(1801) Moliérana « Vie de Molière »
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(1801) Moliérana « Vie de Molière »

Vie de Molière

Jean-Baptiste Pocquelin naquit en 1620, dans une maison qui subsiste encore sous les piliers des halles. Son père Jean-Baptiste Pocquelin, valet de chambre tapissier chez le roi, marchand fripier, et Anne Boulet sa mère, lui donnèrent une éducation trop conforme à leur état ; il resta jusqu’à quatorze ans dans leur boutique, n’ayant rien appris, outre son métier, qu’un peu à lire et écrire. Ses parents tinrent pour lui la survivance de leur charge chez le roi ; mais son génie l’appelait ailleurs.

Pocquelin avait un grand père qui aimait la comédie, et qui le menait quelquefois à l’hôtel de Bourgogne*. Le jeune homme sentit bientôt une aversion invincible pour sa profession. Son goût pour l’étude se développa, il pressa son grand père d’obtenir qu’on le mît au collège, et il arracha enfin le consentement de son père qui le mit dans une pension, et l’envoya aux Jésuites.

Il y étudia cinq années, et suivit le cours des classes du premier prince de Conti*, qui depuis fut le protecteur des lettres et de Molière.

Il y avait alors dans ce collège, deux enfants qui eurent depuis beaucoup de réputation dans le monde. C’était Chapelle* et Bernier* : Gassendi* était chargé de leur éducation.

Ce dernier ayant démêlé de bonne heure le génie de Pocquelin, l’associa aux études de Chapelle* et de Bernier*. Le jeune Pocquelin fit des progrès étonnants, et s’attira en même temps l’estime et l’amitié de son maître.

Son père étant devenu infirme et incapable de servir, il fut obligé d’exercer les fonctions de son emploi auprès du roi. Il suivit Louis XIII : dans Paris, sa passion pour la comédie qui l’avait déterminé à faire ses études, se réveilla avec force.

Le théâtre qui commençait à fleurir alors, détermina Pocquelin à s’associer avec quelques jeunes-gens qui avaient du talent pour la déclamation. Ils jouaient au faubourg St. Germain et au quartier St. Paul. Cette société éclipsa bientôt toutes les autres. Ce fut alors que Pocquelin, sentant son genre, résolut de s’y livrer tout entier, d’être à-la-fois comédien et auteur. Il prit le nom de Molière, et il ne fit, en changeant de nom, que suivre l’exemple des comédiens d’Italie et de ceux de l’hôtel de Bourgogne*.

Molière fut ignoré pendant tout le temps que durèrent les guerres civiles en France. Il employa ces années à cultiver son talent, et à préparer quelques pièces ; il en fit alors pour la province, plusieurs en prose qui sont aujourd’hui absolument ignorées.

La première pièce régulière qu’il composa, fut l’Étourdi ; il représenta cette comédie à Lyon, en 1658. Il y avait dans cette ville une troupe de comédiens de campagne, qui fut abandonnée, dès que celle de Molière parut.

Quelques acteurs de cette ancienne troupe se joignirent à Molière, et il partit de Lyon pour les états de Languedoc, avec une troupe assez complète, composée principalement des deux frères nommés Gros-Resné, de Duparc, d’un pâtissier de la rue St. Honoré, de la Duparc* de la Béjart et de la Debrie 117*.

Le prince de Conti* qui tenait les états Languedoc, à Béziers, se souvint de Molière qu’il avait vu au collège ; il lui donna une protection distinguée. Il joua devant lui l’Étourdi, le Dépit Amoureux et les Précieuses Ridicules.

Molière avait alors 34 ans.

Après avoir couru quelque temps toutes les provinces, il vint enfin à Paris en 1658. On permit à sa troupe de s’y établir ; ils s’y fixèrent, et partagèrent le théâtre du Petit-Bourbon*, avec les comédiens Italiens qui en étaient en possession, depuis quelques années.

La troupe de Molière prit le titre de la troupe de Monsieur, qui était son protecteur ; deux ans après, en 1650, il leur accorda la salle du Palais-Royal. Cette troupe eut la jouissance de cette salle jusqu’à la mort de son chef.

Depuis l’an 1658, jusqu’en 1673, c’est-à-dire en quinze années de temps, Molière donna toutes ses pièces, qui sont au nombre de trente. Il voulut jouer dans le tragique, mais il n’y réussit pas ; il avait une volubilité118 dans la voix et une espèce de hoquet qui ne pouvait convenir au genre sérieux, mais qui rendait son jeu comique plus plaisant.

Molière se fit dans Paris un très grand nombre de partisans, et presque autant d’ennemis. Louis XIV, qui avait un goût naturel et l’esprit très-juste, sans l’avoir cultivé, ramena souvent par son approbation la cour et la ville aux pièces de Molière.

Il eut des ennemis cruels, surtout les mauvais auteurs du temps, leurs protecteurs et leurs cabales, ils suscitèrent contre lui les dévots119, on lui imputa des livres scandaleux ; on l’accusa d’avoir joué des hommes puissants, tandis qu’il n’avait joué que les vices en général, et il eut succombé sous ces accusations, si ce même roi, qui encouragea et soutint Racine et Despréaux, n’eut pas aussi protégé Molière.

Il n’eut à la vérité qu’une pension de mille livres. La fortune qu’il fit par le succès de ses ouvrages, le mit en état de n’avoir rien de plus à souhaiter ; ce qu’il retirait du théâtre avec ce qu’il avait placé, allait à 30000 livres de rente, somme qui en ce temps-là faisait presque le double de la valeur réelle de pareille somme d’aujourd’hui.

Il faisait de son bien un usage noble et sage ; il recevait chez lui des hommes de la meilleure compagnie, les Chapelles*, les Jonsac, les Desbarreaux, et qui joignirent la volupté à la philosophie. Il avait une maison de campagne à Auteuil, où il se délassait avec eux des fatigues de sa profession.

Molière employait une partie de son revenu en libéralités. Il encourageait souvent par des présents considérables, de jeunes acteurs, sans fortune, dans lesquels il remarquait du talent. Il engagea le jeune Racine, qui sortait de Port-Royal, à travailler pour le théâtre. Dès l’âge de 19 ans, il lui fit composer la tragédie de Théagène et Cariché, et quoique cette pièce fût trop faible pour être jouée, il fit présent au jeune acteur de cent louis, et lui donna le plan des frères ennemis.

Il éleva et il forma un autre homme, qui par la supériorité de ses talent, et par les dons singuliers qu’il avait reçus de la nature, a mérité d’être connu de la postérité, c’était le comédien Baron* qui a été l’unique dans la tragédie et la comédie. Molière en prit soin comme de son propre fils.

Molière, heureux par ses succès et ses protecteurs, par ses amis et par sa fortune, ne le fut pas dans sa maison ; il avait épousé en 1661, une jeune fille née de la Béjart, et d’un gentilhomme nommé Modène*. La disproportion d’âge, et les dangers auxquels une comédienne jeune et belle est exposée, rendirent ce mariage malheureux, et Molière tout philosophe qu’il était d’ailleurs, essuya dans son domestique les dégoûts, les amertumes et quelquefois les ridicules qu’il avait si souvent joués sur le théâtre.

La dernière pièce qu’il composa fut le Malade imaginaire ; il y avait quelque temps que sa poitrine était attaquée, et qu’il crachait quelquefois du sang ; le jour de la troisième représentation, il se sentit plus incommodé qu’auparavant ; on lui conseilla de ne point jouer ; mais il voulut faire un effort sur lui-même, et cet effort lui coûta la vie.

Il lui prit une convulsion en prononçant Juro, dans le divertissement de la réception du Malade Imaginaire, il acheva la représentation. On le rapporta mourant chez lui, rue de Richelieu, où il mourut quelques instants après, entre les bras de ses deux sœurs, étouffé par le sang qui lui sortait par la bouche, le 17 février 1673, âgé de 53 ans. Il ne laissa qu’une fille qui avait beaucoup d’esprit, et sa veuve épousa le comédien Guérin*.

On refusa de l’enterrer ; mais le roi qui le regrettait, pria l’archevêque de Paris de lui faire donner la sépulture dans une église. Son corps fut porté à St. Joseph, rue Montmartre, où il fut mis derrière l’autel.

Comme dans cette vie de Molière on ne s’est point étendu sur les pièces de théâtre de cet illustre comique, on y suppléera par le tableau suivant, où l’on verra d’un seul coup d’œil, la date de la première représentation de chaque pièce, et le jugement qu’on en doit porter120.

*

121 L’étourdi , ou les Contre-Temps, comédie en cinq actes en vers, représentée à Paris, sur le théâtre du Petit-Bourbon, le 3 décembre 1758122.

On remarque dans cette pièce de la froideur dans les personnages, des scènes peu liées entre elles, des expressions incorrectes. Ces défauts sont couverts par une variété qui tiennent le spectateur en haleine, et l’empêchent de trop réfléchir sur ce qui pourrait le blesser123.

Le Dépit Amoureux , comédie en cinq actes et en vers, représentée à Paris sur le même théâtre, la même année.124

Trop de complicité dans le nœud, et peu de vraisemblance dans le dénouement ; mais une source de vrai comique, et des traits également ingénieux et plaisants.

Les Précieuses Ridicules , comédie en un acte et en prose, représentée sur le même théâtre, le 18 novembre 1659.

Cette pièce, quoique mal intriguée, est un des chef-d’œuvre de Molière ; on y trouve une critique fine et délicate des mœurs et des ridicules de son temps.

Sganarelle 125, ou le Cocu Imaginaire , comédie en 3 actes et en vers représentée sur le même théâtre, le 28 mars 1660.126

Tout, dans cette pièce, semble annoncer qu’elle est moins faite pour amuser les gens délicats que pour faire rire la multitude ; mais une sorte d’intérêt né du sujet, et une plaisanterie gaie compensent ce qui s’y présente de défectueux.

Dom Garcie de Navarre , ou le Prince Jaloux, comédie héroïque en cinq actes et en vers, représentée à Paris, sur le théâtre du Palais-Royal, le 4 février 1661.

Cette pièce imitée de l’Espagnol, n’eut aucun succès. Le fond en est vicieux.

L’école des Maris , comédie en 3 actes et en vers, représentée sur le même théâtre, le 24 juin 1661.

Cette pièce simple, claire, est féconde en incidents, qui développés avec art, amènent un des plus beaux dénouements qu’on ait vu sur le théâtre français.

Les Fâcheux , comédie-ballet, en 3 actes et en vers, représentée sur le même théâtre le 4 novembre de la même année.

Cette espèce de comédie est presque sans nœud, ni liaison dans les scènes ; mais elle brille par la vérité des portraits, et par l’élégance toujours soutenue du style.

L’École des Femmes , comédie en cinq actes et en vers, représentée à Paris sur le même théâtre, le 28 décembre 1662.127

Les ressorts cachés de cette pièce, produisent un mouvement brillant. Les caractères sont inimitables, et le jeu des personnages subalternes sont autant de coups de maître.

La Critique de lÉcole des Femmes , comédie en un acte et en prose, représentée sur le même théâtre le premier juin 1663.

Image fidèle d’une partie de la vie civile. Copie du langage et du caractère des conversations ordinaires des personnes du monde.

L’impromptu de Versailles , comédie en un acte et en prose, représentée sur le même théâtre, le 4 novembre de la même année.

Espèce de vengeance exercée par Molière contre Boursault* : du comique.

La Princesse dÉlide , comédie-ballet (le premier acte et la première scène du second en vers, le reste en prose,) représentée sur le même théâtre le 9 novembre de la même année.128

Cette pièce faite à la hâte, décèle la finesse dans le développement des sentiments du cœur, et l’art employé dans la peinture de l’amour-propre, et de la vanité des femmes.

Fêtes de Versailles, en 1664.

Le Mariage Forcé , comédie-ballet, en un acte et en prose, représentée sur le même théâtre le 15 novembre de la même année129.

Dom Juan ou le Festin de Pierre, comédie en 5 actes et en prose, représentée sur le même théâtre, le 15 février 1665.

Pièce imitée de l’Espagnol, et qu’on ne peut qualifier du nom de comédie.

L’Amour médecin , comédie en 3 actes et en prose, avec un prologue, représentée sur le même théâtre, le 22 septembre de la même année.

Ridicule jeté à pleines mains sur les médecins. Peu d’intrigue, et action peu soutenue.

Le Misanthrope , comédie en cinq actes et en vers, représentée à Paris, sur le même théâtre, le 4 juin 1666.

Chef d’œuvre de la comédie ancienne et moderne. L’intrigue n’est pas vive, mais les nuances sont fines.

Le Médecin malgré lui , comédie en 3 actes et en prose, représentée à Paris sur le même théâtre, le 6 août de la même année.

Petite pièce faite pour amuser, et qui a toujours été applaudie par le peuple.130

Mélicerte , pastorale héroïque en vers, représentée à Saint-Germain en Laye, au moins de décembre de la même année, dans le ballet des Muses.

La scène du second acte entre Mirtil et Mélicerte, est remarquable par la délicatesse des sentiments, et par la simplicité de l’expression.

Fragment d’une pastorale comique, représentée dans la même ville et la même année, dans le ballet des Muses, à la suite de Mélicerte.

Ce fragment suffit pour faire admirer la fécondité et l’étendue du génie de Molière, qui savait se plier à tant de manières, et se prêter à tous les genres.

Le Sicilien, ou l’Amour peintre, comédie-ballet, en un acte et en prose, représentée sur le théâtre de Palais royal, le 10 juin 1667.

Petite comédie d’intrigue, dialogue fin, et peinture vive de l’amour.

Le Tartuffe , ou l’Imposteur, comédie en cinq actes et en vers, représentée à Paris sur le même théâtre, le 5 août 1667, et depuis, sans interruption, le 5 février 1669.

L’hypocrisie y est parfaitement dévoilée, les caractères en sont aussi variés que vrais, le dialogue également fin et naturel.

Amphitrion , comédie en trois actes et en vers, avec un prologue, représentée à Paris sur le même théâtre, le 13 juin 1668131.

Comédie imitée de Plaute et supérieure à son modèle : respecte moins les bienséances que le Tartuffe, et faire rire davantage.

L’Avare , comédie en cinq actes et en prose, représentée sur le même théâtre, le 9 septembre de la même année.

Autre imitation de Plaute. L’Avare est un peu outré ; mais le vulgaire ne peut être ému que par des traits marqués fortement.

Georges Dandin , ou le Mari confondu, comédie en trois actes et en prose, représentée sur le même théâtre, le 9 novembre de la même année.

Pièce d’un comique plus propre à divertir qu’à instruire, quoiqu’il y ait plusieurs ridicules exposés fortement.

Fête de Versailles, an 1668.

Monsieur de Pourceaugnac , comédie-ballet, en trois actes et en prose, représentée sur le même théâtre, le 15 novembre de la même année.

Ton peu noble, mais du comique.132

 

Les Amants magnifiques , comédie-ballet, en cinq actes et en prose, représentée à Saint-Germain en Laye, au moins de février 1670.

Comédie qui n’est pas sans beauté pour ceux qui savent se reporter aux lieux, aux temps et aux circonstances, dont ces sortes de divertissements tirent leur plus grand prix.

Le Bourgeois gentilhomme , comédie en cinq actes et en prose, représentée sur le théâtre du Palais royal, le 29 novembre de la même année.133

Peinture fidèle du ridicule commun à tous les hommes, dans tous les états. De la gaîté et du comique.

Les Fourberies de Scapin , comédie en trois actes et en prose, représentée sur le même théâtre, le 24 mai 1671.

Dans le sac ridicule où Scapin s’enveloppe,
je ne reconnais plus l’auteur du Misanthrope.

Quoique le comique qui caractérise cette pièce, soit d’un ordre inférieur, on ne peut s’empêcher cependant d’y applaudir.

Psyché , tragédie-ballet, en cinq actes et en vers, représentée sur le même théâtre, le 24 juillet de la même année.

Malgré l’irrégularité de la conduite de cette pièce, elle plaît par un grand nombre de traits, et sur-tout par le tour neuf et délicat de la déclaration de l’amour à Psyché

Les Femmes savantes , comédie en cinq actes et en vers, représentée sur le même théâtre, le 11 mars 1672.

Satyre ingénieuse du faux bel esprit et de l’érudition pédantesque. Les incidents n’en sont toujours pas bien combinés ; mais le sujet quoique aride en lui-même, y est présenté sous une face très-comique.

La Comtesse dEscarbagnas , comédie-ballet, en plusieurs actes et en prose, représentée sur le même théâtre, le 8 juillet de la même année.

Peinture simple des ridicules qui étaient alors répandus dans la province, d’où ils ont été bannis à mesure que le goût et la politesse s’y sont introduits.

Pastorale comique.

Le Malade Imaginaire , comédie-ballet, en trois actes en prose, avec un prologue, représentée sur le même théâtre, le 10 février 1673.

Comique d’un ordre inférieur ; mais peinture vraie de la galanterie et du pédantisme des médecins.

Remerciement au roi.

La Gloire du Val-de-Grâce.