(1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre IX » pp. 77-82
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(1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre IX » pp. 77-82

Chapitre IX

De 1629 à 1640, 4e période. — État et mœurs de la cour, vers 1630. — Composition de la société de Rambouillet. — Montausier : son caractère.

Le temps était venu où Richelieu, réunissant à la dignité de cardinal les fonctions de connétable, de grand-amiral et de premier ministre, se rendît terrible aux grands. Il débute par le procès du prince de Chalais. Il se fait donner ou plutôt il se donne à lui-même une compagnie de gardes du corps. Il fait décapiter, sous prétexte de duel, Chapelle et Boutteville, ses ennemis. Il fait décapiter Marillac, aussi son ennemi, sous prétexte de concussions. Il retient prisonnière à Compiègne la reine-mère, et la force peu après à chercher un asile en terre, étrangère ; il exile ou fait arrêter les amis et les domestiques de cette reine proscrite et met Bassompierre à la Bastille, Il fait décapiter Henri de Montmorency. Il étouffe par des exécutions militaires la révolte des nu-pieds de Normandie, soulevés par l’excès des impôts. Il fait trancher la tête à de Thou et à Cinq-Mars. En dix années il parvient au faite du pouvoir, et meurt.

Au spectacle de cette période de terreur, c’est, je pense, une consolation de voir s’élever une autre grandeur que la grandeur de la cour, une autre autorité d’exemple et d’opinion, un autre modèle de société, une autre source de mœurs, d’idées, de principes ; c’est surtout un besoin pour les âmes douces et nobles, au milieu des tourments politiques qui les épuisent, d’entrevoir dans une société nouvelle un asile fermé à l’esprit de faction, et où se retrouvent les principales aménités de la vie civilisée.

Dans la période que nous parcourons de 1630 à 1640, l’accroissement de la société de Rambouillet prouva l’éloignement que la terreur avait inspiré pour la cour. On vit en 1635, entre les femmes qui se jetèrent dans cette société, mademoiselle de Bourbon-Condé, sœur du grand Condé et du prince de Conti, la même qui fut depuis l’héroïne de la Fronde sous le nom de duchesse de Longueville. En 1635, elle n’avait que dix-sept ans32.

Dans le même temps parut aussi à l’hôtel de Rambouillet mademoiselle de Coligni, qui fut depuis la comtesse de la Suze, du même âge que mademoiselle de Bourbon-Condé, dix-sept ans.

Boileau trouvait ses élégies d’un agrément infini, Voltaire la cite dans Le Siècle de Louis XIV comme célèbre. C’est elle qui se fit catholique parce que son mari était huguenot, et qui s’en sépara, afin, disait la reine Christine, de ne le voir ni dans ce monde-ci, ni dans l’autre.

Dans le même temps encore fut reçue dans la société madame de Scudéry, femme de Georges, qu’il ne faut pas confondre avec Madeleine de Scudéry, sœur de ce même Georges, née en 1607, comme nous l’avons vu, et âgée de vingt-huit ans en 1635. Madame de Scudéry était beaucoup plus jeune et a un tout autre esprit que Madeleine, sa belle-sœur. Elle fut fort aimée du duc de Saint-Aignan, et sa correspondance avec Bussy-Rabutin la placée au rang des bons épistolaires de ce temps-là.

On ne voit à l’hôtel de Rambouillet, dans cette période, qu’un seul nom qui soit dans la ligne de ce qu’on a pu appeler depuis les précieuses. C’est celui de Madeleine de Scudéry. Mais elle n’avait encore rien publié alors ; ses premiers écrits n’ont paru qu’après le mariage de mademoiselle de Rambouillet et la mort de Louis XIII, en 1643 : elle fut jusque-là accueillie à l’hôtel de Rambouillet, non comme auteur, mais comme fille d’esprit, convenablement élevée, sœur d’un homme de lettres fort répandu, et aussi comme une personne peu favorisée de la fortune, dont la société, agréable à Julie qui était du même âge, n’était pas sans quelque avantage pour elle-même33.

Au commencement de la période de 1630 à 1640, la société de Rambouillet recul avec ses anciens habitués Georges de Scudéry dont je parlais à l’instant, Costar, Sarrazin, Conrart, Mairet, Patru, Godeau, âgés de vingt-cinq à trente ans.

En 1628, elle avait perdu Malherbe, âgé de soixante-treize ans. Mais à peu près dans le même temps elle reçut Pierre Corneille, dont la vie poétique commença en 1625 par la comédie de Mélite dont nous avons parlé. Il était alors âgé de 19 ans.

Entre 1630 et 1635, viennent Rotrou, Scarron, Benserade, Saint-Évremond, Charleval, Ménage, plus jeunes de quelques années que les précédents.

En 1631, parut à l’hôtel de Rambouillet le duc de la Rochefoucauld, âgé de 18 ans.

Enfin, dans le même temps, on y voit le marquis de Salle, qui fut depuis le duc de Montausier, âgé de 21 ans.

C’est une époque dans l’histoire de l’hôtel de Rambouillet que la première visite de Montausier. Ce nom répond de la considération des maîtres qui l’habitaient, et émousse bien des épigrammes. Nous avons vu qu’en 1631, la peste régna à Paris ; que madame de Rambouillet y perdit son second fils, le vidame du Mans, âgé de 7 ans, et qu’elle et sa fille Julie, alors âgée de 24 ans, ne quittèrent le malade que quand la mort lui eut fermé les yeux, bien que tous les amis de la maison s’en fussent éloignés. Ce fut le récit de ces soins touchants qui inspira au marquis de Salle le désir de connaître madame de Rambouillet, et d’épouser Julie. Assurément ce n’est pas là le commencement d’un amour romanesque, à moins qu’on n’appelle ainsi un amour né du respect le plus profondément senti et d’une vive sympathie de vertu. Montausier est sans contredit le plus beau caractère qui ait jamais étonné une cour corrompue. Son nom a fait longtemps pâlir les courtisans serviles et tressaillir les citoyens. C’était l’ennemi du faux en toutes choses, du faux goût, du faux savoir ; du faux en morale, en politique, en littérature, en conversation ; l’ennemi des esprits faux et des cœurs faux. Boileau regardait son suffrage comme le plus honorable qu’il pût obtenir ; Molière a emprunté son caractère plusieurs des beaux traits de son Misanthrope. Les plus grands orateurs de la chaire sacrée, Fléchier et Bossuet, en ont fait le sujet de leurs plus éloquentes oraisons funèbres ; un siècle après sa mort, l’Académie française aussi appelé sur ses hautes vertus l’éloquence philosophique ; le prix qu’elle offrit au meilleur éloge, fut partagé entre MM. Garat et Lacretelle l’aîné.

Louis XIV avait donné Montausier pour gouverneur à l’héritier du trône, et l’on sait comment Montausier remplit cette éminente fonction. Tel était le prétendant de Julie de Rambouillet.

La nomenclature que nous venons de parcourir, suffirait pour repousser les atteintes du ridicule que nos éditeurs modernes s’efforcent de jeter sur cette maison de Rambouillet.

C’est le sort de toutes les maisons ouvertes par des personnages distingués, de recevoir parmi les gens de mérite, des esprits subalternes, mais obséquieux. On les appelait, il y a soixante ans, des espèces. Voltaire avait son P. Adam, qui n’était pas le premier homme du monde. Montesquieu avait son abbé de Guasco. Que dans cette société de Rambouillet il se soit trouvé un certain abbé Cottin, il n’y a rien d’étonnant. L’abbé Cottin était aumônier du roi, prédicateur de la cour, ses sermons furent suivis avec ardeur quinze carêmes de suite. L’estime de Montausier pour lui persuade qu’il n’était pas sans mérite. Voltaire, qui le déclare mauvais poète et prédicateur plat, dit néanmoins qu’il était aimable dans le monde34.

Remarquez aussi que si l’abbé Cottin était de cette société, Boisrobert, l’âme damnée du cardinal, le plus mauvais sujet de Paris, n’en était pas. Segrais raconte que le cardinal envoya Boisrobert à la marquise, pour lui demander son amitié, mais à une condition trop onéreuse pour elle, qui ne savait ce que c’était de prendre parti, et de rendre de mauvais offices à personne. Boisrobert lui dit que le cardinal la priait en amie de lui donner avis de ceux qui parlaient de lui dans les assemblées qui se tenaient chez elle : elle répondit qu’ils étaient si follement persuadés de la considération et de l’amitié qu’elle avait pour son éminence, qu’il n’y en avait pas un seul qui eut la hardiesse de parler mal de lui en sa présence, et ainsi qu’elle n’avait jamais occasion de lui donner de semblables avis.