(2012) Ticket_2105
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(2012) Ticket_2105

J’ai beaucoup appris de cette nuit au SAMU Social. Toute l'équipe a été très chaleureuse, j'étais attendue, j’ai été présentée à tout le monde et ils se sont souvenus de mon prénom. On m'a fait une place à l’avant du camion, une manière de m’intégrer rapidement dans l'équipe. Je me demande souvent ce qui peut amener quelqu'un à se désocialiser, à passer ses nuits dans la rue pendant quelques jours puis quelques mois puis quelques années. Ce n’est jamais facile de passer devant un sans abris en plein hiver, parce que le froid et la pluie ça fait mal et parce qu’on ne sait jamais trop quoi faire. Alors comme de toute façon la personne a l’air de dormir sous ses cinq sacs de couchage, que ça pu et qu’on voit la bouteille de rouge à coté, on passe son chemin. En gardant un sentiment de gène et de culpabilité. Et le fait d’être étudiant en médecine ne change rien à cela. Les SDF ça questionne et ça dérange. Tout d’abord il y a eu Louis et son campement précaire mais cosy, à deux pas du commissariat, avec chauffage, mobilier (donné en partie par des policiers) et réserves alimentaires et avec qui ont a partagé le café et les spéculos. Puis il y a eu Saïd, au milieu de la chaussée sur la plaque chauffante et sous son sac plastique. Ça fait 20 ans qu’il est là, il a perdu sa femme et sa fille. Tout ça, c’est Stéphane qui est abrité en face qui nous l’a dit. Lui il travaille dans la restauration, il a son gamin chez ses parents, et tout ce qu’il souhaite pour 2012 c’est un logis pour vivre avec lui. Seulement il n’a nulle part où poser ses affaires lorsqu’il part au travail car les consignes sont pleines. C’est aussi pour ça qu’il ne veut pas d’un hébergement ce soir, c’est pas facile de bouger tout son fatras comme ça, mais demain c’est d’accord, on fera un signalement. Le SAMU est globalement toujours bien accueilli, les gens nous aiment bien. On demande souvent de l’eau ou du café (ah, ils ne sont pas tous alcooliques alors ?), des chaussettes propres (mais enfin moi qui pensais qu’ils ne se lavaient jamais !!) ou des duvets. On leur sert la main, on leur demande leur prénom et leur date de naissance et ils nous répondent honnêtement, ce qu’ils ne font pas avec la police. La plupart sont déjà connu des équipes qui savent alors où les trouver et connaissent leurs habitudes. Ensuite, il y a eut David et son chien, ancien militaire qui a perdu sa femme. Un accident de vie et le voilà à la rue en train de se faire cuire un steak sur un réchaud. Il en a marre de ces roumains (d’autres diront polonais, africains… ) qui ont droit à des aides alors que lui il est français et il a juste le RSA pour survivre. Le racisme existe aussi chez les SDF, il faut bien en vouloir à quelqu’un pour justifier sa condition. Puis commencent les signalements et le rabattage. On embarque trois messieurs et direction Montrouge. L’endroit à une allure d’ancienne école. On m’a fait visiter, la salle à manger, les chambres, le cabinet médical. Ils quitteront le lieu à 10h demain. D’autres signalements et direction « La Boulangère ». Cette fois l’endroit à l’allure d’un ancien blockhaus et on ne me fait pas visiter. Les deux messieurs ont des problèmes de santé, ils iront demain aux urgences de Bichat. Plus qu’une aide matérielle, il s’agit de créer un lien social. Ce n’est pas facile dans la vrai vie d’aborder un sdf. De quoi avez-vous besoin ? De l’argent, un foyer ? Ah non, désolé, ça je ne peux pas. Et puis ça fait un peu peur ces gens très seuls. Mais avec le blouson SSP, c’est plus simple, on est là pour ça, alors les gens se livrent. Et on se rend compte que les profils et les vies sont variés, que ces personnes ne sont pas toutes « psychotiques » ou « délinquantes », quelques fois oui mais ce n’est qu’une minorité. J’aimerai bien pouvoir échanger de cette manière même sans le blouson mais ça demande du courage et cette nuit m’en a donné un peu plus. Je remercie toute l’équipe du Samu social pour sa gentillesse et sa bonhomie. J’ai beaucoup ri et j’ai appris plein de choses. J’aurai du plaisir à refaire une garde en leur compagnie.