(1772) De l’art de la comédie. Livre quatrième. Des imitateurs modernes (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE XI. M. SAURIN. » pp. 333-353
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(1772) De l’art de la comédie. Livre quatrième. Des imitateurs modernes (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE XI. M. SAURIN. » pp. 333-353

CHAPITRE XI.
M. SAURIN.

La Piece des Mœurs du Temps mise à côté de l’Ecole des Bourgeois, & Béverley à côté du Joueur Anglois.

[LES MŒURS DU TEMPS]

Précis des Mœurs du Temps.

Géronte, riche Financier, a une fille nommée Julie qu’il fait sortir du couvent pour la marier. Il amene Dorante à sa campagne, lui laissant espérer la main de Julie : mais bientôt ses réponses ne sont plus qu’équivoques. C’est ici que l’action commence. Dorante dit à Cidalise qu’il craint tout pour son amour. Cidalise lui reproche de n’avoir pas assez flatté Géronte, & surtout la Comtesse qui gouverne son bon-homme de frere, quoiqu’elle le méprise, & qui le fait consentir à tout ce qu’elle veut en feignant d’avoir des vapeurs dès qu’elle est contredite. Cidalise ajoute qu’elle soupçonne la Comtesse de lui enlever le Marquis & de vouloir se l’assurer en lui donnant sa niece. Pour en être certaine, elle feint de partir & vient le soir au bal de Géronte avec un domino pareil à celui de la Comtesse. Le Marquis, trompé par le déguisement, dit à Cidalise beaucoup de mal d’elle-même : elle se démasque, le Marquis feint de l’avoir reconnue & d’avoir voulu la punir du piege qu’elle lui tendoit. La Comtesse paroît, Cidalise la met à sa place : le Marquis croyant toujours parler, à cette derniere, persifle impitoyablement la Comtesse, qui est furieuse, & se fait connoître. D’un autre côté Géronte qui n’aime pas le Marquis, quoique celui-ci le flatte sur son opulence, qui déteste ses airs de Cour, qui craint de le voir bientôt mépriser sa fille, & qui ne consent au mariage que par foiblesse pour sa sœur, entend le Marquis disant à Cidalise : Quant au beau-pere, c’est un intendant que je prends, & un intendant d’espece nouvelle... D’ordinaire nos intendants nous ruinent, & je compte bien que ce sera moi qui ruinerai celui-ci. On le prie de se pourvoir d’un autre intendant. On donne Julie à Dorante, & le Marquis part en disant d’un ton de grandeur à Géronte : Monsieur, je vous baise bien les mains.

Une partie du fond de cette piece, de sa morale & de son intrigue, ressemble beaucoup au fond, à la morale & à l’intrigue de l’Ecole des Bourgeois, comédie en trois actes & en prose, de d’Allainval.

Précis de l’Ecole des Bourgeois.

Moncade, homme de Cour, & Marquis très ruiné, doit cent mille livres à Madame Abraham, veuve d’un banquier, très riche, & qui n’a qu’une fille nommée Benjamine. Moncade lorgne cette derniere, ou plutôt ses biens considérables, étale ses airs de grandeur auprès de la mere & de la fille, leur tourne la tête. On congédie Damis, amant & cousin de Benjamine. M. Mathieu, frere de Madame Abraham, homme de très bon sens & fort riche, entend parler du mariage extravagant que sa sœur va faire, accourt, lave la tête à Madame Abraham, à Benjamine, promet à Damis de le protéger, & se propose de relancer comme il faut M. le Marquis. Celui-ci paroît, fait tant de politesses à son cher oncle, l’accable de tant d’honnêtetés, lui demande son amitié avec une vérité si apparente, toujours en se moquant de lui, que le cher oncle devient son plus grand partisan ; & le mariage va se conclure, quand le coureur du futur, chargé de deux lettres, l’une pour un Duc, l’autre pour Benjamine, fait un quiproquo. On prend la lettre, on l’ouvre sans regarder le dessus. On lit :

« Enfin, mon cher Duc, c’est ce soir que je m’encanaille ; ne manque pas de venir à ma noce, & d’y amener le Vicomte, le Chevalier, le Marquis, & le gros Abbé. J’ai pris soin de vous assembler un tas d’originaux qui composent la noble famille où j’entre. Vous verrez premiérement ma belle-mere Madame Abraham : vous connoissez tous, pour votre malheur, cette vieille folle37. Vous verrez ma petite future Mademoiselle Benjamine, dont le précieux vous fera mourir de rire. Vous verrez mon très honoré oncle M. Mathieu, qui a poussé la science des nombres jusqu’à savoir combien un écu rapporte par quart d’heure. Enfin vous y verrez un Commissaire, un Notaire, une accolade de Procureurs. Venez vous réjouir aux dépens de ces animaux-là, & ne craignez point de les trop berner ; plus la charge sera forte, & mieux ils la porteront. Ils ont l’esprit le mieux fait du monde, & je les ai mis sur le pied de prendre les brocards des gens de Cour pour des compliments. A ce soir, mon cher Duc. Je t’embrasse. »

Le Marquis de Moncade.

Le Coureur s’apperçoit de sa méprise, vient reprendre la lettre, la porte à son adresse. Moncade paroît avec tous ses amis : ils accablent de railleries la famille de Madame Abraham : ils signent le contrat. Après cela les parents de la future prennent leur revanche, disent à Moncade que lui & ses amis viennent de signer le contrat de mariage de Damis. Le Marquis, un peu surpris, se remet, & dit :

Parbleu, mes amis, voilà une royale femme que Madame Abraham ! Je ne connoissois pas encore toutes ses bonnes qualités. Je m’oubliois, je me deshonorois, j’épousois sa fille : elle a plus soin de ma gloire que moi-même : elle m’arrête au bord du précipice. Ah ! embrassez-moi, bonne femme ; je n’oublierai jamais ce service. Mais vous paierez le dédit, n’est-ce pas ?

Mad. Abraham.

Il le faut bien, puisque j’ai été assez sotte pour le faire. Monsieur, je vous rendrai, pour m’acquitter, les billets que j’ai à vous.

Le Marquis.

Ah ! Madame Abraham, vous me donnez là de mauvais effets. Composons à moitié de profit argent comptant.

M. Mathieu.

Non, Monsieur ; c’est assez perdre.

Le Marquis.

Adieu, Madame Abraham. Adieu, Mademoiselle Benjamine. Adieu, Messieurs. Adieu, Maître Damis : épousez, épousez, je le veux bien. Allons, allons, mes amis, allons souper chez Payen.

Dans l’une & l’autre de ces pieces, les deux Marquis ont avec leur intendant une scene où il est question de signer un écrit où l’on parle beaucoup de créanciers, & où la négligence des Grands pour leurs affaires & leur penchant à se laisser voler sont bien peints.

Acte II. Scene II.

LE MARQUIS, M. POT-DE-VIN.

Le Marquis.

Eh bien, qu’est-ce ? qu’y a-t-il de nouveau, Monsieur Pot-de-vin ? Quoi ! me venir relancer jusqu’ici ? En vérité, vous êtes un terrible homme, un homme étrange, un homme éternel, une furie attachée à mes pas ! Çà, parlez donc, que voulez-vous ? qui vous amene ?

Pot-de-vin.

Monsieur le Marquis, c’est par votre ordre que je viens ici.

Le Marquis.

Par mon ordre ? Ah ! oui, à propos, vous avez raison ; c’est moi qui vous l’ai ordonné : je n’y pensois pas, je l’avois oublié, j’ai tort. Monsieur Pot-de-vin, c’est ce soir que je me marie.

Pot-de-vin.

Monsieur le Marquis, je le sais.

Le Marquis.

Vous le savez donc ? Et tout est-il prêt pour la cérémonie ? Mes équipages ?...

Pot-de-vin.

Oui, Monsieur le Marquis.

Le Marquis.

Mes carrosses sont-ils bien magnifiques ?

Pot-de-vin.

Oui, Monsieur le Marquis : mais le Carrossier...

Le Marquis.

Bien dorés ?

Pot-de-vin.

Oui, Monsieur le Marquis : mais le Doreur...

Le Marquis.

Bien brillants ?

Pot-de-vin.

Oui, Monsieur le Marquis : mais le Sellier...

Le Marquis.

Ma livrée bien riche, bien leste, bien chamarrée ?

Pot-de-vin.

Oui, Monsieur le Marquis : mais le Tailleur, le Marchand de galon...

Le Marquis.

Le Tailleur, le Marchand de galon, le Doreur, le diable : qui sont tous ces animaux-là ?

Pot-de-vin.

Ce sont ceux...

Le Marquis.

Je ne les connois point, & je n’ai que faire de tous ces gens-là. Voyez, voyez avec eux & avec Mad. Abraham.

Pot-de-vin.

Mais, Monsieur le Marquis...

Le Marquis.

Oui, voyez avec eux. N’entendez-vous pas le françois ? cela n’est-il pas clair ? Arrangez-vous, ce sont vos affaires.

Pot-de-vin.

Avec la permission de Monsieur le Marquis...

Le Marquis.

Avec ma permission ! M. Pot-de-vin, vous êtes mon intendant, je vous ai pris pour faire mes affaires. N’est-il pas vrai que si je voulois prendre la peine de m’en mêler moi-même, vous me seriez inutile, & que je serois fou de vous payer de gros gages ? Vous savez que je suis le meilleur maître du monde ; j’en passe par-tout où il vous plaît ; je signe tout ce que vous voulez, & aveuglément ; je ne chicane sur rien : du moins, usez-en de même avec moi ; laissez-moi vivre, laissez-moi respirer.

Pot-de-vin, tirant un papier de sa poche.

Monsieur le Marquis, voici mon dernier mémoire que je vous prie d’arrêter.

Le Marquis.

Vous continuez de me persécuter ! Arrêter un mémoire ici ! Est-ce le temps ? le lieu ? Eh ! nous le verrons une autre sois.

Pot-de-vin.

Il y a une semaine que vous me remettez de jour à autre. Je n’ai que deux mots.

Le Marquis.

Voyons donc : il faut me défaire de vous.

Pot-de-vin lit.

« Mémoire des frais, mises & avances faits pour le service de Monsieur de Moncade, par moi Pierre Roch Pot-de-vin, Intendant de mondit Sieur le Marquis.

Le Marquis.

Ah ! laisse-là ce maudit préambule.

(Il se jette dans un fauteuil.)

Pot-de-vin.

« Premiérement...

(Le Marquis siffle, & Pot-de-vin s’arrête.)

Le Marquis.

Continuez, continuez ; je vous écoute.

Pot-de-vin.

« Pour un petit dîner que j’ai donné au Procureur, à sa maîtresse, à sa femme & à son clerc, pour les engager à veiller aux affaires de Monsieur le Marquis, cent sept livres.

Le Marquis se leve & répete des pas de ballet.

Pot-de-vin.

« Item, pour avoir mené les susdits à l’Opéra, voiture, rafraîchissements y compris, soixante-huit livres onze sols six deniers.

Le Marquis chante.

C’est trop languir pour l’inhumaine ;
C’est trop, c’est trop...

Pot-de-vin.

Pardonnez-moi, Monsieur le Marquis, ce n’est pas trop ; en honnête homme, j’y mets du mien.

Le Marquis, riant.

Eh ! qui diable vous conteste rien, Monsieur Pot-de-vin ? Je n’y songe seulement pas. Quoi ! voulez-vous encore m’empêcher de chanter ? c’est une autre affaire. Achevez vîte.

Pot-de-vin.

« Item, pour avoir été parrain du fils de la femme du commis du secrétaire du Rapporteur de Monsieur le Marquis, cent livres. Item...

Le Marquis, lui arrachant son mémoire.

Eh ! morbleu, donnez. Item ! item ! quel chien de jargon me parlez-vous là ? Donnez ; j’ai tout entendu : j’arrête votre mémoire. Votre plume ? Voilà qui est fait. Dorénavant je serai obligé de vous faire une trentaine de blancs signés, que vous remplirez de vos comptes, afin de n’avoir plus la tête rompue de ces balivernes.

Passons à la scene des Mœurs du Temps, & l’on verra que, différente par la marche, le style & le dialogue, elle est tout-à-fait ressemblante par le fond.

Scene VII.

LE MARQUIS, M. DUMONT.

Le Marquis.

Eh bien, Monsieur, aurai-je de l’argent ?

M. Dumont.

Oui, Monsieur le Marquis, vous en aurez : mais...

Le Marquis.

Ah ! vous êtes un homme charmant, adorable !

M. Dumont.

Il faut auparavant signer ce papier : c’est une délégation sur....

Le Marquis signe sans lire.

Fort bien, fort bien.

M. Dumont.

Mais je ne puis, en honnête homme, m’empêcher de dire à Monsieur le Marquis qu’il se ruine, & que s’il ne met ordre à ses affaires...

Le Marquis.

Ah ! Monsieur l’honnête homme, volez-moi, pillez-moi, cela est dans l’ordre : mais ne m’ennuyez pas de vos remontrances. Je ne vous en fais pas, moi ; & je crois cependant que, de nous deux, celui qui a le plus de droit de se fâcher, ce n’est pas vous, Mons Dumont.

M. Dumont.

Monsieur le Marquis plaisante : mais on a une conscience, &...

Le Marquis.

Une conscience ! Là, regardez-moi sans rire, si vous le pouvez, Mons Dumont. La conscience d’un Intendant !

M. Dumont.

Eh ! mais... chacun a la sienne.

Le Marquis.

Oh çà, Monsieur l’Intendant, mettez la main sur la vôtre... puisque vous en avez une ; & convenez franchement que vous seriez bien fâché que je prisse plus garde à mes affaires : mais, parbleu, laissez-moi du moins la satisfaction de me ruiner gaiement, & sans y penser.

M. Dumont.

Ma foi, Monsieur, il n’est point agréable de se voir continuellement aboyé par une meute de créanciers.

Le Marquis.

Ne m’avez-vous pas fait arrêter leurs mémoires ?

M. Dumont.

Il est vrai.

Le Marquis.

De quoi se plaignent donc ces marauds-là ?

M. Dumont.

S’ils ne faisoient que se plaindre, patience ; ce seroit des plaintes perdues : mais ils refusent tout net de rien fournir davantage.

Le Marquis.

Ils ne savent donc pas que je me sacrifie pour eux, que je me marie... Il me semble que c’est assez bien m’exécuter.

M. Dumont.

J’avoue que votre mariage avec Cidalise...

Le Marquis.

Et si j’épousois la fille de ce logis, la petite Julie... Hem ?

M. Dumont.

Quoi ! Monsieur le Marquis ?..

Le Marquis.

Motus. La chose n’est pas encore sure, & jusqu’à ce qu’elle soit faite, le secret est nécessaire. Je veux, à tout événement, ménager Cidalise. (Il tire sa montre.) Il est près de cinq heures ; il doit être jour chez la Comtesse. Bon jour, Monsieur Dumont ; dites à mes créanciers que, s’ils se fâchent, je resterai garçon.

A toutes les représentations de cette piece, la conscience d’un intendant fait beaucoup d’effet, & cela doit être ainsi par la regle des contrastes. Toutes les fois qu’un Auteur aura le secret d’opposer avec art deux choses contraires, il peut être sûr d’arracher des applaudissements : Le Sage & Dufresny l’ont bien senti, lorsque l’un parle de la conscience d’un Maquignon dans Turcaret, & l’autre de la conscience d’un Tailleur dans une scene déja rapportée. Moliere avoit dit avant ces trois Auteurs, dans les Fourberies de Scapin, acte II, scene XI : Vraiment oui, de la conscience à un Turc !

BÉVERLEY, en cinq actes & en vers libres.
Parallele de la Piece Françoise & de l’Angloise.

PIECE FRANÇOISE, Acte I.

(Le théâtre représente un sallon mal meublé & dont les murs sont presque nuds, avec des restes de dorure.)

Madame Béverley & Henriette sa belle-sœur travaillent en attendant Béverley qui a passé la nuit à jouer. Henriette déteste la malheureuse passion de son frere qui ruine sa femme & son fils. Elle craint pour son bien que son frere lui garde. Madame Béverley la rassure sur ce dernier article, & regrette peu son ancienne fortune pourvu que le Ciel lui conserve son époux : rien ne lui manque dans sa maison quand elle y voit Béverley ; & son fils, obligé de valoir, en vaudra mieux.

Jarvis, ancien domestique de la maison, paroît. On l’a renvoyé parcequ’on n’avoit pas de quoi le nourrir : son bon cœur le ramene toujours.

Arrive Stukéli : il apprend à Madame Béverley que son époux, malgré ses remontrances, a passé la nuit à jouer chez Vilson, & que, dans l’espoir de lui voir réparer ses pertes, il lui a confié sa bourse. On dit à Jarvis d’aller voir si son maître est encore au jeu, & de le ramener en évitant de lui dire un seul mot qui puisse le fâcher.

Tomi, fils de Béverley, dit un mot à l’oreille de sa tante qui le suit après que sa mere l’a embrassé, & lui a recommandé de bien caresser son pere à son arrivée.

Stukéli tâche d’alarmer Madame Béverley sur la fidélité de son mari : elle rejette les soupçons qu’on veut lui donner, & se retire.

Stukéli, seul, dévoile son infame caractere : il aimoit Madame Béverley avant son mariage : elle l’a dédaigné : il veut, pour s’en venger, ruiner son mari, le perdre dans l’esprit de sa femme, & la séduire.

Leuson reproche à Stukéli qu’il partage les vols faits à Béverley : ils sortent pour se battre.

Henriette retient Leuson qui lui fait voir son mépris pour Stukéli ; il la remercie du tendre intérêt qu’elle prend à lui, & la prie de couronner son amour en lui donnant sa main : elle ne peut s’y déterminer tant que sa belle-sœur est dans le chagrin.

PIECE ANGLOISE, Acte I.

La moitié de cet acte renferme à-peu-près tout ce qui est dans le drame françois ; mais le fils de Béverley ne paroît pas. Dans le reste de l’acte, Jarvis arrête à la porte un créancier de son maître dont la vue chagrineroit les Dames, & s’engage à le payer. Leuson, ayant acheté les meubles de Béverley, les fait rapporter. La scene change & représente la maison de Stukéli : on l’y voit méditant d’engager Béverley à jouer les bijoux de sa femme, & projettant de la séduire en les lui rendant : on le voit encore complotant, avec un frippon nommé Bates, les moyens de voler Béverley au jeu. Ils doivent pour cela le faire jouer avec des coquins qui sont à leurs gages. Stukéli finit l’acte en disant :

Que des hommes formés d’une trempe commune,
Esclaves de l’honneur, ennemis du repos,
Achetent la richesse au prix de leurs travaux :
Le fourbe bien plus vîte arrive à la fortune38.

PIECE FRANÇOISE, Acte II.

((La scene est dans une place près de la maison de Béverley.)

Béverley frémit en approchant de sa maison, & se peint les plaisirs qu’il y goûtoit jadis.

Jarvis, qui n’a pas trouvé son maître chez Vilson, se félicite de le rencontrer, lui peint les chagrins de sa femme, lui offre le peu d’argent qu’il a.

Stukéli avoit promis de l’argent à Béverley, il vient lui dire qu’il n’en trouve point, qu’il s’est ruiné pour lui, & lui propose de faire ressource avec les diamants de sa femme : Béverley frémit à cette proposition, mais s’y détermine, pour ne pas laisser dans l’infortune un ami qu’il croit avoir entraîné dans son malheur.

Henriette exhorte son frere à ne pas paroître ainsi défait aux regards de sa femme, elle lui demande compte de son bien : Béverley la remet au lendemain.

Madame Béverley accourt avec son fils pour embrasser son mari & lui peindre le plaisir que lui cause son retour.

Leuson dit à Béverley de se méfier de Stukéli ; mais Béverley s’offense des soupçons qu’on a de son meilleur ami, dit-il, d’un homme qui s’est ruiné pour lui.

Béverley veut dire à sa femme qu’il a besoin de ses diamants, il ne sait comment s’y déterminer.

Stukéli envoie à Béverley une lettre conçue en ces termes :

« Venez me voir le plus promptement que vous pourrez ; c’est la seule marque d’amitié qu’actuellement je desire de vous : depuis que je vous ai quitté, j’ai pris la résolution d’abandonner l’Angleterre : j’aime mieux me bannir de ma patrie que de devoir ma liberté au moyen dont nous avons parlé tantôt. Ainsi n’en dites rien à Madame Béverley ; & hâtez-vous de venir recevoir les adieux de votre ami ruiné ».

Stukéli.

Béverley ne peut résister à l’idée de voir partir son ami, il demande les bijoux. Sa femme se fait un plaisir de ce nouveau sacrifice.

PIECE ANGLOISE, Acte II.

Cet acte est tout-à-fait semblable à celui de la piece françoise, avec la différence qu’il n’y a point d’enfant ; que les scenes de Jarvis & de Stukéli se passent dans une salle de jeu où Béverley déplore son malheur auprès d’une table couverte de dés & de cornets ; que Stukéli exhorte encore Bates à se tenir prêt pour ruiner Béverley, & que Leuson, voulant prouver à son ami la fausseté de Stukéli, lui dit :

« J’ai connu ce Stukéli au College. Il étoit malin, sournois, avare & méchant, lent à ses devoirs, mais plein de feu pour trouver des faux-fuyants & inventer de mauvais tours. Il imaginoit des moyens de faire punir les autres, & il se disculpoit si habilement, qu’au lieu de le châtier, on le combloit de récompenses & d’éloges. Quand un enfant s’est annoncé avec ce caractere, ses vices se fortifient nécessairement avec l’âge. Je veux le mettre à l’épreuve & le développer à vos yeux. Jusques-à tenez-vous sur vos gardes : je le connois, ainsi je vous conseille de le fuir ».

Béverley finit l’acte par ces vers :

Plaisirs faux & trompeurs, pleins d’horreur & d’alarmes,
Le repentir vous chasse à jamais de mon cœur.
En vain m’offrirez-vous un appât enchanteur :
Ma chere Béverley, je ne veux de bonheur
Que celui d’adorer tes vertus & tes charmes.

PIECE FRANÇOISE, Acte III.

Stukéli annonce que Béverley a tout perdu : tandis que son ami se désole chez Vilson, il va, dit-il, porter le dernier coup au cœur de Madame Béverley.

Stukéli veut faire croire à Madame Béverley que son époux a pris ses diamants pour les donner à une rivale méprisable : elle lui dit qu’elle n’en croit rien, le menace de faire part à Béverley de son imposture, & réfléchit ensuite qu’un sang aussi vil souilleroit les mains de son époux. Stukéli sort en jurant de se venger.

Madame Béverley voit l’artifice de Stukéli, & soupire pourtant.

Henriette, trouvant sa belle-sœur toujours plus affligée, tâche en vain de la consoler : Madame Béverley lui dit qu’elle a besoin d’un peu de repos, & la laisse avec Leuson.

Leuson a le plus grand secret à dévoiler ; Henriette veut savoir ce que c’est : son amant exige, avant de l’instruire, qu’elle jure de l’épouser. Il lui dit ensuite qu’elle est sans bien, que Béverley l’a ruinée. Henriette admire la délicatesse de Leuson, & fait des efforts pour cacher à Béverley qui paroît, le juste dépit qui l’anime contre lui.

Béverley est dans la plus grande joie, & demande son épouse pour lui annoncer une grande nouvelle.

Il montre à sa femme un porte-feuille valant cent mille écus, qui sont le produit d’une entreprise heureuse dans le commerce. Son projet est de racheter une terre vendue presque pour rien, & d’aller s’y occuper du bonheur de sa femme & de l’éducation de son fils. Il jure de ne plus jouer, & va, dit-il, acquitter une dette pressante.

Stukéli a su que la fortune rit à Béverley, il vient le féliciter, lui conseille de ne plus jouer, & tâche de lui en faire naître l’envie par une peinture séduisante des heureux retours du sort : il l’entraîne chez Vilson en lui disant qu’il y trouvera les personnes auxquelles il doit.

PIECE ANGLOISE, Acte III.

La scene généreuse de Leuson avec Charlotte est dans l’anglois ainsi que celle où Stukéli veut persuader à Madame Béverley que son époux a donné ses diamants à une maîtresse. Ici Stukéli conseille clairement à Madame Béverley de se venger, & de tirer parti de ses charmes pour écarter la misere. Il n’y est pas question des cent mille écus. Le reste de l’acte se passe tantôt chez Stukéli où ce scélérat fait l’éloge de la fourberie en exhortant Bates à ne pas ménager Béverley ; & tantôt chez Vilson où Béverley, désespéré d’avoir perdu sur sa parole, se détermine par les conseils de Stukéli à vendre l’héritage qui doit lui revenir de son oncle : Stukéli lui dit que Bates le lui achetera. Le traître a déja donné sous main de l’argent pour cela. Madame Béverley, après avoir ordonné à sa femme-de-chambre de lui chanter une chanson pour la distraire, débite cette sentence :

Mais le Ciel venge enfin les pleurs de l’innocence ;
Et plus elle a souffert, plus il la récompense.

Nous verrons si la prédiction s’accomplira.

PIECE FRANÇOISE, Acte IV.

(La Scene est dans la rue : il est nuit.)

Béverley a tout perdu : il ne parle que de fer, de poison. Il s’emporte contre Stukéli & lui fait tour à tour des excuses.

Béverley se peint sa malheureuse situation.

Béverley voit venir Leuson, contre lequel Stukéli l’a aigri, en lui disant qu’il devoit lui demander compte des biens de Henriette. Il veut lui faire mettre l’épée à la main : Leuson refuse de se battre avec son ami, lui dit que Stukéli est un perfide, & promet de le lui prouver bientôt.

Béverley, seul, veut se tuer avec l’épée qu’il a tournée contre Leuson.

Jarvis entre sur la scene, cherche à reconnoître son maître dans l’obscurité, & lui arrache l’épée. Béverley n’ose entrer chez lui, & veut passer la nuit sur une pierre.

Madame Béverley entend la voix de son mari : elle sort avec une lanterne, le voit, le console : les ouvrages qu’elle faisoit jadis pour s’amuser, serviront, dit-elle, à faire vivre ce qu’elle aime.

Un Sergent paroît, arrête Béverley, & l’entraîne en prison : les deux époux s’embrassent.

PIECE ANGLOISE, Acte IV.

Tout ce qui est dans l’acte françois est ici, à l’exception de la scene intéressante que Madame Béverley fait avec son époux. Mais cet acte est beaucoup plus long : Jarvis y vient annoncer que Stukéli a obtenu une sentence contre son maître. Stukéli apprend que Béverley a mis l’épée à la main contre Leuson, & se promet de mettre à profit ce combat : Leuson va chez Stukéli lui demander raison des mensonges qu’il a dits à Madame Béverley, & des fripponneries qu’il a faites au mari. Stukéli propose à Bates d’assassiner Leuson. Bates refuse d’abord, & promet ensuite. Stukéli se livre à l’espoir d’être vengé.

L’avarice n’a plus d’empire sur mon cœur ;
Il ne respire plus que vengeance & fureur.
J’attends en frémissant que mon destin s’acheve.
Avant la fin du jour la fortune m’éleve
Au faîte du bonheur, au comble de mes vœux,
Ou creuse sous mes pas un précipice affreux.

PIECE FRANÇOISE, Acte V.

(La scene représente la chambre d’une prison : il doit y avoir d’un côté une table sur laquelle est un pot d’eau & un verre dans une jatte ; & de l’autre un fauteuil & une chaise à côté : Tomi est dans le fauteuil, & Jarvis sur la chaise.)

Jarvis arrange l’enfant, le félicite de dormir sans avoir peur d’être éveillé par le remords, tandis que son pere a le cœur déchiré.

Madame Béverley veut profiter du temps où son époux repose pour aller en ville solliciter en sa faveur : elle recommande à Jarvis de ne pas le laisser seul, & sort en le priant d’avoir soin & du pere & du fils.

Jarvis réfléchit sur les vertus de sa maîtresse, sur le bonheur dont son maître eût pu jouir : il le voit venir pâle, défiguré.

Béverley feint d’être plus calme : il ordonne à Jarvis d’aller chercher Leuson. Jarvis refuse de le quitter ; il le lui ordonne.

Béverley a prononcé son arrêt : il approche de la table, met de l’eau dans un verre, & y mêle la liqueur d’un flacon qu’il tire de sa poche : il fait des réflexions sur la mort, sur ses suites, veut prier, n’en a pas la force, prend le verre, sent frémir la nature, & boit : le poison le déchire. Il voit son fils, se peint les malheurs auxquels il le laisse exposé, s’assied auprès de lui, se leve, veut le délivrer de la vie, prend un couteau dans sa poche : le fils s’éveille, lui tend les bras : le fer tombe des mains du pere.

Madame Béverley paroît avec Henriette ; Tomi se sauve dans leurs bras : elles frémissent du danger qu’il a couru, & des projets du pere.

Leuson annonce à Béverley que James & Stukéli ont eu dispute en partageant ses dépouilles, que le premier a poignardé l’autre, qu’il est arrêté, que tout lui sera rendu : Béverley en est charmé, à cause de sa femme & de Tomi : il n’a plus besoin de rien ; il a violé les loix du ciel & de la nature. On envoie Jarvis chercher du secours : Béverley meurt ; sa femme s’évanouit : la toile tombe.

PIECE ANGLOISE, Acte V.

Bates & Dawson assurent à Stukéli qu’ils ont assassiné Leuson. Stukéli veut faire accuser Béverley de cette mort : non content de l’avoir dépouillé de ses biens, de l’avoir fait mettre en prison, il veut le voir mourir sur un échafaud. Il sait que Jarvis a surpris son maître l’épée à la main : il projette de faire servir sa déposition à perdre Béverley. Dans le temps qu’il dresse son plan, Jarvis annonce à Madame Béverley & à sa belle-sœur, que l’oncle de son maître est mort, & qu’il lui laisse des biens considérables. Elles volent vers la prison porter cette heureuse nouvelle à Béverley : mais il s’est déja empoisonné : il a d’ailleurs vendu & perdu l’héritage de son oncle : la mort de ce bon vieillard ne fait qu’accroître son désespoir : quand Stukéli, feignant de le plaindre, vient l’accuser d’avoir assassiné Leuson. Les garants de ce crime sont Bates & Dawson : un troisieme témoin se présente, & surprend tout le monde par son apparition ; c’est Leuson. Bates, loin de l’assassiner, lui a dévoilé les complots & les fripponneries de Stukéli : celui-ci est confondu, arrêté ; la joie renaît dans le cœur de la plupart des personnages. Mais le poison agit déja sur Béverley ; il avoue qu’il a fait passer la mort dans son sein. On envoie Jarvis chercher du secours : il revient trop tard. Son maître est déja mort. Après avoir adressé les prieres les plus touchantes au Ciel, Leuson débite ces vers moraux :

Tel qu’un torrent fougueux, le vice nous entraîne.
Si dans son premier cours il n’est point arrêté,
Rien ne s’oppose alors à sa rapidité.
La raison est trop foible, & la prudence est vaine.
 La nature & l’honneur,
 Tout cede à sa fureur.
 Déplorables victimes
 D’un penchant malheureux,
Nous nous précipitons d’abîmes en abîmes,
Pour nous perdre à la fin dans des gouffres affreux.

Ainsi finit cette piece remplie de beautés, mais noyées dans beaucoup de verbiage. Madame Béverley a mal fait d’annoncer au troisieme acte que la vertu seroit récompensée. Je ne vois pas qu’elle ait deviné, à moins qu’elle n’ait secrètement desiré d’être veuve. Le Héros Anglois auroit encore dû, je crois, ne s’empoisonner qu’après avoir été accusé de l’assassinat. La crainte de mourir sur un échafaud pouvoit seule le déterminer à laisser sa femme & son fils dans la misere, & rendre sa mort excusable.