(1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXXIV » pp. 394-401
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(1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXXIV » pp. 394-401

Chapitre XXXIV

Suite de 1676 (continuation de la huitième période). — Passades du roi. — Madame de Louvigny, madame de Théobon, madame de Soubise. — Rapprochement avec madame de Montespan. — Madame de Maintenon occupe le roi. — Il embellit Maintenon. — Inquiétude jalouse de madame de Maintenon. — Efforts de madame de Montespan pour se rajeunir. — Elle danse, elle se pare. — Le roi se plaît à la parer.

Cependant le roi et madame de Montespan se tiennent encore à distance, et ne se voient que dans les grands appartements. Le roi continue ses passades. On lit dans une lettre de madame de Sévigné, du 21 juillet, la mésaventure d’une madame de Louvigny que son mari a surprise écrivant au roi sur un ton d’intelligence suspecte. Le 31, c’est madame de Théobon que le roi a distinguée en passant, et sans tirer a conséquence, dit madame de Sévigné, comme si les duels étant défendus, les rencontres étaient permises. Dans le mois d’août, c’est madame de Soubise qui, suivant madame de Caylus, paraît occuper le roi. Madame de Montespan avait remarqué que madame de Soubise mettait des pendants d’oreille d’émeraude les jours que M. de Soubise allait à Paris ; elle fit suivre le roi un de ces jours-là, et il se trouva que c’était effectivement le signal d’un rendez-vous

L’intrigue du roi avec madame de Soubise inquiéta madame de Montespan : une lettre de madame de Sévigné nous apprend le 7 août que madame de Montespan redoublait de soins pour sa parure, qui y dit-elle, est extrême comme sa beauté et sa gaîté, ajoute-t-elle, est extrême comme sa parure.

Il paraît que ces moyens ne firent aucun effet : le 14 une autre lettre de madame de Sévigné dit que madame de Montespan « commence à se lasser de l’exposition publique dans les grands appartements. Elle fut plusieurs jours à n’avoir pas la force de s’habiller. » Cette bouderie réussit mieux que la parure affectée et la gaîté feinte. Le 26, madame de Sévigné écrit : « On la croit toute rétablie dans sa félicité. » Enfin, le 2 septembre, elle raconte à sa fille que « la vision de madame de Soubise a passé plus vite qu’un éclair… Au jeu, elle a la tête appuyée familièrement sur l’épaule de son ami. On croit que cette affectation était pour dire : Je suis mieux que jamais. »

Mais peu après cet heureux jour, nouvelle crise. Madame de Maintenon était revenue de son domaine, où le roi lui avait « envoyé Le Nôtre pour ajuster cette belle et laide terre. Sa faveur était extrême, dit madame de Sévigné dans sa lettre du 26. L’ami de Quanto (le roi) en parlait comme de sa première ou seconde amie : il lui avait envoyé un illustre (Le Nôtre) pour rendre sa maison admirablement belle. Monsieur y devait aller, peut-être même avec madame de Montespan. »

Dans sa lettre du 2 septembre, après le retour de Maintenon, madame de Sévigné écrivait : « La faveur de madame de Maintenon est extrême. »

Le 4, on apprend que « Quanto (madame de Montespan) n’a point été un jour à la comédie, ni joué deux jours ». Grands événements !

Le 11, madame de Sévigné écrit : « Tout le monde croit que l’étoile de Quanto pâlit. Il y a des larmes, des chagrins naturels, des gaîtés affectées, des bouderies ; enfin, ma chère, tout finit. On regarde, on observe, on s’imagine, on croit voir des rayons de lumière sur des visages que l’on trouvait indignes, il y a un mois, d’être comparés aux autres. » Ces on là, c’est la cour. L’on qui suit regarde le roi : « On (le roi) joue fort gaîment, quoique la belle garde sa chambre. »

Le 30 septembre, madame de Sévigné écrit à sa fille : « Tout le monde croit que l’ami (le roi) n’a plus d’amour, et que Quanto (madame de Montespan) est embarrassée entre les conséquences qui suivraient le retour des faveurs, et le danger de n’en plus faire, crainte qu’on n’en cherche ailleurs. D’un autre côté, le parti de l’amitié n’est point pris nettement ; tant de beauté encore et tant d’orgueil se réduisent difficilement à la seconde place. Les jalousies sont vives ; mais ont-elles jamais rien empêché ? »

Le surlendemain, c’est autre chose. Madame de Sévigné écrit, le 2 octobre, à sa fille « que la veille l’ami et l’amie (le roi et madame de Montespan) avaient passé toute la journée ensemble, La femme (la reine) était venue à Paris ; on dîna ensemble. On ne joua pas en public. Enfin, la joie était revenue, et tous les airs de jalousie avaient disparu. Comme tout change d’un moment à l’autre ! »

Variations misérables ! alternatives grossières d’appétits et de dégoûts du côté du roi ; de futiles jouissances et de chagrins avilissants du côté de madame de Montespan ; un jour on voit en elle la vanité contente d’imposer quelques heures de plus aux courtisans, par des apparences de faveur ; le lendemain ce sont de ridicules désespoirs ou tombe cette vanité par l’évidence de la disgrâce.

Désormais le cœur du roi suit madame de Maintenon dans son domaine. Il l’embellit ; il donne ses ordres pour le jardin ; il en donne pour l’ameublement de la maison. Le maréchal d’Albret, ancien ami de madame de Maintenon, était mort dans le mois de septembre : il lui avait écrit, avant d’expirer, une lettre pleine d’estime et d’affection. Le roi savait la douleur profonde que madame de Maintenon ressentait de la perte de cet ami : il fait placer le portrait du maréchal d’Albret dans la galerie de Maintenon. Et cependant madame de Maintenon n’était point heureuse : on devinera aisément pourquoi, en lisant ce qu’elle écrivait à son frère après un nouveau séjour à Maintenon, « Maintenon, dit-elle, est fort embelli ; en entrant dans la galerie, la première chose que j’ai vue, c’est le portrait du maréchal d’Albret : j’ai pleuré. Le roi veut faire un lieu charmant de ce château. Il y a envoyé M. Le Nôtre, et j’y trouve tous les jours des présents de la belle dame. Vous mourez d’envie de venir dans le grand monde, et moi d’en sortir. » À quelque temps de là, elle écrivait à l’abbé Gobelin : « Si je suivais mon inclination, il n’y a pas de moment dans la journée que je ne demandasse à me retirer. Il est impossible que je soutienne longtemps la vie que je mène. Je prends trop sur moi pour que l’esprit et le corps n’y succombent pas, peut-être tous les deux. » Vous avez l’explication de cette mélancolie dans un mouvement de jalousie dont ne se défend pas l’amour le plus chaste. Les présents que madame de Montespan faisait trouver chaque jour à Maintenon, prouvaient un retour de sécurité sur l’amour dont le roi lui redonnait des marques. Madame de Maintenon croyait que madame de Montespan, cessant d’être jalouse d’elle, c’était à son tour de l’être de madame de Montespan.

Madame de Sévigné, plus désintéressée que madame de Maintenon, jugeait mieux le cœur du roi à l’égard de madame de Montespan. « Il n’y a plus que la crainte », écrivait-elle le 7 octobre, « qui attache à Quanto. »Sous-entendez la crainte des éclats de la jalousie de cette femme altière. Madame de Sévigné la regardait comme tout à fait sortie du cœur du roi. Le 15 du même mois, elle adressait à sa fille ces réflexions d’une profonde sagesse et d’une parfaite honnêteté : « Si Quanto avait bridé sa coiffe à Pâques de l’année qu’elle revint à Paris, elle ne serait pas dans l’agitation où elle est. Il y avait du bon esprit à prendre ce parti. Mais la faiblesse humaine est grande. On veut ménager des restes de beauté. Cette économie ruine plutôt qu’elle n’enrichit. »

Dans les mois de novembre et de décembre, madame de Montespan épuisa, pour se rendre les charmes de la jeunesse, toutes les ressources qui restent à la beauté par les ans confirmée. Elle avait trente-cinq ans en 1676, et, comme disent les Mémoires de Madame, une grosse vilaine taille , qui rappelait ses huit enfants, et elle dansait et se paraît comme une femme de dix-huit. « Quanto », dit madame de Sévigné dans une lettre du 11 novembre, « dansa aux derniers bals toutes sortes de danses comme il y a 20 ans, et dans un ajustement extrême. » Et le roi, toujours voluptueux, qui se flattait par moments de revoir des mêmes yeux et de retrouver dans le même éclat les charmes dont il avait été épris, se prêtait aux illusions de la parure, et se plaisait à y ajouter sa magnificence.

Une lettre de madame de Sévigné, du 6 novembre, raconte avec sa grâce ordinaire comment le roi, sous le nom d’un certain Langlée, espèce d’aventurier qui tenait un jeu à la cour, lui donna la plus belle robe dont on eut jamais eu l’idée : « M. de Langlée a donné à madame de Montespan une robe d’or sur or, rebrodé d’or, rebordé d’or, et par-dessus un or frisé, rebroché d’un or mêlé avec un certain or qui fait la plus divine étoffe qui ait jamais été imaginée : ce sont les fées qui ont fait cet ouvrage en secret. Âme vivante n’en avait connaissance ; on la voulut donner aussi mystérieusement qu’elle avait été fait briquée, Le tailleur de madame de Montespan lui apporta l’habit qu’elle lui avait ordonné ; il en avait fait le corps sur des mesures ridicules. Voilà des cris et des gronderies, comme vous pouvez le penser. Le tailleur dit en tremblant : Madame, comme le temps presse, voyez si cet autre habit que voilà ne pourrait point vous accommoder faute d’autre. On découvrit l’habit : Ah ! la belle chose, la belle étoffe ! vient-elle du ciel ? il n’y en a point de pareille sur la terre. On essaie le corps, il est à peindre ; le roi arrive. Le tailleur dit : Madame, il est fait pour vous. On comprend que c’est une galanterie. Mais qui peut l’avoir faite ? C’est Langlée, dit le roi ; c’est Langlée, assurément, dit madame de Montespan ; personne que lui ne peut avoir imaginé une telle magnificence : c’est Langlée, c’est Langlée ! Tout le monde répète : C’est Langlée ! Les échos en demeurent d’accord et disent : c’est Langlée ! et moi, ma fille, je vous dis pour être à la mode : C’est Langlée. »