(1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXVII » pp. 298-304
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(1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXVII » pp. 298-304

Chapitre XXVII

Année 1671 (huitième période). — Séparation du roi et de Madame de Montespan sous prétexte de religion. — Premier symptôme de lassitude. — Mort de la duchesse de Montausier. — Rapport singulier entre madame de Maintenon et elle. — La duchesse de Richelieu nommée dame d’honneur.

Une lettre de madame de Maintenon à madame de Saint-Géran, sans date, mais probablement du mois d’avril ou de mai 1671, fait connaître un incident survenu dans les amours du roi et de madame de Montespan. « Ce que vous me demandez n’est plus un mystère qu’en province. Je vous dirai le fait tel que je le tiens de madame de Noailles. La belle dame (madame de Montespan) ayant été à confesse à un prêtre qui lui a refusé l’absolution, elle en a été extrêmement surprise ; elle s’en est plainte au roi, qui très surpris lui-même, n’a pas voulu condamner ce prêtre sans savoir de M. de Montausier, dont il respecte la probité, et de M. Bossuet, dont il estime la doctrine, ce qu’ils en pensaient. M. Bossuet n’a pas hésité à dire que le prêtre avait fait son devoir. Montausier a parlé pins brusquement. Bossuet a repris la parole et a parlé avec tant de force, a fait venir si à propos la gloire et la religion que le roi, à qui il ne faut que dire la vérité, s’est levé fort ému et serrant la main au duc, lui a dit : Je vous promets de ne plus la revoir. Jusqu’ici il a tenu parole. La petite83 me mande que sa maitresse est dans des rages inexprimables, elle n’a vu personne depuis deux jours. Elle écrit du matin au soir ; en se couchant elle déchire tout. Son état me fait pitié. Personne ne la plaint, quoiqu’elle ait fait du bien à tout le monde. La reine envoya hier savoir des nouvelles de sa santé. Vous voyez, répondit-elle au gentilhomme, que, quoique aux portes de la mort, je me porte encore trop bien. Toute la cour est chez madame de Montausier. Reste à savoir si le roi partira pour la Flandre sans dire adieu. Ce jour-là est décisif. On l’attend avec impatience84 ».

Rien ne m’a appris ce qui était arrivé au départ du roi pour l’armée de Flandre. Mais ceci un fait généralement reconnu que la fin de la campagne le ramena dans les bras de madame de Montespan. Ainsi, la conversation des deux amants ne fut pas longue. Toutefois, l’accès de piété, éprouvé par le roi, plus vivement que par madame de Montespan, était déjà une de ces alternatives qui marquèrent si longtemps le refroidissement de son amour. Le respect du roi très chrétien pour la religion et le soin de sa gloire que Bossuet avait réveillés, s’accroissaient à mesure que l’ardeur de l’amant satisfait diminuait ; et ce qu’écrit à ce sujet madame Scarron à madame de Saint-Géran, indique qu’elle connaissait le point par où le crédit de son ennemie était attaquable et peut-être le cœur du roi accessible.

Une autre circonstance est remarquable dans la lettre de madame Scarron, c’est cet empressement de la cour à se rendre chez madame de Montausier malade, presque mourante, au moment où chancelait la favorite qui avait causé sa maladie. Il semble que l’on regardât L’éloignement de madame de Montespan comme une consolation, une satisfaction, une vengeance qui était due à madame de Montausier : ce dernier tribut de l’estime et de l’affection des gens de bien arrivait trop tard. Le mal était devenu incurable. Madame de Montausier mourut le 15 novembre 1671. Louis XIV parut peu touché de cette mort qu’il avait causée. Cependant madame de Caylus dit, au sujet de la première espérance de conversion que donna le roi, que madame de Montausier avait aussi contribué à son retour vers la religion et les mœurs.

Observons encore ici que madame Scarron, en apprenant à madame de Saint-Géran l’honorable intérêt témoigné par la cour à madame de Montausier, avait déjà plus d’une raison pour se croire destinée à hériter de sa considération. Elle avait été appelée à l’éducation des enfants naturels par les mêmes motifs qui avaient fait confier à madame de Montausier celle des enfants légitimes. Elle était distinguée dans la société, généralement regardée à Paris comme héritière de l’hôtel de Rambouillet : je parle des hôtels d’Albret et de Richelieu. Elle était un des premiers sujets de l’école de Julie d’Angennes ; il y avait de la différence sans doute entre la place de gouvernante des enfants de France et celle des enfants naturels : il y avait aussi de la distance entre Julie d’Angennes, duchesse de Montausier, et Françoise d’Aubigné, veuve Scarron ; mais les traditions de la cour, depuis François Ier, l’élévation et l’insolence des maîtresses avouées, l’élévation, l’insolence et la turbulence des bâtards avaient habitué à regarder les légitimations de ceux-ci comme à peu près équivalentes à la légitimité. Le roi avait légitimé les enfants qu’il avait de madame de La Vallière ; madame Scarron était donc fondée à prévoir le même sort pour ceux de madame de Montespan ; et elle s’était mis dans l’esprit que les fils de Louis XIV, confiés à ses soins, ne devaient pas être les tourments de la France comme l’avaient été les bâtards de Henri IV, et qu’elle devait rendre ses élèves dignes de leur haute destinée, par leur moralité et leur esprit. L’accomplissement de ce noble projet devait rapprocher sa condition de celle de la duchesse de Montausier, et c’est ce qui arriva dès que le duc du Maine eut annoncé ses heureuses qualités. Elle devait même monter plus haut que madame de Montausier ; mais c’est une singularité de sa fortune que la première circonstance par où elle fut signalée, fut l’acquisition de la terre de Maintenon qui appartenait à la maison d’Angennes, dont le marquis de Rambouillet était le chef ; et que, quand le roi donna à madame Scarron, comme on le verra en suivant l’ordre des faits, le titre et le nom de marquise de Maintenon, ce titre et ce nom étaient portés par un des fils d’Angennes ; de sorte qu’elle succéda à un domaine, à un titre, à un nom de l’hôtel Rambouillet, en même temps qu’à la réputation d’esprit et de mœurs, et à la considération de la duchesse de Montausier, dernier rejeton de cette maison.

Enfin, madame de Richelieu succéda à madame de Montausier, dans la place de dame d’honneur de la reine, et madame de Richelieu était aussi de l’école de l’hôtel de Rambouillet. Ce fut madame de Montespan qui la fit préférer à madame de Créqui, présentée par Lauzun ; mais ce fut madame de Scarron qui pressa madame de Montespan de solliciter pour l’amie commune chez qui elles s’étaient connues et liées l’une à l’autre.

Madame de Sévigné écrivait à sa fille, le 6 décembre 1671 : « Madame de Richelieu est assez bien placée ; si madame de Scarron y a contribué, elle est digne d’envie. Sa joie est la plus solide qu’on puisse avoir dans ce monde. » Ces mots sont très significatifs sous la plume de madame de Sévigné, qui affectait toujours quelque chose d’énigmatique dans ce qui regardait la cour. Elle veut dire : Sa position est solide, ayant dans madame de Richelieu une protectrice près de la reine, ses propres services pour recommandation près de la favorite et les bonnes dispositions du roi.

On ne peut douter de la part qu’eut madame Scarron à l’avancement de madame de Richelieu quand on la doit dans l’intime confiance de la duchesse immédiatement après sa nomination. Madame de Sévigné écrivait à sa fille, le 25 décembre 1671 : « Voilà madame Scarron qui a soupé avec nous. Elle dit que de tous les millions de lettres que madame de Richelieu a reçues, celle de M. de Grignan était la meilleure, qu’on ne saurait écrire ni plus galamment, ni plus noblement, ni plus tendrement pour feu madame de Montausier. »