(1801) Moliérana « [Anecdotes] — [50, p. 83-85] »
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(1801) Moliérana « [Anecdotes] — [50, p. 83-85] »

[50, p. 83-85]

1775, Anecdotes dramatiques, tome III, p. 344

Les comédiens avaient résolu de faire à Molière un convoi magnifique. Mais M. du Harlay228, archevêque de Paris, ne voulut pas permettre qu’on l’inhumât. La femme de Molière alla sur-le-champ à Versailles, se jeter aux pieds du roi, pour se plaindre de l’injure que l’on faisait à la mémoire de son mari, en lui refusant la sépulture. Le roi la renvoya en lui disant que cette affaire dépendait du ministère de l’archevêque, et que c’était à lui qu’il fallait s’adresser. Cependant sa majesté fit dire à ce prélat, qu’il fît en sorte d’éviter l’éclat et le scandale. L’archevêque révoqua donc sa défense, à condition que l’enterrement serait fait sans pompe et sans bruit. Il fut fait pas deux prêtres, qui accompagnèrent le corps sans chanter, et on l’enterra dans le cimetière qui est derrière la chapelle Saint-Joseph, rue Montmartre. Tous ses amis y assistèrent, ayant chacun un flambeau à la main. Mademoiselle de Molière* s’écriait partout : Quoi ! L’on refuse la sépulture à un homme qui mérite des autels. Boileau déplora alors la perte de ce célèbre comique dans son épître septième qu’il adresse à Racine.

Avant qu’un peu de terre, obtenu par prière,
Pour jamais sous la tombe eut enfermé Molière,
Mille de ces beaux traits, aujourd’hui si vantés,
Furent des sots esprits, à nos yeux, rebutés.
L’ignorance et l’erreur à ses naissantes pièces,
En habits de marquis, en robes de comtesses,
Venaient pour diffamer son chef-d’œuvre nouveau ;
Et secouaient la tête à l’endroit le plus beau.
Le commandeur voulait la scène plus exacte,
Le vicomte indigné sortait au second acte.
L’un, défenseur zélé des bigots mis en jeu,
Pour prix de ses bons mots, le condamnait au feu ;
L’autre, fougueux marquis, lui déclarant la guerre,
Voulait venger la cour immolée au parterre ;
Mais sitôt que, d’un trait de ses fatales mains,
La parque l’eut rayé du nombre des humains,
On reconnut le prix de sa muse éclipsée.
L’aimable comédie avec lui terrassée,
En vain d’un coup si rude espère revenir,
Et, sur ses brodequins, ne peut plus se tenir.