(1867) La morale de Molière « CHAPITRE VI. Les Femmes. » pp. 103-120
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(1867) La morale de Molière « CHAPITRE VI. Les Femmes. » pp. 103-120

CHAPITRE VI.
Les Femmes.

Mais si la femme doit jouir d’une honorable liberté et être pourvue d’une instruction discrète, ce n’est pas pour en abuser. Il faut qu’elle ait le sentiment profond de ses devoirs ; et c’est pour les mieux accomplir qu’elle doit user des droits que Molière réclame.

Fille, qu’elle soit modeste et douce comme Henriette 338 et Angélique 339. Qu’elle soit parée de réserve et de pudeur, non pas de la pudeur farouche des bégueules, qui n’est qu’affectation et hypocrisie, mais de la simple et franche honnêteté à Eliante 340, d’Elmire 341, d’Uranie 342 : « L’honnêteté d’une femme n’est pas dans les grimaces. Il sied mal de vouloir être plus sage que celles qui sont sages. L’affectation en cette matière est pire qu’en toute autre, et je ne vois rien de si ridicule que cette délicatesse d’honneur qui prend tout en mauvaise part, donne un sens criminel aux plus innocentes paroles, et s’offense de l’ombre des choses343. »

Que le naturel du cœur et de l’esprit soit son charme344. Que le respect et l’affection envers ses parents ne soient diminués ni par leurs ridicules ni par leur injustice même345. Quelle soit confiante en sa mère comme Lucile 346, en son père comme Henriette 347 ; et qu’elle préfère, malgré leurs manies ou leur sévérité, ces confidents qui l’aiment, aux Nérines et à toutes les femmes d’intrigue348. Qu’elle ait pour eux ce cœur filial, toujours soumis et toujours aimant, qui fait dire à Mariane, quand elle découvre le père qu’elle n’a jamais connu, ce mot si touchant : « C’est vous que ma mère a tant pleuré349 ? » Qu’elle songe à l’avenir, et que, sous tous les dehors de la grâce et de l’esprit, elle nourrisse au fond du cœur la sérieuse pensée du devoir, de l’époux qu’elle devra aimer, des enfants qu’elle devra élever350.

Qu’elle s’exerce d’avance à tous les devoirs de sa vie future par la soumission, et qu’elle n’oublie qu’à la dernière extrémité l’obéissance, mais jamais le respect, dus à ceux que Dieu lui a donnés pour maîtres351.

 

Amante, que la pudeur avant tout, et l’honneur, et l’abnégation soient les vertus qui l’élèvent et la rendent digne de devenir femme352.

Epouse, que son mari et ses enfants deviennent sa vie ; que le monde, les plaisirs de toute sorte353, les vanités de l’esprit354, la coquetterie355, la frivolité, soient oubliés, pour faire place aux devoirs et aux joies du foyer. Que la gracieuse Henriette devienne sans effort la digne Elmire ; car on ne peut guère citer comme modèle d’épouse, malgré la grâce et la chasteté antique de son amour, la mythologique Alcmène 356.

Peut-être Elmire est-elle moins remarquée que d’autres parmi les femmes de Molière : ce manque d’éclat même est une de ses qualités. Jeune, belle, capable d’inspirer une passion folle, elle s’est enfermée dans sa famille, et, sans quitter le monde, elle a su renoncer aux triomphes mondains. Quoique mariée à un homme âgé qui ne l’apprécie pas, elle ne songe plus à être regardée, et cette modestie est le couronnement de tous les autres mérites qui font d’elle une femme accomplie357. Sa vertu, douce et cachée, n’est pas pour cela moins ferme que l’intraitable vertu d’Alceste. Sur l’honneur et le devoir, elle est inébranlable358 ; mais elle les pratique si naturellement, qu’elle n’y croit avoir aucune gloire, et n’en tire aucun orgueil. Que son mari soit sot et crédule359, que sa belle-mère vienne se mêler de donner chez elle des avis absurdes360, son affection ni son respect pour eux ne sont pas diminués. Ce qui surtout est admirable en elle, c’est, à tant de vertu, de joindre tant d’indulgence, de rester si bonne et si calme au milieu des tempêtes d’une maison bouleversée par les entreprises d’un si audacieux hypocrite. Les autres ont beau faillir, elle ne faiblit jamais ; ils ont beau méconnaître ses mérites et attaquer sa conduite, jamais de sa bouche ne sort un mot de blâme ou d’aigreur : aux injures de Mme Pernelle, elle n’oppose qu’un doux et digne silence361 ; à l’impudente déclaration de Tartuffe, elle ne répond qu’avec le mépris serein de la véritable vertu, assez forte pour se défendre sans colère362. Quand le fils d’Orgon, outré de tant de scélératesse et emporté par la fougue de son âge, veut tout révéler au père, elle dit :

Non, Damis ; il suffit qu’il se rende plus sage,
Et tâche à mériter la grâce où je m’engage.
Puisque je l’ai promis, ne m’en dédites pas.
Ce n’est pas mon humeur de faire des éclats ;
Une femme se rit de sottises pareilles,
Et jamais d’un mari n’en trouble les oreilles363.

Et quand le fils terrible a parlé, elle dit encore, pour calmer la colère d’Orgon et éviter un scandale inutile :

Oui, je tiens que jamais de tous ces vains propos
On ne doit d’un mari traverser le repos ;
Que ce n’est point de là que l’honneur peut dépendre,
Et qu’il suffit pour nous de savoir nous défendre364.

Si tant de réserve était inspiré par la "constance d’une âme qui se sent inébranlable, ce serait beau : mais à cette intrépidité de conscience se joint, chez Elmire, quelque chose de plus beau : l’amour pour ses enfants d’adoption. Ce n’est pas une marâtre qui supporte une belle-fille : c’est une mère qui veille au salut de sa fille, et qui pousse le dévouement maternel jusqu’à ménager l’ennemi domestique365.

Quelque embrouillées que soient les affaires de la maison, Elmire songe à tout, à son honneur à elle, au bien de son mari, à la réputation des siens, à la paix du ménage, à l’avenir et au bonheur des enfants. Enfin, quand elle voit tous ses efforts sur le point d’échouer, c’est elle-même qui se décide à éclairer le père pris pour dupe et l’époux outragé ; c’est l’épouse, c’est la mère par amour et par devoir, sinon par nature, qui se chargera de cette tâche, et qui se sentira assez inattaquable pour offrir au chef de famille le spectacle des attaques dont elle est l’objet. Quel coup de maître, que de montrer la vertu dans cette épreuve où elle seule peut passer intacte ! C’est là qu’apparaît Elmire dans sa gloire, quand elle sait rester chaste en étant coquette, et rehausser son honneur en jouant le rôle le moins honorant. On.admire, sans trouver de termes pour la louer, cette scène étonnante, où, avec une vérité crue et une hardiesse sans exemple, sont placés face à face le vice et la vertu, dans une situation si critique, qu’il fallait toute l’audace du génie pour l’aborder. Elmire y montre que, pour être vertueuse, on n’est pas condamnée à n’avoir ni esprit ni agrément : la grâce, les fines reparties, l’à-propos, tous les charmes féminins brillent en tout ce quelle dit366. Elle a sauvé la maison, et n’est pour cela ni plus fière ni plus sévère envers le mari qui l’a ruinée. Toujours égale en son humeur, elle apporte la consolation et l’indulgence là où elle aurait le droit d’accuser367. Elle reste inébranlable dans son rôle saint et charmant d’épouse, de mère, et même de femme d’esprit, ce qui ne gâte rien.

 

Mère, en vieillissant, elle n’ira pas, comme Mme Pernelle compromettre, par la sottise et le radotage, le respect dû à ses cheveux gris, ni montrer que l’entêtement d’un vieillard peut être plus absurde que celui d’un enfant368. Elle ne deviendra pas, comme Béline, un monstre dans lequel l’égoïsme et l’avarice ont effacé tout ce qui restait de la femme369 ; ni, comme Philaminte, une pédante orgueilleuse qui sacrifie son mari, sa fille, sa maison à la vanité, du bel esprit370 ; ni, comme Mme de Sotenville, une folle de Noblesse, en qui l’amour du nom et du titre a tué tout autre sentiment, et qui croit qu’une famille n’est qu’une généalogie371. Elle sera, comme Mme Jourdain, avec plus de grâce et d’esprit si elle peut, la mère de famille qui veille à tout, môme quand le père oublie son devoir et quitte son rôle de chef respecté372.

Servante même, la femme aura des devoirs auxquels Molière a songé. Elle sera fidèle et dévouée. Quand la mère. manquera, elle la  remplacera auprès, des filles., comme Lisette 373, Donne 374, ou Toinette 375. Elle ne sera point une femme d’intrigue ou une complice de désordres376. Elle deviendra la sauvegarde et l’honneur de la famille, comme la sage et rieuse Nicole 377 et la médecine Toinette 378. Et quand la maison, par l’erreur ou la faiblesse des chefs, s’en ira comme un navire sans pilote, ce sera elle, s’il le faut, qui prendra en main le gouvernail, et, par l’autorité du dévouement et du bon sens, sauvera la famille, comme fait Martine 379.

Mais, fille ou mère, épouse ou servante, qu’elle soit douce et gaie. Qu’elle apporte, par ses charmes et son esprit, cet élément de grâce et d’agrément que l’homme tout seul ne peut mettre dans la vie commune380. Qu’elle soit indulgente, polie ; qu’elle n’aille point perdre son temps dans ces conversations où le prochain est toujours attaqué ; qu’elle apprenne à être sage sans aigreur, et à avoir de l’esprit sans médire381.

La douceur dans la vertu, Molière la réclame toutes les fois que l’occasion s’en offre. Il ne peut, pas plus que Boileau, supporter « ces femmes qui se retranchent toujours fièrement sur leur pruderie, regardent un chacun de haut en bas, et veulent que toutes les plus belles qualités que possèdent les autres ne soient rien en comparaison d’un misérable honneur dont personne ne se soucie382. »II déteste également « ces personnes qui prêtent doucement des charités à tout le monde, ces femmes qui donnent toujours le petit coup de langue en passant, et seraient bien fâchées d’avoir souffert qu’on eût dit du bien du prochain383. »Il veut que, jusque dans sa défense, la vertu attaquée reste douce ; il fait exprimer ce précepte par Elmire, insultée par la lubrique déclaration de Tartuffe :

J’aime qu’avec douceur nous nous montrions sages,
Et ne suis pas du tout de ces prudes sauvages,
Dont l’honneur est armé de griffes et de dents,
Et veut au moindre mot dévisager les gens384.

Il semble que, sans douceur, la vertu ne soit plus vertu à ses yeux, et que, dans l’idée sereine qu’il se fait de la femme, il ait toujours devant l’esprit le mot divin : « Major charitas 385. »

 

Surtout, qu’elle soit franche. Qu’elle imite Eliante, sœur idéale d’Henriette, et qu’elle sache, comme elles deux, allier toute la sincérité avec toute la grâce et toute la politesse386.

L’homme n’a guère qu’une manière d’être hypocrite : la femme en a deux, la pruderie et la coquetterie. En mettant aux prises Célimène et Arsinoé 387, Molière a montré qu’il détestait également ces deux vices, et qu’il avait autant de mépris pour celles qui feignent la vertu que pour celles qui feignent l’amour.

Avec le pédantisme, la coquetterie est, chez la femme, ce qui répugne le plus à Molière. Il trouve indignes toutes ces manœuvres de la vanité, tous ces mensonges des yeux et des lèvres, tout ce travail perfide pour conquérir des amants qu’on n’aime pas, et pour tromper quelquefois un honnête homme qu’on désespère. Ici Molière est plus sévère que le monde : est-ce pour avoir été trompé lui-même, et par une amertume personnelle, qu’il a mis Célimène sur la scène388 ? Quoique cette présomption soit séduisante, j’aimerais mieux voir ici une idée plus haute. Si l’homme est grand par l’esprit, la. femme est éminente par le cœur. Or, la coquette n’a pas de cœur : c’est pour cela que Molière, abhorrait la coquetterie chez la femme, comme la sottise ou l’imposture chez l’homme. Que le monde pardonne ce terme énergique, mais une femme sans cœur était à ses yeux un monstre, comme un homme sans honneur. Il a beau dissimuler sous le badinage comique l’émotion répulsive que lui cause une coquette, on sent percer son mépris, son indignation contre celles qui passent leur vie à inspirer de l’amour sans avoir rien que de la vanité. Il semble que ces deux vers d’un poète moderne aient été inspirés par le dernier acte du Misanthrope :

… Oh ! la triste chose et l’étrange malheur,
Lorsque dans leurs filets tombe un homme de cœur389 !

Là encore est la morale du Misanthrope, aussi forte et aussi délicate que celle qui ressort du caractère d’Alceste. On trouve tout simple qu’une jeune et jolie femme tienne un salon ouvert où se groupe une cour d’adorateurs à la mode. Au milieu de l’encens dont l’enivrent ses sujets, la reine du salon prend l’habitude des médisances spirituelles et des épigrammes charitables ; elle s’applaudit du facile succès que sa beauté fait accorder à ses malices, et se fait avantage auprès de chacun du mal qu’elle dit des autres390. Peu à peu, les petites intrigues se nouent391 ; le temps et le cœur s’usent à ménager les prétendants, et à tenir la balance égale entre tant de gens qui s’enhardissent pour la faire pencher de leur côté392 ; la vanité, l’audace grandit à mesure que le cœur s’amoindrit ; les vrais amis s’éloignent discrètement pour faire place aux faux amants ; on finit par se perdre soi-même au milieu de ses propres ruses, et par être impitoyablement humiliée par ceux-là dont on croyait s’être fait des esclaves en se compromettant393 ; et quand il n’en reste plus qu’un seul, celui qu’on a tourmenté sans pitié par tous les raffinements de la coquetterie, et qui pourrait seul rendre le bonheur avec l’honneur, celui-là, on n’est plus capable de l’aimer ; on le réduit au désespoir par une exigence indigne394 ; et l’on demeure perdue à l’amour qu’on n’a point connu, au monde qui met autant de froideur dans ses dédains qu’il apportait d’ardeur dans ses flatteries : heureuse encore si l’on n’est pas perdue au repentir, et si, dans l’âme desséchée, il reste encore de quoi aimer la vertu autrement que par nécessité : après cette jeunesse de Célimène, la triste chose \ de finir en Arsinoé ! Ce rôle sans paix ni trêve de (honteux mensonge et de basse jalousie, si cruellement dépeint par l’imprudente et jeune coquette, sera un jour, hélas ! sa dernière ressource395 ! Après l’irréparable ruine des charmes du corps, que reste-t-il des grâces du cœur, quand enfin on est réduite à entrer dans la confrérie de celles « qui pensent être les plus vertueuses personnes du monde pourvu qu’elles sauvent les apparences ; qui croient que le péché n’est que dans le scandale396, »

Et couvrent de Dieu même, empreint sur leur visage,
De leurs honteux plaisirs l’affreux libertinage397 ?

Après tant de vérité, tant de principes excellents, tant de grâce et de bon sens apporté dans la peinture de la femme, il serait trop rigoureux de reprocher à Molière d’avoir introduit sur la scène quelques femmes d’intrigue, comme Nérine ou Frosine 398 ; sans doute, le moraliste doit être aussi sévère pour elles que pour les Mascarilles et les Scapins 399 : mais elles sont plus que compensées par ces bonnes et fidèles servantes comme Nicole, Martine, Toinette, qui ne connaissent de famille ni d’affection que leurs maîtres, et qui sont, avec toute leur rusticité, des modèles de bon sens et de dévouement400.

Il n’y a pas lieu non plus d’être sévère pour les personnages chimériques et irréalisables comme les esclaves de l’Etourdi et de l’Amour peintre 401, ou l’étrange garçon du Dépit amoureux 402. Ces gracieuses conceptions, purement artistiques, sont trop loin de la réalité pour avoir une influence sur les mœurs réelles : elles ne vivent que dans le domaine de l’imagination, comme les gentilles princesses de la Princesse d’Elide 403 et des Amants magnifiques 404, les bergères de Mélicerte 405, les fées et les nymphes de File enchantée 406, ou les déesses qui entourent la fantastique et ravissante Psyché 407. On pourra reparler d’elles à propos de l’amour, qui est toujours l’amour, chez les bergères comme chez les divinités408 ; mais ici, on peut négliger ces créations trop différentes de l’humanité, qui sont vraiment innocentes.

On trouverait plutôt à redire aux femmes qui, dans la pratique de la vie, par une monstruosité morale déjà signalée409, mêlent des qualités et des défauts contradictoires : toutes les entremetteuses citées plus haut410 ont trop peu de conscience, et trop de cœur et d’esprit. Au même titre, Julie, dans M. de Pourceaugnac, se présente d’abord avec trop de délicatesse et de pudeur, pour être capable du rôle qu’elle joue pour dégoûter son provincial prétendant411. De même, dans le Tartuffe, il est fâcheux de mettre tant de bon sens et de vertu dans une égrillarde comme Dorine : elle a trop de finesse, de délicatesse, d’autorité dans la maison, pour être en même temps une fille suivante un peu trop forte en gueule et capable de la gaillardise de toute la peau 412.

Enfin, il est impossible d’approuver, même en les acceptant comme typés de satire, des personnes comme la jeune Dorimène du Mariage forcé 413, la Femme de Sganarelle dans le Cocu imaginaire 414, la Martine et la Jacqueline du Médecin malgré lui 415, la Cléanthis d’Amphitryon 416, l’Angélique du Mari confondu 417, qui avait paru déjà dans la Jalousie du Barbouillé 418. Toutes ces luronnes sont trop joyeuses et trop comiques pour que le spectateur puisse songer à condamner leur très-condamnable conduite ; d’ailleurs, même dans la farce, la grossièreté est de trop, et l’immodestie ne doit pas être ainsi étalée419.

Mais ces fautes, qui touchent autant à l’art qu’à la morale, sont trop secondaires pour diminuer en somme l’éclat et la moralité des femmes de Molière. Quel mérite n’est-ce point que d’avoir seul, sans modèle ancien ni exemple contemporain, su voir et dépeindre avec tant de finesse.et d’énergie ce que doit être la femme : pure, simple, franche, douce, naturelle gracieuse ! Il y avait du génie à le concevoir ; il y avait de l’audace à le dire aux femmes, du siècle.

Toutefois, en admirant celte puissance d’esprit, cette justesse de sens, cette délicatesse de cœur, cette hauteur de vue qui rendent immortelles les peintures de femmes faites par Molière, le moraliste mettra quelque restriction aux louanges que l’enthousiasme l’entraînerait à donner. Si Molière montre presque toujours les femmes sous un jour moral, ce n’est pas seulement par intention et par conviction ; c’est aussi par art : c’est que la femme ne peut plaire qu’honnête. Chez l’homme, les passions coupables sont quelquefois revêtues d’un vernis d’élégance, même de grandeur, qui les rend propres à intéresser : c’est un privilège des femmes que l’honneur leur soit si naturel et si nécessaire, qu’elles paraissent repoussantes sitôt qu’elles s’en séparent. Jamais sur le théâtre il n’a été possible de forcer la sympathie du spectateur pour la femme vicieuse. Si Phèdre nous attache, c’est que son amour insensé est aux prises avec cette douleur vertueuse dont parle Boileau420 ; c’est que cette douleur la tue. Si de nos jours des auteurs plus hardis qu’heureux ont tenté de nous intéresser à des courtisanes héroïques, le succès a trompé leur attente ; et s’ils ont su plaire quelquefois, ce n’est que par l’introduction de vertus impossibles dans des caractères faux, inacceptables à la scène parce qu’ils sont inconnus dans la réalité. Cette raison, qui explique en partie pourquoi le théâtre féminin de Molière, est généralement moral, peut amoindrir un peu son mérite au point de vue de l’intention ; mais il ne reste pas moins grand, quand on songe à tant d’excellents préceptes et de leçons délicates sur des sujets qu’il est peut-être impossible de traiter parfaitement dans des livres ou dans des sermons. On doit surtout un respect profond à Molière, pour avoir compris et montré cette vérité mystérieuse de l’union intime de la femme et de l’honneur, qui fait penser à la gracieuse légende de l’hermine. C’est la voix du cœur et du bon sens ; et il ne serait pas malheureux qu’on l’écoutât davantage aujourd’hui, dans les lettres, et partout.