avons remarqués ; ils jugent que tout homme à sa place auroit eu le même art. Ils se trompent bien fort. Je vais le leur prouver par une comédie qui a paru un an avant celle de Moliere. Elle est bâtie sur le même fonds ; l’Auteur avoit les mêmes ressources. Voyons le parti qu’il en a tiré.

La Précaution inutile, ou l’Ecole des Cocus, en vers & en un acte, par Dorimon.

Le Capitan veut se marier ; le Docteur lui conseille de n’en rien faire, & lui peint les dangers qu’on court dans le mariage. Le Capitan croit les prévenir par les précautions qu’il a prises auprès de la sage Lucinde, qu’il n’a pas quittée d’un pas, ou qu’il a fait soigneusement observer. Lucinde vante elle-même sa vertu : elle est interrompue par une douleur subite qui l’oblige à se retirer, & l’on apprend aussi-tôt qu’elle vient de mettre au jour un enfant. Le Capitan, que cette aventure déconcerte, refuse la main de Philis, parceque la belle lui paroît d’une humeur trop folâtre. Le Docteur, persuadé au contraire que les meilleures précautions sont inutiles, épouse Philis, au hasard de ce qui pourra lui arriver. Enfin le Capitan se détermine en faveur de la niaise Cloris, avec laquelle il s’imagine que son honneur n’essuiera aucun accident fâcheux. Pour plus grande sureté, il fait armer de pied en cap sa jeune épouse, & lui ordonne de rester ainsi pendant son absence. Cet équipage singulier excite la curiosité de Léandre ; il aborde Cloris.

Scene IX.

. . . . . . . . .
. . . . . . . . .

Léandre.

Beauté, l’étonnement des hommes & des Dieux !
N’étoit-ce pas assez des armes de vos yeux ?
Pourquoi vous mettez-vous en ce fier équipage ?
Votre visage doux aime-t-il le carnage ?

Cloris.

Monsieur, vous étonnant de l’état où je suis,
Ignorez-vous les loix de ce fâcheux pays ?
Les femmes de ce lieu sont en cet équipage,
Pour garder leur honneur dedans le mariage.

Léandre.

Vraiment, dans ce pays on fait de rudes loix !
Dans le nôtre on agit d’un air bien plus courtois.
Ah ! si vous le saviez ! . . .

Cloris.

Je brûle de l’entendre.

Léandre.

Venez avecque moi, je pourrai vous l’apprendre.
(Ils sortent.)
. . . . . . . . . .
. . . . . . . . .

Scene XI.

LE DOCTEUR, LE CAPITAN, PHILIS.

Le Capitan.

Je n’ai pu demeurer long-temps à la campagne,
Et je reviens trouver ma gentille compagne.
De sa simplicité je dois tout espérer.

Le Docteur.

Capitan, nous verrons qui s’en pourra parer.
. . . . . . . . .
. . . . . . . . .

Le Capitan.

Si je savois quelqu’un qui se pût figurer
De cajoler ma femme & me déshonorer ;
Il seroit hors d’état de faire des caresses,
Car je déchirerois son corps en mille pieces.

Philis.

Ceux qui parlent beaucoup n’ont jamais grand effet.

Le Capitan.

Par la mort ! je ferois. . . .

Scene derniere.

Les précédents, CLORIS, LÉANDRE.

Léandre.

Adieu, divin objet ;
Je vous baise les mains.

Philis.

Capitan, faites rage.

Le Capitan.

La prudence sied bien avecque le courage.

Philis.

Quoi ! vous souffrez ainsi cet outrage à vos yeux ?

Le Capitan.

Je fais ce que je puis pour être furieux.

Léandre.

Adieu, divin objet !

Le Capitan.

Rage ! fureur ! feu ! haine !
(A Léandre.)
Tu mourras, suborneur !

Léandre, le regardant fiérement.

A qui donc parlez-vous ?
Est-ce à moi ?

Le Capitan.

Non, Monsieur, non, ce n’est pas à vous.

Philis.

Vraiment vous êtes brave, & brave à toute outrance !

Le Capitan.

Je le suis quand je veux, donnez-moi patience.
Je ne l’ai pas tué, le traître, en ce moment ;
Je retarde sa mort d’une heure seulement.
Mais venez là, traîtresse : où sont, où sont vos armes ?

Cloris.

Cet étranger, courtois, civil & plein de charmes,
Me les a fait quitter, & m’a dit, ébahi,
Que l’on n’exerçoit pas ces loix en son pays ;
Que les femmes avoient, après le mariage,
Des armes à la main qui faisoient moins d’outrage ;
Qu’elles avoient des loix plus douces qu’en ces lieux.
Aussi-tôt mon esprit s’est montré curieux :
J’ai brûlé du desir de les pouvoir apprendre,
Et lui-même a voulu me les faire comprendre.

Le Capitan, au Docteur.

Ah ! vous me disiez bien qu’une sotte feroit
Son pauvre homme cocu, & l’en avertiroit.
(A Cloris.)
Je vous enfermerai désormais, ignorante.
Rentrez, rentrez ici, sotte, bête, innocente.

Le Docteur.

Adieu, cher Capitan, adieu, consolez-vous.
Allez-vous-en chanter avecque les coucous.

Philis.

Allez dire aux maris des champs & de la ville
Que la précaution leur est chose inutile.

Dans trois originaux, Dorimon n’a pu prendre qu’une piece d’un acte dans laquelle il a exactement encadré tous les défauts de ses modeles. Moliere a étendu son sujet : les fautes ont disparu ; les beautés ont été placées dans un jour favorable. L’un est un metteur-en-œuvre maladroit, qui monte gauchement un diamant brut ; l’autre un artiste excellent qui en connoît le prix, le taille, le polit, & l’enchâsse de façon qu’il a le plus grand éclat, & qu’il est digne de parer une divinité. Le plus fâcheux pour Dorimon est que Moliere lui a pris l’idée de son sot Docteur, & a mis à la place un Chrisalde, dans la bouche duquel il met des choses excellentes.

Dans la nouveauté de cette piece, les ennemis de Moliere lui reprocherent beaucoup toutes ses imitations qu’on taxoit de plagiat, & lui en faisoient un crime. Nous ne serons pas aussi injustes, & nous lui saurons gré au contraire d’avoir mis à contribution ses prédécesseurs & ses contemporains, pour nous donner une piece unique dans son genre, & nous serons de l’avis d’Apollon.

Arrêt d’Apollon en faveur de l’Ecole des Femmes 18.

Apollon, graces au Destin,
Du Parnasse Prince divin,
Et les trois fois trois Sœurs pucelles,
Grandes d’esprit & de corps belles,
A tous qui ces Lettres verront :
Ceux qui sauront lire liront.
Devant nous querelle s’est mue
Pour une piece assez connue,
Et qui vient d’Auteur assez bon,
Moliere, notre mignon.
Les uns en ont dit pis que pendre,
Les autres ont su la défendre.
Bien informés de leurs raisons,
Tout considéré : Nous disons
Que cette piece est belle & bonne.
Commandons à toute personne
De bien soutenir son parti ;
Et donnons un beau démenti
A qui sera si téméraire
D’oser avancer le contraire.
L’Ecole des Femmes enfin
Doit passer pour ouvrage fin.
Permettons à chacun d’en rire ;
Défendons à tous d’en médire ;
Et déclarons que son Auteur
Dans son style a de la douceur,
De la netteté, de la grace ;
Qu’avec tant de nature il trace
Les sujets & les passions,
Et débite des mots si bons,
Qu’un esprit bien fait, quoi qu’on die,
Doit admirer sa comédie,
Et le prendre, tout bien compté,
Pour Térence ressuscité.
Commandons à tous les Poëtes
D’être fideles interpretes
De l’Ecole & de sa beauté,
D’en dire bien la vérité,
Et d’en parler en conscience.
Et quoique quelqu’un s’en offense,
Voulons que cette piece ait cours ;
Qu’en ce lieu19 l’on vienne toujours,
Et sans craindre que Moliere
Se lasse jamais de bien faire.