(2013) Ticket_1671
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(2013) Ticket_1671

Je tiens tout d'abord à remercier toute l'équipe du SAMU social pour leur accueil chaleureux. La nuit a été très enrichissante, les deux parties de la garde apportant un éclairage différent et complémentaire sur ce monde si complexe qu'est le monde de la rue... Il est intéressant de noter que lors de la double écoute, un dossier extrêmement détaillé (informatisé) est tenu. Le dialogue est nu : l'on décroche, une date de naissance est lancée, un moment d'attente s'ensuit, la liste des places disponibles défile sous nos yeux.. "C'est bon.". Le Monsieur vient de raccrocher. Il a omis de dire "Bonjour", "Merci", "Au revoir". Je m'indigne tout bas. Je n'ai pas encore compris que ces mots policés sont morts en même temps que sa dignité. Ce sont souvent les mêmes personnes qui appellent (le record pour ce soir : Mr M, enregistré depuis 1997 et passant son 1800ème appel). Cela révèle, pour rester dans le jargon médical, le caractère symptomatique et non étiologique de la lutte contre la précarité. Cela me laisse un peu perplexe. Après le débriefing de 20h, nous partons en maraude.. Brusque plongeon au sein d'une toile tendue en filigrane sur Paris... Cette fois je ne détourne plus les yeux, je les ouvre. L'équipe est composée d'un chauffeur (Atef), d'un travailleur social (Justine), d'une infirmière (Déborah) et de moi-même. L'ambiance est décontractée : ce sont principalement des SDF qu'ils connaissent, il y a peu de nouvelles têtes. Ils montent dans le camion au fur et à mesure de notre itinéraire. Nous les connaissons tous par leur prénom. Une poignée de main, un sourire, quelques mots échangés sur le quotidien ou sur la dernière chanson en vogue.. Voilà, au-delà des pantalons plein d'urine et des visages émaciés, de quoi restaurer en eux une véritable humanité. Cela m'a beaucoup touchée, je ne "les" verrai plus de la même façon. De même que le travail du chauffeur ne se limite pas au transport, celui des infirmières et des travailleurs sociaux ne se limite pas aux soins de base, c'est un véritable travail de nursing (toilette complète pour plusieurs personnes que l'on a amenées au centre, habillement, etc.) et de réconfort. J'ai été impressionnée par leur motivation et leur dynamisme inébranlable. Car comment se remotiver lorsqu'une dame que l'on a secourue 24h auparavant, au bord du coma éthylique, retombe dans nos bras pour les mêmes symptômes la nuit suivante ? La déchéance est un véritable cercle vicieux. Certains me l'ont dit, chaque jour est un combat renouvelé. Et lorsque l'on parvient à hisser la tête hors de l'eau pendant quelques semaines, quelques mois, l'équilibre est si précaire qu'il s'en faut de peu pour replonger. La lutte est ultra, circa, infradienne... Néanmoins cette nuit a été un vecteur d'espoir. Je garde à l'esprit que la dévotion et l'entraide restent des valeurs solidement ancrées. Et peu importe si le traitement n'est que symptomatique, si l'impact socio-économique est petit voire inexistant : l'impact humain est grand...