(1772) De l’art de la comédie. Livre quatrième. Des imitateurs modernes (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE IX. M. PALISSOT. » pp. 297-316
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(1772) De l’art de la comédie. Livre quatrième. Des imitateurs modernes (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE IX. M. PALISSOT. » pp. 297-316

CHAPITRE IX.
M. PALISSOT.

Mis à côté de Lacroix, d’un Auteur Anglois, de celui des Mille & une Nuits, de Moliere, d’Aristophane, &c.

LES TUTEURS, en trois actes & en vers.

Avant-scene. Julie, par la mort de son pere, est passée sous la domination de trois tuteurs. L’un est antiquaire ; le second, nouvelliste ; le dernier, grand amateur des voyageurs. Julie aime Damis ; mais comme elle ne peut lui donner la main sans le consentement de ses trois tuteurs, elle a peur que son amant ne puisse réunir leurs suffrages.

Acte I. Les amants sont fort embarrassés pour faire approuver leurs feux par trois originaux. Marton peint à Damis leurs différentes manies, lui conseille de les flatter toutes l’une après l’autre : il sort. Les Tuteurs viennent proposer trois partis à leur pupille : l’un veut lui donner un antiquaire ; l’autre, un nouvelliste ; le troisieme, un voyageur. Elle les refuse. Les Tuteurs sont très en colere, & se querellent.

Acte II. Damis & Crispin son valet, ridiculement habillés, jouent auprès du premier Tuteur les rôles d’antiquaires. Ils lui montrent une lanterne qu’ils prétendent être celle de Diogene. Le Tuteur, enchanté de ce morceau rare, offre à Damis de le troquer contre sa pupille, & lui signe un dédit. Le Tuteur nouvelliste paroît ensuite. Damis lui fait sa cour, en lui montrant une lettre qui lui vient, dit-il, du Mogol, & qui lui est adressée par le grand Eunuque noir. Bavardin charmé lui promet sa pupille, & lui donne son suffrage par écrit.

Acte III. Dans l’entr’acte Damis s’est présenté au dernier Tuteur comme un voyageur fameux. Il a confondu un autre faux voyageur qui prétendoit à la main de Julie. Géronte vient sur la scene remercier Damis de l’avoir débarrassé d’un fourbe, admire le fruit qu’il a retiré de ses voyages, & lui donne par écrit son consentement pour épouser Julie. Alors Damis se démasque, avoue qu’il n’est ni antiquaire, ni nouvelliste, ni voyageur. Les trois Tuteurs sont furieux32.

Ressemblance dans le fond du sujet & de l’intrigue.

Précis de l’Amant Prothée, comédie en trois actes, en prose, par M. Lacroix33.

Lélio est amoureux d’Isabelle, fille de M. Baroquin. Ce dernier ne veut pas unir les deux amants, parcequ’il est l’ennemi mortel du pere de Lélio ; il donneroit plutôt sa fille au premier homme qui se présenteroit. Entre plusieurs prétendants, il nomme un certain Crispin grand rodomont ; un Musicien, Maître d’Opéra, nommé M. Dessonates ; un Docteur, & un riche Vénitien. Lélio joue ces quatre rôles différents. Le dernier lui réussit.

Ressemblance dans les caracteres.

M. Palissot parle. « Qu’il y a loin d’une petite piece presque sans nœud & sans intrigue, dont le dénouement est prévu dès les premieres scenes : qu’il y a loin, dis-je, de cet essai à la perfection de l’art ! Vous savez, Madame, qu’une comédie angloise fort irréguliere (comme le sont la plupart des drames d’une nation d’ailleurs si riche) m’a fourni les caracteres que j’ai peints, & qui sont presque étrangers à nos mœurs ».

Ressemblance dans les détails.

LES TUTEURS. Acte II. Scene V.

Damis.

Cette lettre,
Que dans le moment même on vient de me remettre,
En est un sûr garant.

Bavardin.

Monsieur, peut-on la voir ?

Crispin.

Lisez ; elle est, Monsieur, du grand Eunuque noir.

Bavardin.

Mais je n’y comprends rien ; & plus je l’examine...

Crispin.

Quoi ! vous n’entendez pas cette langue divine ?

Bavardin.

Non, vraiment.

Crispin.

Ecoutez : A bon mulah maki,
Salamalec sierac. Cela veut dire :
« Le souffle empoisonné de la guerre sanglante
« A porté dans nos murs la mort & l’épouvante.
« Notre grand Empereur ne s’en alarme pas ;
« Il a pour lui nos vœux & l’ange des combats.

Bavardin.

Quoi ! dans ces quatre mots ?...

Damis.

Monsieur, il les explique
Très littéralement. Cette langue énergique
En dit plus en deux mots que la nôtre dans dix.
. . . . . . . . .
. . . . . . . . . .

LE BOURGEOIS GENTILHOMME.
Acte IV. Scene VI.

CLÉONTE en Turc, TROIS PAGES portant la veste de Cléonte, M. JOURDAIN, COVIELLE.

Cléonte.

Ambousahim oqui boraf, Giourdina, salamalequi.

Covielle, à M. Jourdain.

C’est-à-dire : Monsieur Jourdain, votre cœur soit toute l’année comme un rosier fleuri. Ce sont façons de parler obligeantes de ce pays-là.

M. Jourdain.

Je suis très humble serviteur de Son Altesse Turque.

Covielle.

Carigar Camboto oustin moraf.

Cléonte.

Oustin yoc catamalequi basum base alla moran.

Covielle.

Il dit que le Ciel vous donne la force des lions & la prudence des serpents.

M. Jourdain.

Son Altesse Turque m’honore trop ; & je lui souhaite toutes sortes de prospérités.

Covielle.

Ossa binamen sadoc baballi oracaf ouram.

Cléonte.

Bel-men.

Covielle.

Il a dit que vous alliez vîte avec lui vous préparer pour la cérémonie, afin de voir ensuite votre fille, & de conclure le mariage.

M. Jourdain.

Tant de choses en deux mots ?

Covielle.

Oui, la langue turque est comme cela ; elle dit beaucoup en peu de paroles. Allez vîte où il souhaite.

LE BARBIER DE BAGDAD,
Facétie en un acte, en prose.

Almanzor est amoureux de Zulime fille du Cadi. Le chagrin de ne pouvoir parler à l’objet de son amour l’a réduit à l’extrémité. Il est convalescent. Voilà l’avant-scene.

 

Fatmé a parlé d’Almanzor à Zulime ; elle lui a peint sa tendre langueur ; elle l’annonce à l’amant, qui lui donne sa bourse & ses bijoux, en la priant de revoir Zulime, & de l’attendrir en sa faveur.

Arlequin arrive la tête pleine d’un conte qu’un barbier lui a fait ; &, tandis que son maître lui parle de sa passion, il ne rêve qu’aux particularités du conte. Il est sur-tout charmé de cette tortue aux écailles dorées qui monte sur un éléphant volant.

Fatmé annonce à Almanzor qu’elle l’introduira chez Zulime dès que le Bailli sera sorti. Elle rit de la figure d’Arlequin, & trouve le singe de Zulime plus joli.

Almanzor demande un barbier ; Arlequin va chercher le barbier qui l’a fait rire avec son conte.

Almanzor peste contre la lenteur du barbier.

Arlequin & le Barbier arrivent. Le dernier impatiente Almanzor par mille questions, se souvient qu’il n’a pas ses rasoirs sur lui ; il va les chercher.

Almanzor s’impatiente. Arlequin lui dit que le Barbier sera bientôt de retour.

Le Barbier revient, passe gravement une serviette au cou d’Almanzor, & s’approche comme pour commencer : mais tout-à-coup il quitte ses rasoirs, ouvre une fenêtre, prend son astrolabe, consulte les astres, trouve l’heure très propice pour faire la barbe, vante son savoir, fait l’énumération des sciences qu’il possede, & veut absolument accompagner Almanzor par-tout où il ira. Il sort pour se parer.

Almanzor se félicite d’être débarrassé d’un importun. Arlequin exhorte son maître à ne point partir sans le Barbier. Almanzor le menace ; il fuit.

Almanzor se présente devant la maison de Zulime ; la porte s’ouvre : il la ferme bien vîte au nez du Barbier qui accourt pour entrer avec lui.

Le Barbier se doute qu’Almanzor est amoureux de Zulime. Il voit venir le Cadi : il tremble pour les amants.

Le Barbier arrête le Cadi sous prétexte de lui porter plainte contre un homme qui lui a volé sa provision : il accuse Arlequin du vol.

Arlequin paroît. Le Cadi lui fait donner la bastonnade.

Le Barbier prie Arlequin de lui pardonner le traitement qu’il vient de recevoir, lui dit pour quelle raison il le lui a procuré : ils entendent du bruit chez le Cadi ; ils sont alarmés, & frappent à coups redoublés.

Le Cadi est attiré par le tapage qu’on fait à sa porte. Arlequin & le Barbier lui demandent Almanzor. Ce dernier leur fait en vain des signes de la fenêtre, ils soutiennent toujours que le Cadi fait assassiner leur maître.

Almanzor se montre au Cadi, & lui avoue son amour.

Zulime vient se jetter aux pieds de son pere, pour le prier de l’unir avec Almanzor : le Cadi donne son consentement, & l’officieux Barbier va tout disposer pour les apprêts de la noce.

Avertissement de M. Palissot, ou de l’Editeur.

« Le sujet de cette bagatelle est tiré des Contes Arabes, connus sous le nom des Mille & une Nuits. C’est une des meilleures histoires du livre, & peut-être la gaieté françoise n’a-t-elle rien imaginé de plus comique dans ce genre.

« Le personnage d’Arlequin est le seul qui soit de l’invention de l’Auteur ; il parut se soutenir à côté du rôle principal : l’entreprise n’étoit pas aisée ; on ne appelle à tous ceux qui ont lu le Conte. Le reste de la piece n’est que le sujet même mis en dialogue : on a cru devoir conserver jusqu’aux expressions, qui dans l’original sont en effet aussi plaisantes qu’elles puissent l’être ».

LES PHILOSOPHES, en trois actes, en vers.
Extrait de la Piece.

Avant-Scene. Cidalise a promis Rosalie sa fille à Damis, jeune Officier ; mais elle s’est depuis entêtée de la philosophie, & veut donner Rosalie à Valere, Philosophe.

Acte I. Damis est surpris du changement de Cidalise : Marton lui apprend que sa maîtresse est éprise du bel esprit, qu’elle en est ensorcelée, & veut en conséquence marier sa fille avec Valere : elle lui dit pourtant d’espérer, & lui promet de s’armer en sa faveur contre la philosophie.

Rosalie paroît, dit à Damis que son cœur est toujours à lui. Marton exhorte l’amant à se retirer pour qu’on ne le surprenne pas avec son amante, & lui conseille d’aller voir Cidalise.

Marton exhorte Rosalie à parler avec fermeté à sa mere. Rosalie le promet, & tremble au seul nom de Cidalise.

Cidalise entre sur la scene en ordonnant à Marton d’aller renfermer son Platon.

La mere avoue à sa fille qu’elle ne l’aime pas précisément parcequ’elle est sa fille, mais en qualité d’être 34. Rosalie lui parle de son amour, lui représente que son pere, avant que de mourir, avoit projetté de l’unir à Damis. Cidalise a beaucoup de mépris pour les dernieres volontés d’un homme qui n’étoit qu’un sot, & ordonne à sa fille d’accepter Valere, qui, non content de l’aimer, saura la conduire. Elle l’exhorte encore à lire un livre de sa composition intitulé les Devoirs tels qu’ils sont. Elle quitte la scene.

Rosalie déplore son sort. Marton, qui a tout entendu, paroît, la console, lui promet de la servir, & jure que la philosophie ne tiendra pas contre Crispin, Marton & l’Amour.

Acte II. Valere a fait entrer chez Cidalise, en qualité de Philosophe & de Secrétaire, sous le nom de Carondas, un valet nommé Frontin. Il dévoile à ce gredin le mépris qu’il a pour Cidalise, l’adresse qu’ont les Philosophes d’insérer des traits hardis dans les ouvrages qu’ils dictent à la vieille folle, & qu’elle croit composer. Il lui dit sur-tout que l’intérêt doit seul guider les gens d’esprit, & que tous les biens sont communs. Carondas profite de l’avis, & vole Valere qui s’en apperçoit, & lui conseille d’être plus adroit s’il veut éviter certains accidents fâcheux.

Carondas, seul, dit qu’il est malheureux dans son coup d’essai.

Cidalise cherche une préface pour mettre à la tête de son ouvrage, essaie plusieurs tournures, brusque son Secrétaire à mesure qu’elle est mécontente d’elle-même, & s’arrête à cette idée : Jeune homme, prends & lis.

On annonce Damis. Cidalise trouve qu’il prend mal son temps.

Damis essaie en vain de combattre la prévention de Cidalise pour les Philosophes, elle le quitte en lui protestant qu’il n’aura pas sa fille.

Crispin accourt pour savoir si Damis son maître a fléchi Cidalise. Il le voit au désespoir, lui propose d’enlever Rosalie, de faire peur à Valere ; il s’arrête enfin au projet de supplanter ce dernier. Il a jadis été copiste d’un Philosophe, & compte en imposer à Cidalise comme un autre.

Marton annonce à Damis une bonne nouvelle, elle l’entraîne pour lui dire ce que c’est.

Acte III. Marton a surpris sur la table de Carondas un billet qui doit dissuader Cidalise sur le compte des Philosophes. Crispin se charge de le porter dès que les Philosophes seront assemblés. Il part avec son maître.

Les Philosophes paroissent, Marton sort pour les annoncer.

Les Philosophes félicitent Valere sur son mariage. Il avoue qu’il n’aime point Rosalie, qu’il épouse son bien, qu’elle donne sa main de très mauvaise grace, mais qu’il s’en moque. On parle des ouvrages de Cidalise. Valere méprise celui qui a pour titre les Devoirs des Rois ; Théophraste l’estime parcequ’il en est secrètement l’auteur. Ils se querellent, sont prêts à se battre, on les sépare.

Cidalise a, dit-elle, entendu qu’on se disputoit, elle demande à quel sujet ; on lui persuade que Théophraste la comparoit à Aspasie, & que Valere trouvoit la comparaison indigne d’elle.

Cidalise demande s’il y a quelque nouvelle. On s’occupe du projet de faire réussir le comique larmoyant. On parle d’un Auteur qui doit jouer les Philosophes dans une Comédie. Un Colporteur arrive. Le Colporteur propose plusieurs livres dont on fait l’éloge ou la critique.

Cidalise a retenu le Discours sur l’Inégalité, & goûte d’avance le plaisir de relire son livre favori.

Marton annonce un Philosophe.

Crispin paroît marchant à quatre pattes, & mangeant une laitue ; il prouve sa philosophie en se renfermant dans la vie animale.

Carondas vient & se trouble en reconnoissant Crispin. Celui-ci donne à Cidalise la lettre qu’on a trouvée chez Carondas, elle est de l’écriture de Valere ; Cidalise la lit : « Je te renvoie, mon cher Frontin, ce recueil d’impertinences que Cidalise appelle son livre : continue de flatter cette folle, à qui ton nom savant en impose. Théophraste & Dortidius viennent de me communiquer un projet excellent qui achevera de lui tourner la tête, & pour lequel tu nous seras nécessaire. Ses ridicules, ses travers, ses ... ». Cidalise n’acheve point & chasse tous les Philosophes.

Damis paroît, Cidalise couronne ses vœux en abjurant les sentiments que les Philosophes lui avoient inspirés. Marton épouse Crispin. La piece finit par ces deux vers :

Des sages de nos jours nous distinguons les traits :
Nous démasquons les faux, & respectons les vrais.

Ressemblance dans le fond de la Fable.

Le fond de la Fable des Philosophes ressemble fort, si je ne me trompe, à celui des Femmes Savantes. Cidalise veut donner sa fille à un homme qui flatte sa manie : Philaminte a la même foiblesse. Rosalie déteste le parti que sa mere lui présente, elle aime Damis : Henriette a la tendresse la plus vive pour Clitandre, & la haine la plus décidée pour Trissotin. Le pere de Rosalie vouloit avant sa mort marier sa fille avec Damis : Chrisale, vivant, veut unir sa fille avec Clitandre. Cidalise méprise les volontés de son époux : Philaminte a le même dédain pour celles de son mari. On fait revenir Cidalise en démasquant son héros à ses yeux : on change Philaminte en lui faisant connoître le sien. Cidalise bannit le Philosophe pour couronner les vœux de Damis : Philaminte est charmée d’être débarrassée de Trissotin, & prend Clitandre pour gendre. La seule différence qu’il y ait entre ces deux pieces, du moins quant au fond, la voici. Dans les Femmes savantes, Trissotin, croyant Kenriette ruinée, se retire : dans les Philosophes ainsi que dans le Méchant de M. Gresset, on démasque le héros en montrant des horreurs écrites de sa propre main contre la personne qui faisoit tout pour lui, & on le chasse ignominieusement.

Ressemblance dans les Caracteres.

Cidalise est entêtée de philosophie & de bel esprit, comme la Philaminte des Femmes Savantes : l’une & l’autre font des livres. Rosalie échappe, comme Henriette, à l’enthousiasme qui regne dans sa maison pour les choses spirituelles, & se rabaisse aux temporelles. Cidalise peint ainsi son époux :

Votre pere ! Il est vrai que je n’y songeois guere.
Plaisante autorité que la sienne, en effet !
L’être le plus borné que la nature ait fait :
Nul talent, nul essor, espece de machine,
Allant par habitude, & pensant par routine ;
Ayant l’air de rêver, & ne songeant à rien ;
Gravement occupé du détail de son bien,
Et de mille autres soins purement domestiques.

Ce portrait est presque celui du bon-homme Chrisale. Damis pense & raisonne sur les Philosophes qui ont séduit Cidalise, & sur leur science, précisément comme Clitandre sur Trissotin & ses écrits. Enfin Valere n’a-t-il pas la fausse philosophie de Trissotin ? N’a-t-il pas son avarice, puisqu’il s’introduit chez Cidalise & la flatte bassement pour avoir le bien de sa fille ? N’a-t-il pas son peu de délicatesse, ou plutôt sa lâcheté, puisqu’il s’embarrasse peu de posséder le cœur de son épouse, pourvu qu’il jouisse de sa fortune ? Le héros des Femmes Savantes & celui des Philosophes seroient, je pense, tout-à-fait ressemblants, si Valere n’avoit en même temps & les traits de Trissotin & ceux du Méchant.

Ressemblance dans les Scenes.

LES FEMMES SAVANTES. Acte III. Scene V.

. . . . . . . . .

Trissotin, à Vadius.

Avez-vous vu certain petit sonnet
Sur la fievre qui tient la Princesse Uranie ?

Vadius.

Oui ; hier il me fut lu dans une compagnie.

Trissotin.

Vous en savez l’auteur ?

Vadius.

Non : mais je sais fort bien
Qu’à ne le point flatter, son sonnet ne vaut rien.

Trissotin.

Beaucoup de gens pourtant le trouvent admirable.

Vadius.

Cela n’empêche pas qu’il ne soit misérable.
Et, si vous l’avez vu, vous serez de mon goût.

Trissotin.

Je sais que là-dessus je n’en suis point du tout,
Et que d’un tel sonnet peu de gens sont capables.

Vadius.

Me préserve le Ciel d’en faire de semblables !

Trissotin.

Je soutiens qu’on ne peut en faire de meilleur ;
Et ma grande raison, c’est que j’en suis l’auteur.

Vadius.

Vous ?

Trissotin.

Moi.

Vadius.

Je ne sais donc comment se fit l’affaire.

Trissotin.

C’est qu’on fut malheureux de ne pouvoir vous plaire.

Vadius.

Il faut qu’en écoutant j’aie eu l’esprit distrait,
Ou bien que le lecteur m’ait gâté le sonnet.
Mais laissons ces discours, & voyons ma ballade.

Trissotin.

La ballade, à mon goût, est une chose fade :
Ce n’en est plus la mode ; elle sent son vieux temps.

Vadius.

La ballade pourtant charme beaucoup de gens.

Trissotin.

Cela n’empêche pas qu’elle ne me déplaise.

Vadius.

Elle n’en reste pas pour cela plus mauvaise.

Trissotin.

Elle a pour les pédants de merveilleux appas.

Vadius.

Cependant nous voyons qu’elle ne vous plaît pas.

Trissotin.

Vous donnez sottement vos qualités aux autres.

(Ils se levent tous deux.)

Vadius.

Fort impertinemment vous me jettez les vôtres.

Trissotin.

Allez, petit grimaud, barbouilleur de papier.

Vadius.

Allez, rimeur de balle, opprobre du métier.

Trissotin.

Allez, frippier d’écrits, impudent plagiaire.

Vadius.

Allez, cuistre...

Philaminte, à Vadius.

Hé ! Messieurs, que prétendez-vous faire ?

Trissotin, à Vadius.

Va, va restituer tous les honteux larcins
Que réclament sur toi les Grecs & les Latins.

Vadius.

Va, va-t’en faire amende honorable au Parnasse,
D’avoir fait à tes vers estropier Horace.

Trissotin.

Souviens-toi de ton livre & de son peu de bruit.

Vadius.

Et toi, de ton Libraire à l’hôpital réduit.

Trissotin.

Ma gloire est établie, en vain tu la déchires.

Vadius.

Oui, oui, je te renvoie à l’Auteur des Satyres.

Trissotin.

Je t’y renvoie aussi.

Vadius.

J’ai le contentement
Qu’on voit qu’il m’a traité plus honorablement.
Il me donne en passant une atteinte légere
Parmi plusieurs Auteurs qu’au Palais on révere :
Mais jamais dans ses vers il ne te laisse en paix,
Et l’on t’y voit par-tout être en bute à ses traits.

Trissotin.

C’est par-là que j’y tiens un rang plus honorable.
Il te met dans la foule ainsi qu’un misérable :
Il croit que c’est assez d’un coup pour t’accabler,
Et ne t’a jamais fait l’honneur de redoubler.
Mais il m’attaque à part comme un noble adversaire,
Sur qui tout son effort lui semble nécessaire ;
Et ses coups contre moi redoublés en tous lieux,
Montrent qu’il ne se croit jamais victorieux.

Vadius.

Ma plume t’apprendra quel homme je puis être.

Trissotin.

Et la mienne saura te faire voir ton maître.

Vadius.

Je te défie en vers, prose, grec & latin.

Trissotin.

Hé bien, nous nous verrons seul à seul chez Barbin.

LES PHILOSOPHES. Acte III. Scene III.

. . . . . . . . .

Théophraste, à Valere.

Connois-tu son discours sur les devoirs des Rois ?

Valere.

Ah ! ne m’en parle pas, je l’ai relu vingt fois :
Il falloit à toute heure essuyer cet orage.

Dortidius, sérieusement.

Entre nous, cependant c’est son meilleur ouvrage.
Le crois-tu de sa main ?

Valere.

Bon ! tu veux plaisanter.

Dortidius, toujours sérieusement.

Non, d’honneur, il me plaît.

Valere.

Et tu peux t’en vanter ?

Dortidius.

Je te dis qu’il est bien, mais très bien.

Valere.

Tu veux rire.
C’est une absurdité qui va jusqu’au délire.

Dortidius.

Si j’en pensois ainsi, je le dirois très bas.

Valere.

Va, ton air sérieux ne m’en impose pas.

Dortidius, fâché.

Enfin, Monsieur décide, & chacun doit se taire.

Valere.

Mais, au ton que tu prends, je t’en croirois le pere.

Dortidius.

Hé bien, s’il étoit vrai...

Valere.

Ma foi, tant pis pour toi.

Dortidius, plus fâché.

Mais, mon petit Monsieur...

Valere.

Je suis de bonne foi.

Dortidius.

Je pourrois en venir à des vérités dures.

Valere.

Toujours, quand on a tort, on en vient aux injures.

Dortidius.

Vous me poussez à bout.

Valere.

Et j’en ris, qui plus est.

Dortidius, furieux.

Ah ! c’en est trop enfin.

Théophraste.

Eh ! Messieurs, s’il vous plaît.

Dortidius.

Plaisant original pour me rompre en visiere.

Théophraste, se mettant entre eux.

Messieurs, n’imitons pas les pédants de Moliere.
Permettez-moi tous deux de vous mettre d’accord.

Valere.

Moi, j’ai raison.

Théophraste, à Valere.

Sans doute.

Dortidius.

Et moi, je n’ai pas tort.

Théophraste, à Dortidius.

Vraiment non. Mais enfin on pourroit vous entendre,
Et déja Cidalise auroit pu nous surprendre.

Dortidius.

L’estime qui toujours devroit nous animer...

Théophraste.

Il n’est pas question, Messieurs, de s’estimer :
Nous nous connoissons tous : mais du moins la prudence
Veut que de l’amitié nous gardions l’apparence.
C’est par ces beaux dehors que nous en imposons ;
Et nous sommes perdus si nous nous divisons.
Il faut bien se passer certaines bagatelles.
Tenez, on vient à nous : oubliez vos querelles.

On a vu, dans les Fourberies de Scapin, le héros exhorter Octave à soutenir avec fermeté l’abord de son pere. Octave promet, & tremble ensuite lorsqu’on annonce l’arrivée du vieillard. Nous avons dit à ce sujet, dans le troisieme volume, que la scene de Moliere étoit imitée du Phormion de Térence : celle qui suit leur ressemble un peu.

ACTE I. Scene III.

ROSALIE, MARTON.

Marton.

Vous, soyez sans foiblesse. Allons, point de langueur.
La fermeté, Madame, en impose au malheur.

Rosalie.

Si tu pouvois sentir combien je hais Valere !

Marton.

Oui, Damis sort d’ici. Mais c’est à votre mere
Qu’il importe sur-tout de parler avec feu.
Si vous aimez Damis, ce fut de son aveu :
Je le suppose au moins.

Rosalie.

Certainement.

Marton.

Les filles
Ne font rien, comme on sait, sans l’avis des familles :
C’est la regle. Il faut donc déclarer sans détour,
Pour l’un tous vos mépris, pour l’autre votre amour.

Rosalie.

Oh ! oui.

Marton.

Vous sentez-vous cette fermeté d’ame ?

Rosalie.

Assurément, Marton.

Marton, malignement.

Allons, j’entends, Madame.

Rosalie, effrayée.

Ah ! Marton...

Marton.

Comment donc ! c’est très bien débuter.
Cela promet.

Rosalie.

Aussi, pourquoi m’épouvanter ?
L’amour, dans le besoin, me rendra du courage.

Ressemblance dans le détail.

Dans le Tartufe, l’imposteur entre sur la scene en ordonnant à son valet de serrer sa haire avec sa discipline. Dans les Philosophes, Cidalise dit en paroissant :

                                              Retirez-vous, Marton,
Prenez mes clefs, allez, renfermez mon Platon.

Ressemblance dans l’intrigue.

M. Palissot va parler, ou bien son Editeur.

« L’Auteur révele aujourd’hui son secret : ce fut celui d’Aristophane dans la comédie des Nuées, & dans la plupart de ses pieces. Ce grand Poëte ne s’occupoit que foiblement de l’intrigue, & n’offroit pour l’ordinaire aux spectateurs qu’un objet indéterminé ».

Nous avons dit dans le second volume de cet Ouvrage, Chapitre XV, à quoi ressemblent le Rival par ressemblance, & l’Homme dangereux : ajoutons que le héros de cette derniere piece ressemble beaucoup au Méchant, au Complaisant, & l’intrigue à celle des Philosophes.