Paper war

Dates

1752

Titre(s) endogène(s)

The Paper war / la guerre des journaux (Fielding)

Autre(s) titre(s)

Querelle Hill-Fielding

Fiche rédigée par Sylvie Kleiman Lafon . Dernière mise à jour le 24 December 2014.

Synopsis

Synopsis

Cette querelle complexe a lieu à un moment où Henry Fielding cumule les succès littéraires et professionnels. Nommé juge, il est aussi une figure proéminente de la scène littéraire londonienne. Redoutable entrepreneur, il vient de fonder l’Universal Register Office et menace les intérêts économiques de la concurrence, notamment d’un Belge, Philippe D’Halluin, qui a investi dans le Public Register Office installé à Covent Garden. Les deux officines se sont alors lancées dans une concurrence acharnée à coup de publicités par voie de presse. Depuis quelques temps déjà, Fielding cherchait également à renforcer sa renommée littéraire en attaquant certains de ses concurrents dans les journaux et en provoquant volontairement ses ennemis politiques et littéraires.

La querelle proprement dite a pour point de départ la publication, le 18 décembre 1751, du quatrième et dernier roman d’Henry Fielding, Amelia, sa première incursion dans la veine sentimentale qui a fait le succès de l’un de ses rivaux les plus notables: Samuel Richardson. Peu de temps après la parution d’Amelia, le 4 janvier 1752, Fielding lance un nouveau journal, le Covent Garden Journal dont il est l’un des principaux contributeurs sous le pseudonyme de Sir Drawcansir. Dans ce premier numéro, sans doute pour soutenir les ventes de son roman en faisant parler de lui, il déclare vouloir défendre la République des Lettres contre les plumitifs de Grub-street, la rue dans laquelle se concentrent les officines de la presse à scandale ; il annonce la création d’une rubrique intitulée « Journal of the present Paper War » et rédigée au départ sur un ton qui se veut humoristique.

La réaction des adversaires de Fielding ne se fait pas attendre. Pourtant salué à sa sortie comme un roman majeur par John Cleland (Monthly Review, 5, 1751), le livre ne rencontre pas le succès escompté par l’éditeur Andrew Millar et le roman se trouve bientôt sous le feu des critiques. Certains commentateurs reprochent à Fielding d’avoir inséré dans plusieurs passages d’Amelia des publicités déguisées pour son Universal Register Office, jugées déplacées et anachroniques. D’autres lui reprochent de se lancer dans un genre (le roman sentimental) qu’il avait pourtant parodié avec succès et ne lui pardonnent pas ce revirement ou reprochent à Fielding le réalisme social avec lequel il peint certains épisodes de la vie de son héroïne. D’autres enfin s’en prennent avec plus de légèreté à certains détails incongrus du roman. Ainsi, un article du London Magazine (20, 1751), publié peu de temps après la parution d’Amelia, note entre autre que le nez de l’héroïne, cassé au début du roman, n’est jamais soigné et que cette éternelle cicatrice ternit la vertu supposée de la jeune fille. John Hill reprend ce détail saugrenu sur le mode satirique dans le Daily London Adviser du 8 janvier 1752. C’est à ce moment que la querelle est véritablement lancée, car elle oppose désormais Fielding à l’un de ses plus ardents rivaux, Hill étant depuis mars 1751 le rédacteur d’une rubrique concurrente intitulée « The Inspector » pour le London Daily Advertiser. Ce même jour, Hill comparaît devant Fielding (en sa qualité de juge) comme témoin dans une affaire de vol ; Fielding lui aurait à cette occasion proposé en aparté de jouer le jeu d’une querelle fabriquée afin de renforcer leur notoriété respective. C’est en tout cas cette version que Hill rapporte à ses lecteurs dès le lendemain, dénonçant le marché proposé et accusant Fielding de se moquer de ses lecteurs. Le 11 janvier, alors que Fielding réplique en annonçant ironiquement dans son propre journal (n°3) que le nez d’Amelia avait été réparé par un éminent chirurgien et qu’il avait tout simplement omis d’en avertir les lecteurs du roman, paraît une pièce burlesque anonyme très insultante pour Fielding, qui s’y trouve traité de fou, d’imbécile et de « bawdy novelist » (romancier paillard). D’autres plumes prennent part à leur tour dans la querelle qui oppose Fielding à Hill.

Empruntant le pseudonyme utilisé par Fielding dans le Covent Garden Journal, Tobias Smollett profite de la querelle existante pour faire paraître, le 15 janvier 1752, un pamphlet intitulé A Faithful Narrative of the Base and inhuman Arts that were lately practiced upon the Brain of Habbakkuk Hilding, dans lequel Fielding apparaît sous les traits d’un fou chevauchant un âne aux côtés d’Amelia, décrite en prostituée sans nez (voir querelle Fielding / Smollett). Apparemment payé par D’Halluin pour attaquer et dénigrer Fielding, le critique Bonnell Thorton publie une satire d’Amelia dans le premier numéro de Have-at-you-all, or the Drury-Lane Journal (16 janvier 1752). Il rebaptise l’héroïne de Fielding du nom de Shamelia en référence au roman parodique (Shamela) dans lequel Fielding lui-même raillait la Pamela de Richardson. Le 20 janvier 1752, paraît The Covent Garden Journal Extraordinary, parodie du journal de Richardson ainsi que de sa rubrique consacrée à la chronique de la querelle. Cette parodie non-signée est parfois attribuée à Thornton, l’auteur y raille le style prétendument ampoulé des articles de Fielding et rédige entre autres la notice nécrologique d’Amelia « sacrifiée à la vénéneuse influence des mauvaises langues ».

Manifestement dépassé par une hostilité qu’il n’avait pas prévue, ou qu’il avait cru pouvoir contenir et utiliser, Henry Fielding retire sa chronique de la « Paper War » à partir du n°4 du Covent Garden Journal. Cela n’empêche pas Bonnell Thornton de récidiver le mois suivant avec « A New Chapter in Amelia » publié le 6 février 1752, toujours dans le Drury-Lane Journal.

La querelle se poursuit dès lors entre pro- et anti-Fielding, mais sans le principal intéressé, donnant lieu à un certain nombre de productions littéraires secondaires. Au rang de celles-ci : The Covent Garden Theatre, or Pasquin turn’d Drawcansir, une pièce de théâtre de l’acteur Charles Macklin favorable à Fielding et directement inspirée de sa vie et de sa carrière (1752) et The Hilliad de Christopher Smart (épopée satirique tournant Hill en ridicule publiée le 1er février 1753). Hill s’était montré très négatif lors de la publication des Poems on Several Occasions de Smart, se lançant même dans une attaque en règle de l’un des poèmes du recueil « The Hop-garden » ; ce dernier n’ira pas plus loin dans sa participation à la querelle, d’autant qu’il ne s’était jamais véritablement prononcé pour ou contre Fielding par le passé. La publication de The Hilliad entraîna cependant à son tour des réactions pro-Hill. Samuel Derrick (plus connu pour avoir régulièrement publié un guide des prostituées de Covent-Garden, Harris’s List) publie ainsi en janvier 1753 un poème satirique intitulé The Smartiad et, peu de temps après, Arthur Murphy (dramaturge et éditeur du Gray’s Inn Journal de 1752 à 1754) publie Rules for being a Wit, dans lequel il s’en prend entre autres à Smart. En 1752, William Kenrick, dont Smart était la tête de Turc avant même que la querelle Hill-Fielding n’éclate, s’attaque à la fois à Tobias Smollett et à l’auteur d’Amelia dans une parodie de Macbeth intitulée Fun: a Parodi-tragi-comical Satire. Kenrick imagine le trio de sorcières jetant dans leur chaudron les œuvres de l’un comme de l’autre. La pièce est interdite par le maire de Londres alors qu’elle devait être jouée le 13 février 1752. Elle sera publiée quelques jours plus tard.

Malgré ces ramifications particulières, la « Paper War » à proprement parler s’éteint d’elle-même dès lors que Fielding cesse de l’alimenter dans son journal. Le dernier numéro du Covent Garden Journal paraît le 25 novembre 1752, alors que la santé du romancier décline rapidement et ne lui laisse plus la force de polémiquer.

Enjeux

Enjeux

L’enjeu principal de cette querelle est la notoriété littéraire. Qu’elle ait été ou non fabriquée par Fielding, tous les acteurs de la querelle s’en sont servi pour accroître leur visibilité sur la scène littéraire londonienne : la querelle est instrumentalisée dans une fin publicitaire. L’un des enjeux secondaires de la querelle est d’ordre économique : en s’attaquant à son dernier roman, c’est au succès économique (et aux accointances politiques) de Fielding que l’on cherche à nuire. Centrée sur Amelia, cette querelle porte aussi, à la marge, sur l’écriture romanesque et son rapport à la vérité et à la vraisemblance.

Chronologie

Chronologie

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Noms propres

Noms propres

Références

Références

Corpus

• Fielding, Henry, Amelia, 4 vols., Londres, A. Millar, 1751-1752.

• The Covent Garden Journal, hebdomadaire paru du 4 janvier au 25 novembre 1752 (Londres, Ann Dodd, 1752) ; éd. Bertrand Goldgar, Middletown, Wesleyan University Press, 1988.

• The Covent Garden Journal Extraordinary, un seul numéro daté du 20 janvier 1753 (Londres, J. Sharp, 1753).

• Hill, John, The Inspector, Londres, 1753.

• Smollett, Tobias (attribué à), A Faithful Narrative of the Base and inhuman Arts that were lately practiced upon the Brain of Habbakkuk Hilding, Londres, J. Sharp, 1752.

• Smart, Christopher, The Hilliad, Londres, Newberry, 1753.

• Derrick, Samuel, The Smartiad, a satire occasion’d by an epic poem intitled the Hilliad, Londres, Job, 1753.

• Kenrick, William, Fun : a Parodi-tragi-comical Satire, Londres, F. Stamper, 1752.

• Macklin, Charles, The Covent Garden Theatre, or Pasquin turn’d Drawcansir (jouée sans être publiée, en 1752), éd. Jean Kern, Berkeley, University of California Press, 1965.

• Murphy, Arthur (attribué à), Rules for being a Wit, Londres, pour l’auteur, n.d.

Bibliographie critique

• Battestin, Martin et Ruthe Battestin, Henry Fielding, a Life, Londres, Routledge, 1973.

• Paulson, Ronald, The Life of Henry Fielding, Londres, Longman, 1994.

• Rousseau, G.S., The Notorious John Hill, Plymouth, Lehigh University Press, 2012.

• Powell, M., Performing Authorship in 18th Century English Periodicals, Lewisburg, Bucknell University Press, 2012.

• Rogers, Pat, Grub-street : Studies in a Sub-Culture, Londres, Methuen, 1972.

• Sabor, Peter, « Amelia » in Claude Rawson (éd.), Cambridge Companion to Fielding, Cambridge, CUP, 2007, p. 94-108.

• Conway, Alison, « Fielding’s Amelia and the Æsthetics of Virtue », Eighteenth Century Fiction, vol. 8, n° 1, janvier 1995, p. 35-50.

• Haggerty, George E., « Amelia’s Nose ; or, Sensibility and Its Symptoms », The Eighteenth Century : Theory and Interpretation 32:2 (1995), p. 139-156.

• Rizzo, Betty, « Notes on the War between Henry Fielding and John Hill, 1752-53 », The Library (1985), s6 VII (4), p. 338-353.

• Jensen, G.E., « The Covent-Garden Journal Extraordinary », MLN 34 (1919), p. 57-59.

Liens

Liens

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