Querelle de la vertu des païens

Dates 1641 - 1647

Fiche rédigée par Isabelle Moreau . Dernière mise à jour le 27 December 2014.

Synopsis

Synopsis

La question de la « vertu des païens » est un cas classique des controverses théologiques, mais elle trouve un regain d’actualité en ces années de polémiques sur la grâce, la prédestination et le libre arbitre. Il s’agit de savoir si des philosophes antiques ne pourraient pas, par une grâce spéciale de Dieu, être sauvés, dans la mesure où ils se seraient approchés des vérités révélées et de la vertu chrétienne, autant que cela était possible par le seul moyen de leur lumière naturelle. La querelle reprend l’opposition entre molinistes et augustiniens, avec quelques voix discordantes, comme celle de La Mothe Le Vayer qui s’autorise de la politique de Richelieu contre le jansénisme pour distribuer largement le salut aux païens et glisser au passage quelques belles impiétés. En témoigne la réaction de Jacques Camus de Pontcarré, dans une lettre à Pierre Dupuy, datée du 10 janvier 1642 : « J’ay leu le livre de la Vertu des Payens. Il paroist sçavant et curieux comme en ses autres opuscules. Il n’est pas assés theologien pour traitter ces matieres. Il en parle plus en payen – à vous seul cette parole – qu’en chrestien. Son livre seroit mieux receu, à mon advis, s’il eust simplement estalé ces grandes vertus des payens, sans passer oultre. »

Les traités de La Mothe Le Vayer et du Père jésuite Antoine Sirmond suscitent les réponses d’Antoine Arnauld et de Jean-Pierre Camus l’année de leur parution. Dans le cas de Le Vayer, l’engagement au cœur de la polémique est rendu visible par l’ajout de notes et leur justification par Le Vayer : la première édition de son traité avait suscité de nombreuses critiques, de la part de personnes « assez mal affectionnées envers [lui] pour [lui] imputer d’avoir mal cité quelques Peres, de l’autorité de qui [il s’est] servi en faveur des Payens Vertueux et non Idolâtres » (De la Vertu des païens [1642], Paris, Augustin Courbé, 1647, p. 311). La Mothe Le Vayer va ajouter un addendum à la seconde édition de son traité, intitulé « Preuves des citations » qui, au fil de quatre-vingt pages, va répondre aux critiques des dévots (Ibid., p. 311-393). Pour les jansénistes, les défenseurs du salut des païens ne font que réactiver, au travers des thèses molinistes, l’ancienne hérésie de Pélage. Outre les traités de Sirmond et de Le Vayer, on mentionnera les Éléments de la connaissance de Dieu et de soi-même, composés en latin par le président Pierre Séguier, mis en français par G. Colletet et publiés en 1637, qui a pu être lu a posteriori comme participant de la même vague d’écrits polémiques.

La réfutation d’Antoine Arnauld, De la nécessité de la foi en Jésus-Christ, n’est publiée qu’en 1701, mais elle a été utilisée en Sorbonne contre les conceptions des jésuites à l’égard de la Chine (Œuvres de Messire Antoine Arnauld…, t. X […]. A Paris, & se vend à Lausanne, Chez Sigismond d’Arnay & Compagnie. M. DCC. LXXVII : De la nécessité de la Foi en Jésus Christ pour être sauvé, « Préface historique et critique […] », p. XI).

Enjeux

Enjeux

La question de la vertu des païens est une question classique en théologie qui prend une tournure polémique au XVIIe siècle. Elle connaît en effet une actualité renouvelée dans la seconde moitié du XVIe siècle et au XVIIe siècle, avec les découvertes géographiques et l’expansion de l’activité missionnaire.

Face aux païens d’aujourd’hui, des « sauvages » de l’Amérique aux peuples idolâtres de Chine, les missionnaires (les Jésuites, en particulier) élaborent des outils nouveaux au service de la prédication évangélique.

Sur l’histoire missionnaire, viennent se greffer dans les années 1640 les polémiques entre Jésuites et Jansénistes sur la grâce, la prédestination et le libre arbitre – polémiques qui intéressent le pouvoir politique. L’intervention de La Mothe Le Vayer en témoigne : en laissant un érudit non théologien donner ouvertement son avis sur une question de théologie, Richelieu rend manifeste, à la fois les soubassements politiques de la querelle, et le droit de regard du pouvoir monarchique sur les questions religieuses. Le commentaire de Naudé témoigne de l’efficacité de la démarche : les docteurs de la Sorbonne ont voulu s’en prendre à la Vertu des Payens « sed dentem fregerunt solido » (Rome, Bibliothèque Vaticane : Codices Barberini Latini, 6471. Lettres de Naudé au cardinal F. Barberini, à L. Allacci et à Holstenius (1636-1651), 91 ff., fol. 8, 3 avril 1642).

Chronologie

Chronologie

• 1641 :

- publication de La Défense de la vertu du père jésuite Antoine Sirmond ;

- réponse d’Arnauld dans son Extrait de quelques erreurs et impiétés contenues dans un livre intitulé : « La Défense de la vertu ».

• 1642 :

- publication, par le père Camus, d’une réponse à Sirmond intitulée Animadversions sur la préface d’un livre intitulé, Défense de la vertu.

- La Mothe le Vayer publie sa Vertu des Païens. Cette édition suscite de nombreuses critiques, notamment concernant l’usage qu’il fait des citations.

• 1647 :

La Mothe le Vayer publie une seconde édition de sa Vertu des Païens. Il y ajoute un addendum, intitulé « Preuves des citations », où il répond aux critiques des dévots.

Noms propres

Noms propres

Références

Références

Corpus

• Arnauld, Antoine, De la nécessité de la foi en Jésus-Christ, in Œuvres de Messire Antoine Arnauld…, t. X […]. A Paris, & se vend à Lausanne, Chez Sigismond d’Arnay & Compagnie. M. DCC. LXXVII

• Arnauld, Antoine, Extraict de quelques erreurs et impiétez contenues dans un livre intitulé : « La Deffence de la vertu », par le Père Antoine Sirmond, de la Compagnie de Jésus... (S. l.), 1641. In-8° . Pièce.

• Camus, Jean-Pierre, Animadversions sur la preface d’un livre intitulé, Deffence de la vertu. Par J.P.C.E. de Belley. A Paris, M.DC.XLII ([4]-210-[10] p. ; in-8). Note : J.P.C.E. de Belley = Jean-Pierre Camus évêque de Belley. - Publié en réponse à un ouvrage du P. Antoine Sirmon

• La Mothe Le Vayer, François de, De la Vertu des payens, Paris, F. Targa, 1642, dédicacé à Richelieu, in-4°, 368 p. Achevé d’imprimer le 15 nov. 1641

• La Mothe Le Vayer, François de, De la vertu des payens, seconde édition augmentée, Paris, A. Courbé, 1647, vol. in-4°, 396 p. Identique à la 1e édition, avec en plus la Preuve des citations, p. 307-393.

• Lettres de Jacques Camus de Pontcarré à P. Dupuy (dates diverses) : 195 ff., fol. 134 (source : R. Pintard, op. cit., p. 651, n. 2 de la p. 522)

• Séguier, Pierre, Les Éléments de la connaissance de Dieu et de soi-même, composés en latin par Messire Pierre Séguier,... mis en français par G. Colletet..., Paris, J. Camusat, 1637. In-12, pièces limin., 395 p., titre gr.

• Sirmond, Antoine, La Deffense de la vertu, Paris, S. Huré, 1641. 3 parties en 1 vol. in-8°

Sources secondaires

• Arnauld, Antoine, Œuvres de Messire Antoine Arnauld…, t. X […]. A Paris, & se vend à Lausanne, Chez Sigismond d’Arnay & Compagnie. M. DCC. LXXVII : De la nécessité de la Foi en Jésus Christ pour être sauvé, « Préface historique et critique […] »

• Esprit, Jacques, La Fausseté des vertus humaines... (Paris : G. Desprez, 1678) 2 vol. in-12, front. gr.

Bibliographie critique

• Capéran, Louis (chanoine), Le Problème du salut des Infidèles, Essai historique, Paris, G. Beauchesne, 1912.

• Cognet, L., « Le problème des vertus chrétiennes dans la spiritualité française au XVIIe siècle », in Les Vertus chrétiennes selon saint Jean Eudes, Paris, Notre Vie, 1960.

• Gros, Jean-Michel, « Le masque du “scepticisme chrétien” chez La Mothe Le Vayer », Libertinage et philosophie au XVIIe siècle, n° 5, 2001, p. 83-98.

• Moreau, Isabelle, « Guérir du sot ». Les stratégies d’écriture des libertins à l’âge classique, Paris, Champion, 2007.

• Sellier, Philippe, Pascal et saint Augustin, Paris, Albin Michel, 1995 (Première éd. : Armand Colin, 1970).

Liens

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