(2012) Ticket_1989
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(2012) Ticket_1989

Cette nuit m'a évidemment permis de comprendre la mission du samu social, ce qui n'était pas tout à fait clair dans mon esprit. En particulier je pensais que l'action menée était à plus long terme; j'ai été tristement surprise de découvrir que les personnes emmenées une nuit dans un centre d'accueil devront rappeler le 115 le lendemain matin pour tenter d'être de nouveau hébergées le lendemain soir, et ce sans aucune garantie. Beaucoup d'usagers sont déjà bien connus du samu social, certains ont des ressources, et pourtant ils doivent chaque jour recommencer, la crainte de dormir dehors le lendemain ne les quittant pas une seconde. J'ai compris que c'est dû au manque de places en centre d'hébergement d'une part, et surtout le manque de places en centre à taille humaine, où l'on a envie et non peur d'aller, comme le centre de Montrouge que j'ai pu visiter. Mais les personnes sans abri sont un peu éloignées de ces considérations, ainsi que du fonctionnement complexe de l'attribution des places par le 115, et j'ai senti l'équipe se heurter à la frustration des personnes que nous emmenions pour une nuit, sans avoir de réponse satisfaisante ou même réconfortante à des questions très simples : "pourquoi dois-je rappeler tous les jours pour qu'on me renvoie au même endroit chaque nuit? pourquoi nous laisser espérer en nous demandant de rappeler dans 1h30, puis encore dans 1h30, pour finalement nous annoncer qu'il n'y a plus de place? certaines personnes sont hébergées plusieurs jours, voire semaines, pourquoi pas moi?" J'ai également été confrontée à la difficulté d'avoir quelqu'un d'absolument démuni face à soi, qui nous regarde de manière interrogatrice, et de ne pas savoir du tout comment réagir. Que répondre à quelqu'un qui n'a déjà presque rien qui nous raconte qu'il s'est fait tabasser et voler toutes ses affaires, y compris son duvet et son portable, et qu'on n'a même pas voulu lui laisser sa carte sim? Ceci dit, même si je ne savais pas bien quoi dire, je me suis sentie bridée, et donc réduite au silence complet, par la conscience de mon inexpérience : la peut de dire une "bêtise", devant les professionnels que sont le reste de l'équipe. Mais ceux-ci, isolés du reste du camion, restaient parfaitement silencieux devant les interrogations des usagers.