(2015) Ticket_1190
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(2015) Ticket_1190

Avant de venir à ma garde et au début de la double écoute du 115, on m'avait prévenu que les demandes d'hébergement étaient trop nombreuses comparé au nombre de places disponibles ; que certains SDF appelaient tous les jours mais qu'on ne leur accordait une place qu'au-delà d'un certain nombre de nuits passées dehors, pour que "ça tourne" et que ça ne soit pas toujours les mêmes qui dorment en hébergement. Je m'attendais donc à des appels difficiles, durant lesquels il faudrait annoncer à la majorité des appelants qu'ils devraient passer une nouvelle nuit dehors. Et ce fût le cas pour de nombreux appels. Et à chaque fois, de la part des appelants : déception, résignation voire colère et insultes. Jusqu'à cet appel qui m'a marqué. Un homme d'une trentaine d'année, à la rue depuis plusieurs mois, mais en recherche active de formation et d'emploi, en lien régulier avec une assistante sociale d'une association. Ce soir il nous appelle pour une demande d'hébergement. Sur son profil, on voit qu'il a été plusieurs fois pris en charge par le Samu Social en passant quelques nuits en hébergement d'urgence, mais à chaque fois ça ne dure qu'une nuit avant de retourner à la rue. Au téléphone, il craque, il a des idées noires. Il explique que son dernier entretien pour une formation n'a pas été concluant, il n'en peut plus de sa situation et dit se donner jusqu'à septembre pour espérer une amélioration. Après ça, il préfère encore mourir ou aller en prison que de rester dans la rue (en prison au moins, il dormira au chaud et mangera trois fois par jour). L'écoutante le met en attente et va voir son responsable : une place en hébergement stabilisé est disponible à la Boulangerie, c'est-à-dire une place sans limite de durée ou presque, afin de permettre à des personnes comme ce monsieur de se concentrer sur une recherche d'emploi et de logement. A l'annonce de cette place, le monsieur nous fait répéter, il s'agit d'une place pour plusieurs jours, plusieurs semaines voire plusieurs mois? Bien que les conditions d'hébergement à la Boulangerie ne soient pas optimales (et le monsieur les connaît), on sent le soulagement de cet homme au téléphone, et son émotion également. Il remercie plusieurs fois l'écoutante et promet de se donner les moyens de s'en sortir, maintenant. S'il décroche un emploi et devient riche, il invitera tout le personnel du Samu Social à boire un verre! Ce fût mon dernier appel avant de partir dans le camion pour la maraude, et franchement ça m'a redonné du baume au coeur.