[80, p. 121-126]
C’est dans le divertissement du second acte des Amants magnifiques que se trouve la première imitation qu’on ait faite de la charmante ode d’Horace, Donec gratus eram 270, etc. J. J. Rousseau* paraît en avoir adopté la tournure dans son Devin de village 271. Voici d’abord l’imitation de Molière :
Philinte.
Quand je plaisais à tes yeux ;J’étais content de ma vie,Et ne voyais Rois ni DieuxDont le sort▶ me fit envie.Chimène.
Lorsqu’à toute autre personneMe préférait ton ardeur,J’aurais quitté la couronnePour régner dessus ton cœur.Philinte.
Un autre a guéri mon âmeDes feux que j’avais pour toi.Chimène.
Un autre a vengé ma flammeDes faiblesse de……………272,Philinte.
Cloris, qu’on vante si fort,M’aime d’une ardeur fidèle ;Si ses yeux voulaient ma mort,Je mourrais content pour elle.Chimène.
Myrtil, si digne d’envie,Me chérit plus que le jour ;Et moi je perdrais la viePour lui montrer mon amour.Philinte.
Mais si d’une douce ardeurQuelque renaissante trace,Chassait Cloris de mon cœurPour te remettre en sa place !Chimène.
Bien qu’avec pleine tendresseMyrtil me puisse chérir,Avec toi je le confesse ;Je voudrais vivre et mourir.Tous deux ensemble.Ah ! Plus jamais aimons-nous,Et vivons et mourons en des liens si doux.273
Passons maintenant à l’imitation de cette même ode, par J. J. Rousseau.
Colette.
Tant qu’à mon Colin j’ai su plaire,Mon ◀sort comblait mes désirs.Colin.
Quand je plaisais à ma bergère,Je vivais dans les plaisirs.Colette.
Depuis que son cœur me méprise,Un autre a gagné le mien274.Colin.
Après le doux nœud qu’elle brise,Serait-il un autre bien ?Ma Colette se dégage !Colette.
Je crains un amant volage.Ensemble.Je me dégage à mon tour,Mon cœur devenu paisible,Oubliera, s’il est possible,Que tu lui fus cher un jour.chèreColin.
Quelque bonheur qu’on me prometteDans les nœuds qui me sont offerts,J’eusse encore préféré ColetteÀ tous les biens de l’univers.Colette.
Quoiqu’un seigneur jeune, aimable,Me parle aujourd’hui d’amour,Colin m’eût semblé préférableÀ tout l’éclat de la cour, &c.
Nous avons rapporté ces deux morceaux, pour donner une idée du faire de deux grands maîtres. En les comparant l’un avec l’autre, on distingue la différence des temps où chacun d’eux a été composé. On remarque moins de pureté dans le style de Molière, et plus de grâces et d’aménité dans celui du genevois. (I)275
(I) Cette ode a été imitée depuis par tous les cuistres du Parnasse, et malgré toutes les imitations, aucune encore n’a égalé son original.