(1772) De l’art de la comédie. Livre quatrième. Des imitateurs modernes (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE XIV. M. BARTHE. » pp. 413-419
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(1772) De l’art de la comédie. Livre quatrième. Des imitateurs modernes (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE XIV. M. BARTHE. » pp. 413-419

CHAPITRE XIV.
M. BARTHE.

Mis à côté de Shakespeare, de M. de la Dismerie, &c.

Lorsque les Fausses Infidélités parurent, le grand succès de cette piece réveilla les rivaux, les jaloux, les partisans, les personnes indifférentes. On commença à se dire tous bas à l’oreille que l’intrigue des Fausses Infidélités étoit imitée des Commeres de Windsor, Comédie en cinq actes de Shakespeare. Bientôt on l’écrivit : on le mit dans les journaux. Les esprits s’échaufferent ; on fit imprimer des réponses, dans lesquelles on cria à l’injustice, & l’on s’efforça de prouver que M. Barthe n’avoit peut-être pas lu les Commeres de Windsor. Nous n’entrerons ni dans l’un ni dans l’autre parti. Que l’Auteur ingénieux des Fausses Infidélités ait eu le dessein d’imiter les Commeres de Windsor, ou que l’idée ne lui en soit pas venue, peu nous importe. Mais rapprochons sans partialité les choses qui se ressemblent dans les deux pieces.

Dans la comédie angloise, Sir Jean Falstaf est un lourd animal qui projette de séduire Madame le Ford & Madame Page. Il écrit en même temps à toutes les deux : elles se communiquent ses lettres, & promettent de se venger du fat en feignant de répondre à sa tendresse. Les deux époux sont instruits secrètement de l’amour de Falstaf : M. Page ne fait qu’en rire ; M. le Ford devient jaloux : le premier accuse son ami de croire trop légérement tout ce qui flatte sa jalousie ; le dernier lui reproche d’avoir trop de confiance en la vertu de sa femme.

Nous avons déja vu dans le second volume de cet ouvrage, Chapitre XIII, des pieces intriguées par les Maîtres, que, dans les Fausses Infidélités, un fat maussade, nommé Mondor, entreprend de subjuguer les maîtresses de deux de ses amis ; qu’il leur écrit ; qu’elles se montrent les lettres ; qu’elles veulent punir l’original par un feint retour ; que l’un des rivaux de Mondor est jaloux ; que l’autre ne fait que rire d’une pareille rivalité ; que le premier reproche à son ami son sang-froid ; que le second le raille sur sa jalousie, &c.

Dans les Fausses Infidélités, Dorimene détermine son amie Angélique à répondre au billet doux de Mondor, & lui dicte cette lettre.

Scene V.

DORIMENE, ANGÉLIQUE.

. . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . .

Dorimene, dictant.

« Je ne sais, Monsieur, si je fais bien de vous répondre.

Angélique.

Je sais que je fais mal.

Dorimene, dictant.

« J’ai combattu long-temps. . . .

Angélique répete ce qu’elle écrit.

« Long-temps.

Dorimene, dictant.

« Mais je suis si excédée de Monsieur Dornili. . . .

Angélique, écrivant.

Dites que je l’abhorre ;
Je l’aimerois autant.

Dorimene.

Eh bien !
« Je suis . . . si cruellement tourmentée . . . .

Angélique.

Plus dure encore,
Vous vous divertissez.

Dorimene.

Cent fois vous m’avez dit
Qu’il vous tourmentoit fort.

Angélique.

Oui ; mais quand on écrit...

Dorimene.

Otez cruellement.

Angélique, avec vivacité.

J’y pensois.

Dorimene, dictant.

« En vérité, dans les impatiences qu’il me cause . . .

Angélique.

A merveille.

Dorimene, dictant.

« Je ne sais qui je ne lui préférerois pas.

Angélique.

Je ne mettrai jamais d’expression pareille.

Dorimene.

Quelle enfance !

Angélique.

Jamais. Cédez-moi sur ce point,
Ou . . . .

Dorimene.

Qu’importe le mot, quand la chose n’est point ?

Angélique.

Il est fort, ce billet.

Dorimene.

Et moi, j’ose prétendre
Qu’un jaloux ou qu’un fat peuvent seuls s’y méprendre.

Le connoisseurs voient sans peine que si Angélique avoit tout uniment écrit sa lettre, sans se la faire dicter par Dorimene, & sur-tout sans l’interrompre par ses réflexions, la scene eût été beaucoup moins piquante. Cette façon ingénieuse d’animer une action commune & froide par elle-même, avoit déja été mise en usage avec succès par M. de la Dismerie dans un de ses Contes philosophiques & moraux.

LE QUIPROQUO, ou TOUS FURENT CONTENTS.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Damon, croyant son amour rejetté par Lucile, tombe malade. Dorval est alarmé par la maladie de son ami ; il va chez Lucile, & veut l’engager à rassurer son amant par un billet tendre. Le temps presse, lui dit-il ; chaque minute pourroit diminuer mon zele, & augmente à coup sûr le mal de Damon. Mais, Monsieur, reprenoit Lucile, que voulez-vous que j’écrive ? — Ce que le cœur vous dictera : que la main ne fasse qu’obéir, & tout ira bien. — Oh ! je vous proteste que mon cœur ne s’est encore expliqué pour personne. — Il s’expliquera. — Point du tout, dit Lucile toute troublée ; je ne sais par où commencer. — Je vois bien, s’écria Dorval, qu’il faut m’immoler sans réserve. Eh bien ! écrivez, je vais dicter. | Lucile prit la plume en tremblant, & Dorval lui dicta ce qui suit :

« Votre absence m’inquiétoit, & cependant j’en ignorois la vraie cause ; maintenant que je la sais, cette inquiétude redouble. . . . »

Mais, Monsieur, interrompit Lucile, après toutefois avoir écrit, cela n’est-il pas bien fort ? Point du tout, reprit froidement Dorval ; il n’y a point de prude qui voulût se contenter d’expressions si mitigées ; continuez sans rien craindre. — Mais cela doit du moins suffire. — Laissez-moi faire. — Lucile continua donc à écrire, & Dorval à dicter.

« On m’a dit que vous vous croyez malheureux, sachez qu’il n’en est rien. . . . »

En vérité, Marquis, interrompit encore Lucile, vous me faites dire là des choses bien surprenantes. — Bagatelle, reprit Dorval, rien de plus simple que cette maniere d’écrire. Encore une phrase, & nous finissons. — De grace, Monsieur, songez bien à ce que vous allez me dicter. — Reposez-vous-en sur moi. | Voici quelle fut cette phrase.

« Cessez d’être ingénieux à vous tourmenter, & conservez-vous pour la tendre Lucile. »

Oh ! je vous jure, s’écria-t-elle, que je n’écrirai jamais ces derniers mots. — Il le faut cependant, repliqua Dorval. — Je vous proteste que je n’en ferai rien. — Il le faut, vous dis-je ; autrement le secours sera trop foible, & demain je vous livre Damon trépassé. — Comment, Monsieur, vous prétendez m’arracher un aveu de cette nature ? — Eh ! quoi ! Mademoiselle, qu’a donc cet aveu d’extraordinaire ? Savez-vous que je ménage prodigieusement votre délicatesse : avec plus d’expérience vous me rendriez plus de justice ; je vous jure qu’on ne s’est jamais acquitté si facilement envers moi. J’exige en pareil cas les expressions les plus authentiques. — Pour moi, repliqua Lucile, je ne veux point écrire des choses de cette espece. . . . . . . . . . . . . . . Il fallut cependant se laisser vaincre en partie, c’est-à-dire que, de quatre mots, Lucile consentit à en écrire trois. Dorval disputa encore beaucoup ; il ne put toutefois empêcher que l’épithete de tendre ne fût supprimée. La lettre finissoit ainsi :

« Conservez-vous pour Lucile. »

Un jeune Acteur, nommé Desforges, & présentement en province, a long-temps lu dans les sociétés de Paris une piece47 bien ressemblante aux Fausses Infidélités. Comme elle est manuscrite, & que l’Auteur a pu ou peut y faire des changements à chaque instant, nous n’en donnerons point l’extrait.

Je parus pour la premiere fois sur la scene comique à peu près dans le temps où M. Barthe l’enrichissoit de ses productions. Si je fais un Chapitre pour parler des imitations répandues dans mes pieces, on trouvera peut-être mauvais que j’occupe le lecteur de moi-même ; si je n’en parle point, on m’accusera d’avoir voulu cacher mes larcins. Quel parti prendre ? que faire ? Me glisser modestement & bien vîte à la fin de ce Chapitre.

J’ai donné aux François la Présomption à la mode, Comédie en cinq actes & en vers : le Tuteur dupé, Comédie en cinq actes en prose : le Mariage interrompu, Comédie en trois actes en vers : les Etrennes de l’Amour, Comédie-Ballet en un acte. La seconde de ces pieces est faite d’après une scene du Soldat fanfaron de Plaute ; la troisieme est imitée d’une partie de l’intrigue des Vingt-six Infortunes d’Arlequin, piece italienne, & d’une scene des Bacchides de Plaute.

J’ai fait jouer par la troupe Italienne le Cabriolet volant, ou Arlequin Mahomet, Drame philoso-comi-tragique extravagant en quatre actes ; & la suite du Cabriolet volant, ou Arlequin cru fou, Sultane & Mahomet, piece en trois actes, dans le même genre que la précédente. La fable de ces deux Drames graves, sérieux, imposants, & dignes du célebre Carlin 48, est prise dans les Mille & un jour, Contes arabes, dans le Cousin de Mahomet, roman. Les situations les plus pathétiques sont puisées dans nos Drames & dans nos Tragédies modernes.

Quant à mes pieces données au théâtre italien par la troupe lyrique, un Conte m’a fourni l’idée du nouveau Marié, ou les Importuns, opéra comique d’un acte. La Buona Figliuola, ou la Bonne Enfant, piece lyrique en trois actes, est imitée de la Buona Figliuola, opéra comique de Goldoni, lequel opéra comique Goldoni a imité lui-même d’une de ses Comédies, laquelle Comédie est imitée de la Nanine de M. de Voltaire, laquelle Nanine est imitée de Paméla, roman anglois, lequel roman est une imitation de Grisélidis, &c. &c.49.