(1772) De l’art de la comédie. Livre troisième. De l’imitation (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE X. » pp. 201-217
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(1772) De l’art de la comédie. Livre troisième. De l’imitation (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE X. » pp. 201-217

CHAPITRE X.

Le Mariage forcé, Comédie-Ballet en un acte, en prose, comparée pour le fond & les détails avec un canevas italien intitulé il Falso Bravo, le Faux Brave, ou bien il Punto d’honore, le Point d’honneur ; avec deux scenes italiennes, & une aventure arrivée au Comte de Gramont.

Cette petite piece fut jouée au Louvre le 29 Janvier 1664. Le Roi y dansa une entrée, ce qui lui fit donner d’abord le titre de Ballet du Roi. Elle fit ensuite partie des divertissements de l’Isle enchantée 22, & parut sur le théâtre du Palais Royal avec quelques changements, le 15 Novembre de la même année. Riccoboni dit que plusieurs lazzis de cette comédie sont pris dans le théâtre italien : comment a-t-il pu ignorer que le fond même du sujet est imité d’un canevas apporté en France par ses Confreres ? Riccoboni, Auteur & Acteur Italien, ne connoissoit donc pas tout le théâtre de sa nation ?

Extrait du Mariage forcé.

Sganarelle a cinquante-trois ans ; il s’avise cependant d’être amoureux de Dorimene, jeune coquette. Il consulte Géronimo, pour savoir s’il doit l’épouser ; son ami lui conseille de n’en rien faire. Il demande encore conseil à Pancrace, Philosophe Aristotélicien ; celui-ci, tout échauffé d’une dispute qu’il vient d’avoir pour savoir s’il faut dire la forme ou la matiere d’un chapeau, ne l’écoute pas d’abord, & l’impatiente ensuite en lui demandant en quelle langue il veut lui parler, & en ne lui donnant pas le temps de dire un mot. Il s’adresse ensuite à Marphurius, Docteur Pyrrhonien, qui, doutant de tout, ne le rassure pas beaucoup sur les craintes qu’il a d’être cocu, puis à des Bohémiennes qui lui rient au nez lorsqu’il leur demande s’il le sera. Enfin Sganarelle surprend Dorimene avec Lycaste son amant, à qui elle dit :

Je vous considere toujours de même ; & mon mariage ne doit point vous inquiéter. C’est un homme que je n’épouse point par amour, & sa seule richesse me fait résoudre à l’accepter. Je n’ai point de bien, vous n’en avez point aussi ; & vous savez que sans cela on passe mal le temps au monde, & qu’à quelque prix que ce soit il faut tâcher d’en avoir. J’ai embrassé cette occasion-ci de me mettre à mon aise, & je l’ai fait sur l’espérance de me voir bientôt délivrée du barbon que je prends. C’est un homme qui mourra avant qu’il soit peu, & qui n’a tout au plus que six mois dans le ventre. Je vous le garantis défunt dans le temps que je dis ; & je n’aurai pas longuement à demander pour moi au Ciel l’heureux état de veuve.

Sganarelle n’a plus besoin de consulter ni amis, ni Docteurs, ni Bohémiennes. Il va trouver Alcantor, pere de la Demoiselle, pour lui dire qu’il ne veut pas se marier. Alcantor lui répond que les volontés sont libres. Mais son fils Alcidas le remplace avec deux épées & un bâton : il prie fort poliment Sganarelle de se couper la gorge avec lui, ou d’épouser sa sœur. Sganarelle ne veut faire ni l’un ni l’autre. Alcidas lui demande la permission de lui donner une volée de coups de bâton, & la prend sans attendre sa réponse. Il lui propose encore une fois de se battre ou de se marier, & sur le refus qu’il en fait, il recommence à le battre. Sganarelle aime mieux épouser Dorimene que risquer sa vie.

Précis du Canevas Italien.

Arlequin est un original qui fait le brave à toute outrance : rien ne peut lui résister. Il refuse d’épouser une fille à laquelle il a promis sa foi. On vient lui proposer de remplir sa parole ou de se battre ; il ne veut faire ni l’un ni l’autre : on lui donne des coups de bâton. On lui fait ensuite la même proposition ; il réfléchit que s’il se bat il risque d’être tué, & que le point d’honneur ne lui ordonne point de perdre sa vie. Il prend généreusement son parti à l’aspect du bâton & des épées qu’on ne cesse de lui présenter, & il épouse.

 

L’histoire d’Arlequin est en gros celle de Sganarelle, avec la différence que le héros François n’est pas un faux brave. Il avoue tout naturellement qu’il n’a pas de gorge à couper ; & je ne sais, n’en déplaise à Moliere, si par cette raison même les coups de bâton ne deviennent pas moins plaisants. En tout cas, si notre Auteur cede en cela aux Italiens, nous allons le voir prendre sa revanche dans une scene qui est visiblement imitée de deux scenes italiennes. C’est lorsque Sganarelle veut consulter le Docteur Pancrace.

Scene VI.

PANCRACE, SGANARELLE.

Pancrace, se tournant du côté par où il est entré.

Allez, vous êtes un impertinent, mon ami, un homme ignare de toute bonne discipline, bannissable de la République des Lettres.

Sganarelle.

Ah ! bon ! en voici un fort à propos.

Pancrace, sans voir Sganarelle.

Oui, je te soutiendrai par vives raisons, je te montrerai par Aristote, le Philosophe des Philosophes, que tu es un ignorant, un ignorantissime, ignorantifiant & ignorantifié par tous les cas & modes imaginables.

Sganarelle, à part.

Il a pris querelle contre quelqu’un. (Haut.) Seigneur...

Pancrace.

Tu veux te mêler de raisonner, & tu ne sais pas seulement les éléments de la raison.

Sganarelle, à part.

La colere l’empêche de me voir. (Haut.) Seigneur...

Pancrace.

C’est une proposition condamnable dans toutes les terres de la philosophie.

Sganarelle, à part.

Il faut qu’on l’ait fort irrité. (Haut.) Je...

Pancrace.

Toto cœlo, totâ viâ aberras.

Sganarelle.

Je baise les mains à Monsieur le Docteur.

Pancrace.

Serviteur.

Sganarelle.

Peut-on...

Pancrace, se tournant vers l’endroit par où il est entré.

Sais-tu bien ce que tu as fait ? un syllogisme in balordo.

Sganarelle.

Je vous...

Pancrace.

La majeure en est inepte, la mineure impertinente, & la conclusion ridicule.

Sganarelle.

Je...

Pancrace.

Je creverois plutôt que d’avouer ce que tu dis ; & je soutiendrai mon opinion jusqu’à la derniere goutte de mon encre.

Sganarelle.

Puis-je ?...

Pancrace.

Oui, je défendrai cette proposition, pugnis & calcibus, unguibus & rostro.

Sganarelle.

Seigneur Aristote, peut-on savoir ce qui vous met si fort en colere ?

Pancrace.

Un sujet le plus juste du monde.

Sganarelle.

Et quoi encore ?

Pancrace.

Un ignorant m’a voulu soutenir une proposition erronée, une proposition épouvantable, effroyable, exécrable !

Sganarelle.

Puis-je demander ce que c’est ?

Pancrace.

Ah ! Seigneur Sganarelle, tout est renversé aujourd’hui, & le monde est tombé dans une corruption générale ! Une licence épouvantable regne par-tout ; & les Magistrats, qui sont établis pour maintenir l’ordre dans cet Etat, devroient mourir de honte en souffrant un scandale aussi intolérable que celui dont je veux parler.

Sganarelle.

Quoi donc ?

Pancrace.

N’est-ce pas une chose horrible, une chose qui crie vengeance au Ciel, que d’endurer qu’on dise publiquement la forme d’un chapeau ?

Sganarelle.

Comment ?

Pancrace.

Je soutiens qu’il faut dire la figure d’un chapeau & non pas la forme, d’autant qu’il y a cette différence entre la forme & la figure, que la forme est la disposition extérieure des corps qui sont animés ; & la figure, la disposition extérieure des corps qui sont inanimés. Et puisque le chapeau est un corps inanimé, il faut dire la figure d’un chapeau & non pas la forme. (Se tournant encore du côté par où il est entré.) Oui, ignorant que vous êtes, c’est ainsi qu’il faut parler ; & ce sont les termes exprès d’Aristote dans le chapitre de la qualité.

Sganarelle.

Je pensois que tout fût perdu. Seigneur Docteur, ne pensez plus à tout cela...... (Se tournant vers la coulisse.) Oui, vous êtes un impudent de vouloir disputer contre un Docteur qui sait lire & écrire. Voilà qui est fait. Je vous prie de m’écouter. . . . . . . . . . . . . . . .

Cette partie de scene est imitée d’une autre scene épisodique, que les acteurs Italiens joignent, tant bien que mal, à plusieurs canevas. Arlequin y veut consulter, comme Sganarelle, un Docteur qui l’impatiente en se tournant souvent vers la cantonnade, pour apostropher un prétendu savant avec lequel il vient d’avoir une dispute très vive. Il étoit question de décider si la matiere passe avant la forme. Arlequin, instruit du sujet de la querelle, en rit, & demande ensuite gravement au Docteur quel est son avis. Le Savant fait un grand raisonnement pour prouver que de tout temps la matiere fut avant la forme. Arlequin lui donne un démenti, soutient que la forme a le pas avant la matiere, & prétend le démontrer clairement par une aventure qui lui est arrivée.

J’avois besoin, dit-il, de souliers. J’entre chez un cordonnier, il m’en donne plusieurs à essayer ; mais tous étoient si courts, que la moitié de mon pied n’y entroit point. J’étois comme ces petites maîtresses qui, pour paroître avoir un pied en miniature, portent des mules qui couvrent seulement le bout des doigts. Je le fis remarquer au cordonnier, & je lui dis : Maître, ces souliers ne vont pas bien. — Monsieur, ils vont à merveille. — Comment ! ils vont à merveille ! ils sont étroits & courts. — Vous vous trompez, Monsieur, ils sont au contraire trop longs & trop larges ; vous ne les aurez pas portés cinq à six mois, que vous verrez.... — Oui, mais en attendant ils me blessent. — Non, Monsieur, cela n’est pas possible. — Comment ! cela n’est pas possible ! ils m’estropient. — Non, Monsieur, vous vous trompez. — Sanguédimi, je sens bien que je souffre. — Non Monsieur, vous ne souffrez pas... Lassé de l’opiniâtreté de cet homme, je lui dis : Maître Savate, vous êtes un impertinent, entendez-vous ; il me répondit que j’étois un sot : je lui répliquai qu’il étoit un coquin ; il me riposta que j’étois un frippon. Je ne lui parlai plus ; mais je lui donnai des coups de bâton, & je pris bravement la fuite. Il ne me suivit pas, mais il envoya après moi ; devinez. — Ses garçons ? — Non. — Ses chiens ? — Non, une forme. Cette forme alla plus vîte que moi, elle m’attrapa : poufeté, me voilà avec une tumeur à la tête. Peu à peu cette tumeur grossit, ensuite elle mûrit, ensuite elle creva, ensuite parut la matiere ; mais ce ne fut que huit jours après le coup de forme. Ergo, donc, par conséquent, vous voyez que la forme a le pas avant la matiere ; que je suis un habile homme, & que vous n’êtes qu’un âne vous, M. le Docteur.

Le plaisant de cette scene est d’entendre Arlequin prendre alternativement le ton du Cordonnier & le sien dans la dispute dont il rend compte ; de le voir peindre la forme qui l’atteint, s’envelopper la tête d’un linge, & feindre des douleurs graduées : mais du moment qu’il est question de la matiere, il ne peut que devenir fastidieux. Et supposé que Moliere eût pu ajouter encore quelques larcins à ceux qu’il a faits dans cette scene, nous devons lui savoir gré de ne l’avoir pas prise en entier. La nouvelle Troupe Italienne23 ne l’a jamais risquée sur son théâtre. Reprenons Moliere, nous aurons encore des éloges à lui donner.

. . . . . . . . .

. . . . . . . . .

Sganarelle, à part.

La peste soit de l’homme ! (Haut.) Hé ! Monsieur le Docteur, écoutez un peu les gens ! On vous parle une heure durant, & vous ne répondez pas à ce qu’on vous dit.

Pancrace.

Je vous demande pardon. Une juste colere m’occupe l’esprit.

Sganarelle.

Eh ! laissez tout cela, & prenez la peine de m’écouter.

Pancrace.

Soit ; que voulez-vous me dire ?

Sganarelle.

Je veux vous parler de quelque chose.

Pancrace.

Eh ! de quelle langue voulez-vous vous servir avec moi ?

Sganarelle.

De quelle langue !

Pancrace.

Oui.

Sganarelle.

Parbleu, de la langue que j’ai dans la bouche. Je crois que je n’irai pas emprunter celle de mon voisin.

Pancrace.

Je vous dis de quel idiôme, de quel langage ?

Sganarelle.

Ah ! c’est une autre affaire.

Pancrace.

Voulez-vous me parler italien ?

Sganarelle.

Non.

Pancrace.

Espagnol ?

Sganarelle.

Non.

Pancrace.

Allemand ?

Sganarelle.

Non.

Pancrace.

Anglois ?

Sganarelle.

Non.

Pancrace.

Latin ?

Sganarelle.

Non.

Pancrace.

Grec ?

Sganarelle.

Non.

Pancrace.

Hébreu ?

Sganarelle.

Non.

Pancrace.

Syriaque ?

Sganarelle.

Non.

Pancrace.

Turc ?

Sganarelle.

Non.

Pancrace.

Arabe ?

Sganarelle.

Non, non ; françois, françois.

Pancrace.

Ah ! françois !

Sganarelle.

Fort bien !

Pancrace.

Passez donc de l’autre côté ; car cette oreille-ci est destinée pour les langues scientifiques & étrangeres, & l’autre est pour la vulgaire & la maternelle.

Sganarelle.

Il faut bien des cérémonies avec ces sortes de gens-ci.

. . . . . . . . .

Ce bout de scene est encore une des selles à tous chevaux des Farceurs Italiens. Ils le lardent par-tout, & à propos de bottes bien souvent. Dans l’Arbre enchanté, canevas qu’on nous a donné l’année derniere, Arlequin l’a renouvellé. Il ne manque pas de faire les mêmes questions à celui qui l’interroge ; il le prend ensuite par le bout du nez, & le fait passer du côté destiné à la langue qu’il veut lui parler.

Pancrace.

Que voulez-vous ?

Sganarelle.

Vous consulter sur une petite difficulté.

Pancrace.

Ah ! ah ! Sur une difficulté de philosophie, sans doute ?

Sganarelle.

Pardonnez-moi, je...

Pancrace.

Vous voulez peut-être savoir si la substance & l’accident sont termes synonymes ou équivoques à l’égard de l’être ?

Sganarelle.

Point du tout... Je...

Pancrace.

Si la logique est un art ou une science ?

Sganarelle.

Ce n’est point cela. Je...

Pancrace.

Si elle a pour objet les trois opérations de l’esprit, ou la troisieme seulement ?

Sganarelle.

Non, je...

Pancrace.

S’il y a dix catégories ou s’il n’y en a qu’une ?

Sganarelle.

Point : je...

Pancrace.

Si la conclusion est de l’essence du syllogisme ?

Sganarelle.

Nenni, je...

Pancrace.

Si l’essence du bien est mise dans l’appétibilité ou dans la convenance ?

Sganarelle.

Non, je...

Pancrace.

Si le bien se réciproque avec la fin ?

Sganarelle.

Eh ! non : je...

Pancrace.

Si la fin nous peut émouvoir par son être réel ou par son être intentionnel ?

Sganarelle.

Non, non, non, non, non, de par tous les diables, non.

Pancrace.

Expliquez donc votre pensée ; car je ne puis la deviner.

Sganarelle.

Je vous la veux expliquer aussi ; mais il faut m’écouter.

Même lazzi, même bavardage dans la scene italienne ; avec la différence que lorsqu’Arlequin se déguise en Docteur pour la jouer, il ne manque pas, en faisant l’énumération des sciences, de demander à son interlocuteur s’il veut apprendre l’orthographe. C’est peut-être d’après cela que le Bourgeois Gentilhomme de Moliere veut que le Philosophe la lui montre.

. . . . . . . . .

. . . . . . . . .

Pancrace.

La parole a été donnée à l’homme pour expliquer ses pensées ; & tout ainsi que les pensées sont les portraits des choses, de même nos paroles sont-elles les portraits de nos pensées. (Sganarelle impatienté ferme la bouche du Docteur avec sa main à plusieurs reprises, & le Docteur continue de parler, d’abord que Sganarelle ôte sa main.) Mais ces portraits different des autres portraits, en ce que les autres portraits sont distingués par-tout de leurs originaux, & que la parole enferme en soi son original, puisqu’elle n’est autre chose que la pensée expliquée par un signe extérieur ; d’où vient que ceux qui pensent bien sont aussi ceux qui parlent le mieux. Expliquez-moi donc votre pensée par la parole, qui est le plus intelligible de tous les signes.

Sganarelle pousse le Docteur dans sa maison, & tire la porte pour l’empêcher de sortir.

Peste de l’homme !

Pancrace, au-dedans de sa maison.

Oui, la parole est animi index & speculum ; c’est le truchement du cœur, c’est l’image de l’ame. (Il monte à la fenêtre & continue.) C’est un miroir qui nous représente naïvement les secrets les plus arcanes de nos individus ; & puisque vous avez la faculté de ratiociner & de parler tout ensemble, à quoi tient-il que vous ne vous serviez de la parole pour me faire entendre votre pensée ?

Sganarelle.

C’est ce que je veux faire ; mais vous ne voulez pas m’écouter.

Pancrace.

Je vous écoute, parlez.

Sganarelle.

Je dis donc, Monsieur le Docteur, que...

Pancrace.

Mais sur-tout soyez bref.

Sganarelle.

Je le serai.

Pancrace.

Evitez la prolixité.

Sganarelle.

Hé ! Monsi...

Pancrace.

Tranchez-moi votre discours d’un apophtegme à la laconienne.

Sganarelle.

Je vous...

Pancrace.

Point d’ambages, de circonlocution.

(Sganarelle, de dépit de ne point parler, ramasse des pierres pour lui en casser la tête.)

. . . . . . . . .

. . . . . . . . .

Enfin, sans prendre la peine de copier toute la scene de Moliere, il suffit de savoir que Pancrace impatiente encore Sganarelle en voulant lui prouver, par raisons démonstratives & convaincantes & par arguments in barbara, qu’il n’est qu’une pécore de s’emporter contre le Docteur Pancrace, homme de suffisance, de capacité ; homme consommé dans toutes les sciences naturelles, morales & politiques ; homme savant, savantissime, per omnes modos & casus ; homme qui possede Fable, Mythologie, Histoire, Grammaire. Là-dessus il lui fait une énumération de sciences qui ne finit point. On ne peut pas dire que tout soit exactement copié de l’italien, puisque la scene italienne n’est pas écrite, & que chaque Docteur la remplit à sa fantaisie ; mais le fond est le même pour la coupe & pour les lazzis. Lorsqu’Arlequin la joue sous le déguisement du Docteur, il ajoute ordinairement, pour se faire respecter : « Savez-vous ce que c’est qu’un Docteur ? tout ce qu’un homme a été obligé de faire avant que d’être Docteur ? Il faut qu’il sache lire & écrire ; pour lire & écrire, il faut connoître les lettres ; pour connoître les lettres, il faut aller à l’école ; pour aller à l’école, il faut marcher ; pour marcher, il faut des jambes ; pour avoir des jambes & leur donner la force d’agir, il faut manger ; pour manger, il faut avoir une bouche ; pour avoir une bouche, il faut vivre ; pour vivre, il faut naître ; pour naître il faut sortir du sein de sa mere ; pour sortir du sein de sa mere, il faut être engendré ; pour être engendré, il faut avoir un pere ». On lui ferme la bouche à plusieurs reprises, & on le chasse24.

Une aventure réelle, arrivée quelque temps avant la représentation du Mariage forcé, donna à cette piece une vogue singuliere. On dit dans le temps, que Moliere avoit composé l’intrigue de sa piece d’après cette même aventure. Voici comme on la rapporte.

Le fameux Comte de Gramont, pendant son séjour à la Cour d’Angleterre, avoit fort aimé Mademoiselle Hamilton. Leurs amours avoient même fait du bruit, & il repassoit en France sans avoir conclu avec elle. Les deux freres de la Demoiselle le joignirent à Douvres, dans le dessein de faire avec lui le coup de pistolet. Du plus loin qu’ils l’apperçurent, ils lui crierent : Comte de Gramont, Comte de Gramont, n’avez-vous rien oublié à Londres ? Pardonnez-moi, répondit le Comte, j’ai oublié d’épouser votre sœur, & j’y retourne avec vous pour finir cette affaire.

L’histoire du Comte de Gramont peut avoir rappellé à Moliere l’intrigue italienne, & lui avoir fait naître l’idée de la transporter sur son théâtre ; mais voilà tout.